Chapitre 9 : Dans les Flots


La mer ressemblait à de l'huile tant sa surface était plane et parfaite, à peine ridée par le souffle langoureux de la brise. Le soleil se fondait dans les eaux profondes et tranquilles, alors que les couleurs du crépuscule se répandaient sur ce paysage, fragile miracle de la nature et pourtant, présent depuis l'éternité, depuis le commencement des temps.
On entendait pas un bruit alors que les voix d'hommes n'avaient pas leur place au coeur de cet océan probablement le plus chaud de la planète. Pourtant, quelques personnes s'y aventuraient parfois, au hasard d'une pêche ou d'une promenade sur une embarcation portée par le vent lorsque celui-ci désirait se lever, laissant les êtres à sa merci. C'était l'un des plus beaux endroits du monde, peut-être tout simplement car il était isolé, que rien ne venait troubler sa perfection. Rien sauf...
Un son, semblable à la puissance de la foudre se déchaînant sur les arbres, éclata dans les cieux avec la véhémence d'un dieu en colère. Pourtant, on ne pouvait pas apercevoir le moindre nuage. Tout parut trembler alors que des vagues se formèrent à la surface et que le bruit des flots se repércuta soudainement.
La nature se troubla, comme si l'atmosphère se révulsait, se tordait en une distortion qui permit de faire apparaître... une forme!!!!
Un point lumineux apparut dans les hauteurs célèstes alors que la mer se déchaînait soudainement en de longs rouleaux qui s'écrasaient un peu plus loin dans un bruit de fracas terrifiant. L'océan écumait alors que le bruit de la chute de l'étoile filante s'accélerait à vive allure comme s'il s'apprêtait à entrer en collision avec le paysage. Le ciel, le soleil et l'eau, ces trois entités se retrouvaient mêlées les unes aux autres alors que tout s'entrelaçait pour venir troubler les règles de l'univers. Tout semblait souffrir et...
Un corps perfora la surface de l'eau, mais bien loin de s'enfoncer directement dans les méandres de la mer, il brava les vagues, comme s'il glissait dessus sur des mètres et des mètres de distance. On avait l'impression que rien ne pouvait ralentir cette chuste vertigineuse qui se poursuivait dans l'écume des vagues. La personne, sembable à une étoile filante échouée sur terre, laissait derrière elles des trainées d'un rouge sombre, comme si son sang s'échappait par les pores de sa peau.
Un cri de douleur résonna dans cette nature, qui, malgré sa beauté, était hostile à l'âme, qui n'avait pas si la dompter. Dans cette voix, on percevait aussi une certaine rage, de vaincre cet évènement qui était entrain de se produire, autant que la destinée elle-même.
Puis, au bout de plusieurs centaines de mètres parcourus, plus rien, tout se tut, alors que le cadavre d'un homme aux immenses cheveux mauves flottaient à la surface, la tête engloutie par les flots, le dos offert à ces cieux dont il arrivait. Son sang se répandait dans l'eau et tout autour de lui, comme si une corolle écarlate venait l'entourer.
Il n'ouvrait pas les yeux, comprenant seulement que de nouveau, il ne verrait que du sombre car il sentait de l'eau le recouvrant comme la plus naturelle des couvertures. Il n'en pouvait plus, se sentait incapable de faire le moindre mouvement et pourtant, comprenait qu'il allait finalement bien y être contraint, et ce pour la bonne raison qu'il devait regagner la terre ferme. Il avait d'ailleurs du mal à y croire, car, après avoir traversé tant et tant de dimensions, il fallait qu'il attérisse dans les flots d'un océan qu'il n'avait pas encore localiser.
Son mal de tête s'accentua encore lorsqu'il se décida à ouvrir les paupières, tout en se retournant pour voir le ciel. Il donna rapidement, et avec les quelques forces qu'il lui restait, des coups de jambes pour se retrouver la tête hors de l'eau et capable de nager, si toutefois Athéna lui en prêtait la force. Il sentait tous ses os craqués, son crâne devenir lourd, presque pesant sur ses épaules dorénavant incapable de soutenir le moindre gramme. Ce voyage ne l'avait pas laissé indemne, et il aurait, à ce moment, particulièrement apprécié être réparable comme ces armures qu'on lui avait enseigné à régénerer.
