Chapitre 4 : Les Forgerons de Mu


La route se poursuivait indéfiniment, infléchissant fréquemment sa course entre les collines de façon à faciliter la marche aux voyageurs qui l'empruntaient. Mais de voyageurs, il n'y en avait guère pour le moment. Même si elle n'avait en fin de compte guère fait de victimes que parmi les soldats, la guerre n'incitait pas beaucoup à se déplacer. Du reste, même quelqu'un qui aurait malgré tout eu une raison urgente pour voyager n'aurait pas emprunté cette route-là. Car c'était l'une des principales routes qui menaient à la grande ville de Mycènes, laquelle n'était plus qu'un amoncellement de ruines.

La rumeur des guerriers de Poséidon s'était désormais répandue à travers tout le pays. Les histoires abondaient à leur sujet, et chacune surpassait les autres quant à la description de leur force et de leurs pouvoirs. Certaines approchaient même de la réalité. D'une manière ou d'une autre, le résultat était que plus personne ne désirait s'aventurer à proximité de Mycènes, où l'on supposait que les guerriers de Poséidon se trouvaient encore.

Ou du moins, personne ne s'y aventurait volontairement.

Une silhouette, petite dans le paysage vaste, cheminait lentement le long de la large route de terre. Elle était vêtue de manière peu remarquable. Un bâton de marche se trouvait dans sa main droite, un sac de cuir usé sur son épaule. Ce qui attirait surtout l'attention, et qui lui aurait valu des regards étonnés n'importe où dans cette région, c'était son visage.

Parvenue au sommet d'une petite colline qui surplombait quelque peu les environs, la silhouette s'arrêta et observa les environs avec attention, appuyée sur son bâton. Une expression d'étonnement et de perplexité mêlés se voyait sur ses traits

- Je crois, dit-elle finalement, que je me suis perdue.

***

- Pardonnez mon impertinence, noble déesse, dit Tolivar, l'air incrédule, mais j'ai du mal à voir exactement comment ceci va nous aider.

L'apparence du camp des réfugiés de Mycènes trahissait la précipitation avec lequel il avait dû être établi. Situé en bordure d'une forêt clairsemée de chênes et de hêtres, il consistait essentiellement en un amas de tentes plus ou moins bien montées. Quelques adolescents, armés en tout et pour tout de lances rudimentaires et de quelques boucliers, montaient la garde tout autour. Non que ce fut réellement nécessaire.
Les guerriers de Poséidon avaient apparemment perdu tout intérêt quant au sort de ceux qui avaient pu échapper à la cité détruite. Mais Tolivar y avait tenu, plus pour maintenir un semblant d'ordre que pour autre chose.

Des adolescents montaient la garde, car presque tous les hommes adultes étaient morts contre les guerriers de Poséidon. Les infirmes et les vieillards, même, qui n'avaient pas eu à combattre, avaient souvent perdu la vie lors du chaos qui avait suivi la chute de la cité. De fait, avait observé Tolivar en revenant de sa quête, il ne semblait pratiquement plus rester ici que des femmes et des enfants. Cela n'augurait pas bien d'une possible reconquête.

Le camp lui-même, en plus d'être mal organisé, commençait déjà à manquer de vivres et des soins nécessaires aux blessés. Pour couronner le tout, les averses s'étaient faites fréquentes depuis la chute de Mycènes, comme pour rappeler à chaque instant la victoire de l'Empereur des Mers.

- Je ne vois pas comment de simples armures, même si elles sont de qualité exceptionnelle, pourraient nous aider à l'emporter sur les guerriers de Poséidon, reprit Tolivar.

Il était fatigué, son père était toujours gravement blessé, les responsabilités qui lui incombaient désormais consumaient les trois quarts de son temps et Tolivar était excédé au point de ne plus trop s'embarrasser de politesse, fut-ce devant une déesse.

