Deuxième Age Chapitre 9 : Survivants


Il est probable que l'essentiel des chevaliers d'Athéna ont vécu en temps de paix. Rien ne permet d'affirmer cela, mais les guerres divines devaient sans doute être espacée de plusieurs décennies, sinon plusieurs siècles. Il ne fait aucun doute que la vie au Sanctuaire en temps de paix était bien différente de ce qui se passait en temps de guerre. Dans le premier cas, les chevaliers d'Athéna devait être dispersés dans tous les pays du monde, afin de mener des missions discrètes, ou plus simplement de mener un entraînement moins 'académique' que celui délivré en Grèce. Ces chevaliers devaient ensuite se rassembler au Sanctuaire, autour de la déesse Athéna, à la moindre alerte sérieuse.

Extrait du rapport sur la chevalerie sacrée et sur le Sanctuaire, écrit par le père Jacob


~ 0 ~


- Après tout ce temps Sylvan ...
- Oui, Jango. Le moment est enfin venu.


~ 1 ~


Le liquide rouge coulait tellement que la puanteur du sang lui embaumait les narines, les cris d'agonies étaient si nombreux qu'ils résonnaient à ses oreilles, les corps s'effondraient à un tel rythme que le sol en était secoué. Il n'y avait aucune chance de survie, il n'y avait aucun espoir, il allait mourir, sans que sa vie n'ait jamais été que souffrance. Et il n'y aurait personne pour le pleurer. Et puis, il y eut cette voix ...
- Par ici, petit.



~~~~~


Et c'est le choc.

- Death Queen Inferno !
- La morsure de l'Hydre !

Du poing de Jango, le maître auto-proclamé de l'île de la Reine Morte, apparaît une flamme dans laquelle, emporté par son élan, le chevalier noir de l'Hydre disparaît. Le feu enrobe le corps de Sylvan, mordant son corps et son armure tel un serpent, mais ni la douleur ne ni le danger ne parvient à briser son élan, et à son tour il porte ses coups.
En un instant, des poignets de son armure noire de l'Hydre, jaillissent plusieurs excroissances semblables à des crocs, et c'est une torche humaine qui emporte Jango dans un tourbillon de coups.
L'instant d'après, les deux hommes se retrouvent l'un derrière l'autre, se tournant le dos. Mais bien que l'assaut ait été d'une grande violence, ni l'un ni l'autre des deux combattants ne semble avoir reçu un coup fatal. D'un geste, Sylvan fait disparaître la flamme qui l'entourait, dévoilant son apparence indemne à peine trahit par quelques cheveux roussis. De son côté, Jango se frotte les membres, son armure possède quelques rayures, mais il est toujours aussi fier.
Et alors qu'ils se font faces, ainsi, cet échange silencieux qu'exprime leurs regards possède quelque chose de fraternel. Ils n'ont plus rien de ces ennemis jurés qui se poignardent dans le dos au détour d'une ruelle, mais en lieu et place de cela, quelque chose qui les lieraient à jamais dans un même destin tragique prend le dessus.
Semblables à des loups dressés pour le combat, les deux hommes se jettent l'un sur l'autre.


