Chapitre 3 : Le chevalier blanc


Contemplant l'orgueilleuse cité de Mycènes, Denby avait les yeux perdus dans le vague. Ils avaient vaincu ; évidemment ils n'avaient éprouvé aucune difficulté pour ce faire. N'importe lequel des Marinas était capable de faire face à une centaine d'humains, et encore les Généraux des Mers n'étaient pas intervenus. Ils s'étaient contentés de regarder les velléités de leurs adversaires se briser les unes après les autres. Il ne restait plus que la cité de Mycènes à leur barrer la route. Une fois la Grèce conquise, une fois les grands conquérants grecs à leur merci, le reste du monde se soumettrait. Pourtant Mycènes et son roi - comment s'appelait-il déjà ? - ne semblaient pas aussi stupides que leurs compatriotes. Au lieu de se précipiter sur leurs ennemis, comme les autres l'avaient fait, ils ne semblaient pas presser d'engager le combat. Au loin, à plus de 300 mètres, Denby aperçut le roi de la cité. Ce dernier faisait le tour des forteresses qui protégeait la ville et semblait pouvoir la protéger jusqu'à la fin des temps. Denby sourit ; il se pourrait bien que ce moment soit arrivé ! En effet, aussi puissante fut cette muraille, elle n'était rien face à la puissance incalculable des Généraux. Il suffirait sans doute d'un seul coup de l'un d'entre eux pour la pulvériser.

- Qu'attendons-nous pour attaquer, Denby ?

L'interpellé se retourna. Devant lui se tenait Heldo, Général des Lyumnades. Il était sans nul doute possible le plus bizarre des serviteurs du Dieu des Océans. Il n'était pas très grand, affublé d'un nez et d'un menton d'une longueur incroyable. C'était à peine si l'on distinguait ses lèvres. Il avait également un regard fuyant et évitait toujours de regarder son interlocuteur dans les yeux. La première fois que Denby l'avait vu, il avait douté de la capacité d'Heldo à devenir un Général. Selon le fils de l'Empereur, il était tout juste bon à mener les troupes des Marinas. Force était de reconnaître qu'il s'était trompé. Heldo avait acquis une puissance redoutable et possédait une technique terrible, basée sur le principe d'une illusion. Il prenait l'apparence de la personne la plus chère au cœur de son adversaire et, sous cette apparence, le tuait. Rien que d'y penser, Denby avait des frissons qui lui parcouraient le corps.

- Alors, qu'attendons-nous ?
- Rien.
- Alors que faisons-nous ici ? Pourquoi cette ville est-elle encore debout ?
- Je ne sais pas. Mais nous allons nous en occuper maintenant. Lance les Marinas.
- A tes ordres.

***

Tolivar ne parvenait pas à s'endormir. L'imminence de l'assaut ennemi l'inquiétait grandement. Il savait que tout le reste du pays avait été soumis à l'envahisseur. Plus de quatre mille hommes, femmes et enfants tués par la centaine de guerriers que comprenait l'armée ennemie. Tolivar souhaitait de tout cœur la victoire de son père mais quelque chose lui disait que c'était peine perdue. Il avait beau retourner le problème dans tous les sens, il ne parvenait toujours pas à comprendre comment cent hommes pouvaient vaincre, sans déplorer de pertes ! ! !, plus de trois mille adversaires. C'était à croire qu'ils étaient protégés par une force surnaturelle. D'ailleurs, c'était le cas, puisqu'ils étaient les soldats de Poséidon ! L'armée de son père avait beau compter plus de trois mille guerriers braves et intrépides, il était pratiquement certain qu'ils allaient courir au massacre. Qu'allaient-ils pouvoir faire ?
Tolivar se leva finalement de son lit et se dirigea vers la fenêtre. Au loin, il pouvait voir les flammes du campement ennemi danser vers le ciel. Si seulement il pouvait faire quelque chose pour les aider !
- Si je te charge d'une mission qui pourrait changer les choses, l'accepterais-tu ?
- Athéna ?
- Je ne peux pas sauver l'armée de ton père et il est malheureusement fort à craindre que lui-même succombe. En revanche, nous pouvons peut-être faire basculer le rapport de forces à notre avantage.
- Comment ?
- Ce serait trop long à t'expliquer. Je te charge de trouver un homme. Il s'appelle Alcyar de Jamir. Jamir est un village situé très loin d'ici, bien au nord de Babylone, dans les collines du Couchant.
- Le Couchant ? Mais personne n'a jamais été là-bas ! C'est un mythe ! Chacun sait que le monde s'arrête à Tyr…
- Tu te trompes, Tolivar. Le temps presse. Prends ton cheval et va.
- Dragon ? Mais c'est hors de question ! Il n'arrivera jamais jusque là-bas et je refuse de l'abandonner.
- Fais-moi confiance. Il t'emmènera là où tu dois aller.
- Et une fois que j'aurais trouvé cet homme, que dois-je faire ?
- Tu dois me le ramener à Mycènes. Va maintenant.

