Chapitre 10 : Au coeur des Souvenirs


Les deux jeunes filles venaient juste d'arriver au quai de métro, après une longue marche dans les dédales souterrains parisiens. Elles s'étaient perdues mais avaient au moins l'excuse d'être étrangères pour cela. En fait, elles arrivaient d'Allemagne et avaient décidé de passer quelques jours en France, comme pour fêter l'arrivée des premiers jours de beau temps. L'hiver leur était apparu comme interminable et elles avaient attendu avec impatience de pouvoir ressortir leurs vêtements légers et aériens qu'elles réservaient aux jours de grand soleil.
On entendit soudainement dans le tunnel noirâtre et sombre un bruit, comme un grondement, annonçant l'arrivée prochaine du métro. Ce n'était pas un son très rassurant, d'autant plus que l'atmosphère n'était pas faite pour mettre extrêmement à l'aise, bien au contraire. Tout le monde attendait patiemment debout de pouvoir monter dans l'appareil, le visage fermé, l'oeil hagard et la mine défaite... mais cela n'avait rien d'étonnant car la semaine touchait à sa fin et chacun était épuisé par ses journées de travail.
Le métro arriva, freinant devant les passagers dans un bruit strident, prouvant l'âge déjà avancé de la machine. Un homme souleva la poignée pour ouvrir les doubles portes, et les deux jeunes filles s'engouffèrent avec les autres personnes. Comme toujours à cette heure de la journée, le wagon était bondé et il était à peine possible d'esquisser un mouvement sans cogner un autre individu.
Les étrangères choisirent, par obligation il fallait bien le reconnaître, de rester debout et de s'accrocher à l'une des épaisses barres de fer installée là pour soutenir les voyageurs. Elles n'osaient d'ailleurs pas imaginer combien de personne avait pu se tenir comme elle le faisait en ce moment, alors que le métro s'embranlait pour partir à son habituel vitesse qui faisait remuer tout le wagon.
Une odeur de saleté, mélangée à la chaleur ambiante monta soudainement aux nez des jeunes filles, alors qu'elle échangèrent un regard entendu. Décidement, les transports parisiens n'étaient pas les meilleurs existants...
Le métro tourna à vive allure, faisant trembler toutes les personnes se trouvant à l'intérieur, qui se raccrochaient à ce qu'elles pouvaient.
Le bruit des freins et des roues crissant couvra ainsi le bruit de chute qui résonnait dans tous les tunnels. C'était comme si quelque chose provenant du ciel allait s'écraser dans les souterrains de Paris... Une plusation résonnait à présent clairement à toutes les oreilles, mais personne n'y faisait véritablement attention, songeant simplement qu'il s'agissait encore d'un problème du métro.
Une explosion retentit soudainement et aussi brièvement qu'elle avait résonné, ébranlant pourtant tous les voyageurs qui durent s'accrocher à leur banquette ou à tout ce qu'ils pouvaient trouver, leurs mains dérapant sur les vitres, les sièges, leurs voisins... Les freins crissèrent sur des mètres et des mètres alors que des hurlements de terreur s'élevèrent. Toutes les lumières furent coupées subitement, plongeant dans le noir absolu une partie des couloirs du métro. On entendait à présent des enfants pleurer alors qu'une voix s'élevait pour demander avec angoisse ce qui se produisait.
Mais la pulsation ne s'arrêtait pas, elle augmentait alors que le métro crissait en essayant de repartir. L'atmosphère paraissait être montée de plusieurs degrés, chacun sentant la moiteur l'envahir et le mettre encore plus mal à l'aise par rapport à l'étrange incident qui était entrain de se passer.
Le bruit de chute ne cessait pas et tout le monde retenait son souffle, mordant ses lèvres alors que tous les corps étaient agités de curieux frissons d'anxiété. Une vague de fébrilité parcourait tout le métro sans que personne ne puisse l'endiguer.
Et tout à coup, alors que le wagon s'ébranlait à nouveau à vive allure, tout s'accélera, comme pour accroître la peur déjà ancrée en chacun. Un bruit de fracas résonna contre le toit du métro, comme si des pierres du tunnels tombaient dessus, alors que la scène se produisait dans l'obscure, seulement troublé de temps à autre par les maigres éclairages accrochés dans les dédales des tunnels. Cela ressemblait d'ailleurs à des flash et l'ambiance malsaine n'en était que plus renforcée.
Un bruit s'éleva dans les airs, terrifiant, épouvantable et assourdissant. L'explosion se répandit partout, s'incrustant dans les tympans de chaque alors que le plafond du wagon volait en éclats, étant perforé par la puissance de l'impact qui arrivait.
Des hurlements. Des pleurs. Un gémissement gutturale. Le bruit du métro vacillant, manquant de dérailler. Le son de personnes projetées à terre. La lumière affluant de nouveau. Un corps.
Les deux jeunes filles étrangères, tombées à terre durant l'évènement qui avait d'étranges similitudes avec un tremblement de terre, se donnèrent un coup de cou alors que l'une d'elles essuyait les gouttes de sang qui perlaient à son front qu'elle s'était cognée, non sans une certaine violence.
-Mais qu'est-ce que c'est, Stayka? Qu'est-ce qui...
Elle vit soudainement le corps alors que son amie rampait dans sa direction, déjà prête à le secourir. Elles ne pouvaient ni l'une ni l'autre y croire... le corps d'un homme aux longs cheveux bleux, couvert de sang et de blessures gisait devant elle, alors qu'il venait juste de perforer le toit du métro! Jamais elles n'avaient envisagé que leur voyage tournerait ainsi.