- Je comprends ta réaction, répondit pourtant Athéna avec calme, mais, même si tu n'as pas assisté à la bataille, tu as dû te rendre compte que de simples guerriers ne vaincront jamais les serviteurs de Poséidon. Peu importe leur nombre et leurs armes. La seule chance qui s'offre à vous est de les affronter sur le même terrain, grâce à ces armures.

D'une main gracieuse et effilée, elle désigna l'armure étrange qui recouvrait actuellement le corps de Laramil. Ce dernier, qui avait dû assister à toute cette réunion, se contenta d'un mouvement de tête sans signification particulière. Cette armure, qui l'avait empli d'une sensation si particulière lorsqu'il l'avait revêtu, lui paraissait désormais terriblement lourde. Beaucoup plus, même, que l'armure déjà incommode qu'il avait revêtu pour la bataille. La conversation l'intéressait, par ailleurs, mais il n'arrivait pas à se concentrer sur ce qui était dit. Pourquoi cette armure était-elle si pesante ? Il ne pourrait jamais se battre avec une telle chose sur le dos.

- Il ne s'agit pas d'armures ordinaires, intervint Alcyar, qui se trouvait là également, l'air exténué après le travail qu'il avait dû fournir. Bien qu'elles ne confèrent pas en elles-mêmes de pouvoirs particuliers, elles ont la possibilité d'éveiller leur porteur à la même force que celle que détiennent les serviteurs de Poséidon. Et elles ont également la solidité nécessaire pour atténuer grandement l'impact des coups de n'importe quel adversaire.
D'un œil attentif, malgré sa fatigue, il entreprit une nouvelle fois d'examiner l'armure de Pégase.

- Et si Laramil la transmettait à quelqu'un d'autre demanda Tolivar, qui avait déjà une idée de la réponse qu'on allait lui faire ?
- Une fois qu'une armure s'est attachée à une personne, répondit Alcyar avec un demi-sourire, elle lui appartient jusqu'à sa mort.

***

- Halte, au nom de notre seigneur Poséidon !
- Où crois-tu aller comme ça ?
- Je me suis… euh, un peu perdue…
- Perdue ?!
- Oui, je voulais me rendre à Dodone et…
- Dodone ?! C'est à l'autre bout du pays ! Tu…
- Arrêtez !
- Général Velinar…
- Cette femme a rendu des services exceptionnels à sa majesté Poséidon. Elle est sous sa protection absolue et elle peut se déplacer où elle veut. Tenez-vous-le pour dit.
- A vos ordres, Général…

***

Alcyar se sentait inquiet en retournant vers son lieu de travail. C'était une émotion qu'il n'avait pas souvent eu l'occasion de ressentir pendant toute la période qu'il avait passé à Jamir, à perfectionner ses connaissances. Mais maintenant…

Avait-il vraiment bien fait de se ranger ainsi aux côtés d'Athéna et de lui prêter toutes ses connaissances ? Même si la déesse était chère à son cœur, cette décision risquait d'avoir des conséquences pour son peuple une fois que Poséidon s'en serait rendu compte. L'Ebranleur du Sol semblait bien résolu à mettre ses projets à exécution et à devenir le maître de tout ce qui existait sous le ciel. Il ne serait sans doute guère enclin à pardonner ceux qui s'étaient opposés à lui. Le peuple d'Alcyar avait survécu à beaucoup de choses, dont la disparition de son pays, mais leur nombre était de plus en plus faible. L'inimitié de Poséidon pourrait se révéler fatale.

La seule solution, raisonna Alcyar, était d'assurer la victoire d'Athéna. En échange de ses services, la déesse aux yeux pers lui avait promis de prendre chacun des membres de son peuple sous sa protection. Oui, c'était sans doute la meilleure solution. L'inconvénient était qu'assurer la victoire d'Athéna ne serait pas simple, pas même avec toutes les connaissances dont il était le dépositaire.