***

Quels accoutrements bizarres, songea Antar. En effet les assaillants étaient vêtus de sorte d'écailles vertes, avec un casque d'une forme qui rappelait celles de coraux.
Ils ne semblaient guère pressés et marchaient tranquillement vers la ville, sûrs de leur victoire. C'était là le seul moyen de les vaincre : leur autosuffisance.
Selon Athéna, ces guerriers étaient certes puissants, mais il suffisait que le doute s'installe dans leur tête pour inverser l'équilibre des forces. Il jeta un coup d'œil autour de lui, cherchant son fils Laramil. Il savait qu'Athéna avait envoyé Tolivar en mission mais son benjamin avait disparu depuis qu'il avait refusé qu'il se batte à ses côtés, arguant qu'il était trop jeune. Antar secoua la tête. L'heure n'était pas aux problèmes familiaux. Athéna lui avait offert un arc magique avec une flèche. " C'est la seule chose que je puisse faire pour t'aider. Mon frère Arès a accepté de me le prêter, mais il ne m'a donné qu'une seule flèche. Tu ne dois pas rater ton coup, Antar. Si tu rates, cela en est fait des espoirs du genre humain. Si tu touches un de tes adversaires, il s'embrasera aussitôt, tout comme ceux qui seront à côté de lui. Il suivra nécessairement un mouvement de panique, à tout le moins de surprise. C'est à ce moment que ton armée doit attaquer. Les Dieux soient avec toi, Antar. "

Son père, son trône, ses enfants, sa femme, tout cela remontait en lui à l'heure où il bandait son arc. Il se força à faire le vide dans son esprit tandis que ses bras montaient progressivement à hauteur de ses épaules. Calmement, méticuleusement même, il visa. Puis, il ferma les yeux quelques instants. Il les rouvrit et lâcha sa flèche. Celle-ci alla se ficher droit dans le cœur d'un des assaillants qui, comme l'avait prédit Athéna, prit feu. A ce moment, il fit signe à un soldat qui ouvrit les portes de la cité. Une véritable déferlante, animée par un courage gigantesque, sortit alors de Mycènes et se rua à l'attaque. Antar ne mit que quelques secondes à les rejoindre. Sur son magnifique destrier noir, il frappait à droite et à gauche, tentant de pourfendre ses ennemis. Pendant plusieurs minutes, il fit tant de merveilles que l'on eut pu croire que les Mycéniens allaient remporter la victoire.

Pourtant, inlassablement, les assaillants continuaient à tuer. On aurait dit de véritables machines. C'est alors que surgit à toute allure un cavalier juché sur un cheval blanc qui hurlait " Mycènes ! Mycènes ! ". Il ne portait pas de bouclier, juste une épée. Son casque lui cachait une grande partie du visage et Antar n'arrivait pas à distinguer ses traits. Toutefois, en le voyant, le Roi ne put s'empêcher de se dire " Allons, encore un brave qui va tomber… "
Il suivit quelques instants le chevalier blanc et s'aperçut que son ardeur au combat avait pour effet de remobiliser ses hommes. Du coup, il reprit lui aussi vigueur.

Du haut de la colline qui surplombait Mycènes, les sept Généraux des Mers assistaient, presque impassibles, à la bataille qui faisait rage dans la plaine.
L'issue du combat ne faisant guère de doutes, ils suivaient les évènements d'un air plutôt distrait. Toutefois, ils changèrent tous d'attitude lorsque le chevalier blanc apparut. Très vite, Harchissa se tourna, incrédule, vers Denby.

- Tu as senti ?
- Oui. Cet homme possède un cosmos très puissant, mais manifestement il n'a pas encore appris à le faire exploser, sans quoi il ne se servirait pas de cette ridicule épée.
- C'est certain. Mais sa puissance, même en deçà de ce qu'il peut exprimer, peut faire pencher la balance en faveur des Mycéniens.
- Et alors, quelle importance ? Regarde, ils sont à peine un millier. Même s'ils remportent cette bataille, ils ne seront de toute façon pas en état de nous affronter.
- Quand même, j'ai bien envie de me charger de cet homme.

Comme pour appuyer ses paroles, il fit tourner sa lance qui dégagea des gerbes d'étincelle.

- Non, fit Denby. Laisses-le savourer ses derniers instants sur Terre. Un tel courage mérite bien quelques égards.
- Soit, comme tu voudras.