~~~~~


- Par ici, petit.
Le tout jeune garçon peine à comprendre d'où vient la voix. Terrorisé par la violence apocalyptique qui secoue l'île, il s'était mis à courir. Sa fuite l'avait amené jusqu'ici car, en désespoir de cause il espérait y trouver une chance de pouvoir voir encore une fois le soleil se coucher. Mais la vue des innombrables corps démembrés, mutilés, écrasés, lui avait ôté tout espoir.
Jusqu'a ce qu'il entende cette voix ...
- Eh, petit, qu'est-ce que tu fous ? Ramène-toi par ici !
Derrière lui ...
Caché derrière un rocher, aussi effacé qu'une ombre, se trouve un autre apprenti. Il doit bien avoir quelques années de plus, et il exprime quelque chose à mi-chemin entre la résignation et l'attente. Leurs regards se croisent.
- Le gardien va revenir, planque-toi avec moi, imbécile ! Tu vas nous faire repérer !
Mais c'est impossible. La terreur tétanisante qui traverse son corps ne laisse pas au jeune Jango d'autre alternative que de rester aussi immobile qu'une statue de bronze, les jambes si flageolantes qu'une brise même légère pourrait les faire s'effondrer. Celui qu'il regarde, Jango le connaît. Il se nomme Sylvan, et si l'on exclue que son appartenance à un clan rival en fait implicitement un ennemi mortel, il n'a rien à lui reprocher. Après tout, ce n'est qu'un apprenti, tout comme lui.
- Nous sommes tous alliés contre le gardien, s'empresse de rassurer Sylvan, comme lisant dans ses pensées. De toutes façons, nos clans respectifs n'existent plus. Alors viens de mon côté, ou bien ...
Cette phrase, il ne la terminera pas. Jango comprend aussitôt pourquoi, au regard de celui qu'il contemple plutôt qu'à cette présence malsaine et pleine de haine qu'il ressent derrière lui. Il entend le souffle sourd qu'épuisé, cet homme expire tel un diable derrière son masque. Il devine ses blessures, le sang recouvrant son corps, dégoulinant de tous ses membres. Jango refuse d'affronter cette vision épouvantable mais ...
Il se retourne, pris de panique.
C'est bien Guilty qui le regarde, à lui, Jango, qui n'a jamais frappé plus grand que lui. Malgré leur camouflage, il devine ses yeux rouges, chargés de colère et dénués de pitié. Il devine sa haine implacable, sa force invincible.
Jango se sent gazelle, acculé par un lion affamé contre une parois. Il n'en peut plus. Ses genoux cessent de supporter son poids, et il s'effondre, assis, avec la sensation désagréable d'un liquide chaud dégoulinant le long de ses jambes.
Le regard l'abandonne, et se porte derrière lui. Sylvan s'est tout simplement dressé face à Guilty.
- Se cacher était désespéré, de toute façons, lance-t-il au gamin terrorisé, fixant du regard celui qui sera leur mort à tous les deux. Adieu, Jango.



~~~~~


Le sol est jonché d'objets désordonnés. Qu'ils soient de chair ou de métal, membres, morceaux d'armures noires ou têtes décapitées, ils sont empilés les uns sur les autres de façon chaotique. Du bout de son pied droit, Sylvan retourne un corps.
- Ha ! s'exclame-t-il d'une voix exultée. Ce satané Gellhenk ... Tu as finalement mordu la poussière! Que ton âme soient dévorée crue par les vautours des enfers. Tout seigneur noir de l'Hydre que tu étais, tu y aurais gagné à m'épargner certaines corvées. Ton armure à l'air à peu près intacte, si tu t'opposes à ce que je la prenne, tu n'as qu'à m'en empêcher. Soit maudit, Gellhenk, toi et ta prochaine réincarnation ! Joignant geste et parole, c'est avec minutie et patiente qu'il retire un à un les neuf morceaux de l'armure noire de l'Hydre du corps de leur malchanceux propriétaire.
- Et bien, Jango, s'exclame Sylvan tout en écrasant avec mépris de son pied la face du cadavre, qu'attends-tu donc pour te choisir une armure ? N'est-ce pas ce dont tu rêvais depuis des années ? Ce n'est pourtant pas le choix qui manque, si ? Ha ha ha !
La vérité, c'est que, toujours tétanisé, le jeune garçon n'a pas bougé d'un pouce depuis le départ du gardien. Assis par terre dans une flaque d'urine, la respiration bloquée, il serait des plus pitoyable s'il n'était pas aussi indéniablement vivant.
- Alors, Jango ? Tiens, que dirais-tu de cette armure du Renard ? Ah non, le casque a été réduit en miette ... Ici, tu as une armure de l'Ours tout à fait honorable si ça ne t'embête pas qu'elle soit en 12 ... non 13 morceaux. Jango ?
Lentement, sur ses épaules, la tête de Jango pivote en direction de son camarade.
- Il est parti ?
- Qui ça ? Le gardien ? Il semblerait. Je pense pas qu'il revienne, à présent. Comment on appelle les gens comme nous ? Ah oui, des survivants, voilà.
- Mais euh ...
Jango croise le regard du nouveau chevalier noir de l'Hydre, et n'y lis aucune peur, aucune appréhension, aucun doute. Il jauge la scène morbide d'un oeil craintif.
- Parti ?
- Parti. Qu'est-ce que tu ne comprends pas dans ce mot ?
- Mais euh ... Et disant cela, Jango commençait à se relever. Pourquoi est-il parti ?
- Ah ça, c'est une autre question. Celui qui le découvrira deviendra le maître de l'île, car il n'aura pas à craindre celui qui ferme notre prison.
Machinalement, Jango entreprend de trouver une armure qui lui convienne. Apprenti, il rêvait d'une armure du phoenix noir, mais aucune ici ne semble en être.
- Que va-t-on faire des corps ? s'inquiète-t-il.
- Ne t'inquiète pas pour eux. L'Île de la reine mort n'a ni charognards ni cimetière, mais je doute qu'ils soient encore là dans un mois. Ils auront sans doute été brûlés par le soleil d'ici là. Et qui sait, peut-être une coulée de lave les emportera tous d'un coup ?
- Adieu, Sylvan, et disant cela, Jango foule d'un premier pas la route d'un chemin qui l'emmènera loin d'ici.
- Attends un instant, Sylvan !
Le jeune garçon patiente une seconde pour faire son deuxième pas.
- Il y a sûrement d'autres survivants à ce carnage. Ces survivants deviendront les nouveaux maîtres de l'île de la Reine Morte. Tous auront été épargnés par le gardien. Souviens-toi de ce que je t'ai dis : celui qui comprendra pourquoi il est en vie deviendra ...
- ... le maître absolu de l'Île, termine Jango, et disant cela, il se mettait à son tour à examiner les armures des défunts. Crois-moi, Jango, mon oreille n'est pas celle d'un sourd.
Et au moment où Sylvan l'abandonne, il a déjà rassemblé deux spécimens d'armures noires.



~ 2 ~


- Et alors, Jango, plus de dix ans se sont écoulés depuis ce jour, et tu n'as jamais choisi d'armure noire. Pourquoi ?
- Tu sais pourquoi ! Si je n'ai pas d'armure, c'est parce que ...
Jango, avec une brusque énergie qu'il n'avait pas encore exprimé, porte une fulgurante série d'attaque sur son adversaire. Poing à la taille, poing au visage, pivot suivi d'une frappe au pied vers l'arrière, nouveau pivot ...
- ... parce que j'ai compris pourquoi je suis en vie !!


