Deuxième Age Chapitre 8 : Manipulations


L'espoir d'une issue pacifique au conflit qui depuis quelques années ébranle l'Inde et le Pakistan vient de subir une issue tragique. L'accord de paix que proposait Muhazzam Anwar, premier ministre pakistanais, ne survivra sans doute pas à ce dernier, assassiné dans des circonstances mystérieuses il y a quatre jours. Les représentants de l'Inde continue de nier leur responsabilité dans le meurtre, et se disent "choqués que des soupçons pèsent sur leur nation alors qu'ils avaient tant à gagner avec cet accord", fin de citation. Malgré les retombés catastrophiques de ce tragique événement – Muhazzam Anwar était un personnage aussi populaire qu'il n'était influant – le président indien n'a pourtant pas rejeté la faute sur une minorité terroriste.
Depuis quatre jours, le cessez le feu est devenu caduque. Selon les derniers estimations, les derniers affrontement auraient causé un grand nombre de victimes, notamment dans la population civile.



Dépêche parue dans le New York Times



"Tout se déroule comme prévu ..."


Quelqu'un, quelque part ...

~ 1 ~


L'ambiance stérile et aseptisée d'un bloc opératoire. Les murs monotones, blancs et bleus, évoquent mélancolie et désespoir à celui qui prend la peine de les contempler. Il y a une étagère, sur laquelle, soigneusement rangés, divers artefacts attendent que quelqu'un choisisse de les utiliser. La vaste salle resterait ensuite d'un vide regrettable, si la table d'opération, superbe de par sa présence, n'occupait à elle seule un espace bien supérieur à ce que son propre volume laisserait supposer. L'air, pur à en suffoquer, et le silence assourdissant mettraient mal à l'aise ceux qui habitent ce lieu, si seulement chacun d'entre eux n'était au dessus de telles dispositions d'esprit. Bien des vies ont été sauvées, bien d'autres se sont éteintes, à cet endroit, et tous gardent à l'esprit que si il existe quelque chose entre la vie et la mort, il pourrait bien se trouver quelque part ici.
Concernant les individus, trois infirmières d'apparences simples, de blanc vêtues, s'affairent, étalant sur une table divers ustensiles tranchants. Ôté de sa conscience, un anonyme offre le poids de son corps à la table d'opération.
La porte s'ouvre. Quelqu'un entre. Les infirmières retiennent une silencieuse appréhension.
"Je comprend vos doutes.", dit calmement celui qui vient de fouler de son pas cet endroit si important. "Rassurez-vous, continue-t-il, je maîtrise la situation. C'est une opération de routine, une intervention simple au niveau du coeur. Rien qui n'ai déjà été réalisé par le passé de nombreuses fois."
Il s'avance, enfilant dans le même temps une paire de gants stériles.
"Ouvrir, opérer, fermer. Des questions ?"
Les trois femmes s'échangent des regards étonnés. La profonde assurance du chirurgien leur paraît être quelque chose d'invraisemblable.
'Quel âge nous a-t-on dit qu'il avait ?', s'inquiète l'une d'elle, mais faute d'avoir la volonté d'utiliser des mots, elle lance sa question d'un seul regard.
'15 ans, mais je suppose qu'il ne serait pas là s'il n'avait été jugé capable.', lui répond sa collègue, avec le même silence.
"Bistouri", lâche simplement le jeune garçon, et sur le même ton, il aurait aussi bien pu demander du savon.

~~~~~


"Bilan post-opératoire.", dit le jeune homme, jetant un coup d'oeil à l'horloge qui semble veiller sur lui. "L'opération a duré 47 minutes. J'ai suivi la procédure à la lettre, le patient l'a admirablement supporté. Aucun écart n'a été fait, aucune anomalie n'a été décelée, tout s'est parfaitement déroulé."
Il croise du regard une des trois infirmières.
"En médecine, seules comptent les compétences", lui dit-il, sans orgueil, sans vanité, avec sa simple assurance.
Il n'y a pas de réponse. Pas de réponse, mais une parole simple, alors qu'une autre d'entre elles relève un simple constat.
"Docteur, il y a un problème.
- Un problème ?
- Le patient est mort."
Les mots poignardent le coeur du jeune chirurgien. Celui-ci jette immédiatement un coup d'oeil aux appareils qui, avec rythme et symphonie, surveillent les signes vitaux de celui qui un instant plus tôt était un être vivant.
'Tension nulle, rythme cardiaque nul, activité cérébrale nulle ...'
Pour la première fois, une goutte de sueur trahit l'émotion du garçon.
"Ce n'est pas possible ... ", lâche-t-il dans un souffle presque mort. "Je n'ai fais aucune ... erreur ..."
Il jette son regard sur le corps de l'homme, terrassé par la surprise, par l'incompréhension, et c'est à ce moment que ...

~~~~~


Sa poitrine explose. Les trois infirmières ne bougent pas, ne font pas de bruit. Elles ne sont plus là d'ailleurs. Le jeune garçon est seul, seul témoin de la violente explosion du corps de celui qu'il vient d'opérer. Un sang rouge et chaud tapisse les murs de la salle, inonde le visage du jeune chirurgien, noie ses vêtements d'une substance poisseuse, souille son regard.
Quelque chose tombe à ses pieds. Éjecté du corps de son propriétaire, c'est ...

~ 2 ~


"SON COEUR !! C'EST SON COEUR !! OH MON DIEU !!"
Traumatisé par la vision épouvantable, Ashita, le coeur battant à tout rompre, le corps trempé de sueur, les yeux exorbités, ne réalise pas tout de suite qu'il n'est plus dans la salle d'opération. Pire, il n'y a jamais été. Au lieu de cela, il se tient debout, au milieu d'une zone dévastée, ou la chaleur tue, ou l'air étouffe, où le sol est noir et où seuls quelques rochers marquent le paysage.
Et puis il y a quelqu'un. Une présence. Quelqu'un le tient serré contre lui, comme une mère le ferait avec son enfant, et le rassure par des mots calmes.
"Chuuut ... C'est fini, Ashita ..."
Un peu plus loin, il y a Kyô. Le regard effrayé, marqué par un profond sentiment d'impuissance, il n'est que le témoin de la scène. Contre son corps, celui de son camarade et ami ...
"Ki ... Kinô ...?
- Calme-toi, Ashita ...
- Où ...
- Sur l'île de la Reine Morte, tu te rappelles ?
- Mais alors, tout cela n'était qu'un ...
- Il semblerait."
Se défaisant de l'étreinte, Ashita, tente de faire un pas en arrière. Mais ses jambes se dérobent sous son poids, et il heurte violemment le sol de son postérieur. D'un geste de la main, il incite ses deux camarades à ne pas lui porter secours, brisant leur élan, leur signifiant clairement qu'il va bien.
"Ça va ..."
C'est après une profonde respiration qu'il tente de reprendre ses esprits.
"Ça va ... Je crois que j'ai fais un mauvais ..."
Mais c'est aussi à ce moment qu'il se souvient ...
"Attendez ... Attendez ! Ce n'en est pas un ! Tout cela s'est réellement passé !"

~~~~~


Mais Ashita, blessé dans son âme, n'est pas prêt à accepter l'aide, ni même la compassion, de ses frères d'armes, et pour cette raison au moins il ne dit rien. Paniqué par l'état critique de son camarade, Kinô réalise avec désespoir que celui qui ne veut être aidé risque de s'enfermer dans la folie, et c'est la mort dans l'âme qu'il décide de laisser d'abord la plaie se cicatriser d'elle-même.
"Je crois qu'il est traumatisé par le fait qu'il ait tué Jared, le seigneur noir de Pégase."
Kyô hésite avant de répondre. L'excitation de la victoire lui paraît bien vaine, à présent. Peu versé dans les sciences de la psychologie, il s'enquiert d'une vérité plus concrète.
"Et toi, Kinô, comment vas-tu ?
- J'ai aussi tué mon adversaire, Huseiyn d'Andromède.
- Ça n'a pas l'air de t'affecter autant qu'Ashita, dit-il en fronçant les sourcils.
- Nous possédons chacun une sensibilité propre, c'est ce qui fait de nous des êtres humains, c'est ce qui définit notre âme. Et toi ?
- J'ai vaincu Sven, le Cygne noir, mais je crois qu'il a survécu.
- Je m'inquiète beaucoup pour Ashita. Il n'a pas l'air blessé, mais ...
- Kinô ?
- Vu son état, j'ai très peur qu'il ne puisse plus nous aider."
A ces mots, Kyô exprime une profonde surprise.
"Pourquoi cela ? Tu penses qu'il ne va pas se remettre ?
- Si, bien sûr, le rassure Kinô. Mais sans doute cela prendra-t-il du temps." Et disant cela, il regardait Ashita du coin de l'oeil. "Il n'est pas exagéré de dire qu'il a subit un cuisant échec. Que ce traumatisme le marque jusque dans son inconscient ou pas, il est encore trop tôt pour le dire, mais il est certain qu'il ne nous sera plus d'aucune aide tant que nous n'en auront pas fini avec cette île maudite.
- Tu ... tu crois ?"
Les deux jeunes garçons se taisent. A l'instant, Ashita, l'assuré, le brillant, l'imperturbable, vient de s'évanouir.

~ 3 ~


"Il nous faut conclure, Kyô. Notre mission ici n'est pas si compliquée. Je la qualifierais d'hasardeuse, d'incertaine, mais elle reste relativement simple. Nous voulions éviter la violence, et voilà le résultat.
- Il faut considérer le côté positif des choses, lui repart Kyô. Les seigneurs noirs sont réputés pour être les plus puissants guerriers de l'île, et nous les avons tous vaincu. Il reste ce Jango, mais si ce que nous a dit le chevalier noir de l'Hydre est vrai – et j'ai envi de le croire – nous n'avons plus rien à craindre ici.
- A part le Guardien ..."
Discuter de la marche à suivre sans la silencieuse attention d'Ashita est un peu étrange pour les chevaliers d'acier, mais dans la mesure où celui-ci vient à peine de reprendre ses esprits, et que ces derniers semblent bien perturbés, ils n'ont pas d'autres choix.
"Etre les plus forts sur cette île ne nous avance à rien, reprend Kinô. Nous ne cherchons pas à conquérir, mais à trouver des informations. A ce rythme, il n'y aura bientôt plus personne pour nous aider, et seuls, nous ne trouverons rien.
- Deux des quatre seigneurs noirs sont morts. Le Dragon noir ne vaut sans doute pas mieux.
- Je partage ton opinion, Kyô. C'est un mystère, mais les faits sont là : les seigneurs noirs étaient sincères quand ils affirmaient que Sergueï avait été assassiné. Il reste Sven, le Cygne noir.
- Il ne représente plus aucune menace, lance Kyô avec un sourire.
- Ce qui est à notre avantage. Peut-être sera-t-il décidé à nous aider.
- Pourquoi ferait-il ça ?"
Tout en parlant, Kinô s'avance vers Ashita.
"Parce que nous pouvons l'aider aussi. Nous pouvons l'aider à trouver l'assassin du Dragon noir, celui qui nous a poussé à nous entre-tuer."
Avec prudence et délicatesse, sans s'adresser à lui, il l'aide à se remettre debout. Ceci fait, il recule d'un pas ... et fait un bond pour rattraper son camarade, qui faisait mine de s'effondrer encore une fois. Ashita ne dit mot, mais ne fait pas plus de geste pour repousser l'aide qui lui est proposée.
"Je crois que je vais l'aider un peu à marcher, dans un premier temps.
Où as-tu dit que tu avais 'écrasé' le Cygne noir ?"