Il soupira lentement, comme pour faire sortir tous les maux qui s'étaient insinués en lui par ce souffle, avant de se figer, incrédule. A ses yeux... oui, à sa vue s'offrait, le spectacle le plus grandiose auquel un être humain pouvait assister. Il était perdu au milieu de nulle part, la mer ne fixant aucune limite, pas même avec l'horizon. Le soleil jetait ces derniers feux avant de disparaître pour aller éclairer une autre partie du monde, mais pour l'instant, il se contenait simplement de transformer les cieux en palette de couleurs pastels, s'étendant du rose le plus pâle au mauve le plus tendre. On aurait dis un rêve éveillé, l'utopie de tous les peintres et des plus grands écrivains car cela procurait probablement toutes les inspirations... En tous les cas, il en avait le souffle coupé, les battements de son coeur s'accéleraient, mais il ne savait plus si c'était à cause de l'état dans lequel il était parvenu sur cette planète ou si c'était la beauté de ce monde qu'il avait cru perdre à des milliers de reprises.
Il tourna la tête pour balayer l'ensemble du paysage qui l'entourait. Ainsi, c'était cela la terre, cette terre qu'il avait voulu rejoindre par tous les moyens, s'accrochant à la vie, endurant tous les sévices et toutes les douleurs pour enfin se retrouver... là!
Des larmes de joie lui montèrent aux yeux naturellement, roulant ensuite sur son visage parfait, et courant le long des plaies qui balafraient ses joues, mais pas de façon irrémédiable. Il savait que tout disparaîtrait un jour car sa faculté de récupération était hors du commun comme celle de tous les Saints.
D'autres chevaliers étaient parvenus à rentrer avant lui, il en avait conscience puisqu'il avait suivi la voie qu'ils avaient emprunté et qu'ils avaient marqué avec des traînées de leurs cosmos, comme pour permettre aux suivants de ne pas se perdre dans les limbes de l'espace. Car c'était cela que leur philosophie, penser aux autres malgré ce que l'on endurait soit même, la seule manière de songer valable...
Mu perdit son regard violet dans le mauve du ciel. Il avait l'impression de ne jamais avoir rien vu avant ce jour. Il avait jusqu'alors toujours regardé avec ses yeux, comme tous les êtres humains, mais maintenant, il regardait le monde avec son âme, saisissant enfin tous les mystères, toute la complexité de cette nature devant laquelle il était trop de fois passé sans véritablement en saisir l'essence première. Il renaissait à l'existence, de tout son être alors qu'il faisait péniblement entrer des bouffées d'air frais dans ses poumons. Jamais rien ne lui était apparu comme plus beau et pourtant...
Il effleura du regard les eaux d'un vert turquoise ou il évoluait difficilement depuis tout à l'heure. Il se touvait probablement dans une mer chaude, l'océan indien à en juger par la couleur des flots et la chaleur alors que la température aurait du diminuer en même temps que le crépuscule.
Il remarqua qu'il n'y avait pas le moindre grain de sable à l'horizon et donc, il n'avait que bien peu de chance de s'en sortir. Il ferma les yeux pour ne pas se décourager et conserver en lui une lueur d'espoir, comme il savait si bien le faire.
Il sursauta en remarquant soudainement que son sang se répendait autour de lui, marquant de rouge la beauté des fines vagues, derniers remous de son arrivée. Cela signifiait qu'il risquait malheureusement d'attirer les poissons carnivores désireux de trouver à manger avec que la nuit ne tombe. Il sentit un frisson le parcourir alors que sa vue commençait à se troubler. Il n'en pouvait plus de songer et un vertige le prenait d'assaut, et surtout au dépourvu. Il avait besoin de tous ses sens, de toutes ses facultés physiques s'il voulait nager avant qu'il ne soit trop tard, car il se doutait bien que personne ne passerait par l'endroit ou il venait de s'écraser. Ses yeux se révulsèrent dans ses paupières alors que ses lèvres se mirent à trembler. Il éprouvait une curieuse sensation de langueur alors que peu à peu, tout se mettait à tournoyer autour de lui...
Il ne pouvait pas se laisser aller de cette façon...
Il n'avait pas le droit...
Il ne...
Il...


Shun

Je regardais Shaka méditer paisiblement à l'ombre des arbres qui bordaient l'infermerie de laquelle je ne partais plus. C'était un endroit d'ailleurs fort tranquille, car nous pouvions aussi bien y trouver repos que soutien. Et il fallait bien admettre que j'avais besoin des deux.