~~~~~


- Tu as vu, Jango ? Il y a de nouveaux apprentis. Un fort potentiel, si tu veux mon avis. D'ici un an, ils seront plus forts que leurs maîtres, et terrasseront ces derniers, par traîtrise ou lors d'un combat.
Surpris de voir ainsi surgir un vieux compagnon de guerre au détour d'un chemin, Jango fronce les sourcils. C'est toujours ainsi que le chevalier noir de l'Hydre se présente à lui : à l'improviste, profitant d'un moment où lui-même n'est pas accompagné de sa clique. Ses moments sont de plus en plus rare, mais jamais Sylvan n'a engagé la conversation d'une autre manière. Le faire aurait d'ailleurs été dangereux pour lui.
- A quel jeu joues-tu, Sylvan ?
- J'ai repéré quatre personnalités nouvelles dans l'archipel, et je leur ai donné quelques idées. Aujourd'hui, ils sont ici. Ils progressent vite, tu sais ?
Un éclair de rage électrocute le cerveau de Jango. Si les faits que lui annonce Sylvan ne sont pas une nouveauté - il y a toujours de nouveaux candidats au suicide pour chercher à obtenir une armure noire, sur l'île de la Reine Morte - le ton provocateur sur lequel l'information lui est donné lui plaît autant que si on lui annonçait qu'il allait falloir lui amputer la jambe droite.
- Sylvan, petit con, je ne suis plus celui d'il y a cinq ans. Déjà, de véritables chevaliers noirs me sont fidèles. J'ai acheté leur loyauté en leur donnant les armures noires que j'ai ramassé ce fameux jour. Ça peut paraître stupide, mais crois-moi ils m'en sont reconnaissants et si je ne claque pas des doigts pour ordonner ta mise à mort, c'est tout simplement parce que je ne vois en toi qu'une personne inoffensive.
- Je te le répète, Jango, dans un an, quatre nouveaux seigneurs noirs ...
- J'en ai soupé de tes grands airs, Sylvan ! Tu l'as dis toi-même, celui qui comprend pourquoi il vie gagne la partie. Et c'est ce que je suis en train de faire !
- Pfff ... pauvre fou, et Sylvan parle en s'éloignant. Celui qui croit savoir est le plus ignorant de tous. Adieu, Jango. Quand nous nous reverrons, beaucoup de choses auront changé. Il te faut comprendre, ou tu nous tueras tous.