~~~~~


Et ils y allèrent. Dire que cela se fut avec peine serait exagéré, mais à y repenser, Kinô se dit qu'il est fort appréciable que Kyô ne se soit pas égaré plus que de raison pour les guider. L'inverse aurait été laborieux, et cela aurait été essentiellement dû au fardeau que constituait Ashita, aussi vif qu'une nature morte. Une fois, même, Kyô perdit patience, et gifla violemment le chevalier des Sciences Biologiques, espérant par là lui faire reprendre ses esprits. Kinô l'avait alors remercié, avait affirmé qu'Ashita en avait besoin, mais sans doute était-ce pour lui faire plaisir, car il ne le pensait pas vraiment.
Les trois chevaliers d'acier eurent l'inhabituelle et tout autant agréable surprise de ne pas faire de rencontre lors de ce court laps de temps, et quand finalement ils retrouvent le corps toujours inconscient du Cygne noir, Kinô pousse un profond soupir de soulagement.
"Ouf, il est toujours là, se félicite-t-il.
- Bah, évidement, lâche Kyô. De quoi avais-tu peur ?"
Abandonnant à lui-même un Ashita qui semble reprendre progressivement des couleurs, le chevalier de la Machine Informatique s'approche prudemment du chevalier noir. Avec mille précaution, prêt à toute éventualité, il s'empare de sa main,
"Un moment, j'ai crains qu'on retrouve son corps d'abord, sa tête ensuite. Si quelqu'un souhaite la mort des seigneurs noirs, il n'a pas dû passer par ici : celui-ci est bien vivant.", dit-il après s'être assuré de son pouls.
"Et maintenant ?"; s'interroge Kyô. "On attend qu'il reprenne ses esprits ?
- On n'a pas le choix. J'aurais aimé qu'Ashita fasse quelque chose pour lui, mais je préfère ..."
Le jeune garçon ne termine pas sa phrase. Comme frappé d'une vérité évidente, sans bouger, ni même tourner la tête, il épie quelque chose du coin de l'oeil.
"Il y a quelqu'un, ici."
A ces mots, Kyô bondit, instantanément sur ses gardes. Ashita lui-même semble se raidir du fait de la menace potentielle.
Et tous se tournent.
L'homme ne cherchait même pas à se cacher. Il se tient appuyé contre un rocher, et sans dire mot, il regarde les trois chevaliers d'acier. Sans doute en fait-il autant depuis leur arrivée mais, captivés par l'état de Sven, seigneur noir du Cygne, ils ne l'avaient tout simplement pas remarqué.
Et c'est Kyô qui, le premier, fronce les sourciles.
"Toi ..."

~~~~~


Le chevalier noir se permet un sourire : sans doute trouve-t-il la situation amusante.
"Salut.", lâche-t-il, dans une attitude anodine.
Cette désinvolture semble mettre le chevalier de l'Energie en colère. L'extrême simplicité de la présence de celui dont on peut dire qu'il est leur hôte, alors que tragiquement ils viennent de côtoyer la mort, met ses nerfs à l'épreuve.
"Et ... peux-ton savoir, Sylvan, ce que tu entends par 'Salut.'", lance-t-il sur un ton sec, immitant laborieusement la voix du chevalier noir de l'Hydre sur sa dernière syllabe.
C'est tout juste si inconsciemment sa cosmoénergie ne commence pas à bouillir, et c'est même ce qui se serait produit si Kinô n'avait à ce moment posé sa main sur son épaule, lui suppliant de se calmer.
"Ce que mon camarade a du mal à comprendre, dit-il avec diplomatie, c'est le sens de ta présence ici, Sylvan. Tu te tiens tranquillement à deux pas d'un des quatre seigneurs noirs étendu sur le sol et à demi-mort. Se pourrait-il que tu attendes quelque chose ?
- Plus maintenant.
- Mais ..." Kinô se donne une seconde pour réfléchir à un détail qu'il aurait oublié, une hypothèse à laquelle il n'aurait pas pensé. C'est bredouille qu'il poursuit.
"Est-ce c'est une plaisanterie, Sylvan ?
- Non, jeune garçon.
- As-tu conscience de ce qu'il vient de se passer ?
- Voyons voir ..." Faisant mine de réfléchir, le regard perdu dans le lointain, Sylvan reprend sur un ton ironique. "J'ai d'abord trouvé le corps du Dragon noir. Puis, j'ai trouvé sa tête. J'ai plus tard senti très nettement s'éteindre les cosmos des seigneurs noirs de Pégase et d'Andromède. J'avoue être content d'avoir trouvé celui-là en vie."
Devant les regards stupéfaits de Kyô et de Kinô, Sylvan s'empresse de dédramatiser la situation.
"Les choses semblent en effet avoir légèrement dérapées.
- Légèrement dérapées ?"
Abasourdi, Kinô échange un regard inquiet avec Kyô. Ashita semble aller mieux, mais seule son apparence en témoigne.
"Tu nous envoies vers les puissants de cette île, ils nous agressent sauvagement, manquant de nous assassiner et nous obligeant à les tuer. Ashita, notre frère d'arme, perd au passage toute sa vigueur. Et tu dis que les choses ont légèrement ... dérapées ?
- C'est ainsi, lui répond froidement et sèchement Sylvan, reniant la légèreté de ses précédents propos. Je n'ai pas voulu cela, vous n'y pouvez rien.
- Que fais-tu là, d'ailleurs ?", demande Kyô sur un ton agressif. "N'es-tu pas censé t'entretenir avec le Lièvre noir ?
- Pffeuh ... Je me suis lassé d'attendre qu'il revienne à lui. Profitant d'un moment d'inattention générale, j'ai tordu le cou à l'un de ses hommes, et je me suis retiré. Il n'a qu'à voir cela comme une sanction."
Le silence est tout ce qui caractérise l'instant suivant, c'est celui qu'exprime les mâchoires lourdes de Kyô et de Kinô au moment où elles se décrochent, abasourdis par la stupéfiante parole du chevalier noir. Cela dure jusqu'au moment où le chevalier de l'Energie glisse une légère appréhension dans l'oreille de son camarade.
"Ce Sylvan est d'une violence inouïe, est-ce bien prudent de le côtoyer ?
- Ben ... on est plus fort que lui, non ?"
Peu convaincu, les deux chevaliers d'acier sursautent à la voix puissante et forte de l'Hydre noir, qui semble n'avoir cure de leurs doutes.
"Ha ! Vous pensez que c'est moi qui ai tissé tout cela ? Je vous aurez guidé jusqu'aux seigneurs noirs et leur aurait donné une raison de vouloir vous tuer ? N'importe qui sur cette île vous dirait que c'est totalement impossible. Je suis le dernier à vouloir cela.
- Nous n'en savons rien, lui repart aussitôt Kinô.
- Et c'est là que réside toute l'étendue de votre problème ! Vous êtes des étrangers, ici, vous ne connaissez rien aux règles qui régissent ce lieu. La vérité, c'est que quoi qu'il arrive, vous n'avez pas le choix. Vous DEVEZ me faire confiance, vous DEVEZ prendre ce risque, car si vous ne le faites pas, personne ne vous aidera, et vous n'arriverez à rien. Alors que si vous suivez la voie que je vous conseille, même si cela a déjà échoué, même si je pourrais vous trahir, au moins vous avez une chance. Qu'elle soit faible ou grande, je l'ignore moi-même, mais indéniablement, elle existe."
A cet instant, Kinô repense à la joute verbale qui l'avait opposé, la veille, à ce homme, ce damné Sylvan. Il réalise qu'au jeu des arguments, il pourrait très bien perdre si pareille situation devait se reproduire.
'N'est-ce pas justement le cas ?', s'inquiète-t-il, sentant l'appréhension le gagner. 'Qu'ai-je à répondre à ce qu'il vient de dire ? Est-il seulement possible qu'il n'ai pas raison ?'
Le jeune garçon se tourne vers Ashita mais, celui-ci semblant blessé jusque dans son âme, il ne peut lui être d'aucun secours. Alors il échange un regard avec Kyô, qui semble avoir bien plus de doutes que lui.
Et c'est aussi parce qu'aucun des chevaliers d'acier n'est capable de proposer une solution meilleure qu'ils décident, à deux voix plus une abstention, d'écouter une fois de plus l'Hydre noir, l'impénétrable Sylvan.

~ 4 ~


"Sven du Cygne noir est dans un état pitoyable. A moins que des soins ne lui soient portés, il lui faudra au moins plusieurs jours pour qu'il nous soit de la moindre aide, et probablement des semaines pour qu'il soit à nouveau capable de combattre. Autrement dit, ce n'est pas lui qui va intimider Jango aujourd'hui.
Bien que ..."
Sylvan s'était agenouillé pour jauger l'état du seigneur noir, et parlait sur un ton monotone. A présent, il s'est tourné vers les trois membres du programme Kido.
"Bien que je me demande si on aura besoin de lui, finalement. Après pareille performance, je doute que Jango soit en situation de causer des problèmes, ni même de négocier quoi que ce soit."
Laissant la parole en suspend, Kyô et Kinô pendu à ses lèvres, Sylvan prend le temps de réfléchir.
"Mais il ne faudrait pas le sous-estimer, conclut-il après un temps. Dieu seul sait de quoi il est capable, de quelle puissance il a à sa disposition.
Non, il ne faut pas y aller, ne prenons pas ce risque.
- Pardon ?" Cette dernière suggestion semble surprendre Kyô. "Que nous chantes-tu là, Sylvan ? Tu nous a toujours dis que Jango craignait les seigneurs noirs, que c'était la base de l'organisation sociale de l'île de la Reine Morte. Nous avons vaincu tous les seigneurs noirs, donc nous sommes plus forts qu'eux, donc nous sommes plus fort que Jango, ou quoi que ce soit qui puisse définir sa puissance.
- Ce n'est pas si simple, chevalier d'acier, lui répond tranquillement Sylvan."
'Et pourquoi pas ?', se demande silencieusement Kinô, avant de parler à voie haute.
"Sylvan, toi qui semble bien connaître cette île et ceux qui y habitent, je suis surpris de t'entendre te contredire. Kyô a en tout point raison, et selon tes propres dires, nous n'avons plus rien à craindre ici. C'est pourtant encore toi qui nous conseille la prudence. Je trouve cela étrange, 'chevalier noir'."
La réaction de l'Hydre noire ne surprend même pas Kinô. Aussi sourd aux arguments du jeune garçon que s'il ne les avait entendu, Sylvan se redresse, leur tourne le dos, et de son index désigne une direction.
"Par là, finit-il par dire, sous les regards perplexes des chevaliers d'acier. Toi qui dit t'appeler Kyô, lance-t-il tel un ordre, tu sembles ne pas déjà porter de fardeau, occupe-toi de porter le Cygne noir : il vient avec nous."
Et sans dire un mot de plus, le chevalier noir s'élance sur le chemin qu'il vient de définir.