J'étais assis dans l'herbe qui commençait tout juste à jaunir sous les apparitions répétées de jour en jour du dieu Hélios, conduisant fièrement le char de l'astre du jour. Il n'y avait pas un souffle de vent pour venir nous déranger en ce premir jour du mois de juin.
Depuis combien de temps étais-je sur terre au fait? Je ne m'en rappelais plus mais j'avais la nette impression que je m'écrasais hier sur Star Hill, entouré de mes trois frères et alors que j'avais cru Seiya mort. Mais heureusement, il n'avait rien été de tel et je pouvais maintenant profiter de leur compagnie, même si je me sentais plus enclin ces derniers temps à aspirer à une paix telle que l'on pouvait la lire sur les traits du visage du chevalier de la Vierge. Sa plénitude me charmait et je lui enviais, moi qui était incapable de passer une nuit sans voir les visages de Thanatos, Hypnos, ou encore Hadès...
Je soupirais en m'appuyant sur un coude. J'allais bientôt partir en Sibérie. D'ici la fin de la semaine à dire vrai et cela me réjouissait. J'allais voir du pays, découvrir un endroit du monde ou je n'avais encore jamais posé un pied et je songeais sincèrement que cela ne pouvait pas me faire de mal. Cela serait peut-être comme une sorte de convalescence... je n'en savais trop rien.
J'entendis derrière moi des bruits de pas et je me retournais à demi, comme si la chaleur du soleil ralentissait tout mes mouvements. Trois hommes s'approchaient de moi, ou plutôt de Shaka. Trois chevaliers d'Or et j'avais du mal à y croire. Ceux que j'avais autrefois combattu de toutes les forces de mon âme, de mon être, vibrant de tout mon cosmos pour réduire à néant la menace qu'ils représentaient, s'avançaient d'un pas serein de mon côté. Saga, Shura et Kanon.
C'était étrange de voir les deux frères enfin côté à côte. Je me demandais ce qu'il pouvait ressentir et j'esquissais un sourire. J'avais déjà connu cette situation avec Ikki lorsqu'il était revenu sur la voie de la justice que j'empruntais déjà. Mais leur cas n'était pas tout à fait similaire étant donné le terrifiant passé qu'ils avaient l'un et l'autre...
Ils allaient me saluer de la main quand tout à coup un cri de stupeur résonna dans toute la plaine ou nous nous trouvions. Je me retournais vivement, et bondis malgré la douleur lacinante que je ressentais dans mon dos vers l'endroit d'ou cela provenait, tout comme les chevaliers qui s'élançaient à ma suite.

Shiryu se précipita vers Dohko en lâchant un cri d'incrédulité à l'instant même ou il parvint à identifier son aura. Mais comment aurait-il pu l'oublier, alors qu'elle appartenait à celui qui lui avait appris tous les enseignements qu'il maîtrisait si bien à présent et qui lui avait permis de réaliser à plusieurs reprises l'impossible.
Le chevalier du Dragon se trouvait debout, sans rien dire, laissant ses pensées vagabonder au gré de son envie alors qu'il était dans la nature, entre deux pins qui se tenaient probablement fièrement en cet endroit depuis des siècles et des siècles. Eux, malgré tous les combattants qu'ils avaient du voir partir pour ne plus revenir, n'avaient jamais bougé...
C'était seulement lorsqu'il avait entendu des bruits de pas un peu traînant qu'il s'était retourné, sortant de la brume de son esprit pour émerger enfin et découvrir... le vieux maître!
Tout son être avait vibré d'une même corde alors qu'apparaissait à son âme le visage de son professeur, qu'il ne pouvait que deviner à cause de son infirmité. Mais quelque chose avait changé en lui, par rapport à autrefois, à l'époque ou il s'était trouvé aux Cinq Pics, car en plus de dégager des ondes de sagesse comme il en avait l'habitude, on pouvait aussi ressentir une certaine fougue et une envie de vivre qui rendait le cosmos de Dohko méconnaissable.