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Le soleil frappe la roche de ses rayons brûlants, l'air suffoquant étouffe les deux hommes qui se font face. L'un d'entre eux porte une armure noire. A un signal qu'eux seuls comprennent, ils se jettent l'un sur l'autre.
- Le météore !
- Le météore noir !
Une quantité surprenante de coup sont projetés. L'un d'entre eux brave les impacts au péril de sa vie, sa chair meurtrie ne ralentit pourtant pas son ardeur alors qu'il jette ses attaques en avant. L'autre en face esquive avec soin chacun des poings qui tentent de le toucher.
Et puis s'est terminé. Celui qui se battait torse nu s'effondre, vivant mais guère plus valeureux qu'un mort.
- Tu fais des progrès, Jared, lance l'autre. Tu as réussi à me toucher avec l'un de tes météores. Il faudra que je pense à te tuer avant que tu ne deviennes un réel danger pour moi. Reste à cuire ici une heure ou deux, je vais me reposer dans ma cabane.
Le seigneur noir s'éloigne, sans remarquer le rictus mauvais de celui qu'il vient de combattre dans ce qu'il pensait être un entraînement.



~~~~~


Le même jour, à l'autre bout de l'île, un seigneur noir éclate de rire.
- Ha ha ha ! Qui es-tu pauvre apprenti, pour me défier, moi, qui suit ton seigneur et ton maître ?
- Je suis Sven, lance un autre en face de lui, le seigneur noir du Cygne, et ce rocher sur lequel tu es assis et que tu considères comme ton trône, il est à moi.
- Sale petit ...
Mais le seigneur noir n'en dit pas plus. Quelques chevaliers noirs ébahis de voir un simple apprenti lancer un tel défi le regardent, et s'il veut sauver la face, il n'a plus d'autres choix que de le tuer.
Debout, il fait exploser sa cosmoénergie, et se jette sur lui.
- Prend ça !
- Par le blizzard noir !
Du poing de l'apprenti, des cristaux de neiges, affûtés comme autant de lames, froids comme les profondeurs abyssales des océans et noirs comme la nuit, emportent un chevalier en armure dans les abîmes de la mort.



~~~~~


- Huseiyn, imbécile, pourquoi portes-tu une armure d'Andromède ? Où l'as-tu trouvée ? Ôtes-là vite, notre seigneur te tueras sans hésitation s'il te voit ainsi !
Huseiyn ignore les conseils de cet autre apprenti. Il n'en a pas besoin. Pourtant, ses conseils étaient avisés. A l'instant où le seigneur noir de son clan s'aperçoit qu'un fou a eu l'idée suicidaire de porter une armure semblable à la sienne, sans un avertissement, il lance ses chaînes noires sur lui. Huseiyn lui tournait le dos, à présent les deux chaînes d'ébènes l'encerclent et l'étouffent.
- Hè hè hè ...
Un petit rire. Le seigneur noir ne comprend pas. Quelque chose bouge à ses pieds.
'!!!!'
Des serpents ! Il pousse un long hurlement, mais il ne peut lutter. Les serpents sont sur lui, lui transpercent la peau, lui dévorent la chair. Il perd connaissance.