~~~~~


"J'ai l'impression de m'être fait avoir, lance Kyô, qui en plus de marcher sur le pas de ses compagnons, supporte le poids d'un seigneur noir en armure.
- Arrête de te plaindre, lui repart Kinô. Tu devrais plutôt être content qu'Ashita arrive enfin à tenir sur ses jambes. A ce rythme là, il lui faudra moins d'une heure encore pour ouvrir à nouveau la bouche."
Disant cela, le jeune garçon tourne la tête vers son camarade, celui-là même qui hurlait de ses deux poumons quelques instants plus tôt. Ashita lui rend son regard, et Kinô n'y lit qu'une colère sincère : il semblerait que le chevalier des Sciences Biologiques n'en soit pas à accepter déjà ne serait-ce qu'une forme superficielle de plaisanterie. Intimidé et penaud, c'est à l'oreille de Kyô et en chuchotant que Kinô conclut.
"Peut-être deux, finalement.
- C'est quand même curieux, embraye le chevalier de l'Energie. Ce Sylvan, on ne sait pas à quoi il pense. Est-il vraiment sage de faire ce qu'il dit ?
- Il est probable qu'il cherche à nous manipuler, répond Kinô avec une déstabilisante simplicité. Mais cet argument seul ne signifie pas qu'il est mauvais pour nous d'agir ainsi.
- Euh ..."
Le quatuor que forment Sylvan suivi des chevaliers d'acier s'aventure dans une zone de l'île que ces derniers ne connaissent pas. Ils jettent quelques coups d'oeil furtifs à droite et à gauche, mais n'y prêtent rapidement pas plus d'attention que cela, dans la mesure où rien ne diffère notablement ce lieu nouveau du reste de l'île de la Reine Morte.
"Je veux dire, reprend Kinô, que s'il possède un plan secret, celui-ci n'est pas forcément tourné contre nous. Tant que nous pouvons tirer profit de la situation, autant le faire. Et puis tout à fait entre nous, si la situation dégénère, on n'aura qu'à laisser ce Sylvan là où il sera, et partir de notre côté.
- Tu as raison. C'est quand même sacrement confortable de savoir que les chevaliers noirs sont moins forts que nous. Qui aurait cru une chose semblable ? Tu te rends comptes, Kinô ? En trois ans de formation au combat, on prend déjà le dessus sur ceux qui s'entraînent depuis leur petite enfance ..."
Kinô lui répond avec un sourire, et avec une forte ironie.
"Mais de quoi parles-tu, Kyô ? Nous aussi sommes formés depuis bien des années ..."

~~~~~


Un chevalier noir et trois chevaliers d'acier se tiennent à présent face à ce qui semble être l'entrée d'une sorte de caverne. Le chemin pour y parvenir s'étaient finalement avéré être quelque peu sinueux, les obligeant parfois à s'aventurer sur des chemins sur lesquels Kyô, Kinô et Ashita se sentaient vulnérable, car ils offraient alors une cible facile pour d'éventuels ennemis. Kinô avait même tourné la tête, une fois, se sentant épié.
Sylvan, l'Hydre noir, fait trois pas de plus, se plaçant juste devant l'ouverture. Et quand il lève le bras, tendant l'index, désignant quelque chose, tous remarquent enfin un étrange symbole.
"Ce symbole représente le dragon, explique tout simplement Sylvan. C'est Sergueï, le seigneur noir du Dragon, qui l'a fait graver, afin de marquer son territoire privé.
- Tu veux dire que ...", lâche Kyô dans un souffle.
"Oui, chevalier d'acier. Voilà un petit moment que nous foulons le sol sous la protection du clan du Dragon noir, et cette grotte n'est rien de moins que le lieu où le seigneur noir se repose. S'y aventurer a été formellement interdit par Sergueï lui-même. Certains s'y sont essayé. D'autres ont récupérées leurs armures ensanglantées."
Intimidés, les trois jeunes garçons n'en sont pas moins particulièrement attentifs.
"Que sommes-nous venus faire ici, Sylvan ?", s'inquiète Kinô.
"Le seigneur noir du Dragon a la réputation d'être un des plus puissants guerriers de l'île, et ce lieu est connu de tous les chevaliers noirs. Aucun n'aura la témérité d'y entrer. C'est l'endroit idéal pour y cacher le Cygne noir. Je ne voudrais pas qu'il subisse le même sort, continue Sylvan, sans même prendre la peine de préciser à quoi il fait allusion. De plus, quelqu'un doit s'y trouver, ou reviendra bientôt, et je souhaite en priorité m'entretenir avec lui.
- De qui parles-tu ?", demande Kinô avec un regard exprimant une profonde incompréhension.
"Ce n'est pourtant pas difficile à deviner. Je parle évidement, du maître de ces lieux, Sergueï, le redoutable seigneur noir du Dragon."
"Quelle est cette nouvelle fable ?!", s'exclame Kinô, tétanisé par la surprise. "Sergueï serait-il encore en vie ? N'as-tu pas toi-même vu son corps décapité ? C'est en tout cas ce que tu nous as dit !"
Laissant les questions à son camarade, Kyô opte pour un froncement de sourcil très marqué, et un début de colère profondément retenu.
'Ce Sylvan s'est foutu de nous, songe-t-il, refoulant l'envi d'abattre son poing sur la figure du chevalier noir.'
Mais la réponse de Sylvan les déstabilisent plus encore que sa précédente affirmation.
"Vous êtes décidément très mignons.", et disant cela, il avait le sourire aux lèvres. "Mais il est normal que vous ne nous soyez doutés de rien : seuls trois personnes sont au courant de cela, sur l'île de la Reine Morte.
- De quoi parles-tu, Sylvan ?
- Celui que vous avez combattu se nomme Roman, c'est le frère de Sergueï. Son frère jumeau.
- Son frère !!"
Ainsi viennent de s'exclamer Kyô et Kinô, les chevaliers d'acier.