Parvenu finalement à l'endroit où il avait entreposé outils et matériaux, Alcyar s'arrêta et s'efforça de réfléchir, malgré la fatigue.
Le fait de créer cette première armure l'avait fatigué plus qu'il ne s'y était attendu. Certes, il s'était lancé dans cette création de façon assez improvisée. Bien que toutes les connaissances nécessaires en théorie fassent partie de l'héritage de son peuple, il n'avait pas été absolument certain de la façon de procéder.

Notamment, il ne s'était pas attendu à devoir donner une partie de son sang à l'armure pour lui donner la vie.

Alcyar frissonna en se souvenant du moment où il avait dû réaliser que rien d'autre ne ferait l'affaire. C'était tout juste s'il était parvenu à refermer la plaie par psychokinésie. Un pari risqué, mais qui avait pourtant réussi. Il savait désormais très exactement comment créer une armure.

Mais cette seule connaissance ne suffisait pas. D'abord parce qu'il ne pouvait guère se permettre de déverser ainsi son sang sur toutes les armures qu'il forgerait, sous peine d'y laisser la vie assez rapidement. Peut-être que le sang d'autres personnes pourrait fonctionner également, songea-t-il après un moment. Il faudrait juste qu'il soit présent et vigilant pour éviter que l'un des donneurs ne saigne à mort. Un autre problème était le manque de matériaux. Il pourrait toujours fabriquer du gammanium, encore que les métaux qui composent cet alliage soient difficiles à trouver. Mais l'orichalque et la poussière d'étoile… Il n'en avait qu'une quantité limitée, et guère de moyen de se réapprovisionner rapidement. Peut-être lui restait-il de quoi réaliser une demi-douzaine d'armure. Certainement pas plus.

Restaient encore deux inconvénients, tout aussi importants. D'abord, la création d'armure était quelque chose de long et d'épuisant, même s'il n'avait pas à donner son sang. Il ne réussirait jamais à avoir terminé suffisamment d'armures à temps pour donner une chance à Athéna. Ensuite, et peut-être surtout, il avait conscience que le niveau de l'armure qu'il venait de créer était bien inférieur encore à celui des écailles dorées qui recouvraient les Généraux de Poséidon. Même si l'armure possédait cette étincelle de vie lui permettant notamment de se régénérer, sa résistance était probablement insuffisante et elle n'avait pas de capacités spéciales lui permettant de compenser cette faiblesse. En lui-même, Alcyar savait qu'il faudrait de la volonté pour permettre à son jeune porteur de surmonter ces obstacles.

Ce qu'il lui fallait, songea-t-il tout à coup, traversé d'une idée subite, c'était de l'aide. La majeure partie de son peuple ne pourrait pas grand-chose et ne voudrait sans doute pas s'engager aux côtés d'Athéna si abruptement. Mais peut-être saurait-il convaincre les autres Forgerons de l'assister.

Alcyar s'assit à même le sol de terre et déroula une carte qui ne le quittait que rarement. La précision et l'étendue en étaient bien supérieure à tout ce qu'un habitant de la Grèce aurait pu imaginer, même si lui-même y était depuis longtemps habitué.

- Voyons, murmura-t-il pour lui-même, où peuvent-ils bien se trouver désormais ?

Ils étaient quatre à mériter véritablement le titre de Forgeron au sein de leur peuple. Seulement quatre. A une époque, ce nombre aurait aisément dépassé la centaine. Mais il faudrait bien que quatre suffisent, se dit Alcyar en observant la carte avec attention. Est, Sud, Ouest et Nord. C'était ainsi qu'ils s'étaient répartis, chacun résidant dans un coin du monde pour apprendre et expérimenter. Cela ne remontait qu'à quelques années, et pourtant cela lui paraissait tellement long.