-Dépêche-toi Katherina, dépêche toi d'appeler...
La voix de la jeune femme se suspendit alors que son interlocutrice tirait déjà la poignée d'alerte. Tout le monde autour d'elle avait cessé la moindre activité, suspendit son souffle pour voir comment la scène allait se dérouler. Stayka se tenait à côté du corps échoué dans le wagon, prêt à soutenir cet inconnu si toutefois il décidait de sombrer dans les limbes de la mort. L'homme tentait de prononcer quelque chose, un mot, un nom sans y parvenir mais il se raccrochait désepérrement à ces simples syllabes pour se maintenir en vie. De toute manière, il n'avait pas le choix car il sentait un froid glacial envahir peu à peu tous ses membres.
Il était épuisé et n'arrivait pas y croire, ce n'était pas possible! Il était de retour sur terre après des millénaires, du moins lui avait-il semblé, d'errance dans les dimensions. Et maintenant qu'il trouvait le moyen de s'engager dans une voie le reconduisant à la terre, il s'échouait en plein coeur d'un métro. Et puis, dans quelle ville était-il? Ou plutôt dans quelle pays?
Il ferma doucement ses yeux, comme pour se replier sur lui-même et sur ses pensées alors que deux voix de jeunes filles tentaient de le ramener à la surface. Il ne savait pas qui elles étaient, mais allait se raccrocher à elles, et se nourrir de leur envie de le voir vivre.
Le métro freina lentement, accostant à une nouvelle station alors qu'un attroupement s'était formé sur le quai et que des secours arrivaient à vive allure. Le chevalier du Verseau venait d'arriver à la station Albert Camus.


Camus

Le bruit du vent dans les arbres, une douce lumière sur mon visage, toutes les sensations que j'avais oublié il y avait de cela des siècles me revenaient en mémoire alors que je les vivais. Ou étais-je?
Je me souvenais du néant m'engloutissant sans cesse dans ses profondeurs, alors que je songeais m'éloigner peu à peu de la terre, tandis qu'une peur quasi viscérale me prenait à la gorge. Errer à jamais dans l'obscur, jusqu'à périr d'être privé de lumière, comme Hadès l'avait prévu pour toute la race humaine... je n'avais pas manqué de trouver la situation ironique.
Mais j'avais toujours su que je n'étais pas le seul à dériver et que devant et derrière moi, même si je ne pouvais nullement les entrevoir, se tenaient mes frères, et que comme moi, ils tentaient l'impossible pour retourner au lieu béni de nos naissances. Nous laissions tous, avec le peu de cosmos qui nous restait, des traînées dorées derrière nous, pour avertir les suivants de notre passage et être certain qu'ils ne se perdraient pas dans les méandres de l'oubli ou nous nous étions nous-mêmes plongés, en faisant exploser le Mur des Lamentations.
D'ailleurs, jamais je ne pourrais oublier ces quelques secondes ou nous avions enfin tous été réunis, après nous être combattus. Et je ne pensais pas qu'à nous, les chevaliers d'Or, mais aussi au courageux Seiya et à ses compagnons. Après nous être entre-déchirés au cours d'une guerre stérile, nous nous retrouvions tous réunis au nom du même idéal, celui de la paix, de la justice et d'Athéna. Même si nous savions que nous allions mourir en nous transformant en l'astre du jour, nous n'avions jamais été plus heureux qu'en ces quelques instants car nous n'avions formé qu'un. Il n'y avait plus eu de morts, de traîtres, de justes ou de mauvais, simplement des défenseurs de la déesse de la guerre, prêts à accomplir l'impossible pour obtenir ce qu'ils désiraient. Et notre ténacité nous avait permis un miracle qui nous avait valu d'interminables dérivations dans les dimensions parallèles à la nôtre.
Mais ce que nous avions réussi à faire en valait largement le prix. D'autant plus que maintenant, nous parvenions à retourner sur terre, tant bien que mal. Combien de personnes étaient arrivées sur terre avant moi? Je n'avais pas la force de repérer leurs énergies, encore mois de les identifier alors que je tournais ma tête contre mon oreiller. J'étais épuisé et tout mon corps me paraissait être transformé en coton, comme si je flottais à la dérive sur une eau paisible...
Mes yeux se refermèrent lentement, alors que mon esprit s'engourdissait peu à peu, me faisant doucement glisser dans un sommeil dont je craignais de ne pouvoir resortir. Cependant, je n'avais pas peur de la mort, j'avais beau être un homme, je ne tremblais pas devant la fin d'une vie, surtout pas de la mienne. Depuis toujours, j'avais côtoyé les disparitions subites et maintenant, je restais de glace, pour changer... mon caractère était devenu froid, car il avait bien fallu que je m'endurcisse, je n'avais guère eu le choix face à l'existence qui nous hâpait si nous ne nous décidions pas à la prendre à bras le corps.
Telle était ma philosophie, mais ce jour-là, j'étais même las de mes propres pensées. Je savais que mes songes me ramèneraient il y avait de cela bien longtemps, dans un endroit ou je n'avais pas pénétré depuis ce qui me semblait des années, mon coeur... car j'avais perdu il y avait de cela des années les clés de mon âme.