***

A peine Tolivar s'était-il assis sur sa selle que Dragon avait filé à toute vitesse droit devant lui. Il avait baptisé son cheval ainsi car il lui donnait presque l'impression de cracher du feu au grand galop. Très vite, le prince héritier parvint à Babylone, en deux fois moins de jours qu'il aurait normalement fallu. Il prit à peine le temps de se désaltérer puis repartit. Quelques deux jours plus tard il parvenait à l'orée de la Forêt de Non-Retour. Les quelques aventuriers qui avaient tenté de la traverser n'étaient jamais revenus. Dragon s'y engagea pourtant résolument, sans attendre le commandement de son maître. Lorsqu'il sortit de la forêt, Tolivar vit ce que personne avant lui n'avait vu : les Montagnes du Couchant. Lentement, il commença son ascension. Au bout de quelques heures, il parvint au village. Fourbu, il avait du mal à tenir sur sa selle et une fois arrivé sur la place principale, il tomba et perdit connaissance.

Lorsqu'il se réveilla, un homme se tenait à ses côtés, lui appliquant une compresse d'eau fraîche sur le front.

- Qui êtes-vous, demanda-t-il d'une voix faible ?
- Calmes-toi, jeune homme. Tu dois te reposer, tu étais à la limite de tes forces.
- Mais je n'ai pas le temps de me reposer, répliqua le jeune Prince en tentant vainement de se relever. Je dois trouver Alcyar de Jamir et le ramener au plus vite devant Athéna.
- Je suis Alcyar. Ne t'inquiètes pas. Dors encore quelques heures, nous repartirons ensuite.

Tolivar se réveilla une seconde étonnamment frais et dispos pour quelqu'un qui venait de chevaucher pendant plus d'une semaine sans repos. Il s'habilla rapidement et sortit de la cabane où on l'avait mis. Il pleuvait. La vigueur de cette pluie rappela à Tolivar sa mission et ses yeux se mirent à chercher Alcyar. Il vit tout d'abord Dragon, sellé et prêt à partir. On avait pris manifestement un très grand soin de lui ; son poil luisait et Tolivar aurait juré voir une lueur de joie dans ses yeux quand il lui flatta l'encolure.

- Et bien, fils de roi, qu'attendons-nous ?

Tolivar sursauta et vit Alcyar déjà à cheval, prêt à partir. Il bondit sur Dragon et les deux hommes partirent au grand galop. Le trajet du retour se passa encore plus rapidement qu'à l'aller. Toutefois, une bien désagréable surprise les attendait. Mycènes, la grande Mycènes, n'était plus. Il ne restait que des décombres. Tolivar pouvait voir des cadavres joncher le sol : les corps de la glorieuse armée de son père. Soudain son cœur se serra. Où était son père ? Et son frère ? Sa sœur ? Suivi d'Alcyar, il s'approcha lentement des ruines de la ville. Une poignée d'hommes, d'adolescents plutôt, en sortit. En le voyant, ils mirent un genou à terre et le saluèrent.

- Prince Tolivar, le roi est au plus mal. Il a été gravement blessé lors de la bataille et nous avons craint le pire.
- Que s'est-il passé exactement ? Racontes-moi !

La plaine de Mycènes, quelques jours plus tôt

La bataille faisait rage. Sous l'impulsion du chevalier blanc, les Mycéniens se battaient avec l'énergie du désespoir. Les assaillants tombaient, mais pour une victime on décomptait une vingtaine, voire une trentaine de Mycéniens tués. Tout à coup, la lance d'un des guerriers de Poséidon atteignit le cheval d'Antar. Déséquilibré, le roi tomba. Une dizaine d'ennemis se précipita vers lui. Il se défendit vaillamment pendant quelques instants et il devint clair qu'il ne tarderait pas succomber. C'est alors que le chevalier blanc surgit, chargea le roi sur son destrier et l'emmena hors du champ de bataille. Il revint rapidement, brandissant son épée et hurla :

- Soldats, le roi m'a confié le commandement de l'armée. Nous allons vaincre !

Un gigantesque rugissement lui répondit. Les Mycéniens repartirent à l'assaut avec encore plus d'ardeur. Une petite demi-heure plus tard, ils étaient vainqueurs. Mais à quel prix ! Sur les trois mille deux cent guerriers que comptait l'armée de Mycènes, seuls neuf cent étaient en vie et les deux tiers en état de se battre. Du haut de la colline, Denby laissa échapper un sourire.

- Owanon !
- Denby ?
- Je te charge de les terminer. Ils ne sont guère vaillants, un seul coup devrait suffire.
- A tes ordres.