Le Forgeron de l'Est était lui-même, et il se trouvait déjà là pour s'aider, songea-t-il avec une pointe d'humour forcée. Jamir pour l'Est. Le Forgeron du Sud… Inutile d'y penser. Une nouvelle fois, Alcyar sentit une vague d'amertume le traverser en songeant à la traîtrise de son élève le plus doué. Tant pis. Le Forgeron de l'Ouest l'aiderait sans doute, s'il parvenait à le retrouver. Alcyar savait seulement qu'il habitait parmi les Celtes, dans une vaste île au large du continent. Quant au Forgeron du Nord, il passait son temps dans des régions peu civilisées et serait difficile à trouver. Alcyar n'avait aucune idée de s'il accepterait de l'aider.

C'était pourtant la meilleure solution. A trois, ils pourraient forger les armures beaucoup plus rapidement. Plus important, ils pourraient mettre en commun leurs connaissances et leurs talents pour créer des armures plus puissantes.

Restait le problème de les contacter…

Un remue-ménage soudain vint interrompre les pensées d'Alcyar. Des voix s'élevèrent en provenance du poste de garde le plus proche, comme en une violente discussion. Alcyar regarda aux alentours, mais Tolivar n'était nulle part en vue. Sans doute était-il retourné veiller son père.

Alcyar se releva, un peu péniblement, puis prit la direction d'où provenaient les voix. Ce n'était visiblement pas une attaque, mais de quoi pouvait-il bien s'agir alors ?

Une dizaine de gardes se trouvaient là quand il arriva. " Gardes " était un terme excessif, songea Alcyar en son for intérieur, étant donné qu'aucun d'eux ne devait avoir plus de quinze ou seize ans. Ils étaient pourtant tous armés et leur attitude démentait leur âge. La chute de la cité et la perte de tout ce qu'ils avaient connu avaient été un choc terrible et seul le temps dirait ce qu'il en résulterait.

Les gardes entouraient quelqu'un, sans doute un étranger. Alcyar n'arrivait pas tout à fait à distinguer ses traits mais…

- Ecoutez, je me suis perdue, c'est tout, je…

Le reste fut couvert par le brouhaha mi-agressif des gardes, mais Alcyar s'était figé, la bouche béante. Cette voix aiguë d'écervelée ! Comment est-ce que…

Il fit encore trois pas en avant et ses yeux s'écarquillèrent de stupéfaction.
L'étranger qu'entouraient les gardes était une femme d'une vingtaine d'année, vêtue d'habits de voyage. Les deux choses qui frappaient l'œil en premier quand on la regardait était sa peau, noire comme l'ébène, et ses cheveux, blancs comme la neige.

La discussion était en train de s'envenimer et Alcyar se força à intervenir. Ses questions attendraient.

- Je me porte garant de cette personne, fit-il en s'avançant parmi les gardes. N'ayez aucune inquiétude, je m'occuperai d'elle.

Du coin de l'œil, il vit que la jeune femme l'avait reconnu également. Elle paraissait plutôt soulagée. Mais les gardes, eux, ne semblaient pas décidés à obtempérer si facilement. Ils ne connaissaient guère Alcyar que de vue encore et, même s'il semblait avoir la confiance de leur prince, ils n'étaient pas disposés à prendre leur devoir à la légère.

- Elle rôdait autour du camp, fit l'un des plus âgés avec défiance.
- Mais non, intervint la jeune femme avec son manque d'à propos habituel, je vous ai expliqué, je m'étais perdue alors que je voulais me rendre à Dodone et…
- C'est grotesque s'écria un autre garde ! Cette fille est une folle ou une espionne au service de Poséidon ! Qui s'aventurerait par ici pour le plaisir après ce qui s'est passé ?

La jeune femme ouvrit la bouche et Alcyar réalisa avec consternation qu'elle allait demander ce qui s'était passé. Elle ne savait pas ! Comment était-ce possible ?! Fort heureusement, une voix froide vint mettre un terme à la conversation.

- Laissez-la.