Shiryu laissa tomber à terre les quelques feuillages qu'il avait ramassé pour se distraire, alors que l'expression de son visage changeait du tout au tout. Il ne pouvait pas y croire, pas après tout ce qu'il avait vécu, ce qu'ils avaient enduré... ils réussissaient malgré tout à se retrouver par delà les ténèbres d'ou ils provenaient l'un et l'autre! Ses mains se mirent à trembler alors qu'il sentait une boule naître dans sa gorge, comme pour l'empêcher de parler. Il porta ses mains à son visage pour se cacher les yeux quelques secondes, en une attitude qu'il avait souvent eu autrefois, mais qui ne signifiait malheureusement plus rien à présent.
En face de lui, Dohko esquissa un sourire car le même tumulte d'émotions le prenait d'assaut. C'était son disciple, non, mieux, son fils qui se tenait debout devant lui. Il avait réussi à le rejoindre, à parvenir jusqu'à cet instant béni ou il le revoyait en chair et en os, ou il pouvait le tenir dans ses bras en faisant un mouvement. Cet enfant, maintenant devenu adulte, représentait les dernières années de son existence puisqu'il s'était entièrement consacré à son entraînement qui avait donné le plus grand des résultats. Alors qu'il regardait le jeune chevalier du dragon, un vague de fierté l'ensevelit soudainement, tandis que des larmes de joie montèrent aux yeux de Shiryu.
Aucun des deux ne pouvaient croire ce qui se produisait dans ce moment suspendu car personne ne prononçait le moindre mot. Il n'y avait rien à dire en pareil cas, il fallait seulement laisser le silence porter les émotions qui se succèdaient.
Shiryu retint un sanglot alors qu'il se précipita vers Dohko avec toute la ferveur dont il était capable. Il se souvenait du moment ou il s'était tenu à côté de son maître, Hyoga et Shun devant le gouffre qui menait vers l'enfer, de la manière dont ils avaient tenté de faire éclore en eux le huitième sens, avec réussite aurait-il du préciser. Il se revoyait aussi arriver dans la salle ou le Mur des Lamentations s'élevait orgueilleusement, certain de ne pas être détruit, alors qu'il ne restait plus que les armures des chevaliers, dont celle de celui qui s'était consacré à l'élever, ou celui qu'il considérait comme le plus grand combattant n'ayant jamais existé, car il avait survécu à la dernière guerre sainte, mais aussi à celle-ci. Qu'en serait-il pour la suivante?
Dohko ouvrit ses bras à Shiryu qui se précipitait vers lui, en un geste qu'il n'avait jamais eu et qu'il n'avait jamais osé auparavant. Son disciple éclata en pleurs et le vieux-maître se rendit compte à cet instant qu'ils en avaient peut-être, l'un et l'autre, trop vécu...


Aioros

Je tentais de me redresser alors que je glissais une nouvelle fois des oreillers que la prêtresse d'Odin avait fait installer pour moi. J'étais traité mieux que je ne l'avais jamais été et j'avais le droit de goûter à un luxe que je ne soupçonnais pas même d'exister.
Hilda de Polaris... elle s'était présentée à moi comment cela, sous ce nom qui m'était inconnu, même si l'on m'avait expliqué dès mon plus jeune âge le rôle d'Asgard et de son gardien, seulement à mon époque, la jeune fille aux cheveux d'argent n'était probablement pas encore entré en fonction à cause de son trop jeune âge.
Je n'arrivais toujours pas à me faire à l'idée que je n'étais plus mort. Il fallait dire que le choc était plus que difficile à encaisser car passer de vie à trépas était quelque chose de malheureusement normal pour les êtres humains, mais exécuter les deux évènement dans l'autre sens avait de quoi retenir l'attention!
Je soupirais alors que je revoyais le monde terrifiant des ténèbres s'ouvrir à moi, alors que je venais de rendre l'âme dans des ruines proche du Sanctuaire, juste après être parvenu à confier Athéna aux mains d'un homme en qui j'avait tout de suite eu confiance. L'Hadès, le monde le plus terrifiant que je n'ai jamais vu, et que je ne verrai probablement jamais car existait-il endroit plus macabre que les prisons des enfers?
Je secouais la tête, essayant de m'éloigner de ces souvenirs qui me poursuivraient toute ma vie. J'étais fatigué de penser à mon passé et je voulais regarder l'avenir. D'autant qu'il me fallait encore accomplir un ultime effort avant de pouvoir respirer plus aisément : atteindre le Sanctuaire. J'en avais parlé à Hilda qui s'était immédiatement montrée receptive à ma requête. Cette jeune femme semblait d'ailleurs être la bonté et l'indulgence incarnée, et une nouvelle fois, sa similtude avec Athéna me sautait aux yeux. Enfin, elle m'avait fait comprendre que nous partirions le plus tôt possible et qu'elle s'occuperait de tout. Elle devait d'ailleurs déjà être entrain de prévoir les préparatifs du départ et je me sentais ridicule de ne pas pouvoir l'aider à cause de mon état de santé que je déplorais.