Les guerriers de Mycènes le virent arriver de loin. Son armure dorée semblait se refléter à l'infini. Elle lui recouvrait tout le corps, ne laissant aucune partie à découvert. Chose très curieuse, il ne portait pas d'armes. Pas d'épées, de poignards ou de haches. Il s'arrêta à quelques pas des Mycéniens. Ceux-ci levèrent leurs armes, prêts à hacher menu ce fou qui venait les défier sans aucune arme !

- Soldats, vous vous êtes vaillamment battus. Malheureusement, votre parcours s'arrête là. Je suis chargé, au nom de l'Empereur Poséidon, de mettre à vos existences. Adieu !

Un halo lumineux entoura alors l'homme. Ce halo grandit de manière incroyable et l'homme dit :

- Par l'Aurore Boréale !

***

La nuit était tombée sur la plaine. La lune était pleine et sa lumière éclairait tous les alentours. On pouvait aisément distinguer les étoiles. Mais Tolivar n'avait guère le cœur à contempler la nuit étoilée.

- Et après, interrogea Tolivar ?
- C'est tout mon Prince. Je me rappelle avoir vu de la ville un éclair lumineux et une seconde après, les guerriers étaient morts. C'est à n'y rien comprendre !

En effet, songea Tolivar. Comment un homme sans armes avait-il pu tuer près d'un millier d'hommes d'un seul coup ? Et un coup de quoi, d'ailleurs ?

- Où est mon père ?
- A l'abri, votre sœur le veille.
- Et mon frère ?

Mon interlocuteur baissa la tête.

- Je ne sais, Prince. Il a disparu avant la bataille et personne ne l'a revu.
- Laramil…

Une larme coula sur le visage de Tolivar. Il aimait tendrement son petit frère, malgré son caractère difficile. Il ne le lui avait jamais dit, faute de pouvoir trouver les mots justes. A ce moment, Tolivar chercha des yeux Alcyar. Celui-ci s'était installé dans un coin. Il avait sorti des outils bizarres et semblait sculpter une sorte de statue. Tolivar s'approcha.

- Que fais-tu ?
- Ce que ta déesse m'a demandé, fils de roi.
- Je m'appelle Tolivar. Et que t'a-t-elle demandé ?
- C'est un peu difficile à expliquer. Vois-tu, fils de roi, vous ne viendrez pas à bout des Généraux de Poséidon avec les armes que vous employez actuellement. Les armures qu'ils portent les rendent totalement invulnérables aux coups que vous pourriez leur porter. C'est pour cela qu'Athéna a fait appel afin que je vous confectionne également des armures.
- Et les armes ?
- Quelles armes ?
- Comment ça quelles armes ? C'est bien beau de nous faire des armures pour nous défendre, mais comment allons-nous attaquer ?
- Avec votre cosmos.
- Notre QUOI ? ? ? ?
- Tu devrais te reposer, fils de roi. J'aurais terminé les premières armures demain et à ce moment-là, Athéna t'expliquera tout.

***

Le chevalier blanc ouvrit lentement les yeux. Un peu plus loin, son cheval gisait, mort. Il ne se souvenait pas très bien de ce qu'il s'était passé. Il y avait eu ce flash de lumière et puis plus rien. Il se leva prudemment, vérifiant qu'il n'avait rien de cassé.

Il leva les yeux vers le ciel et vit qu'un groupe d'étoiles - son précepteur lui avait appris le nom exact, mais il l'avait oublié - brillait plus fort que les autres. Sans réellement s'en rendre compte, il se mit à marcher. Combien de temps dura sa marche, il ne le sut jamais.

Mais il arriva bientôt à une espèce de campement. Tout le monde dormait. Un petit peu à l'écart du campement se trouvait une sorte de boîte cubique avec des motifs bizarres gravés dessus. Comme hypnotisé, il s'approcha de l'urne. Il vit alors qu'il y avait une chaîne et instinctivement il tira dessus. La boîte s'ouvrit et une lumière aveuglante s'en échappa. Quand il rouvrit les yeux, il vit une espèce de statue représentant… Il n'arrivait pas à le définir. Il s'avança et la toucha. Là, quelque chose d'incroyable se produisit. La statue sembla s'animer ; elle se souleva de terre et se disloqua en morceaux qui se dirigèrent vers le chevalier blanc et s'attachèrent sur lui. Il regarda alors le ciel et vit la forme d'étoiles brillait encore plus fort. On eut dit… Oui, c'était cela ! Un cheval ailé !

Laramil venait de revêtir l'armure de Bronze de Pégase…

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Cette fiction est copyright Emmanuel Axelrad et Romain Baudry.
Les personnages de Saint Seiya sont copyright Masami Kurumada.