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- Que fais-tu là, Sergueï ?
Le seigneur noir s'inquiète de voir son apprenti à l'intérieur de sa cabane. La colère s'empare de son âme. Il met un pas à l'intérieur, furieux de l'affront que son disciple lui fait subir.
Et puis, il y a une douleur sourde. Absurde. Un poing vient de s'enfoncer dans sa chair, lui brouillant quelques organes vitaux.
Avant de mourir, il a le temps de se tourner et de voir son assassin.
- Sergueï ...? C'est ... impossible, tu ...
L'apprenti est toujours assis sur la petite chaise en bois. Il y a deux Sergueï !
- Mais ... tes yeux ... tu n'es pas ...
Le véritable Sergueï vient de se lever. D'un geste, il lui broie la gorge, mettant un terme à son agonie.



~~~~~



- Un an a passé, Jango, ma prophétie s'est réalisée. Quatre clans échappent désormais à ton autorité. Quel dommage, alors juste que tu allais devenir le maître absolu des lieux.
- Sylvan, soit maudit, c'est toi qui a tiré les ficelles dans cette histoire. Il est impossible que de simples apprentis soient devenus forts au point de terrasser leurs seigneurs en si peu de temps. Et ils refusent de me jurer allégeance !
- Crois-tu réellement que je sois responsable de tout cela ? Ces gamins avaient leur propre potentiel, je n'ai fais que les aider un peu, à en prendre conscience, et à en profiter. Tu as perdu plus que quatre clans, Jango. Sais-tu ce que feu ces quatre seigneurs noirs avaient en commun ? Ils étaient les derniers de l'île à avoir été de véritables apprentis chevalier d'Athéna. Tu as non-seulement perdu de la puissance, mais tu as également perdu ton dernier lien véritable avec le Sanctuaire. Que comptes-tu faire désormais ?
- Soit maudit, tu seras mort avant la prochaine aube, sois-en sûr !
- Je ne donnerais pas cet ordre à ta place, Sylvan. Les nouveaux seigneurs noirs, gratifiants, me doivent un service en retour à mes 'conseils'. Il serait dommage que ce nouveau contre-pouvoir s'unisse pour te déclarer la guerre, surtout que, crois-moi, leur puissance est bien supérieure à la tienne.
- Pourquoi as-tu fait cela, Sylvan ? Ne vois-tu pas ce que j'essaye d'accomplir ?
- Ce que je vois, Jango, c'est que moi, et moi seul, ai compris pourquoi nous sommes en vie. Et si je veux le rester, tu me forces à agir contre toi. L'ironie, c'est que c'est aussi ta vie que je sauve. Mais cela, je doute que tu le comprennes un jour.



~ 3 ~


Douleur, peine, l'impact du poing de Jango écrasant le poignet droit de son adversaire se change aussitôt en une zone couleur violacée, laissant entendre un craquement sinistre trahissant le silence sourd de la victime.
- Ha ha ha ! Alors, Sylvan, j'ai bien l'impression que je suis plus fort que toi !
L'éclat de rire mettrait mal à l'aise un grand héros achéen, mais Sylvan ne sourcille pas. Il ne lui faut guère que quelques secondes pour bander son membre brisé à l'aide d'un morceau de tissu arraché à sa tunique.
- Pfeu ... lance-t-il avec insouciance. De toute façon, je ne me servais pas de cette main. Passons plutôt aux choses sérieuses.
- Tu prétends avoir gardé de la réserve ? Intéressant.
Et sans dire un mot de plus, sans pousser de cris, les deux hommes font à nouveau, de leur cosmoénergie, vibrer le sol rocailleux.


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- Death Queen Inferno !
- La morsure de l'Hydre !


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'Je suis Sylvan, chevalier noir de l'Hydre, et voici mon histoire.
Enfant de l'archipel, j'ai vu mon père tué par un de ses hommes aux armures de ténèbres, alors qu'il refusait de leur donner la dernière poule qu'ils ne nous avaient pas déjà volé. Il est mort comme il a vécu : comme un misérable. Je revois son corps sans vie, effondré dans une flaque de sang poisseux, souillé comme un porc que l'on vient d'égorger. La mort, j'y étais habitué, après tout, l'ayant moi-même donné à ma mère. C'est du moins ce que l'on m'a raconté.
- Elle est morte pour que tu vives, m'avait expliqué mon géniteur. L'accouchement s'est mal passé. Tant pis pour elle.
'Tant pis pour elle'. Il y avait si peu de compassion dans la voix de mon père ... J'avais à peine l'âge d'un enfant quand ces fous de l'Île lui ont pris la vie, riant d'une voix tonitruante devant sa carcasse sans âme. Je ne leur en ai même pas tenu rancune. Sur l'Archipel, être vivant ou être mort, ce n'est pas bien différent.
Sauf pour eux. Sauf pour les chevaliers noirs. Moins d'un an après, j'étais à la solde du clan le plus méprisé de tous. Le seigneur de mon clan s'appelait Gellhenk, et il aimait bien me frapper pour me laisser à demi-mort dans la chaleur étouffante d'un chemin où n'importe qui aurait pu venir m'achever par simple plaisir.
Quand le gardien a investi l'Île, quand il a tourné les talons alors qu'il venait de tuer ceux de mon clan, j'ai compris. J'ai compris pourquoi j'étais vivant.
Seul sur l'Île, j'aurais été maître de l'archipel, mais un roi est la première personne qu'on assassine quand les choses tournent mal. Rester dans l'ombre m'a toujours parue être la meilleure manière de vivre. Car c'est de cela qu'il s'agissait : vivre. Les autres chevaliers noirs se contentent de survivre en espérant partir d'ici. Ce qu'ils ne comprennent pas, c'est qu'en agissant ainsi ils s'attirent la colère du gardien. Guilty n'est là que dans cet objectif : tuer les chevaliers noirs qui tentent de partir. Si je suis en vie, c'est parce que je n'ai jamais songé à cela. Ce fameux jour, j'ai laissé faire les autres, je me suis caché, et j'ai espéré rester en vie. D'autres apprentis ont été tué, ces fous tentaient de suivre leurs aînés.
Tant pis pour eux.
Sans moi, Jango aurait unifié l'Île sous son autorité, et aurait tenté quelque chose. Le fou, s'imaginer que le gardien ne le tuerait pas ...
J'ai voulu vivre, faire de l'Île ma terre, car il n'y avait pas d'autre choix. Nous autres chevaliers noirs, sommes maudits à jamais, sur ce sol infernal condamné à être notre tombeau.
Aujourd'hui, je ne veux pas mourir. Dos au mur, j'ai sorti mes griffes, pour la victoire, pour vivre quelques années, ou quelques jours de plus. Ma force doit suffire, et un homme sera mort. Tant pis pour lui.

Tant pis pour moi ...'