Et mon frère? Etait-il déjà parmi les hommes... je n'en avais pas la moindre idée mais je n'avais guère l'impression de sentir son cosmos quelque part dans le monde. Cela voulait probablement dire qu'il errait aux confins de l'univers pendant que je regardais le feu rougir l'âtre de la cheminée. Mais je savais qu'il reviendrait, fidèle à son signe du Zodiaque et incapable de détromper les gens du Domaine Sacré sur son courage et sa bravoure. Je l'avais regardé grandir dans les ombres ou je m'étais trouvé, je l'avais vu s'élever seul, et je l'avais toujours soutenu à distance, même s'il m'avait pris pour un traître, comme tout à chacun. Mais je ne lui en avais pas voulu pour cela, car ce n'avait finalement pas beaucoup d'importance puisque le Raison lui était revenue et avait effacé le mensonge dans lequel il avait vécu. Aiolia...
La porte du petit salon ou l'on m'avait installé pour que je me repose s'ouvrit soudainement et une jeune fille blonde entra. Je savais qu'elle était la soeur d'Hilda, et qu'elle se nommait Freya. Elle était déjà venue me voir à une ou deux reprises pour me parler et pour me demander de raconter quelques exploits de mon existences de chevalier au service d'Athéna. Je lui avais alors évoqué les grandes lignes de ma vie, sans rentrer dans les détails sordides qui l'auraient ennuyé et elle s'était contentée de hocher la tête tout en mettant sa main par dessus la mienne comme pour appaiser une peine que je ne ressentais plus depuis bien longtemps. Et ce geste m'avait touché au plus profond de moi, ému au possible car je me rendais compte qu'elle était la première à l'avoir eu.
-J'ai une excellente nouvelle à vous annoncer, me déclara Freya en me souriant avec bonne humeur. Hilda vous attend dans un traîneau se trouvant lui-même dans la cour intérieur du palais. Vous partez pour le Sanctuaire.

La nuit était tombée sur l'Océan Indien, le ciel ayant ainsi perdu ses couleurs pastels pour un vêtement d'étoiles qui lui sciait aussi bien. Un corps flottait à la surface, alors que d'immenses cheveux mauves se répandaient tout autour. Il n'y avait toujours pas le moindre souffle de vent alors que les heures passaient et que la vie s'échappait peu à peu de lui, son âme voulant à tout prix s'échapper de la prison de son enveloppe. Mais il n'avait plus la force de ne rien faire, de bouger, de nager en direction de quoi que ce soit et il comprenait qu'il était revenu sur terre pour rien. Oui, il avait fait tout ce voyage, traversé tous ces périls pour se retrouver au milieu de l'océan, là ou personne ne s'aventurait. Le destin s'était joué de lui d'une façon qu'il jugeait presque cruelle, même s'il ne se rebellait pas pour autant contre les Moires. Si telle était sa fin, c'est qu'il y avait une raison, une explication à chaque chose et peut-être n'avait-on plus besoin de lui. De toute manière, il savait fort bien que d'autres chevaliers étaient parvenus sur terre avant lui, et que leurs auras étaient maintenant perceptibles du Sanctuaire. Il pouvait donc partir tranquille.
Athéna... elle n'aurait pas aimé perdre un de ces chevaliers, c'était évident, et c'était d'ailleurs bien pour cette raison qu'il ne se laissait pas engloutir par le gouffre des enfers qui cherchait à le happer depuis des heures entières. Résister... braver la mort encore et encore... c'était là un exercice qui ne l'effrayait nullement mais qui le fatiguait bien plus qu'il n'aurait su le dire. De toute manière, et pour une fois, il ne pouvait rien faire par lui-même et dépendait du bon vouloir de quelqu'un, d'une âme généreuse qui passerait au hasard des flots et qui le trouverait.