Hyoga me dévisageait de ses grands yeux bleus avec incrédulité. Il ne pouvait pas croire à ce qu'il venait de voir, alors qu'Isaak riait à côté de lui. Mon jeune disciple observait la neige que j'avais fait sortir, comme par enchantement croyait-il, de ma main. Je le regardais faire derrière des yeux impassibles, même si intérieurement, je ne pouvais m'empêcher d'esquisser un sourire devant son attitude enfantine.
-Mais... comment est-ce possible? me demanda-t-il en levant son visage vers moi tout en fronçant ses sourcils avec méfiance, comme si j'usais d'une astuce pour créer de la glace.
Je m'agenouillais, et faisais signe à Isaak de se rapprocher un peu aussi. J'attendais qu'ils se tiennent tous deux debout devant moi pour commencer à parler.
Je pris dans ma main de la neige, la filtrant entre mes doigts pour la laisser tomber à terre comme si cela n'avait été que des grains de sable. Je remarquais à cet instant que ma peau ne rougissait jamais au contact du froid, ce qui ne m'étonnait guère.
-Ce que vous venez de voir, ce que je viens de faire, se nomme "La poussière de diamant" et il s'agit d'une technique de combat capable de geler votre adversaire de façon irrémédiable.
-Et que fait-on de notre opposant une fois qu'il est glacé? demanda soudainement Issak, un doigt sur les lèvres et un air pensif sur le visage.
Je faillais me mettre à rire, mais je gardais mon sérieux, car ce n'était pas le moment de perdre ma gravité alors que je leur faisais une leçon aussi importante que celle-ci.
-Etant donné qu'il est mort, Isaak, tu le laisses ou il est. Mais il est aussi possible de le briser, comme on brise du verre. C'est à toi de choisir et cela n'a décidement pas d'importance. Pour en revenir à cette attaque, il s'agit de la première que je vais vous apprendre à maîtriser, et elle demande un effort de concentration notable.
"Evidemment, vous ne pourrez pas envoyer cette poussière mortelle avant de longs mois d'entraînement, tout comme on ne peut pas demander à un oisillon de voler dès sa naissance. Et pour parvenir à ce que je viens de faire, vous devrez découvrir en vous le Cosmos.
Isaak hocha la tête, comprenant ce dont je parlais. Le garçon aux cheveux verts et à la mine rieuse était auprès de moi depuis plus longtemps que Hyoga, et c'est pourquoi il ne s'étonnait nullement de cette technique que je venais d'employer avec une facilité qu'il jugeait cependant déconcertante, étant donné qu'il ne savait pas lui-même encore la maîtriser. Mais comme je le disais toujours, ceux qui étaient pourvus d'une détermination hors du commun finissaient toujours par obtenir ce qu'ils voulaient. Et je faisais moi-même incontestablement parti de ceux-là, tout comme Isaak, dont le caractère confiant et intrépide me séduisait sans doute bien plus qu'il ne le croyait, car je ne laissais jamais transparaître la moindre émotion.
Pour le cas de Hyoga, je ne savais trop que dire et je restais sur mes gardes. Je ne le connaissais que depuis bien peu de temps et donc, ne pouvais me permettre d'évoluer ses véritables capacités. Un point me dérangeait particulièrement chez cet enfant, sa véritable ambition. Lorsqu'il était arrivé auprès de moi, j'avais fait comme pour tous les garçons qui l'avaient précédé, et je lui avais demandé pourquoi désirait-il devenir chevalier.
Je me souvenais qu'à cette question, Isaak m'avait regardé droit dans les yeux, sans une once de peur ou d'incertitude dans la voix et m'avait rétorqué :
"Pour voir enfin la justice se répandre sur ce monde. Le jour ou la paix envahira la planète, le jour ou les hommes se donneront la main, le jour ou je verrai ce miracle arriver, je veux pouvoir me regarder dans la glace et me dire que j'ai fait parti de ceux qui ont réussi à poser une pierre à l'édifice, que j'ai été l'un des hommes défendant l'honneur et le bon droit. Pour cette raison, pour cette fierté de pouvoir un jour parler de moi sans avoir le moindre reproche à me faire, je veux devenir chevalier. Et pour moi, Athéna représente cet idéale, cette optique dans laquelle je me suis juré d'oeuvrer."
C'était sans doute la première fois qu'un enfant de six années me parlait ainsi, avec une maturité qui n'était pas sans me rappeler la sienne à son âge. J'avais posé ma main dans ses cheveux et j'avais immédiatement décidé de l'attitude que je devrais avoir vis à vis de lui. Je ne devais rien changer à la dureté inhérente à ma personnalité, au contraire, car cela mettrait à l'épreuve une détermination que je savais déjà très solide. Le caractère d'Isaak m'avait d'emblé séduit, et j'avais tout de suite su qu'il finirait son entraînement, qu'il parviendrait à s'élever au rang de chevalier.
Et puis, un jour, après que j'ai du renvoyer bien des enfants désireux de s'enfuir de cet enfer de glace, Hyoga arriva, le regard froid et dur, comme le mien, comme s'il avait déjà du s'endurcir face aux alléas du destin. Ce fut comme si un miroir me reflètait l'enfant que j'avais autrefois été, et que j'avais oublié alors que les années s'écoulaient. Son attitude, je m'en souvenais comme si cela datait de la veille, avait quelque chose de nonchalant, ce n'était pas de l'indifférence, non, mais de la méfiance, comme s'il s'apprêtait à voir quelque chose surgir dans son existence d'un instant à l'autre et qu'il se tenait sur ses gardes.