~~~~~


Et Sylvan parle avec des mots simples.
"Sergueï et Roman sont nés de la même mère, le même jour, du même sang. Physiquement, seuls leurs yeux trahit leur différence. Bien qu'ils possèdent – ou possédaient – tous deux la force de dix hommes, leurs personnalités n'ont en revanche rien de semblable. Comment ils sont arrivés sur l'île de la Reine Morte ne regarde qu'eux, mais de ce jour, Roman ne s'est jamais montré. C'est une ombre, celle de son frère, a qui il obéit aussi aveuglément que ne l'est sa vue. Je suppose que c'est sa façon à lui de concevoir la fraternité. Rien n'a changé le jour où Sergueï gagna son armure du Dragon noir, et s'auto-proclama seigneur de son clan. Personne ne comprit très bien pourquoi il prit soin de trouver une deuxième armure noire du Dragon, et de là est née la rumeur comme quoi il existerait un autre Dragon noir. Et cette rumeur était fondée, sauf que tout le monde ignore que cet homme n'était autre que le propre frère du seigneur noir.
Cela fait quelques temps que Roman est apparu. J'ignore ce qu'il est advenu de Sergueï, et pourquoi Roman se fait passer pour lui.
Je pense simplement que la réponse se trouve dans cette grotte ...
- Mais ...", commençe de protester Kinô.
"Quant à savoir pourquoi je ne vous en ai pas parlé plus tôt, le coupe le chevalier noir, c'est tout simplement parce que cette information n'aurait rien changé à vos décision.
Est-ce que je me serais trompé ?"
Désemparé, ahurit, Kinô cherche le regard de ses compagnons. Il ne trouve que celui de Kyô, qui semble plus interdit encore que lui.
Et quand, sans attendre plus longtemps de réponse, Sylvan de l'Hydre pénètre dans l'obscurité de la grotte, hébétés, les chevaliers d'acier prennent son pas.

~~~~


Sergueï du Dragon noir, seigneur de ce clan, se trouvait bel et bien ici, dans une cavité à quelques dizaines de mètres de l'entrée. Ce n'est pas vraiment une surprise, ni pour Sylvan, ni pour les chevaliers d'acier, et pour cette raison ils s'étaient déplacés lentement, sur leurs gardes, prêts à réagir à la moindre alerte. Car si danger il y avait eu, leur adversaire aurait été particulièrement redoutable, et sous-estimer cette menace n'est pas ce qu'enseigne le programme Kido, encore moins la vie sur l'île de la Reine Morte.
Mais cela avait été inutile. Irrévocablement inutile. Car le seigneur noir n'était pas en état de leur causer des problèmes. Il n'était pas même en état de faire quoi que ce soit.
Allongé sur une couche de fortune fait avec de la paille, recouvert d'une couverture rudimentaire – sans doute un confort hors-norme sur l'île de la Reine Morte – il est à l'agonie.
Il est difficile de déterminer si, à cet instant, Sergueï se trouve être inconscient, si il dort, ou si il garde simplement les yeux fermés. Son souffle est si court et si bruyant qu'il donne l'impression d'être essoufflé, une abondante sueur dégouline de son visage, et tout son corps est secoué de violents spasmes.
Pour la première fois depuis leur rencontre autour du corps de Sven, le Cygne noir, Sylvan semble exprimer une émotion.
"M ... Merde ..."
S'approchant d'un pas décidé, jetant à peine un coup d'oeil à l'armure noire soigneusement rangée dans un coin, il jauge d'un oeil sale le corps affaibli. Les sourcilles froncés, il semble trépigner de rage, comme si la situation l'agaçait au plus haut point.
"Quel mal peut bien réduire un tel homme à pareille impuissance ?", lance-t-il à haute voix, après s'être accroupi, plus à son attention que s'il attendait une réponse. C'est aussi pour cette raison que ce que dit Kyô à ce moment le surprend.
"On n'a qu'à demander ça au spécialiste."
Sans faire plus que pivoter son cou, l'Hydre noire regarde du coin de l'oeil celui qui vient de parler. Le chevalier de l'Energie est lui-même très concentré sur son camarade, même si c'est de l'inquiétude qui se lit dans ses yeux.
"A ... Ashita ?"
Le chevalier des Sciences Biologiques ne répond pas. Il ne bouge pas, et ne répond même pas au regard de Kyô. Il reste immobile, debout, la tête penché en avant, les yeux fermés.
Interloqué, Kyô fait un pas en avant dans le but évident de le saisir, de le secouer, mais posant sa main sur son avant-bras, le suppliant du regard, c'est Kinô qui l'arrête.
"Laisse, lui dit-il dans un souffle.
- Mais ...
Mais pourquoi ?
- Il n'en est pas capable.
- Que me racontes-tu là, Kinô. Ashita rêve de sauver des vies depuis toujours, il est un véritable génie dans ce domaine, il est certain qu'il saura faire quelque chose pour ce Sergueï !
- Kyô, lui répond Kinô, a-t-il fait quoi que ce soit pour Sven ?"
Abasourdi, le chevalier de l'Energie ne trouve rien à répondre. Il avait compris qu'Ashita était dans un état déplorable, mais ce n'est qu'à ce moment qu'il réalise l'ampleur de la situation.
Sans dire un mot de plus, il se tourne vers Sylvan. Témoin de la scène, le chevalier noir comprend rapidement la situation.
Il passe alors une minute à regarder le Dragon noir. Il semble autant stupéfait que désolé de voir l'homme dans cet état. Avec lenteur, il place son poing au dessus de son visage. Kyô et Kinô sursautent au moment où l'Hydre noir exprime une cosmoénergie, faible mais réelle. Mais Sylvan ne fait rien. Il rappelle son cosmos en lui.
"Totalement à ma merci, lance-t-il avec rage. Il ne vaut pas mieux que s'il était mort."
Se relevant, il s'approche de Kyô sans animosité, et le décharge de son fardeau. Sans le brusquer, il dépose Sven sur une paillasse de qualité secondaire, la seule autre couche de ce lieu.
'Sans doute celle de Roman', songe-t-il.
Se relevant, il recule de trois pas, dominant les deux hommes de toute sa hauteur. Et sa voix n'est rien de plus qu'un souffle ...
"C'est la fin des seigneurs noirs."

~~~~~


"Dis-moi, Kinô, chuchote Kyô, veillant à ce qu'un Sylvan perdu dans ses pensées ne l'entende pas, arrête-moi si je me trompe, mais quel que soit le caractère tragique de la situation, elle ne nous regarde pas, si ?
- Tu as raison, Kyô, répond Kinô dans un souffle. Devraient-ils être tous morts, tout ce que ça nous coûte est une source d'informations potentielles en moins.
- Qu'est-ce qu'on va faire, maintenant. Si Ashita ne s'occupe pas des blessés, ils ne reprendront peut-être pas conscience avant longtemps, si jamais ils survivent. Et Sylvan prétend ne rien savoir sur le sujet qui nous intéresse. Tu vois ou je veux en venir ?
- Je suppose que tu vas proposer qu'on aille voir Jango. Tu as l'air très sûr de toi, Kyô.
- Je crois que tu n'es pas à plaindre dans ce domaine." Et sur ces derniers mots, les chevaliers d'acier esquissaient un sourire, se regardant d'un air entendu.

~~~~~


"Sylvan ?
- Je vous accompagne.
- Euh ..."
Perturbé par la promptitude de la réponse du chevalier noir, Kyô, content de pouvoir à son tour jouer de diplomatie, met un instant pour réagir.
"Tu aurais au moins pu me laisser parler, finit-il par dire.
- Pourquoi faire ? ", lâche sèchement l'Hydre noir. "Tu allais me dire que vous comptez partir à la recherche de Jango, et ce, quoi que j'en dise. C'est la réaction la plus prévisible compte tenu de vos compétences, de vos connaissances, et de vos objectifs. Je me serais trompé ?
- Pourquoi nous accompagnes-tu ?
- Pourquoi pas ?"
Il n'y eu rien de plus à tirer de Sylvan. Qu'il fasse partie de l'équipe ne sera pas sans gêner les chevaliers d'acier, du fait de sa façon très personnelle de gérer les situations, et des cachotteries qu'il passe son temps à faire, mais d'un autre côté, trouver la route sera plus facile avec lui, et sa présence dissuadera peut-être certains ennemis.
"Il n'est pas dangereux de laisser Sven et Sergueï ici ? ", demande simplement Kinô.
"Personne n'est assez fou pour entrer dans cette grotte, lui répond le chevalier noir.
- Ce n'est pas de ça que je voulais parler, Sylvan. Tu le sais.
- Tu veux dire, si l'en d'entre eux reprend connaissance ? J'y ai pensé. Les seigneurs noirs sont rivaux, mais pas ennemis. Je ne peux évidement pas être sûr qu'ils ne s'entre-tueraient pas, mais ...
- Je vois, tu penses qu'ils ne se réveilleront pas. Pas avant un moment."
Dans l'acquiescement de Sylvan, et pour la première fois, c'est de la sincérité que Kinô devine.

~ 5 ~


"Quelle direction suivre ?", demande simplement Kinô.
"Tous les chemins mènent à Jango, lui répond platement Sylvan, prenant une direction au hasard. Son territoire se situe partout où ne sont pas les seigneurs noirs, et compte tenu des circonstances, bien malin serait celui qui saurait localiser notre homme avec exactitude."
Abasourdi, le chevalier de la Machine Informatique a beaucoup de mal à croire que le chevalier noir puisse être sérieux. Il prend pourtant son pas, et avec lui ses deux compagnons, incapables de choisir un chemin plus opportun.
Et quand Kinô réalise que, depuis le début, tous marchent directement sur le volcan qui veille sur l'île, il se dit que Sylvan s'est bien fichu de lui.
"A quoi pouvons-nous nous attendre de la part de Jango ? demande-t-il en s'essayant à un air dégagé un peu maladroit.
"A tout !", lui répond vivement Sylvan, se tournant un peu vers lui, comme pour mieux lui signifier de son regard que ce point abordé n'est pas à prendre à la légère.
"Jango est terriblement violent, poursuit-il. Je vous assure que ce n'est pas pour rien que j'ai tout fait pour que vous soyez amenés à aller le voir dans les meilleures conditions possibles. Mais la situation n'a pas évolué comme je l'aurais souhaité, et nous voilà en quête, sans aide supplémentaire, de celui qui est le plus à craindre ici.
- Exception faite du gardien, souligne Kyô, et la réaction du chevalier noir le surprend.
- Pas du tout malheureux ! Guilty est la dernière personne dont il faille se méfier ici !
- Pardon ?", s'exclament Kyô et Kinô, abasourdis.
"N'a-t-il pas la force de tuer tout le monde ?", s'inquiète Kyô.
"La force ne sert qu'à celui qui l'utilise, lui répond Sylvan sur le ton d'une simple conversation. Il n'a jamais fait de mal qu'à ceux qui ont essayé de transgresser les règles établies par le Sanctuaire. Je ne me suis personnellement jamais soucié de lui, et je suis bien persuadé que c'est réciproque. En revanche, il ne doit pas y avoir un chevalier noir avec qui je n'ai quelques comptes à régler.
Tiens, par exemple, vous pouvez être sûrs que Jango s'est débrouillé d'une façon ou d'une autre pour être au courant de notre mouvement, et qu'il va nous envoyer quelqu'un.
- Quelqu'un ?
- En temps normal j'aurais parié sur un assassin. Mais Jango n'est pas stupide. Ce sera donc un messager, quelqu'un venu nous parler. Je l'imagine d'ici. Nous verrons une silhouette se détacher des contours du chemin. Il se tiendra debout, tout droit, aura un oeil assuré, des cheveux bruns, mais pas d'armure. Il faudra se méfier de lui."
Perplexes, les chevaliers d'acier mettent une bonne seconde avant de réaliser que Sylvan vient à l'instant non pas de décrire une scène qu'il aurait imaginé, mais bel et bien ce que ses yeux lui ont montré.