Il soupira alors qu'il battit lentement des paupières. Une nouvelle fois, ses yeux devaient perdre leur couleur mauve pour adopter un bleu saphir, comme un chaque fois qu'il se trouvait être particulièrement troublé. Il ne savait pas à quoi cela était du et il n'en avait que faire. Pourquoi ressentait-il le besoin de se fixer sur un détail insignifiant dans un pareil moment? Peut-être tout simplement pour oublier que l'inéluctable marchait vers lui.
Il sentait les vagues le déporter sur le côté, doucement, le berçant, lui faisant laisser derrière lui des traînées de sang. Il ne craignait à présent plus les poissons carnivores qui auraient pu se trouver là, non, car la nuit, tout semblait plus tranquille. Il avait toujours aimé ce moment, lorsque les étoiles scintillaient pour former les dessins d'Athéna, comme il les appelait. C'était elle qui avait inventé l'astronomie dans les temps anciens, il ne fallait après tout pas l'oublier. Elle avait vraiment été la plus grande déesse existante et le serait toujours, même si dorénavant, elle reposait au coeur des ténèbres.
Il ferma les yeux, se coupant du monde à cause de ses blessures et de son épuisement.


Mu

J'avais l'impression d'être balotté soudainement, moi qui m'était laissé bercer durant des heures entières dans les flots. Mais que se passait-il soudainement?
J'ouvris instanténement les paupières pour me rendre compte de ce qui m'arrivait et je vis deux hommes, tentant de me soulever de la mer pour me poser dans une fragile embarcation de bois qui n'était pas sans me rappeler celle d'un pêcheur.
Mon esprit mit quelques secondes à analyser ce qui était entrain de se produire. On me sauvait? On me sortait de cet océan d'huile?
Je remuais la tête pour tenter de retrouver un calme qui m'était d'ordinnaire coutumier. J'étais même muni d'une personnalité parfois glacé qui avait le don de rendre mes adversaires incrédules. Enfin maintenant, je n'avais plus besoin de penser à cela, tout était fini, bel et bien terminé avec la mort de la princesse.
Je dressais l'oreille, entendant un étrange son... quelqu'un essayait de me parler mais je ne comprenais rien... quel était cette langue pour laquelle je n'avais pas la moindre affinité?
Je tentais de bouger quelque peu pour leur montrer que j'étais bel et bien en vie, malgré ce que mes nombreuses cicatrices auraient pu laisser croire. Je sentais d'ailleurs le sel qui s'était infiltré dans chacune d'entre elle, me laissant chacellant, se mélangeant à mon sang, à ma douleur. La souffrance, je préférais d'ailleurs ne pas y penser, en faire abstraction tout comme mon ami Shaka avait du le penser. Mes maux ne provenaient que de mon enveloppe et mon âme pouvait s'élever au dessus, cela ne faisait aucun doute. Il fallait que je m'accroche à cette idée avec la ferveur qu'un chevalier possède au moment de combattre.
Un caillaux de sang remonta à mes lèvres que je n'aurais pas hésité à qualifier de tuméfier mais je ne bougeais pas. Si je remuais, j'allais m'étouffer et encore plus affoler les personnes se trouvant dans la barque. Il n'était d'ailleurs que deux, comme je m'en étais douté grâce à la petite taille de l'embarcation.
J'ouvris vaguement une paupière alors que j'entendais les hommes parler. Et je vis les cieux, de nouveau fendus de couleurs claires qui annonçaient... l'aurore. Nous étions le matin et à ma plus grande surprise, je constatais que j'étais resté une nuit entière dans cet enfer de sel à la beauté meurtrière.
Maintenant, j'étais en sécurité, je le savais en me laissant porter par les paroles de mes sauveurs dont les voix étaient calmes et douces, presque pacifiques si ce mot avait convenu à décrire un ton. Je me sentais sorti d'affaire et je remerciais le destin d'avoir mis ce petit bâteau d'à peine quatre ou cinq mètres de long sur ma route... ou plutôt sur mes flots. Ce miracle, je savais que je ne le devais pas au destin qui n'avait jamais rien fait en ma faveur, mais plutôt à la seule personne à qui j'accordais ma confiance, Athéna. Elle était la seule capable d'un pareil miracle, ma déesse morte...
J'esquissais un sourire que je lui adressais. Les deux hommes qui m'avaient sauvé se ressèrent autour de moi alors que mes lèvres tentaient de formuler un mot, le plus simple qui soit et pourtant, que certains êtres humains avaient de temps à autre bien du mal à prononcer.
-Merci...