J'avais été comme lui, je ne pouvais le nier, et c'est ce qui me poussa à lui poser ma fameuse interrogation, dès qu'il se trouva dans la maison de rondins qu'il allait devoir habiter avec moi pendant de nombreuses années s'il décidait que l'entraînement lui convenait.
"Ce n'est pas pour moi que je veux devenir chevalier... évidemment, faire régner la justice sur terre est l'un de mes objectifs, mais il y a bien une chose qui m'a poussé à embrasser ce detin. Ma mère, elle repose au fond de l'océan car son bateau à couler il y a de cela un peu moins d'une année et il se trouve maintenant prisonnier sous des glaces éternelles. Et je me suis juré de la revoir au moins une fois durant ma vie... c'est pourquoi je dois acquérir la force nécessaire pour briser cette couche de glace qui fait obstacle à mon désir, et pour cela, je dois devenir un chevalier."
Je n'avais pas su quoi répondre, et l'expectative m'avait immédiatement envahi sans que je sache que penser de ce discours. Hyoga venait de me parler avec honneté, et il avait préféré me dévoiler dans l'immédiat son mobile, ce en quoi je le trouvais digne de confiance. Il n'avait pas manqué de mentionner qu'il désirait défendre la justice, mais, la quasi totalité de son discours ne concernait que sa mère.
Ce garçon avait quelque chose de determiné en lui, de froid car il avait été blessé à n'en pas douter, mais une fragilité, comme une sorte de felure intérieure transparaissait à mes yeux. Et je constatais que son entraînement le servait dans ses desseins personnels, qu'il faisait passer avant les idéaux des chevaliers d'Athéna. Et c'est ce qui m'effrayait un peu, même si je restais curieux de voir combien de temps il pourrait tenir dans l'infiniment blanc de la Sibérie Orientale que j'avais appris à aimer.
Et quand j'avais vu que Hyoga était tout aussi capable qu'Isaak de s'adapter aux frimas du climat et du destin, mon interrogation changea du tout au tout et je me demandais bientôt qui remporterait l'armure tant convoitée du cygne.

Je me tournais dans mon lit d'hôpital alors que pendant quelques secondes, je regagnais la réalité. Je tentais de m'y accrocher aussi bien que je le pouvais car je craignais de ne m'enfoncer une fois encore dans une mémoire que je n'explorai que bien rarement. Je n'étais cependant pas comme Hyoga, lié à son passé par d'épaisses chaînes, simplement, les souvenirs me mettaient parfois mal à l'aise avec moi-même. J'avais appris à rester de marbre face à chaque chose arrivant, à ne pas battre d'un cil devant le danger, la mort ou la perte d'un être cher et malgré tout, je devais avouer que sous cette carapace de dureté et de froid, il existait encore un homme capable de s'émouvoir. Mais il me semblait qu'il n'avait pas ressurgi dans mon caractère depuis des siècles et des siècles. Et finalement, cela valait mieux ainsi, car la vie m'avait appris que l'indifférence était sans doute la meilleure des armes. Car comment combattre un ennemi si l'on a de la pitié ou un quelconque sentiment pour lui?
Je soupirais alors que je sentais mes poumons déchiquetés sous la peau de mon thorax. Tout mon corps était douloureux et je n'arrivais pas à bouger alors que la fiève me faisait me débattre dans le lit ou j'avais été déposé. Par qui? Je ne le savais pas, mais sans doute était-ce par ces deux jeunes filles qui s'étaient précipitées à mon aide alors que je venais d'échouer dans un métro...
J'esquissais un sourire en repensant à l'endroit de mon atterrissage car il fallait tout de même le faire! Enfin, il existait toujours des personnes prêtes à venir en aide aux autres, et c'était pour ces dernières que je me battais, non, que nous nous battions.
Je tentais d'ouvrir mes yeux pour échapper au sommeil qui me happait de nouveau. Je ne voulais pas retomber dans ma mémoire, pas maintenant que j'avais réussi à regagner ma réalité. Je serrais compulsivement les doigts de ma main sur le drap bleu de l'hôpital pour me retenir de tomber dans le gouffre de mes souvenirs et je me relevais précipitament dans mon lit.
Depuis combien de temps étais-je dans ce centre hospitalier? Depuis combien de temps errais-je dans les couloirs de ma mémoire?
Je regardais l'état de mes cicatrices pour en juger, car j'avais une grande habitude des plaies et de leur datation. Environ une semaine aurais-je dis... c'était étrange, je n'avais pas vu le temps passé alors que je revoyais les pleines glacées de Sibérie, alors que j'entendais à nouveau les voix de mes disciples s'extasier devant leurs propres prouesses.
Je passais une main douloureuse sur mes yeux et me décidais à partie de cet endroit dans l'état ou j'étais. Je souffrais certes encore, mais nettement moins qu'à mon arrivée, et si j'étais capable de bouger comme je le faisais, cela signifiait que je pouvais bien me rendre jusqu'au Sanctuaire, ou mes frères m'attendaient.
Je me levais de mon lit et regardais par la fenêtre les rues de la ville ou j'avais attéri. Je ne savais pas encore ou je me trouvais dans le monde et pourtant, les immeubles qui s'offraient à mes yeux, les passants, l'atmosphère, tout en moi faisait ressurgir de vieux souvenirs que je tentais vainement de chasser.
Alors, dans de telles conditions, se pouvait-il que j'ai échoué, grâce à l'ironie du sort, à... Paris? Se pouvait-il que je me fusse trouvé dans mon pays natal ou je n'étais pas revenu depuis des années?
