Chapitre 8 : Tergiversations


Damon était assis dans les jardins qui se cachaient derrière le temple d'Athéna. Il écoutait tranquillement les oiseaux chanter dans l'air plus frais qui précédait le coucher du soleil. Il savourait cet instant où la nature semble suspendre toute son activité et se préparer au sommeil de la nuit. Cette nature qui risquait dans les jours à venir de voir son activité grouillante de vie réduite à néant. L'homme avait souvent exagéré dans sa façon de se conduire, et poussé la nature dans ses derniers retranchements. Mais celle-ci avait toujours trouvé le moyen de s'adapter et de survivre. Et puis la conquête spatiale était venue, affectant la répartition des populations humaines - la Terre ne comptait plus qu'un centième de la population qu'elle avait eu à son apogée. Et la nature, en maître indulgent, avait entrepris de réparer les traces que la civilisation lui avait laissée. Mais cette fois, qui sait combien de temps il faudrait avant que la Terre ne soit de nouveau habitable? Dans sa longue vie, sur de nombreuses planètes, Damon avait assisté aux dommages que la guerre nucléaire laissait de nombreux siècles encore après elle. Et ce qui allait arriver serait encore pire.

Il soupira profondément, en proie à une colère intense envers celui par qui tout cela allait se produire. Son demi-père. Et cette force, qui si c'était ce qu'il croyait…

Un bruissement de pas dans l'herbe mit un termes à ces pensées. Quelqu'un approchait, et Damon n'avait pas besoin de se retourner pour savoir qui c'était. Mais il la laissa parler en premier.

- Tu profites de mes jardins? Cela fait bien longtemps que tu n'y as pas mis les pieds…

- Cela fait bien longtemps que je ne suis plus dans tes faveurs, Athéna, répondit-il sur la défensive. Et d'ailleurs il me semble que toi aussi tu négliges cet endroit ces temps-ci. Ca ne m'étonne pas que Zeus ait voulu reprendre le contrôle…

La Déesse parut blessée par sa remarque. Depuis toujours elle avait fidèlement protégé la Terre, et même si elle estimait que le reproche était infondé, elle ne pouvait s'empêcher de penser que Damon avait quelque part raison.

Celui-ci avait lu la peine sur le visage d'Athéna.

- Excuse-moi, je suis nerveux ces temps-ci…

- Tu n'as pas à t'excuser, tu as raison. Et je ne dois m'en prendre qu'à moi si je dois encourir ta colère… C'est de ma faute si tu n'es plus revenu depuis si longtemps. Et c'est vrai que je répugne à faire face à mes responsabilités. Le Sanctuaire n'est plus ce qu'il était.

Damon sourit, plus détendu. Il n'en voulait plus à Athéna de l'avoir repoussé comme elle l'avait fait, c'était il y avait si longtemps! Mais malgré tout, revenir sur ses terres lui avait été impossible jusqu'à maintenant.

- Le monde a bien changé depuis les temps mythologiques. Les humains qui nous craignaient ne connaissent même plus nos noms. On ne trouve trace de nous que dans de vieux livres poussiéreux que personne n'ouvre jamais. Ainsi va la vie…

- Mais notre rôle est toujours là, répondit la jeune femme.

- Oui, comme il sera toujours là… Tu crois en Dieu, Athéna? Je veux dire en un être si grand qu'il nous englobe tous, même nous. Ce Dieu auquel croient les chrétiens, un Dieu d'Amour et de Paix, le père de tous les hommes…

- Oui, pourquoi, toi pas?

- Mon père est né en même temps que cet univers, j'ai moi-même créé cette galaxie, et j'ai vu la vie y naître, prendre au fil des millions d'années la forme qu'elle a maintenant, j'ai vu les hommes naître et mourir, ce que je ne peux pas faire, je les ai vus s'entretuer pour des causes minables. Comment pourrais-je croire en un Dieu d'Amour? Comment alors que j'ai dû me battre toute ma vie pour préserver ce qu'Il aurait fait? Nulle part je n'ai vu Sa main à l'œuvre…

Il s'interrompit, cherchant ses mots. Mais Athéna ne voulait pas en rester là.

- Et pourtant… l'invita-t-elle à continuer.

- Et pourtant rien… Ou plutôt, j'ai parfois l'impression de n'être qu'un pion sur un gigantesque échiquier. Un pion qu'on déplace à sa volonté, en attendant de le sacrifier pour la prise d'une pièce plus importante… Et si tel est le cas, alors ce Dieu auquel croient les humains et ce diable dont ils ont si peur sont identiques. Rien de plus que deux joueurs d'échecs prêts à tout pour vaincre l'autre. Et les règles sont dès le départ faussées, puisqu'à la fin il ne restera qu'eux. Où serons-nous? Nul ne le sait…

- Ca ne t'a jamais empêché de te battre jusqu'ici, dit Athéna pensivement.

Damon se tourna pour la regarder. Elle le regardait avec une tendresse infinie dans le regard, et un élan de tristesse immense envahit alors le Maître des Dieux.

- Pourquoi, Athéna, pourquoi? gémit-il.

La jeune femme était debout en face d'elle, et il devait lever la tête pour la regarder. Elle lui passa la main dans les cheveux, troublée par le désir qu'elle ressentait toujours pour cet homme.

- Parce que tu as renoncé à toute émotion en embrassant ton destin, parce que tu es toi aussi un joueur d'échecs devant son plateau…

Les yeux de Damon fuyèrent son regard. Elle avait raison. Dans son monde à lui, il n'y avait pas de place pour l'Amour, la violence et la guerre avaient tout emporté au loin. Et plus rien ne pourrait y changer.

Il releva la tête, une ébauche de sourire sur les lèvres. C'était sa façon de vivre, une façon qu'il n'avait pas choisie, mais il en allait de même pour tous ses guerriers. Aucun d'eux cependant n'aurait pu se douter à quel point il aspirait à une vie normale. Et c'est pour cela qu'il laissait en général toute la liberté possible à ses guerriers, pour qu'ils puissent avoir eux ce que la Destinée lui refusait.

- Je suis né pour me battre, Athéna. Pour que d'autres puissent vivre en paix sans risquer de tomber aux mains de monstres sanguinaires. Sans risquer de voir leurs vies transformées en enfer.

- Et nous t'en sommes tous reconnaissants, tu le sais.

Damon ne répondit pas. Athéna frissonna et leva les yeux vers les étoiles.

- Il commence à faire plus frais, nous devrions rentrer, j'ai fait préparer un repas pour tout le monde.

- Athéna, il faut que je te dise une chose… Saga sera là demain.

Il avait dit cela d'une voix très basse, comme s'il redoutait sa colère.

- Cela fait bien longtemps que j'ai pardonné à Saga. Il s'est racheté envers moi.

Elle avait un petit sourire amusé en disant cela.

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Cette fiction est copyright Thomas Goffin.
Les personnages de Saint Seiya sont copyright Masami Kurumada.