~~~~~


- Kyô, cette technique de flamme, elle est bien supérieure à la tienne, tu ne crois-pas ?
Et dans la voix du chevalier d'acier, pointait une ironie certaine.
- Pardon ? Me charrierais-tu, Kinô ? Ce Jango a entièrement entouré son adversaire de flamme, la perte d'énergie est gigantesque ! Cette attaque était difficile à esquiver, c'est tout. Je suis capable d'en faire autant, mais c'est tout simplement pas efficace ! Enfin, normalement ... Je m'étonne plutôt que Sylvan se fasse vaincre ainsi, Jango ne me parait pas capable de carboniser quelqu'un de sa trempe si facilement.
Les chevaliers d'acier, passifs, contemplent la scène comme les spectateurs d'un théâtre. Un corps brûlé à gauche, inanimé, défait. Un homme fier à droite, fourbu et épuisé, mais victorieux.
- Pour y parvenir, poursuit Kyô, il a du tout donner, sans se soucier de sa défense. Ce qui veut dire que l'attaque de Sylvan a du porter. Elle ne semble pourtant pas lui avoir fait bien mal ...


~~~~~


Cette attaque là marquait la fin du combat, personne n'en a douté, ne serait-ce qu'un instant. La carcasse calcinée de Sylvan, foudroyée par les flammes de son adversaire, gît, fumante. Un silence interdit, à peine trahit par le grognement de Jango, s'est installé sur l'assemblée de chevaliers noirs.
Les premiers chuchotement tardent, mais viennent.
- Il a gagné ...
- Le maître à gagné ...
- C'est vraiment le maître ...


~~~~~


C'est alors que Jango chancelle, perdant l'équilibre, pareil à une quille sur laquelle soufflerait un vent un peu trop prononcé ...
- Qu'est-ce que ...
... avant de s'effondrer, face contre terre.
Le silence médusé des chevaliers noirs se change en brouhaha. Surprise, incompréhension et inquiétude sont les trois mots d'ordres de ceux qui hésitent à entreprendre quelque chose de plus constructif. Car le maître de l'Île, le sans-armure, Jango le violent, a mordu la poussière, et semble aussi immobile que la roche, comme s'il était ...
'Mort ?'
Le mot circule de lèvre en lèvre, comme une rumeur. Seuls les plus vaillants des chevaliers noirs se taisent, sourcils froncés, et avec eux quelques apprentis, l'air hébété. Mais aucun d'entre eux ne s'oppose à ce que les trois chevaliers inconnus, aux objectifs mystérieux mais oh combien puissants, s'approchent du corps inanimé.
- Que se passe-t-il ? s'inquiète Kyô, retournant l'homme pour le mettre sur le dos. Ces coupures innombrables doivent être celles de Sylvan, mais cela n'aurait pourtant pas dû l'abattre.
C'était bien de la mort qu'il s'agissait, mais cela, nul des membres du programme Kido ne semble s'en émouvoir.
- "Pourquoi ne pas imaginer une attaque basée sur le poison, tu pourrais empoisonner tes crochets avec une substance nocive à effet rapide.", et la voix d'Ashita a quelque chose de monotone.
- De quoi parles-tu, Ashita ?
- De poison. C'est pour cette raison que Jango n'est pas mort tout de suite. C'est moi qui en ai donné l'idée à Sylvan. Autant dire que c'est moi qui ai tué Jango.
- Ashita ...
- Laisse, Kinô.
'Ne laisse pas ton traumatisme t'abattre, Ashita, tu voulais justement lui apprendre à vaincre sans tuer, en paralysant ou endormant son adversaire.', c'est ce que voulait dire le chevalier de la Machine Informatique, avec une voix inquiète pleine de compassion, mais autant parler à un arbre. Dans le regard d'Ashita, une infinie tristesse règne en maître. Elle semble s'être installée là pour toujours.
- Kinô, Ashita, regardez.
Et les chevaliers d'acier regardent. Ils écoutent. Le brouhaha s'est tu. Les chevaliers noirs n'ont plus de voix. Ils n'ont qu'un seul regard. Tous fixent avec crainte les trois mystérieux chevaliers inconnus, venus de nulle part ébranler l'ordre des chevaliers couleur d'ébène de leur présence.
- Ils ont peur de nous, dit Kyô avec une manifeste angoisse dans la voix.
- Et ils n'ont plus de maîtres, analyse Kinô. Ce qui veut dire que ...
Sur l'Île de la Reine Morte, la loi du plus fort a sacré bon nombre de seigneurs noirs, et en ce jour à la chaleur écrasante, tous avaient cela en tête. Par diverses actions d'éclats, Kyô, Kinô et Ashita, bien qu'arrivés dans des intentions pacifiques, ont prouvé leur supériorité militaire sur les chevaliers noirs. Qu'un de ceux-ci soit capable d'égaler leurs forces, ce n'est à présent qu'une hypothèse peu probable que nul ne s'aventura à émettre. Les seuls à avoir la trempe de dominer cette horde de criminelle gisent, inconscients, au fond d'une grotte, et leur survie dépend, une fois de plus, des chevaliers d'acier.
Quelque chose de définitif vient de se produire.