Je me décidais à aller vérifier par moi-même et me dirigeais vers les vêtements que l'on avait laissé pour moi, sans doute pour lorsque je serais en état de faire de la rééducation. Mais je n'avais pas besoin de toute cette médecine pour continuer d'avancer car ma foi me portait et me suffisait.
Et elle allait d'ailleurs être mise à rude épreuve si je me retrouvais nez à nez avec mon enfance.

Le parc Montsouris se trouvait dans le quatorzième arrondissement de Paris, et j'avais marché jusque là-bas pour pouvoir m'y promener et retrouver ce que je cherchais, une vague sensation de nostalgie. Dans mon enfance, je n'étais venu qu'une seule fois dans la capitale, avec ma mère, et nous avions fait une halte dans ce parc avant de repartir pour la Bretagne. C'était il y avait de cela si longtemps, et pourtant, il me suffisait de fermer les yeux et de continuer à marcher pour sentir encore le contact de sa main contre la mienne, sa douceur, son parfum...
Je rouvris brusquement mes paupières, de peur de me prendre trop au jeu que je venais d'inventer. J'avais cessé d'être le doux Gabriel depuis des années et des années, et il n'était plus question que cela recommence comme autrefois, comme à l'époque ou les gens pouvaient me blesser d'une phrase acerbe.
Je secouais la tête alors qu'une femme d'une quarantaine d'années me dévisagea en passant. Je soutenais son regard et elle finit par détourner les yeux lorsque j'arrivais à sa hauteur. Il était vrai que je ne devais pas avoir fière allure avec les cicatrices qui courraient le long de mon visage, mais ce n'était tout de même pas une raison pour m'observer avec hauteur.
Je tournais mon regard vers le lac rendu brillant à cause de la lumière de soleil et je voyais un enfant -ou était-ce un fantôme?- jeter du pain aux canards fendant l'eau pour venir sur le côté prendre la nourriture que les badauds voulaient bien leur accorder. J'avais fait cela mon aussi, il y avait de cela longtemps. Je m'étais amusé de la même manière avant de courir vers le vieux manège qui se trouvait derrière les grilles de fer vertes qui le séparait du chemin que les promeneurs pouvaient suivre. Rien n'avait véritablement changé depuis cette époque, du moins dans le parc, contrairement à moi, qui ne voyait plus que quelques ombres d'un passé que j'avais oublié avec difficulté au début, puis de plus en plus facilement avec les années.
Je passais mes doigts dans la grille du carroussel, comme un prisonnier entre les barreaux de son cachot. C'était une métaphore plutôt ironique selon moi...
J'observais les animaux, tentant de me souvenir lequel avais-je choisi pour faire un tour, mais je ne m'en rappelais plus, tout cela remontait à beaucoup trop loin...
j'avais l'impression que tout autour de moi devenait en noir et blanc, que mon passé prenait le pas sur mon présent et je me demandais soudainement pourquoi avais-je éprouvé le besoin de faire une halte ici avant d'aller dans une gare ou je prendrais illicitement un train qui m'emmenerait vers le Sud de la France.
Mon périple pour le Sanctuaire promettait d'ailleurs d'être long car j'allais voyager au travers de toute l'Europe dans des wagons ou je ne devrais pas me faire remarquer, ce qui allait être assez délicat étant donné mon état physique déplorable et mes plaies encore ouvertes. Enfin, j'avais connu des dizaines et des dizaines de situations beaucoup plus périlleuses que celle-là!
Je m'adossais au grillage alors que je voyais des enfants se poursuivre en hurlant, alors que leurs parents se trouvaient à quelques pas de là. Je les regardais d'un oeil impassible, me demandant simplement combien de temps cela durerait pour eux. Si l'on m'avait demandé de donner un conseil à chaque gamin du parc, j'aurais sans doute toujours prodigué le même : s'endurcir face à l'existence, devenir froid comme la glace et solide comme le roc. C'était la seule façon dont on pouvait s'en sortir, car j'avais découvert qu'il ne servait à rien de se débattre dans les liens du destin, pareils à des sables mouvants. Mieux valait ne plus bouger, rester indifférent, et tout finissait par passer.
Une légère brise vint faire danser mes deux mèches de cheveux bleus que j'avais l'habitude de faire passer par dessus mes épaules. J'étais à l'ombre du manège alors que le soleil tapait avec assez de force pour le mois de juin. J'avais appris la date du jour grâce à la montre d'un homme qui s'était tenu à côté de moi dans la rue, à un feu rouge.
Je m'accrochais un peu plus fort à la grille de ce manège, symbole d'une période oubliée, comme si elle avait été recouverte d'une fine pellicule de neige éternelle qui ne fondrait plus jamais. Car je ne pourrais plus être le même, tout comme l'oiseau ne pouvait plus voler avec une aile cassée, c'était aussi simple que cela et sans conteste aussi cruelle. Seulement, à la différence du volatille auquel je me comparais, cette blessure, cette fêlure intérieure servait mes intérêts.
J'étais un autre, j'avais oublié l'enfant, j'étais devenu un homme aux yeux de marbre et à la mine toujours grave et sérieuse. J'avais mis de longs mois pour parvenir à ce résultat que je jugeais, sans la moindre vanité car ce défaut n'entrait pas en compte dans mon caractère, à tous titres parfait. Je n'avais plus de problème, plus de contrainte, j'allais à la guerre comme d'autre allait à leur travail. Je ne regardais plus en arrière, je ne craignais pas la mort car rien ne me retenait, cependant, je n'oubliais pas ceux pour qui j'avais une réelle affection, comme Hyoga. Nous avions finalement tellement plus en commun qu'il ne le devinait.