Le silence se fit. La princesse Janeel n'avait pas une voix forte, mais sa présence était impossible à ignorer. Alcyar lui-même s'en trouva brièvement impressionné. Elle était très belle, c'était indubitable. Mais il se dégageait d'elle une impression étrange, aussi froide que l'hiver de Jamir. Un peu comme si sa silhouette délicate avait été en fait taillée dans la glace la plus pure.

- Maître Alcyar, fit-elle de sa voix sans expression en se tournant vers lui, vous vous portez garant d'elle ?
- Oui, fit-il après une hésitation.
- Alors elle peut pénétrer dans le camp sous votre surveillance.

Sur quoi la jeune et froide princesse se détourna. Mais Alcyar avait cru distinguer autre chose que de l'indifférence dans ses yeux bleu glacier. Etait-il possible qu'elle ait des soupçons sur la jeune femme qui venait d'arriver ?

- Alors, on fait quoi, maître demanda l'intéressée, qui l'avait rejoint maintenant que les gardes l'avaient laissée pour retourner à leur poste ?
- Je préfèrerais que tu ne m'appelles pas comme ça, Jaelrina, répondit Alcyar d'une voix un peu sèche.
- Pourquoi ?

Alcyar, descendant de l'antique peuple de Mu et Forgeron de l'Est, leva les yeux au ciel. Les souvenirs de l'éducation qu'il avait dispensé à Jaelrina étaient encore frais dans sa mémoire, alors qu'ils remontaient déjà à plusieurs années. Elle n'était pas originaire du peuple de Mu, mais l'un des leurs l'avait recueillie en Nubie alors qu'elle avait à peine deux ans. Elle s'était montrée exceptionnellement douée. Tellement que les Anciens avaient fait abstraction de ses origines et lui avaient accordée le titre de Forgeron du Sud.

- Jaelrina, fit Alcyar d'une voix suffisamment basse pour que personne d'autre ne l'entende, je n'ai pas l'impression que tu comprennes bien où tu te trouves. Si ces enfants avaient su qui tu es et ce que tu as fait, ta tête serait plantée au bout d'une pique au moment où nous parlons.

Jaelrina écarquilla ses grands yeux noirs, stupéfaite.

- Mais pourquoi ?

Alcyar réprima un profond soupir. Il avait oublié. Jaelrina était dotée d'un savoir-faire et d'une intelligence incroyable, mais cela ne faisait que plus mettre en valeur son manque phénoménal de bon sens commun et de réflexion.

- C'est toi qui as forgé les armures que portent les serviteurs de Poséidon siffla-t-il avec irritation !
- Oh, fit Jaelrina en se grattant la tête. Bien sûr, c'est moi. Enfin, je me suis occupé de les forger. Poséidon leur a en plus insufflé une partie de son pouvoir, donc je ne peux pas dire qu'elles soient uniquement mes réalisations. J'en suis assez fière, pourtant. L'orichalque n'est pas si facile que ça à travailler. Pourquoi est-ce qu'ils m'en voudraient à ce sujet, au fait ?

Alcyar se contenta de désigner le camp misérable qui les entourait.

- Ce sont les serviteurs de Poséidon qui ont détruit la cité où vivaient tous ces gens. Ils portaient tes armures.

L'espace d'un instant, il crut voir une lueur déconcertée traverser le regard de Jaelrina. Puis cela disparut.

- Je ne pensais pas qu'ils s'en serviraient pour cela, dit-elle simplement.
- Pour quelle raison les hommes utilisent-ils de telles choses sinon pour se battre ?! Pourquoi as-tu accepté de les créer ? Si tu ne lui avais pas apporté tes connaissances, Poséidon n'aurait pas pu réaliser des armures si puissantes !
- Je ne sais pas, j'avais juste envie de voir si j'étais capable de le faire. Ca me paraissait intéressant…
- C'est bien là le problème, dit Alcyar tandis qu'ils arrivaient à sa tente. Avoir les connaissances que je t'ai transmis nécessite avant tout de savoir les utiliser à bon escient. Ce n'est pas ton cas et je regrette de ne pas m'en être aperçu bien plus tôt.