C'était tout ce que je pouvais lui dire et cela m'aidait presque à laisser son souvenir s'envoler, me séparer d'elle, car je savais que je ne pouvais pas rester attacher au passé. C'était ma manière de lui dire adieu, de la remercier au nom de tous pour ce qu'elle avait fait pour nous, et pour ce qu'elle continuait à faire par delà les ténèbres. Elle nous aidait actuellement à revenir sur terre et à déjouer les tours du destin. Saori était vraiment mon icône de paix et de justice, la gardienne de la terre et je ne saisissais toute l'ampleur de ces mots que trop tard, seulement maintenant que l'avait perdu. Quelle ironie...
Enfin, elle nous avait laissé à tous un ultime présent avant de mourir, s'enfonçant lentement dans les brumes et les limbes du royaume d'Hadès, et c'était probablement le trésor le plus précieux qu'elle n'est jamais eu. Nous avions pour héritage la terre, sa terre et celle des hommes...


Kanon

Saga... Rhadamanthe... Saga...
Tout cela tournait invariablement dans mon esprit sans que je comprenne comment sortir de ce cycle de réflexions ou je m'étais moi-même plongé. Ce n'était pas facile que de regarder sans plisser les yeux son passé, j'en savais quelque chose, et le Spectre du Wyvern allait l'apprendre à ses dépens. A moins, bien-sûr, ce qui ne m'aurait pas étonné étant donné la fidelité et la dévotion qu'il vouait à Hadès, qu'il ne décide de suivre encore la voie toute tracée par les étoiles maléfiques. Mais étrangement, cet homme me semblait différent des autres, en marge de ses compatriotes, si je pouvais les appeler ainsi, autant de part sa force physique et morale que par son intelligence pénétrante. Je finissais vraiment pas me demander comment allait-il tourner et j'attendais avec impatience de lui voir retrouver la mémoire. Aimais-je les jeux dangeureux? Probablement, mais je savais aussi que je ne craignais rien, car malgré nos convalescences l'état de nos corps restaient sinistres et plutôt pénibles à supporter. Par conséquent, aucun affrontement n'était envisageable.
Et mon jumeau dans tout cela?
Il passait avant tout, et je me concentrais actuellement sur ce qui nous avait séparé et sur l'ironie de la vie qui nous permettait de nous retrouver. Nous avions été les meilleurs, les meilleurs amis puis les meilleurs ennemis. C'était difficile à croire maintenant que nous marchions tous les deux devant les maisons du Zodiaque ou nous nous étions retrouvés durant un moment qui resterait à jamais gravé en moi. Je l'avais retrouvé, j'avais réussi à revoir mon frère enfin, après tant d'années de tourmentes. Et maintenat qu'allions-nous faire? Cette réponse, je ne pouvais pas la trouver seule, j'avais besoin de Saga pour cela. Nous ne voulions pas de silences malaisés entre nous, ni de phrases suspendues ou de mots tranchants laissés échappés au hasard d'une conversation. Et nous apprenions, alors que les heures défilaient inlassablement, que toutes ces situations étaient plus qu'impossible à éviter.
Je secouais la tête avec humeur, pour chasser ce qui faisait obstacle entre nous, sans grand succès il fallait bien l'avouer. Je ne voulais pas perdre Saga à nouveau, même si je ne l'avouais pas à ce dernier, à cause de mon caractère froid, sardonique et finalement assez pudique. Nous nous étions assez cherchés, pour ne pas nous quitter à nouveau. J'avais encore du mal à réaliser le fait qu'il soit auprès de moi, qu'il évolue à mes côtés, que je le vois marcher, sourire, parler... tout cela le plus naturellement du monde, comme si nous avions toujours été deux frères et non pas deux ennemis. Pourtant, c'était bien le même homme qui m'avait enfermé de force dans le prison du Cap Sounion.
Je fermais les yeux alors que l'odeur de l'écume des vagues me montait aux narines. Et ce goût de sel que devait prendre ma peau alors que je baignais en permanence dans cette mer que j'allais plus tard vouloir conquérir... J'avais lutté de toutes mes forces contre Saga, mais il s'était montré intraitable, n'avait reculé devant rien pour me jeter dans cette indestructible geôle ou je devais perdre lentement la vie.