Je lâchais enfin les grilles du manège et me décidais à sortir du parc. Il était temps que je quitte mes souvenirs, qui m'embrouillaient la vue de l'esprit plutôt qu'autre chose. Et puis, je devais retourner au Domaine Sacré, je voulais revoir mon disciple plutôt que de me laisser bercer par le son enfantin des musiques de manège. Car les notes accompagnant les rondes du carroussel ou je n'étais monté qu'une seule fois ne m'avait jamais quitté...
Et alors que je marchais vers la sortie, que je me répétais à l'envie qu'à présent, j'étais celui que j'avais décidé d'être, que je tenais le rôle que je m'étais moi-même créé, je ne remarquais pas mon ombre, qui était toujours celle d'un petit garçon.

Le bruit des trains entrant en gare, et la douleur lancinante qui courrait le long de ma jambe et qui m'empêchait de m'engouffrer en même temps que les autres passagers... c'était ainsi que commençait mon voyage pour le Sanctuaire, qui n'était visiblement pas placé sous les meilleures auspices.
Je sautais rapidement les quelques marches qui permettait d'entre à l'intérieur d'un wagon, alors que le contrôleur avait le visage tourné de l'autre côté. J'avais certes perdu la quasi totalité de mes pouvoirs, mais cela ne m'empêchait pourtant pas de garder une certaine rapidité.
Je me glissais à une place vide, à côté d'une vitre, et j'appuyais mon front contre le froid de la fenêtre. J'allais voyagé ainsi jusqu'à Marseille et ensuite, je parcourais l'Europe de trains en trains, jusqu'à accoster finalement à Athènes, ville bénite entre toutes. J'aimais cette endroit du monde, autant que la France ou la Sibérie, et peut-être même plus.
Je posais mes yeux sur le train qui se tenait sur les rails d'à côté et je regardais un panneau lumineux indiquant vers ou il se dirigeait... la Bretagne... quelle ironie. J'esquissais un sourire froid, me demandant soudainement si ce n'était pas vers cette destination que j'avais finalement envie de me rendre. Non, à mieux y réfléchir, je n'avais rien à faire là-bas, strictement rien car j'avais quitté cette région depuis des années, même si une infime partie de mon esprit restait enfermé sur les pas de mon enfance. Tout en laissant errer mon regard tout autour de moi, je constatais comme il était difficile de revoir en face le pays d'ou j'étais originaire. Je n'avais d'ailleurs jamais songé que ce serait comme cela, si... un parfum que je connaissais bien monta soudainement à mes narines.
Je me retournais de moitié, alors que la douceur odeur que je connaissais, s'incrustait dans mes narines peu à peu, comme pour y déposer le parfum de la nostalgie. C'était une femme qu'une trentaine d'années qui le portaient, mais moi, je me souvenais encore qu'il s'agissait de celui de ma mère. Elle s'embomait toujours le matin, avant de partie à son travail, et je m'amusais à la regarder utiliser ce vaporisateur en cristal qui me séduisait de par son éclat. Je rouvrais mes paupières et secouais la tête pour faire sortir de moi ces flash du passé qui revenaient me hanter comme des fantômes incapables de trouver le repos.
Le train s'embralla alors que je regardais de nouveau avec intensité le quai de la gare. Il s'éloignait de moi, enfin, c'était plutôt le contraire, alors que je réalisais que je ne reviendrai probablement plus en France avant des années. Avais-je eu raison de partir ainsi de ce pays sans même lui dire aurevoir? Je ne savais plus très bien maintenant que je partais vers l'autre bout de ma nation que je n'aurais nullement le temps de fouler puisque je sauterai directement dans l'appareil suivant. Le temps ne jouait pas en ma faveur, et c'était finalement très bien, car je ne vois pas vraiment comment j'aurais été capable de faire mes adieux à ce pays.
Je calais ma tête contre mon siège en fermant les yeux, comme si je m'apprêtais à dormir. Il fallait dire que je n'aurais pas refuser quelques minutes de sommeil tant j'étais exténué. Mais mon esprit fonctionnait beaucoup trop vite et avec trop d'ardeur pour me permettre la moindre trêve. Je soupirais silencieusement, alors que je me demandais si j'avais un jour véritablement dit aurevoir à la France, ou finalement à mes souvenirs. A mieux y réfléchir, à chacun de mes départs, je n'en avais guère eu le loisir, ou plutôt, je m'étais toujours offert l'opportunité, de ne pas avoir besoin de regarder derrière moi. Et si j'avais agi comme cela, c'était sans doute pour éviter la moindre fissure dans la carapace de glace que je m'étais confectionné.
Je battis doucement des paupières, opposant une faible résistance à la somnolance qui me prenait d'assaut. J'allais m'assoupire jusqu'à mon arrivée à Marseille,
ensuite, je reprendrais mes esprits et continueraient mon chemin.

-Il va y aller... je le sens, je ne sais pas pourquoi, mais je le sens... déclara Isaak en se relevant avec précipitation de la chaise ou il était jusqu'alors assis.