~~~~~


Aucun chevalier noir n'aurait eu la témérité d'attendre d'un pied aussi ferme, avec une carrure à ce point inébranlable, les assassins présumés des seigneurs noirs escorté de celui dont la réputation n'est plus à faire : Sylvan de l'Hydre noire. Quand bien même il y en aurait un pour posséder pareil courage – ou folie – jamais il n'aurait choisit de venir dévêtu de son armure.
Une conclusion s'impose dans l'esprit de Kinô, qui à l'instar des autres, s'était arrêté un instant plus tôt.
"Ce n'est pas un chevalier noir ...
- Non, lui répond Sylvan.
- Qui d'autre habite sur cette île à part eux ?
- Le gardien. C'est tout. Quelques 'apprentis', peut-être ...
- Ce serait ..."
'L'un d'entre eux ?'
Vêtu d'une rudimentaire tunique, fouettée par le temps, salit par la rudesse de l'île, le personnage possède des cheveux noirs ébouriffés très courts. D'ici, les chevaliers d'acier peinent à faire le détail de son visage.
"Mais c'est une fille !", s'exclame soudain Kinô.
"Ça va pas la tête, lui repart Kyô aussitôt. Une fille ? Ça ?"
Les deux chevaliers d'acier échangent un regard ahurit. A l'instant, une impression de déjà-vu vient de les saisir.
"L'apprentie du clan de ...", souffle Kyô.
"... Tordek", l'aide à terminer son camarade.
"C'est quelque chose, reprend le chevalier de l'Energie. Pourquoi dis-tu que c'est une fille ?
- Ben ... ça se voit, non ?
- A quoi ?
- Ben ...", et de mémoire, c'était la première fois que Kyô voyait son camarade rougir. " ... à sa ... euh ...
- Sa poitrine ?"
D'un acquiescement de tête timide, Kinô confirme. Mais Kyô a toujours du mal à y croire. De toute son attention, il scrute le corps de la silhouette, et semble y mettre tant d'ardeur que Kinô se demande si ses yeux ne vont pas finir par sortir de leur orbite.
"Je vois rien qui dépasse."
Les deux jeunes garçons échangent le même regard hébété. Ils clignent des yeux deux ou trois fois, quand soudain Kyô explose.
"Et puis zut, y a qu'à aller lui demander !", et sans se soucier de quoi que ce soit de plus, faisant mine de remonter ses manches, d'un pas sûr, il se met à marcher très vite.
La mâchoire décrochée, Kinô tend vainement le bras en avant, comme pour l'arrêter.
Durant tout ce temps, Sylvan n'avait pas bougé.

~~~~~


"TOI !", s'exclame bruyamment le chevalier d'acier. "J'ai une question à te poser !"
Il s'était tellement précipité que c'est de justesse qu'il ne s'est pas essoufflé. Sur une si courte distance, cela aurait été un véritable déshonneur.
Cette personne, une expression interloquée dissimulée derrière un masque impassible, répond alors. Et c'est une voix féminine ...
"J'ai la réponse à ta question, dit-elle, simplement.
- Ah bon ? Et quelle est-elle ?"
C'est à ce moment que Kinô le rejoint. Il n'avait pas mis longtemps à réaliser que laisser son camarade seul face à un inconnu n'était pas une bonne idée.
Lui accordant un bref regard à la limite du méprisant, cette personne parle avec des mots assurés, désignant du doigt le volcan derrière eux.
"Celui que vous cherchez vous attend non loin du sommet du volcan.
- Ah ...", Kyô a l'air terriblement déçu.
"Tu as un problème ?", et dans cette question, Kyô et Kinô devinent un ton qui n'est pas celui de la plaisanterie. Les deux chevaliers d'acier partagent encore un regard.
"Je ne pensais pas à cette question là, avoue le chevalier de l'Energie. En fait, je me demandais, on se demandait si ...
- Si quoi ?", cette personne semble refouler un profond énervement.
"Ben voilà ... euh ... est-ce que tu es une fille ?"
Et à l'instant où Kyô pose sa question, quelque chose d'inconcevable se produit. Il y a d'abord un grand silence interdit, éternel instantané dans lequel les deux chevaliers d'acier fixent leurs regard sur celui – ou celle – qui manifestement ne s'attendait pas à pareille répartie. Il y a également un sentiment d'asphyxie, comme si l'air venait à manquer, car les deux jeunes garçons retiennent leurs souffles avec tant de passion qu'ils manquent d'y laisser la vie. Mais surtout, il y a cette curieuse sensation que quelque chose vient de se briser, un élan, peut-être, celui qui aurait dû animer leurs pas à tous, mais que de simples mots viennent de remettre à plus tard.
Longtemps, très longtemps après cet instant, enfin, ce qui semble bel et bien être un représentant de l'espèce féminine, et qui s'était enfermé dans un silence dévastateur, sort de son mutisme, et laisse une syllabe unique franchir le seuil de ses lèvres.
"Quoi ?"
Et ce simple mot, aussi efficacement que le coq matinal réveille une maisonnée, tire de son ébahissement les deux chevaliers d'acier.
Finalement très gêné par la situation, Kinô regarde l'air inquiet son camarade qui, loin de se ressaisir, fait une nouvelle tentative.
"Est-ce que tu ...
- C'est une plaisanterie ou quoi ?", l'interrompt la jeune fille, et seulement à ce moment, Kinô prend conscience de l'ampleur du désastre. Cette personne est frustrement vêtue, et sa coiffure prête à confusion, mais le détail de son visage ne souffre d'aucune ambiguïté. En particulier ses yeux, ses yeux qui semblent comme rugir de colère, à l'instant même. Grands et bruns, il exprime une profondeur abyssale dans laquelle il craint de se noyer. Mais la farouche détermination qui le caractérise dénature intrinsèquement son caractère féminin. Kinô se dit que le phénomène est sans doute ponctuel et causé par la situation présente, mais quelque part, il en doute.
"J'ose espérer que les rumeurs sont fausses !", lance-t-elle avec rage, et à bien y réfléchir, Kinô réalise que le caractère vaguement aigu du timbre de sa voix, bien que perceptible, reste discret.
"On dit que votre force dépasserait celle du gardien !", reprend-elle, sans rien dissimuler de sa colère manifeste.
"Que le ... gardien ? Quand même pas ...", souffle Kyô, tout juste conscient de combien il se trouve être pathétique à l'instant même, curieusement plus modeste qu'à l'habitude. "On l'a juste assommé une fois, on n'est pas ..."
"Vous avez assommé le gardien ?", répète-t-elle, sourcils froncés. "Êtes-vous réellement les assassins des seigneurs noirs ?
- Nous ...", commence Kinô, aussitôt interrompu.
"N'en dites pas plus, vous me décevez. Je ne vous imaginais vraiment pas comme ça."
C'est à ce moment que ceux-là qui avaient préférés rester en retrait, l'impénétrable Sylvan, le diminué Ashita, choisissent d'arriver à leurs niveaux. Si ce dernier n'exprime pas plus de présence que durant la précédente heure, Sylvan jette quelques regards sévères, toujours sans mot dire. A son attitude, il est très perceptible que la jeune fille n'est pas une inconnue pour lui, et sans que Kinô puisse comprendre pourquoi, au moment où le regard du chevalier noir et celui de cette personne se croisent, un dialogue muet semble se dérouler.
Et le chevalier de la Machine Informatique en comprend presque la nature.
'Fillette, cesse de jouer, tu as plus important à faire.
- Je n'ai pas d'ordre à recevoir d'un vagabond.
- Tu crois cela ?
- Oui, mais je ne peux marcher contre toi. Et tu n'exiges rien que je n'aurais fais de toute façon.'
C'est ensuite que la jeune fille – gère plus vieille que les chevaliers d'acier – se met à parler.
"Je m'appelle Trivia. Qui je suis où ce que je suis est hors-sujet. A moins que ..."
Kyô sent presque ses jambes flancher. Le regard foudroyant que la jeune fille lui jette l'assassine, le transperçant comme si c'était une aiguille.
"A moins que l'un d'entre vous ai quelque chose à y redire ?"
Kyô, malgré son intrépidité, n'est pas de ceux qui se découragent facilement. De plus, sans aller jusqu'à être orgueilleux, il n'en possède pas moins une certaine fierté, et il n'est pas dans son habitude de se laisser intimider de la sorte. Du moins, c'est ce qui se produit en temps normal, car en l'occurrence, une petite voix en lui-même lui conseille de ne pas se laisser emporter, quand bien même la personne à qui il aurait quelque chose à dire serait une fille.
Et puis, ce n'est pas comme si il avait une répartie géniale à lancer, aussi choisit-il de se taire.
"Selon toutes évidences, reprend Trivia, vous êtes à la recherche de celui qu'on nomme Jango. Vous pouvez vous débrouiller et le trouver par vous-même, mais ce n'est pas parce qu'il ne se cache pas que vous irez droit sur lui. Ou bien, vous pouvez me laisser vous guider."