~ 4 ~


Portes de l'enfer

Où suis-je ? Ce lieu ne ressemble pas à l'Île de la Reine Morte. Il est plus désolé encore. Je piétine de la fange, je respire de la boue. Je peine à maintenir mes paupières ouvertes, comme si une grande torpeur m'accablait.
- Jango ...
Une voix. Je reconnais la voix du gardien, Guilty, celui qui m'a pétrifié toute ma vie, celui dont j'ai fui la colère.
- Jango, tu es un imbécile.
Je réalise que je suis à genoux. Il me semblait pourtant être debout un instant plus tôt. Je lève les yeux et contemple le masque du gardien. La terreur m'abat.
- Ga ... Gardien.
J'avale ma salive. Un instant, j'ai l'impression que je ne vais pas y parvenir.
- Gardien, je ... Je ne suis pas ...
- Tu l'es, Jango. Tu es un chevalier noir.
- Non !!
J'ai crié. J'ai hurlé.
- Non, c'est faux !!
- Jango, écoute-moi. Ne pas porter une armure noire ne t'évitera pas ma colère.
- Mais pourtant ... Ce jour-là ...
- Tu te demandes pourquoi je ne t'ai pas tué ? Tu te demandes pourquoi tu es resté en vie de nombreuses années ? Ton rival, lui, l'avait compris.
Mes épaules s'effondrent. Ma fierté est défaite. Toute ma vie j'ai refusé de porter une armure, pensant me protéger du gardien. Dominer les vrais chevaliers noirs, unifier l'Île, tenter quelque chose sans risquer ma propre vie, cela paraissait facile. Mais cela était désespéré. Sylvan avait raison. En quelque sorte, il nous a tous sauvé.
Je pense aux chevaliers noirs. J'aurais sans hésiter envoyé tous ces imbéciles à une mort certaine pour avoir ne serait-ce qu'une chance sur mille de m'enfuir de ce lieu maudit.
- Je t'aurais tué le premier, si tu avais essayé, me lance le gardien, lisant dans mes pensées.
- Alors, tu vas me tuer maintenant ?
- Imbécile, tu es déjà mort.
Je regarde autour de moi. Il n'y a que de la boue, à perte de vue. Excepté, évidemment, la file de personnes qui avance vers une destination sombre avec la vitalité d'autant de zombies. Je n'ai pas envie de les rejoindre, oh non, je n'en ai pas envie. Mais partout ailleurs, il n'y a que de la fange, et à bien y réfléchir, c'est pire encore.
D'une démarche abattue, je prend leurs pas.