Le plat de ses mains était posé sur la table de bois qui tronait dans la vétuste cuisine de notre maison de rodins. Il avait un air particulièrement grave, qu'il prenait qu'en cas de réel problème et qui avait le mérite de m'informer que quelque chose ne tournait vraiment pas rond. Mais alors que j'étais assis devant la cheminée, à regarder le feu crépiter dans l'âtre tout en commençant l'ébauche d'une nouvelle esquisse, je n'étais décidement pas d'humeur à entendre parler d'un sujet qui me mettait dans une colère d'autant plus redoutable que glaciale.
-Isaak, reprends donc place sur ton siège, dis-je, froidement, alors que j'entendais le bruit de mon crayon lisser sur la feuille encore vierge que j'avais devant moi.
-Mais je ne peux pas... comment le pourrais-je alors que je sais que Hyoga va commettre la pire erreur de toute son existence!
Je faisais habillement tourner ma main, reproduisant ainsi la gracieuse courbure d'un des glaciers que j'avais vu ce matin. On croyait d'ailleurs souvent tous les paysages sibériens identiques, hors, chaque montagne de neige avait sa particularité, sa beauté personnelle, seulement, il fallait prendre le temps de tout regarder dans le détail, ce que bien peu de personnes étaient capables de faire.
-Calme toi, ordonnais-je sans pour autant élever la voix.
Je savais ne pas avoir besoin de crier pour me faire comprendre, et ce depuis toujours. Un ton froid et posé était finalement bien plus terrifiant qu'un hurlement strident qui n'avait que le mérite d'exciter la colère de la personne que l'on voulait faire obéir. Isaak se figea aussitôt, comprenant qu'il n'était pas le temps de plaisanter ou de m'énerver. Pourtant, le sujet dont il voulait me parler l'obnubilait puisque je le devinais derrière moi en train de serrer compulsivement ses mâchoires.
-Maître, je crois que vous ne vous rendez pas compte de la gravité de la situation... Hyoga ne sait pas... il... il est avuelgé par son propre désir de la revoir, il ne se rend pas compte que sa vie est en jeu... il nous faut intervenir, sinon, il mourra! cria Isaak alors que sa voix affolée résonnait dans toute la maison.
Je posais doucement à terre mon ouvrage et me tournais vers mon disciple, sans pour autant me lever. Je le toisais de la tête aux pieds et constatais, comme je m'en étais douté, qu'il était fébrile, anxieux, et sur le point de voir ses nerfs lui faire faux-bond. J'avais une affection particulière pour ce courageux garçon que j'avais connu dès son plus jeune âge, et de le voir maintenant adulte produisait toujours sur moi une curieuse impression. Un peu de nostalgie? Non, plutôt une certaine fierté de le voir dorénavant apte à assumer son futur statut de chevalier. Il avait la maturité nécessaire maintenant pour s'élever au rang de défenseur d'Athéna, alors que Hyoga, pour sa part, restait empêtré dans lesl iens de son passé.
-Isaak, tu devrais savoir, pour m'avoir eu comme maître, que l'énervement est loin d'être une solution.
-C'est facile à dire lorsque l'on a votre caractère, mais je crois bien que vous ne vous rendez pas compte de la situation.
-Mieux que personne, répliquai-je en me mettant debout et en me dirigeant vers Isaak.
Je le pris par les épaules, et plongeais mes yeux dans les siens. Son regard était enfièvré par la panique et je resserais plus mes doigts dans sa chair, comme pour lui transmettre de ma paix intérieure.
-Mais aussi, je m'inquiète pour Hyoga, vois-tu, seulement, nous ne pouvons rien pour lui. J'ai un ami au Sanctuaire, qui se nomme Milo, le chevalier d'Or du Scorpion, et pour sa part, il croit que chaque homme est maître de sa destinée, que celle-ci ne dépend que de lui et de ses propres aptitudes à la diriger. Il songe que les Moires n'interviennent que rarement, et qu'elles se contentent de décider du jour de naissance et de celui de la mort... je ne suis pas loin de m'accorder à son point de vue, même si je pense qu'il est des évènements auxquels on ne peut nullement échapper.
"Mais je peux te dire, qu'en ce qui concerne Hyoga, s'est incontestablement la thèse de Milo la plus valable. Je crois que si mon élève a décidé de quelque chose, il le fera. Mais sache avant toute chose que je l'ai personnellement mis en garde contre le danger que représentait cette plongée vers cette épave. Je lui ai évoqué les soucrants marins, les formations de tourbillons, mais rien y a fait. Il a pris sa décision avant mête d'avoir toutes les cartes en main et on ne peut plus le faire changer d'avis. Seulement, nous ne pourrons nullement dire que nous ne lui avions pas expliqué la gravité de ce qu'il allait faire.
"Maintenant, c'est à Hyoga de voir ce qu'il veut faire et nous n'avons plus guère à intervenir. Il est en face d'une épreuve et cela va lui permettre de tester sa sagesse et sa maturité. Mais je ne crains vraiment que les deux ne sont pas des chaînes assez lourdes ou solides pour le retenir. Il a son destin entre les mains, c'est à lui de choisir, pas à nous. Alors Isaak, sors toi cette histoire de la tête et attends de voir ce que nous dira l'avenir.
Je me tus alors que mon disciple détourna ses yeux des miens. Je ne l'avais visiblement qu'à moitié convaincu, mais je ne pouvais rien de faire plus pour lui. Hyoga était face à l'un des premiers choix de son existence, et je souhaitais de tout mon coeur qu'il fasse le bon, même si je doutais très sincèrement.