~~~~~


"Qu'est-ce qu'on fait ?", demande Kyô à Kinô, le prenant à part, avec une inquiétude palpable. "Est-ce qu'on la suit ?
- A-t-on seulement le choix ?", lui répond ce dernier.
"Je ne sais pas. Elle ne m'inspire pas confiance, à surgir comme ça, de nulle part, et à nous parler sur ce ton."
"Méfiez-vous.", leur lance Sylvan, sur un ton autoritaire, s'introduisant entre eux deux, les faisant presque sursauter.
"Pourquoi cela ?", s'interroge Kyô.
"Cette fille est inféodée au clan de Tordek de l'Ours. Elle n'aura jamais d'armure à cause de son sexe, mais elle n'en est pas moins sous son autorité. Elle a peut-être l'air forte, mais elle est condamnée à la loyauté. C'est sa seule chance de survie.
- Et alors ?
- Tordek n'est rien de plus qu'un sous-fifre de Jango. Il serait capable de bien plus, mais il trouve cela plus pratique. Suivre cette fille, c'est donc jouer le jeu de Jango. Ne vous ai-je pas déjà suffisamment mis en garde à son sujet ? Mieux vaut la laisser, croyez-moi.
- Mais ...", Kinô a un doute. "Elle est quand même venue seule à notre rencontre, non ? N'est-ce pas une preuve de courage ? Je veux dire, pourquoi devrait-on se forcer à ne pas lui faire confiance ?
- Ecoute-moi bien, reprend Sylvan sur un ton sec. Toi et deux compagnons êtes des étrangers ici. Même si vous vous défendez dans le domaine du combat, vous ignorez tout des règles de cette île. De ce fait, vous faites une proie facile pour les vautours qui la peuplent. Jango cherchera sans doute à vous éliminer, et s'il ne peut le faire en vous attaquant de front, il le fera par un autre moyen. Et puis soyons réaliste, vous n'êtes pas de taille.
- Quoi !", s'emporte Kyô. "Pas de taille ?! Tu veux peut-être qu'on aille demander au Cygne noir s'il partage ton opinion ?!
- Tu pourrais bien être encore deux fois plus fort que tu ne l'es aujourd'hui, si Jango exige ta mort, c'est des dizaines de chevaliers noirs qui te tomberont dessus. Tu ne mourras pas seul, c'est sûr, mais crois-moi, sous le nombre, tu plieras."
En d'autres circonstances, Kyô aurait sans doute été légèrement intimidé, mais son échec psychologique face à Trivia a éveillé en lui un profond énervement, et sa colère a pour conséquence d'éclipser ses appréhensions.
"Nous n'arriverons à rien comme ça, s'interpose Kinô, se plaçant entre les deux personnages. Sylvan, je suis désolé, mais je n'ai pas plus de raison de te faire confiance qu'à cette fille."
Une journée entière s'est écoulée depuis que les chevaliers d'acier, Kyô, Kinô et Ashita, ont fait la rencontre de ce chevalier noir d'apparence solitaire qu'est Sylvan, l'Hydre noir. A ce moment là, Kyô, chevalier d'acier de l'Energie, avait manqué de chanceler face au regard autoritaire et féroce du chevalier noir. Son visage ne s'était jamais notablement adoucie depuis, remarque Kinô, mais jamais il n'avait recouvert l'apparence intimidante de ce premier contact.
Jusqu'à maintenant ...
Mais là où Kyô avait répondu au regard de Sylvan, Kinô, se sachant perdu d'avance dans un tel duel, laisse les yeux sombres le transpercer, préférant les ignorer que d'y faire face. Et cela s'avère efficace : tout au plus ressent-il une légère angoisse, quelque chose d'inquiétant, mais rien d'assez impressionnant, en tout cas, pour le faire flancher sur sa position.
Ni revenir sur ça décision.
"Nous allons donc suivre cette jeune fille, finit-il par dire avec une voix qu'il espère ne pas être trop petite."

~~~~~


Le trajet se fit en silence, nul n'osant prendre la parole. Sylvan avait préféré se taire, craignant sans doute de ne pas être écouté une nouvelle fois. Ashita n'était pas ressorti de sa quasi-catatonie, même si parfois il répondait aux regards furtifs que ses compagnons jetaient dans sa direction. Kyô et Kinô avait du penser qu'ils avaient dit suffisamment de bêtises précédemment pour avoir envie d'en rajouter.
Finalement, seule Trivia s'était essayée à la conversation.
"Qui êtes-vous ?", avait-elle demandé, simulant laborieusement le désintérêt.
"Les chevaliers d'acier, lui avait répondu Kinô.
- C'est à dire ?
- Les enfants de la technologies, membres du programme Kido, chargés de rendre le monde meilleur. C'est comme ça qu'on se présente.
- Et que faites-vous ?", la jeune fille jaugeait alors Kinô du coin de l'oeil.
"Est-ce que c'est un interrogatoire ?
- Oui."
Désarçonné par une réponse aussi franche, Kinô avait alors en quelques mots expliqué les objectifs que s'était fixé le programme Kido, sans rien dévoiler toutefois de la tension entre la fondation Graad – dont il n'avait d'ailleurs pas même mentionné le nom – et le Sanctuaire sacré. Il n'avait rien dit au sujet de l'héritière Kido et de sa nature divine. Il avait conclu sur la raison de leur présence de l'île de la Reine Morte. La jeune fille l'avait écoutée sans dire mot, et n'avait plus rien dit par la suite.
Cela s'était fait au cours d'une marche fastidieuse. La matinée s'étant terminée, un soleil de plomb accablait – et accable toujours – ces cinq personnes qui écrivaient sans le réaliser l'Histoire de l'île de la Reine Morte. La côte du volcan était raide et ses vapeurs asphyxiantes.
Tout cela les avait amenés en un lieu plus désolé encore que le reste de l'île. A cet endroit, le flanc du volcan forme un aplat d'envergure notable et, de façon curieusement symétrique, une série de rochers de taille moyenne délimitent une zone qui en tout point ferait penser à une clairière si au lieu du roc des sapins s'y dressaient. Certains y verraient une métaphore de Stonehenge, le cercle fameux, mais d'autres penseraient à une coïncidence.
Cette route que les chevaliers d'acier viennent d'emprunter les mènent tout droit à l'entrée de cet endroit, et parce que le chemin semble se terminer ici, ils en déduisent qu'ils sont arrivés à destination. Autre chose, d'une importance bien plus notable, les confortent dans cette idée. A l'autre extrémité du cercle, se tient une pierre d'une toute autre allure. Le rocher est taillé, sa forme le rend semblable à un trône dont le dossier s'élève jusqu'à une hauteur de plus de deux mètres, surplombant de sa superbe apparence les autres roches. La fine sculpture laisse deviner de fins symboles sur toute la structure de l'objet, et aux extrémités des deux accoudoirs sont représentés d'hideuses tête de quelques horribles monstres sans doute issues de l'imagination d'un artiste effleuré par la folie.
Et sur le trône, patient, se tient Jango.

~ 6 ~


"La rumeur dit que trois chevaliers inconnus auraient investis l'île de la Reine Morte, la désolée."
L'homme possède une apparence imposante, une masse puissante qui impose le respect. L'armure qu'il porte n'est pas une armure noire, mais une protection de cuir qui, bien que d'apparence simple, donne un air dangereux à son propriétaire.
"Le premier d'entre eux se fait appeler Kyô, et son nom est pareil à un roulement de tonnerre sur cette île. Comment pourrait-il en être autrement, dans la mesure où il a triomphé de Nebin du Lionet, de son seigneur, Jozan du Lièvre, ainsi que d'un des 'puissants' seigneurs noirs, Sven du Cygne. Il est vrai que ses techniques de flammes et de foudres semblent fort efficaces."
Les traits de son visage trahissent un âge un peu plus élevé que celui des autres chevaliers noirs. Sa chevelure brune est désordonnée, et une affreuse marque défigure le côté droit de son visage, comme une brûlure l'aurait fait.
"Le deuxième se fait appeler Kinô, et s'il s'est fait moins remarquer que son compagnon, il n'en a pas moins abattu Huseiyn d'Andromède, retournant contre lui sa propre chaîne noire."
Assis sur son trône de pierre, celui qu'on dit être le maître des chevaliers noirs exprime un calme maîtrisé, et aucune inquiétude, jugeant de son oeil les trois chevaliers d'acier.
"Le troisième se fait appeler Ashita, et semble particulièrement dangereux."
Kyô et Kinô jettent un regard interrogateur sur le chevalier de la Machine Informatique. Ils ignorent toujours ce qui lui est arrivé lors de son combat contre Jared, le Pégase noir, mais ils savent que quelque chose d'inconcevable lui est arrivé. Ashita répond au regard de Jango, un voile de haine sur le visage ce qui, le réalise Kinô, est un signe encourageant de rétablissement.
"Ces trois chevaliers inconnus sont passé à côté d'un gardien plus redoutable que Cerbère lui-même. Certains pensent que Guilty les a laissé passé car ils appartiendraient au Sanctuaire. Quand à moi, je pense que si cela avait été le cas, ils agiraient de façon beaucoup plus ordonnée. Ce qui veut dire qu'à eux trois ils n'ont rien fait de moins que surpasser le plus puissant guerrier de cette île."
C'est ce moment-là que Trivia choisi pour s'en aller. Sans dire un mot, sans échanger un regard, comme si elle allait faire quelques banalités, elle quitte le groupe pour une destination obscure.
"Sans compter qu'ils ont su rallier à leur cause l'illustre Sylvan, le plus parfait exemple de neutralité que ces lieux maudits aient jamais connus. Et ce n'est pas avec la force qu'on gagne l'aide d'une personne comme l'Hydre noire ..."
Malgré l'absence totale de réaction de l'intéressé, Kinô note au passage une certaine familiarité de Jango à l'égard de Sylvan.
"Bref, une bien belle menace, seul un fou y ferait face, et je ne suis pas un fou. Aussi vous me pardonnerez d'avoir mis quelque atout de mon ... côté."
Et sans qu'il ait à ajouter un mot de plus, l'ambiance se dégrade.