~ 5 ~


Sanctuaire d'Athéna, chambre du Grand Pope

- Ainsi donc l'heure est venue, tu vas purifier l'Île de la Reine Morte.
- Oui. Afin de ne pas éveiller les soupçons du chevalier d'or de la Vierge, j'ai retardé ce moment. Je pris les dieux grecs que ce ne fut une erreur, et qu'il ne soit trop tard.
- Allons donc, ne penses-tu pas t'inquiéter un peu vite ? Nous ignorons ce qu'il se passe là-bas, et rien ne prouve que le gardien ait trahit le Sanctuaire.
- Ne joue pas ce jeu-là avec moi ! Quoi qu'il advienne sur l'Île, Guilty aurait dû nous faire un rapport. Te rappelles-tu ce jour ? Suite à un cyclone pourtant éloigné de plusieurs centaines de kilomètres, une fine pluie s'est déversée sur l'Île pendant quelques minutes. L'heure suivante, nous recevions une missive du gardien, signalant le fait. Et aujourd'hui, de quoi s'agit-il ? D'une météo capricieuse ? D'un volcan qui se serait calmé deux jours de suite ? Nous parlons à présent de 'chevaliers inconnus' qui auraient investi l'Île sous le nez du gardien, et qui perturberaient les chevaliers noirs. Des rumeurs courent comme quoi ils auraient tué plusieurs seigneurs noirs. Comment prendre cela à la légère ?
- Je maintiens qu'il n'y a pas de quoi s'alarmer. Interroge-toi plutôt sur la loyauté de celui qui t'as rapporté ces rumeurs.
- J'ai pleinement confiance en lui. Et j'avais raison quand je t'ai dis qu'il fallait quelqu'un sur l'archipel pour surveiller le gardien.
- Mais enfin, nous parlons de chevaliers noirs, rien de plus ! Que crains-tu exactement ?
- Nous ne la partagerions pas, je t'accuserais de perdre la mémoire. Te souviens-tu de l'erreur que j'ai produite ce fameux jour ? Athéna, vivante, mais à ma merci. Trois enfants me font face, et moi qui leur apprend l'existence de l'Île. Ça n'a duré qu'une seconde, mais je m'en maudis encore. Des chevaliers inconnus ? Et s'il s'agissait ... d'eux. Ou plutôt, de leurs successeurs ... Athéna se prépare. Elle est faible, mais c'est une déesse. Je suis un agneau à côté d'elle. Voilà pourquoi je ne laisserais aucune ouverture, même aussi insignifiante que l'Île de la Reine Morte.
- Je n'ai de toute façon pas le pouvoir de t'en empêcher. Je ne peux qu'attendre mon heure. Car elle viendra ! Tu commences à paniquer, et tôt ou tard le monde découvrira ton existence. Et ce jour là ...
- ... je mourrais. Je sais cela. Mais je crois en la Force. Très bientôt, une guerre comme la terre n'en a jamais connu éclatera, et pour qu'il y ait l'espoir, ce monde dont tu me parles a besoin de moi. Même s'il l'ignore ...


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- C'est toi Axios ?
Le chevalier du Petit Renard se retourne. Le crépuscule étend son manteau ténébreux sur la Grèce, faisant apparaître mille ombres aux détours des chemins. Des ombres qui parfois surprennent des conversations discrète.
- Déipylos ? Je ne suis pas censé être ici, alors dépêche toi.
- Navré de te mettre dans l'embarra. Tu retrouverais mon corps demain, au moins tu saurais ce qui vient de se passer.
- Je sais cela, je ne t'ai pas blâmé. Par contre, je le ferais si tu ne viens pas au fait dans la seconde !
Déipylos a compris, mais il prend quand même quelques secondes pour ordonner les événements dans sa tête et les structurer de sorte à ce que son interlocuteur les comprennent sans ambiguïté. Et quand il commence à parler, c'est avec assurance.
- Te rappelles-tu de l'ordre que le Grand Pope a donné puis reporté il y a quelques jours ?
- A propos de l'Île de la Reine Morte ?
- Il y a du nouveau. Cet après-midi, je faisais comme d'habitude mon tour de garde à l'entrée de la chambre du Grand Pope. Le chevalier de la vierge a été convoqué, et envoyé en mission à l'autre bout du monde.
- N'allait-il pas partir de toute façon d'un jour à l'autre ? En temps de paix, les chevaliers d'or vont et viennent ...
- Ça n'aurait pas dû éveiller mes soupçons, mais dans l'heure qui a suivi le départ du sixième défenseur, c'est au tour du chevalier du Scorpion d'être reçu. L'entretien a duré moins d'une minute. Je crois avoir entendu le Grand Pope ne dire qu'un seul mot.
- Et quel était ce mot ?
- 'Maintenant'.

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Cette fiction est copyright Frédéric Ramirez et Gille Monchoux.
Les personnages de Saint Seiya sont copyright Masami Kurumada.