Il y eut un instant de silence embarrassé tandis que Jaelrina n'osait pas croiser son regard. Ce fut alors qu'elle remarqua les outils d'Alcyar, qu'il n'avait pas rangé après avoir créé l'armure de Pégase.

- Nous pourrions créer des armures et les donner à ceux qui luttent contre Poséidon s'exclama-t-elle brusquement ! C'est ce que vous essayez de faire, n'est-ce pas, maître ?

Alcyar ne répondit pas immédiatement. Oui, c'était ce qu'il essayait de faire, mais n'aurait-il pas été infiniment préférable qu'il n'y ait jamais de telles armures ? Créer ainsi de telles choses dotées d'un tel pouvoir et pratiquement indestructibles… Est-ce que cela ne risquait pas d'entraîner des guerres qui se poursuivraient à travers les siècles.

- Je vous aiderai, qu'en pensez-vous ? J'ai beaucoup réfléchi après avoir créé les armures pour Poséidon. Je crois que je sais comment j'aurais dû faire pour leur insuffler la vie moi-même. Il aurait fallu du gammanium, déjà, pour améliorer la résistance. Et de la poussière d'étoiles, surtout. Et quelque chose s'apparentant à de l'énergie vitale, comme du sang. Après…

Alcyar ne put s'empêcher de sourire sans joie tandis que Jaelrina continuait de parler. Irresponsable ou pas, il avait désormais l'aide qu'il lui fallait, en attendant de pouvoir joindre les deux Forgerons restants. Et le temps pressait…

- Allons-y, alors, fit-il en prenant sa décision. Quel genre d'armure voudrais-tu que nous forgions ?
- Qu'est-ce que vous diriez d'une armure liée à la glace et au froid ? Une fois où… je m'étais perdue… je suis arrivée dans un pays où il y avait de la neige partout. J'ai cru mourir de froid vingt fois et pourtant, par certains côtés, c'était un très beau pays. Les montagnes…

Alcyar eut un sourire sarcastique tandis qu'ils se mettaient ensemble au travail. Autant s'y habituer de nouveau. En plus de ses autres défauts, Jaelrina parlait trop.

***

Il faisait déjà sombre quand Janeel se glissa jusqu'à la tente d'Alcyar. Les deux forgerons semblaient toujours en train de travailler sur la nouvelle armure qu'ils avaient entrepris de réaliser.

- Mais pourquoi c'est moi qui dois donner mon sang ? Vous savez bien que je n'aime pas ça !
- Parce que j'ai déjà donné le mien hier et que, de toute façon, tu as toujours été nulle en psychokinésie. Autant que je sois là pour refermer ta blessure plutôt que le contraire.

Hormis les moments où elle avait veillé son père, toujours à demi-inconscient, Janeel avait passé sa journée à regarder Tolivar prendre des décisions et à voir Laramil s'entraîner en transpirant, sa lourde armure sur le dos. C'était alors que sa résolution s'était cristallisée. Elle n'avait pas l'intention de demeurer ainsi à ne rien faire maintenant que son foyer était détruit. Il était temps qu'elle accomplisse quelque chose.

La société à Mycènes, comme toutes celles de son temps, était patriarcale. Les femmes n'y avaient que peu de pouvoirs et de responsabilités. En tant que princesse, elle avait pu jouir d'une liberté supérieure. Mais ce n'était pas suffisant. Elle voulait pouvoir agir véritablement.

Elle avait fait très attention à tout ce qui avait été dit au sujet de Laramil. Une armure, une fois qu'elle avait choisi son porteur, n'en changeait plus jusqu'à sa mort.

Devant elle, à quelques mètres seulement, l'armure aux reflets étincelants était en train d'être achevée.

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Cette fiction est copyright Emmanuel Axelrad et Romain Baudry.
Les personnages de Saint Seiya sont copyright Masami Kurumada.