~~~~~


Les chevaliers noirs sont nombreux. Personne parmi la petite assemblée des chevaliers d'acier ne comprend très bien comment ils s'y sont pris exactement pour s'être cachés jusqu'à maintenant, mais, émergeant de derrière les rochers, arrivant dans leur dos, c'est avec simplicité et assurance qu'ils prennent position, formant un cercle autour de Kyô, de Kinô, d'Ashita et de Sylvan, leur coupant la retraite et menaçant leur position.
"Je ne pensais pas qu'il y avait autant de chevaliers noirs, lance Kyô à Kinô, sans l'ombre d'une panique, comptant de son doigt plusieurs dizaines d'adversaires potentiels."
Son camarade, un peu moins rassuré, lui jette un regard inquiet, surpris par la facilité avec laquelle le chevalier de l'Energie prend la situation, mais finalement ne répond rien.
"Chevaliers d'acier, lance Sylvan, voilà ce dont il fallait se méfier. Jango en lui-même n'est pas à craindre, mais il n'y a point de salut face à un tel nombre d'adversaires. Ceux que vous voyez là, ce sont les chevaliers noirs qui ont prêté allégeance à Jango. Ils y sont tous, sans exception, et avec eux, la presque totalité des habitants de cette île. Seuls manquent les survivants des clans des seigneurs noirs ..."
Ashita lui-même semble surpris, même si il paraît plus embêté que véritablement affolé.
Parmi les chevaliers en armures noires, se trouve certains dont le visage n'est pas inconnu aux chevaliers d'acier. Il y a Jozan du Lièvre noir, et sa clique, ceux-là auprès desquels le matin même Kinô se réveillait violemment et devait faire face à une menace sérieuse. Également présent, l'Ours noir, Tordek, et ceux de son clan, même si seul Kinô est assez physionomiste pour se rappeler de leurs apparences. A leurs côté se tient ceux qui ne possèdent pas d'armures, Trivia, la farouche, et Conan, dont certains se demanderaient pourquoi il ne se tient pas du côté de celui qui fût son maître.
En tout, près d'une demi-douzaine de clans se dressent ici, attentifs à celui qui leur assure la protection, le persuasif Jango.
"Voilà qui rééquilibre quelque peu les chances, lâche ce dernier d'un air de dépit.
- Et alors quoi ?", lance brusquement Sylvan, surprenant les trois jeunes garçons de part cette initiative impromptue. "Ces chevaliers noirs obéissent à tes ordres, qu'attends-tu pour leur donner cet ordre auquel tu penses ?
- Attaquer ? Pourquoi ferais-je une chose aussi stupide ?"
La simplicité de la répartie de Jango semble perturber le chevalier noir de l'Hydre qui, pourtant bien décidé à l'instant même, ne trouve rien à répondre.
"On les appelle les chevaliers inconnus, reprend Jango. Ils sont des étrangers, ils ne sont pas d'ici, et d'où qu'ils viennent ils repartiront dans très peu de temps. Je n'ai rien à gagner à vous affronter.", et sur cette dernière phrase, il s'adresse directement aux intéressés.
"Chevaliers inconnus, vous avez causé bien du désordre depuis votre arrivé, mais cela est dû au hasard, aussi je ne vous en tiendrais pas rancune."
Les trois membres du programme Kido se regardent d'un air abasourdis. Ils peinent à y croire, mais ...
'Se pourrait-il qu'on y arrive sans combattre ?'
La flamme de leur espoir est hélas secouée par l'intervention de l'Hydre noir.
"Il n'y a pas de hasard, Jango, tu le sais très bien. Quelqu'un a bel et bien assassiné le Dragon noir dans le but de manipuler les seigneurs noirs !"
L'homme vient de parler sur un ton proche de la colère, proche du cri.
"Et alors ?", lui répond Jango avec ce même calme qu'il exprime depuis le début. "C'est une chose troublante, mais il est vrai qu'elle arrange plutôt mes affaires, aussi ne vais-je en tenir rigueur à personne.
- Mais ...
- Tu me fatigues, Sylvan, et ce n'est pas à toi que j'ai envi de m'adresser."
Kyô et Kinô ont à peine le temps de réaliser le sens de cette phrase que Sylvan se tourne vers eux, et leur parle très fort et très vite, comme pour les secouer ...
"Vous ne devez pas lui faire confiance, c'est probablement lui qui a tué le frère de Sergueï, il avait tout à gagner dans la manoeuvre. Il est votre ennemi, et quoi qu'il vous propose, il y aura anguille sous roche."
... mais il se tait brusquement, à l'instant précis où il croise le regard du chevalier de la Machine Informatique. Son regard accusateur ...
L'Hydre noir reste silencieuse un moment, avant de se ressaisir.
"Trouvez-vous naturel qu'il vous soit si peu hostile ? Ne trouvez-vous pas son comportement étrange ?
- En parlant de comportement étrange ...", et c'est à ce moment que Sylvan, l'Hydre noire, réalise qu'il ne maîtrise en rien la situation. "Je trouve tout aussi étrange l'énergie avec laquelle tu sembles vouloir compromettre notre négociation avec Jango, toi qui d'habitude est si silencieux.
- Je ... Vous n'allez pas faire confiance aussi facilement à celui qui a retourné les seigneurs noirs contre vous ?
- Sylvan."
D'un seul mot, simplement en l'appelant de son nom, Kinô vient de faire taire le chevalier noir, Sylvan de l'Hydre. Ce dernier jugeant opportun de ne rien ajouter, le chevalier d'acier tourne la tête vers l'homme assit sur le trône de pierre, et jauge ses yeux.
"Le secret des armures ?", avance simplement Jango. "Vous m'avez déjà rendu service. Il est à vous contre votre promesse de partir avec lui, et de ne jamais revenir."
Et à ce moment là, le maître des chevaliers noirs se relève. Sur ses deux jambes, tout droit, de sa grande taille, il arbore une apparence fière. Et, en gage de confiance, il avance sa main droite, invitant les chevaliers d'acier à venir la saisir.
'Une poignée de main ?'
Kinô se tourne vers Ashita, son compagnon le plus réfléchi. Ce dernier a retrouvé les couleurs qu'il avait perdu plus tôt dans la journée, mais il est encore un peu trop tôt pour que son aide soit précieuse. Quant à Kyô, d'une parole, il donne toute sa conscience au chevalier de la Machine Informatique.
"C'est à toi de le faire, Kinô."
L'instant est presque solennel. Derrière lui, ses deux compagnons, et Sylvan qui semble trépigner sur place. Autour d'eux, des dizaines de chevaliers noirs d'apparences féroces. Devant lui, Jango.
'Tout repose sur ma décision, à présent.'
Un pas ...
La timidité n'est pas le trait principal de Kinô. Il rougit volontiers quand l'attention se porte sur lui, mais les circonstances sont décidément trop graves pour qu'il ressente pareille émotion.
Un autre pas ... Encore un autre ... Il est à mi-distance entre ses compagnons et la main tendue ...
Il y a le poids de la responsabilité, évidemment. Kinô la craint, mais pas plus que cela. Les décisions sont faites pour être assumées, et si jamais erreur il devait y avoir, il serait toujours temps de faire marche arrière.
'Vraiment ? En es-tu sûr ?'
Il chasse cette voix dans sa tête. A bien y réfléchir, il se demande à quoi il pouvait bien s'attendre. Il y avait l'hypothèse que Jango les attaque, qu'il cherche à se cacher, ou tente quelque chose pour les éliminer. Qu'il leur envoie un messager – ou une messagère – et qu'il paraisse ainsi simplement face à eux est quelque chose d'imprévu. Kinô imaginait Jango comme un être cruel et implacable, et à le voir c'est bien ainsi qu'il semble être.
'Alors quoi ?'
Mais son raisonnement est crédible. Aucune preuve ne l'accable de la mort de Roman du Dragon noir, et il semble sincère dans sa proposition.
Jango est tout prés, à présent. Sa main est toujours tendu.
Sans hésiter plus, Kinô lève la sienne, il ...
"ARRETE !!"
C'est Sylvan. Son cri vient d'empêcher la poignée de main, celle qui aurait signé un accord pacifique entre les chevaliers d'acier et le représentant des chevaliers noirs. Si les deux paumes s'étaient serrées, il n'y aurait pas eu sur l'île de la Reine Morte un seul chevalier noir pour chercher querelle aux membres du programme Kido, et le secret des armures leur aurait été dévoilé. Cela aurait été faire l'impasse sur une vérité, mais le résultat aurait été là. C'est la conclusion à laquelle Kinô songera bien des jours plus tard, mais qui restera à jamais théorique car d'une seul voix, d'un seul mot, Sylvan, le solitaire, vient à l'instant d'interrompre le cour de l'action.
Une lueur de colère brille dans les yeux de Jango. Kinô la voit, mais ne la comprend pas tout de suite. Alors il se tourne et porte son attention sur celui qui vient de perturber cette cérémonie.
"Il y a quelque chose, Sylvan ?", et dans sa voix, perce une profonde inquiétude.
l'Hydre noir a totalement baissé sa garde. Le masque implacable qui rendait son visage si impénétrable n'est plus. Pour la première fois, Sylvan s'est complètement laissé abattre par l'émotion. Et dans ses yeux, luit le désespoir et la peur ...
"Vous ne pouvez pas faire ça !", lance-t-il.
"Et pourquoi pas ?", lui repart le chevalier d'acier.
"Parce que ... Parce que c'est lui qui a tué le Dragon noir !!"

~~~~~


Plus tôt dans la journée

A l'instant où celui qui se fait passer pour Sergueï, Roman, le frère jumeau, le double du seigneur noir, mort la poussière, une ombre se dresse, dissimulée derrière un large rocher. Sylvan, le solitaire, chevalier noir de l'Hydre, vient de rattraper ceux qu'il a guidé jusqu'ici.
'Sergueï à terre ? Non, il doit s'agir ...'
Sylvan n'est pas dupe bien longtemps. Ils ont beau être semblable génétiquement, les deux frères se distinguent par leurs yeux. Personne parmi ceux du clan du Dragon noir ne s'est douté que la pupille blanche n'était pas une marque de fatigue, ou un quelconque changement physiologique, mais l'Hydre noir n'est pas de ceux qu'on trompe. Il sait que Sergueï possède un frère, et il ne lui a pas fallu plus longtemps pour rassembler les pièces du puzzle.
Sylvan observe la scène. Le faux seigneur noir, à terre, discute calmement avec les chevaliers inconnus. De mémoire de chevalier, jamais Roman n'a quitté l'obscurité de la cache de son frère, et le voir ici ne présage rien de bon.
C'est en songeant à cela qu'il le remarque. Ce n'est d'ailleurs pas tellement qu'il le perçoit, ou sent sa présence d'une façon ou d'une autre, c'est plutôt qu'il la devine. De tous ses secrets, de toutes ses ruses, Jango est un personnage sournois, mais il n'est rien qu'il ne sache faire dont Sylvan connaisse tout. Et l'opportunité est trop bonne pour le maître des chevaliers noirs ...
Les chevaliers inconnus s'éloignent, laissant tragiquement vulnérable l'ombre du seigneur noir.
'S'il venait à mourir, alors ...'
Jango s'apprête à bouger. Il n'a pas ressentit la présence de l'Hydre noire.
'Alors les autres seigneurs noirs s'allieront contre les chevaliers inconnus. Vu leurs potentiels, ça se terminera mal.'
D'un mouvement rapide, le maître des chevaliers noirs vient de découper la tête de Feng, chevalier noir du Loup, le malheureux qui était resté pour assurer la protection de celui qu'il croyait être son seigneur.
'Si j'interviens, je risque un combat contre Jango. L'autre n'est pas un seigneur noir.'
Sylvan se trouve des raisons de ne pas intervenir. C'est passif qu'il assiste à l'assassinat : c'est de sang froid que, d'un geste, l'homme, cruel, décapite le chevalier noir.
Sans état d'âme, d'un pas lent, Jango s'éloigne, empruntant le même chemin que celui de ces trois jeunes garçons venus d'ailleurs.