Je me souvenais que cette soirée-là, je fus rappeler au Sanctuaire par le Grand Pope pour une mission secrète et une réunion avec tous les chevaliers d'Or. Et je ne devinais pas, alors que je prenais place entre Milo et Aphrodite, quà des kilomètres de là, Isaak et Hyoga étaient pris dans un tourbillon mortel.

Je rouvris brusquement les yeux alors que j'entendais tout autour de moi les passagers se lever. Encore, un rêve... ou plutôt un souvenir. Ma mémoire revenait sans cesse me hanter durant mon sommeil et je commençais à être aussi fatigué éveillé, qu'endormi.
Et combien de fois ne vécus-je pas cet instant, durant mon voyage, ou je sautais de trains en trains pour atteindre les frontières du domaine sacré? Je revoyais mon passé et je me précipitais ensuite vers un autre wagon, pour redevenir en proie à des visions de mon passé, auquel je n'avais nullement eu le temps de réfléchir. J'avais d'ailleurs souvent l'impression que depuis la mort d'Isaak, tout s'était passé à une vitesse hallucinante, surtout pour moi, car les autres chevaliers ne l'avaient pas vraiment senti venir... bien que...
Je haussais les épaules alors que le paysage de la Grèce défilait sous mes yeux. J'en étais d'ailleurs émerveillé, car même si cette terre était arride et plutôt stérile, je la vénérais comme si elle avait fait partie intégrante de mon âme. Le Sanctuaire était ma source, et j'allais enfin le retrouver, mais sans Athéna. Je soupirais alors que je revoyais la jeune fille, que je n'avais connu que quelques secondes, juste avant qu'elle ne se tranche la gorge pour partir dans l'Hadès. Tout s'était passé si vite, et puis, nous l'avions perdu.
Je secouais la tête en songeant à sa mort, la plus injuste qu'il m'ait été donné de voir. Nous avions, et pas seulement ses chevaliers mais chaque être humain, encore besoin d'elle, seulement, les sombres ténèbres nous avaient ravi notre lumière.
Je laissais glisser mes doigts sur la vitre du train et balayais du regard tous les passagers. Comment pouvait-on être aussi innocent? Comment faisait-il pour vivre les yeux fermés, sans rien savoir de ce qui se passait réellement?
Je connaissais toutes les réponses à mes interrogations et je fis taire la voix qui ne cessait de me les poser. Cela ne servait à rien de regretter un mort, car tout était trop tard et l'on ne pouvait plus rien y faire. La mort était une fatalité pour les hommes, mais pour Athéna, c'était une véritable continuité, et je savais qu'elle reviendrait un jour, mais je ne serai plus là pour voir ce retour béni des dieux, puisqu'elle était elle-même une divinité.
Je touchais une cicatrice qui me barrait tout l'avant du bras. Elle formait une longue ligne et devait bien avoir deux ou trois centimètres de largeur. C'était sans doute l'une des plus grands que j'avais sur mon corps, et l'homme assit à côté de moi ne put s'empêcher de poser longuement son regard dessus. Il devait probablement s'interroger sur sa provenance, et je lui jetai un regard glacial qui le dissuada de me poser la moindre question. C'était en le défendant que je l'avais eu, et ce n'était pas une honte de la porter sur mon corps, mais une véritable fierté.
J'observais à présent mon reflet dans la vitre du train. Guère brillant, et pourtant, je n'avais rien perdu de mon habituelle distincition, qui rendait mon visage aussi impassible que celui d'une statue.
Depuis quand n'avais-je pas souri? Il fallait dire que je n'en avais pas souvent eu l'occasion, entre la mort d'Isaak, la rébellion de Hyoga et de ses pairs, mon combat avec mon élève, ma mort, et la bataille contre Hadès, il n'y avait en effet guère de quoi se réjouir... mais maintenant, cela allait peut-être différent. J'allais retrouver le chevalier du cygne, car je sentais son cosmos sur terre, même s'il n'avait plus que quelques poussières de son énergie. Que pourrions-nous bien nous dire que nous allions nous revoir? Quels mots seraient assez forts pour transmettre mes impressions?
Le trains s'embranla pour entrer en gare et je sursautais. J'avais réussi. Ainsi, j'étais parvenu jusqu'au Grèce, même si j'avais parfois du me traîner dans les couloirs, car je manquais de m'évanouir à cause des douleurs lancinantes qui me traversaient le corps. J'allais revoir tous les chevaliers dont le peu d'énergie restante m'avait soutenu durant tout le trajet. J'imaginais les visages de tous ces valeureux guerriers m'accueillant et je me dépêchais de descendre du marche-pied.
J'avais hâte... et pour une fois, je regardais mon avenir sans songer à la manière dont les évènements s'étaient produits autrefois. Tout cela n'avait plus la moindre importance, on s'en rendait compte lorsque l'on était mort et que, comme moi, on renaissait à une seconde existance.
Je me retrouvais dehors en quelques secondes. La brise du mois de juin vint me caresser le visage et je restais sans bouger, sans véritablement réaliser ma chance. La Grèce s'étendait sous mon regard et je sentais mon coeur sauter dans ma poitrine. J'étais retourné à l'endroit ou plongeaient mes racines... et pour la première fois depuis des mois, je ne pus m'empêcher d'esquisser un sourire.

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Cette fiction est copyright Caroline Mongas.
Les personnages de Saint Seiya sont copyright Masami Kurumada.