Comment avait-il pu faire cela? Cette interrogation, je l'avais jugé légitime à l'époque mais maintenant je constatais que je m'étais trompé du tout au tout. Il avait du choisir entre son frère et Athéna, et à sa place, je sais que j'aurais fait la même chose. J'aurais peut-être même été encore plus loin, ne lui laissant pas la moindre chance de respirer le jour qui suivrait en l'abattant d'un seul coup, mais Saga était comparable à un dieu tant son coeur était pur et inconsciemment, c'était peut-être ma survie qu'il avait préparé en m'emmenant au Cap Sounion.
Cet endroit, il était entré dans mon corps par tous les pores de ma peau et dans mon âme car gravé comme dans de la pierre, ces jours ne s'effaceraient jamais. Ni cette trahision que j'avais commis. Et sans le savoir, alors que je pensais préparer ma revanche au coeur de l'empire sous-marin, la rage vissée aux chevilles, à la surface de la terre, Saga prenait le contrôle du Sanctuaire et commençait alors son règne de terreur... et de douleur, autant pour lui que pour les autres. Car il avait souffert, plus que moi, plus que les chevaliers de bronze, plus que tous en subissant une emprise dont il n'arrivait pas à s'échapper. L'ironie du destin avait voulu qu'il soit dans une prison semblable à celle ou son frère aurait du périr.
Saga... que lui était-il arrivé? Maintenant, il paraissait le même, mais je sentais en lui quelque chose de fendu, quelque chose de... mort. Le mot s'imposa immédiatement à mon esprit et je sentis un déchirement quand je compris que tous mes espoirs étaient réduits à néant. Non, nous ne redeviendrions jamais les mêmes, car nous avions trop perdu dans ces guerres, dans ces vies qui avaient été les nôtres et nous n'avions finalement peut-être plus rien à donner. A force de trop aimer, de trop haïr, que nous restait-il à part une immense lassitude?
La force de tout recommencer, de partir de rien pour s'élever à nouveau, pour redevenir ceux que nous n'aurions finalement jamais du cesser d'être. Nous avions peut-être finalement que juste ce qu'il nous fallait : une seconde chance. Moi, je voulais y croire.


Mu

Le sable mouillé par l'incessant roulement des vagues se collait à mon corps que l'on venait de poser à terre. Je me laisser bercer par le bruit de la mer, par ce doux grondement qui me permettait de me raccrocher à quelque chose, de ne pas partir dans ce sombre pays ou j'avais été pendant quelques heures qui m'avaient semblé former une éternité.
L'un des hommes qui m'avait reconduit tapota doucement sur ma joue, pour m'aider à reprendre mes esprits, à regagner cette plage ou nous venions de débarquer. Il parlait dans une langue que je ne saisissais guère mais ses intonations me suffisaient à saisir le message qu'il tentait de me faire passer. Il me demandait de retourner à la lumière, de me laisser guider par ses mots jusqu'à la surface dont je m'éloignais trop.
Non, je me trompais. Ce n'était pas lui qui me demandait cela, qui me traçait une voie de clarté qui m'emmenerait vers ce monde que j'avais regagné au prix de mes blessures et de mes douleurs... C'était Athéna. Ma déesse.
Elle était devant moi, je sentais sa chaleur, sa douceur, cet amour qu'elle éprouvait à l'égard des hommes m'entourer et me soulever. Elle ne voulait pas que je meurs, et pour elle, j'aurais accompli des miracles.
Je contractais soudainement ma mâchoire dans un mouvement de rage que je ne pus retenir. J'allais me hisser vers ces deux hommes qui m'avaient permis de sortir de cet océan de tourmentes et retrouver ma vaillance, mon courage et ma foi d'autrefois. Car je n'avais rien perdu des sentiments qui m'avaient animé durant mes vingt années d'existence.
J'avais cependant du mal à reprendre contact avec la réalité car tout ce que j'avais subi, tout me tirait de l'autre côté, vers les ténèbres que je ne souhaitais guère regagner. Mais j'entendais aussi un murmure, au creu de mon oreille.
"Continue, Mu, ne te laisse pas abattre, pense à tes pairs... à moi. Pour nous, accomplis ce miracle que je te rêve de voir exécuter".
En un ultime effort pour ne pas tomber dans le gouffre béant qui semblait me sourire, j'arrivais à la surface, et j'ouvrais soudainement les paupières.

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Cette fiction est copyright Caroline Mongas.
Les personnages de Saint Seiya sont copyright Masami Kurumada.