~~~~~


"Cela s'est passé ainsi, je l'ai vu de mes yeux. Jango a tué le Dragon noir, poussant les autres seigneurs à vous combattre."
Sylvan s'est ressaisit, et peste à présent pour s'être laissé allé. En omettant nombre de détails, il vient de narrer la façon dont il a assisté à la mort de celui qui disait s'appeler Sergueï.
Il y a un instant de silence.
"Ce n'est pas vraiment une surprise, finit par dire Kinô, lisant dans le regard de Jango que telle était la vérité, et qu'il n'y avait aucun regret. Il va être difficile de nous entendre, à présent, Monsieur le preneur de têtes."
Et disant cela, le chevalier d'acier avait reculé d'autant de pas qu'il n'en avait avancé auparavant. Il avait fait vite, car il se doutait de ce qui allait se produire ensuite.
Et exprimant une vive colère, Kyô, l'impétueux, fait mine de se jeter en avant ...
"Espèce de ... !!! Tu vas voir !!"
... mais il ne va pas plus loin, car Kinô, d'un geste sec et autoritaire, le lui ordonne.
"Pourquoi m'arrêtes-tu, Kinô !!", s'énerve-t-il. "Ce Jango a voulu nous tuer, tu veux qu'il s'en tire à si bon compte ?!
- Calme-toi, Kyô.
- Mais ..."
Kyô est déstabilisé par le regard suppliant de son camarade.
"Tu as raison, Kyô. C'était possible tant qu'on avait un doute, mais avec la certitude qu'il a manipulé les seigneurs noirs contre nous, il nous est impossible de lui faire confiance.
- Mais pourquoi diable m'arrêtes-tu, alors ?!
- Si tu te bas, nous perdons tout.
- Un instant ..."
Pris d'une inspiration soudaine, frappé d'une vérité, fronçant les sourcils, Kyô détourne son attention de Jango.
"Il n'est pas notre seul ennemi, finit-il par dire."
A ces mots, une des personnes présentes se raidie. La panique tétanisante maîtrise ses membres, une abondante sueur froide inonde son visage, et quand le chevalier de la Machine Informatique se tourne vers lui, ses jambes manquent de céder sous son poids.
"Sylvan ..."
Et ses mots lui transpercent l'âme ...
"Sylvan, pourquoi as-tu autant attendu pour nous dire cela."

~~~~~


Il n'y a pas de réponse. Le silence plaide sévèrement en défaveur de l'Hydre noire, ainsi que le regard accusateur de l'imposante assemblée des chevaliers noirs, et si finalement il ne dit rien, c'est pour la raison simple qu'il n'y a rien à dire qui n'aurait aggravé sérieusement son cas.
Attentif à la situation, Jango s'est à l'instant retenu de faire un geste. Ce geste est le signal qui aurait donné l'ordre à tous les chevaliers noirs présent de passer à l'attaque et de faire retourner les chevaliers d'acier – ainsi que Sylvan – aux cendres dont ils sont issus. Si le chevalier de l'Energie n'avait pas à l'instant calmé son ardeur, tout cela se serait terminé en bain de sang. Il jette un coup d'oeil aux divers chefs de clans, s'assurant de la promptitude de leurs réactions en cas de besoin.
Les chevaliers d'acier semblent divisés ...
"Je vais casser la gueule à ces deux enfoirés ! D'abord à Jango, qui a manipulé les seigneurs noirs contre nous. Et quand il ne sera plus que l'ombre de lui-même, ce sera au tour de Sylvan, qui nous a directement utilisé !", s'exclame le plus téméraire d'entre eux.
"Reprend-toi !", lui supplie un autre, terrorisé à l'idée de ne pas réussir à retenir son camarade plus longtemps. "Tu crois avoir une chance si tu défies tout ce qu'il y a de vivant sur cette île ?! Quand bien même tu t'en sortirais vivant, à quoi cela te servirait-il ?
- A me calmer les nerfs !
- Écoute, Kyô, j'ai un plan. Tu ne veux pas m'écouter ? Kyô ?!"
La limite n'a pas été franchie, mais il s'en est fallu de peu. Kinô doit à présent dire quelque chose à son compagnon. Cette idée qu'il a eu, si Kyô ne l'approuve pas, c'en est fini.
"Écoute-moi, Kyô. Écoute-moi bien. Sylvan et Jango ont tous deux voulu tirer partie de notre potentiel. Cela signifie que nous sommes au coeur d'un conflit qui oppose ces deux hommes.
- Et alors ?
- Retirons-nous du conflit, Kyô. Ne prenons pas partie. Attendons de voir ce qu'il va se passer."
'C'est pourtant une bonne idée, a le temps de penser Kinô. Mais ça ne suffit pas.'
En un clin d'oeil, Kyô enflamme son cosmos, il jette sa main vers Jango, il ...
"Stop ..."
Son attaque n'aboutit pas. Ce n'était qu'un seul mot, faible, venu d'outre-tombe, mais ce seul mot a suffit pour mettre un terme à l'imminence du combat.
'Qui a parlé ?'
Kyô se souvient de cette voix, sans mettre un nom dessus.
"Stop ..."
Et sa mâchoire se décroche ...
"ASHITA !!", s'exclament de concert les deux autres chevaliers d'acier. Kinô fait un pas dans sa direction, plein d'espoir, mais il ne va pas plus loin.
Depuis son combat contre le Pégase noir, le chevalier des Sciences Biologiques n'a pas prononcé un mot. Un traumatisme manifeste l'a fait passer d'une terreur abjecte à un très puissant refoulement, caractérisé par un profond repli sur lui-même et un état presque catatonique. Qu'il en soit à parler à nouveau est globalement bon signe, mais ...
'Pourquoi a-t-il l'air si sévère ..?'
"Ashita ?
- J'AI DIT STOP !!", hurle-t-il, et dans sa voix, c'est un profond désespoir qu'il exprime.
"Qu'est-ce que tu entends par là ?", lui demande Kinô avec une toute petite voix.
Et le regard d'Ashita est terrifiant.
"Stop ! Terminé ! Terminé les chevaliers noirs ! Terminé l'île de la Reine Morte ! Finit de jouer leurs jeux cruels ! Je vous interdis de vous mêler de leurs histoires une seconde de plus !"
En si peu de temps, le chevalier d'acier a réussi à s'essouffler. Hors d'haleine, il juge violemment ses deux frères d'arme. Interdits, intimidés, aucun des deux n'osent bouger, ni même parler. Et pendant ce temps, Jango, maître des lieux, Sylvan, l'impénétrable, et la horde de chevaliers noirs, assistent au déchirement des chevaliers inconnus. Tout ce qui peut arriver dépend tellement de leur décision quant à leurs actions que toute initiative paraît hors-sujet. Il y a bien Jango, qui pourrait d'un mouvement lâcher ses chiens, et réduire à néant la potentielle menace, mais agir ainsi serait sacrifier nombre d'homme qui lui sont fidèles, pour un résultat incertain. Aussi lui aussi choisit-il d'attendre.
Et c'est Kyô qui met un terme au suspens, au moment où; intimidé par la violence des propos d'un Ashita si à l'opposé de ce qu'il est d'habitude, se rapproche de Kinô et lui glisse un mot à l'oreille.
"Je propose qu'on fasse comme il a dit."
Sa voix était faible, ses mots à peine chuchotés, mais leur importance est telle que pas une des personnes présentes ne fait autre chose que de les entendre parfaitement distinctement. Ceux-là même qui encore maintenant restent cachés, ultimes survivants des clans des seigneurs noirs, pourtant fort distants, perçoivent très nettement cette ultime suggestion. Le gardien lui-même, le triste Guilty, bien que s'étant désintéressé de la scène, prend conscience de la signification profonde d'une telle parole.
Cloisonnés dans un silence entendus, passifs, patients, les chevaliers d'acier attendent. Ils se sont tus. Ce silence patient est plus lourd de signification que mille paroles et il n'est pas un chevalier noir qui ne se souviendra à jamais de ce silence, car de lui dépend à présent le futur de l'île de la Reine Morte.


"Je vois."
Sylvan, dans un air de résignation absolu, vient de mettre un terme au silence.
"Depuis l'assassinat du Dragon noir, je craignais qu'on n'en arrive là. Mes craintes sont désormais réalité.
Jango ! Maître de ces terres ! L'heure est venu de mettre un terme à tout ceci !
- Ce qui veut dire ?", et l'intéressé avait un sourire aux lèvres.
"Ce sera toi ou ce sera moi, mais l'un d'entre nous ne verra pas le soleil se coucher ce soir. Je te défie !
- Après tout ce temps Sylvan ...
Je relève ton défi."

Et à l'instant où les deux hommes enfin se font face, tous, chevaliers d'acier et chevaliers noirs, comprennent que le point de non-retour a été franchi.

Chapitre précédent - Retour au sommaire - Chapitre suivant

www.saintseiya.com
Cette fiction est copyright Frédéric Ramirez et Gille Monchoux.
Les personnages de Saint Seiya sont copyright Masami Kurumada.