Chapitre 5 : Premiers pas


Le rire d'Eileen résonna longtemps dans la grotte. L'hilarité devait être de taille car un mince sourire éclaira les lèvres d'Elias. Quand enfin, la Grande Prêtresse parvint à reprendre son souffle, elle regarda les chevaliers d'un air ironique.

- Et bien messieurs, on peut dire que vos requêtes sont modestes. Les secrets de l'armure du Phénix, d'Andromède et la seconde armure des Gémeaux. Et qu'est-ce qui vous fait croire que vous trouverez les réponses à vos questions ici ?
- Mû nous l'a dit, répondit calmement Shun.
- Ah, ce brave Mû ! Tout d'abord, laissez-moi vous dire que s'il est possible, je dis bien possible et pas certain, que vous connaissiez un jour les secrets du Phénix et d'Andromède, il est en revanche impossible que vous repartiez avec la seconde armure des Gémeaux.
- Elle existe donc vraiment, ne put s'empêcher de demander Kanon ?
- En effet.
- Et pourquoi ne pourrais-je pas l'avoir ? Après tout, je suis le second chevalier des Gémeaux.

Eileen ne répondit pas tout de suite. Elle fixa pendant plusieurs instants son verre et but distraitement. Quand elle reprit la parole, son regard était perdu dans le vague, comme si son esprit s'était détaché de son corps.

- Je suis désolée, chevaliers, mais il n'est pas en mon pouvoir de vous répondre. Pour ce faire, il me faudrait l'assentiment du Conseil.
- Du Conseil, interrogea Saga avec intérêt ?
- Atlantide est régie par un conseil de quatre membres qui prend les décisions concernant la vie de l'île. S'ils n'arrivent pas à se départager, la Grande Prêtresse, elle-même membre du Conseil, choisira l'une des deux possibilités.
- Pouvez-vous poser la question au Conseil ?
- Je pourrais, mais je ne le ferais pas.
- Mais pourquoi ?

Eileen soupira profondément.

- Je vais vous révéler une partie de la vérité. Non ne t'inquiètes pas ajouta-t-elle très vite envoyant Elias se lever, je ne leur dirai rien de compromettant pour nous. Il y a de cela bien longtemps, un homme est venu ici. Personne ne sait par quel miracle il est parvenu jusqu'ici, mais ce n'est pas la question. Il possédait une cosmo-énergie puissante et nous n'avons pas été surpris lorsqu'il nous a annoncé qu'il était le frère jumeau du chevalier des Gémeaux. Il nous a expliqué qu'Athéna manquait en ce moment de défenseurs et nous a demandé de créer une seconde armure des Gémeaux. Sa requête nous a paru légitime et quelques jours après il repartait avec son armure.


Ce n'est que quelques temps plus tard que nous avons appris que le Sanctuaire avait été victime d'une tentative de coup d'état par le chevalier des Gémeaux, celui à qui nous avions fabriqué une armure. Le premier prêtre est allé alors au Sanctuaire d'Athéna présenter nos excuses et demander la garde de la seconde armure, arguant que son pouvoir avait sans doute perverti l'âme du chevalier. Depuis, elle repose ici, sans que personne n'ait le droit de la revêtir.

Saga et Kanon avaient écouté cette explication avec un mal à l'aise qui était allé croissant. Ainsi donc, d'autres chevaliers des Gémeaux avaient tenté de trahir le Sanctuaire. Y avait-il une malédiction qui pesait sur les défenseurs de la troisième maison ?

- Bien, vous êtes sans doute fatigués après votre voyage. Elias va vous raccompagner à votre chambre. Si vous le désirez, nous pourrons poursuivre notre conversation demain, en fin de journée. Ainsi, vous disposerez de la journée pour visiter notre cité. Un des membres du Conseil viendra vous chercher demain matin. Je vous souhaite une bonne nuit, chevaliers d'Athéna.

******

Ikki avait du mal à cacher sa stupéfaction. Rien de ce qu'il avait entrevu la veille n'avait pu lui laisser croire ce qu'il avait en face des yeux.

Aucun élément de modernité ne venait rappeler que l'on se trouvait bien au XXe siècle. Pas de voitures, ni d'immeubles gigantesques, ni d'avenues goudronnées. Mais c'était par-dessus tout le calme qui était le plus agréable à écouter. Aucune agitation ne venait perturber un tel cadre. Ikki se crut transporté loin dans le passé, à une époque où les hommes commençaient à peine à poser leur empreinte sur le sol de la planète. Il fit quelques pas, et observa les maisons. Il se trouvait au milieu d'une rue large et régulière, dont le sol était pavé de dalles. Face à lui se dressaient quelques habitations sans doute, dont l'architecture n'était pas sans rappeler celle du Sanctuaire. Mais la couleur semblait différente, tirant vers l'ocre pâle. Quelques piliers étaient visiblement faits de marbre blanc, mais ils faisaient exception. Curieusement, Ikki se sentait presque... Déçu. Il avait tant lu sur la majestuosité des bâtiments atlantes et sur leur magnificence, qu'il s'était attendu à quelque chose de plus spectaculaire. A l'heure de gloire de l'Atlantide, les édifices devaient être splendides. Mais presque tout le continent avait été englouti, et seule une poignée de survivants se cachaient sur un minuscule bout de terre, seul vestige de leur empire passé. Ikki réalisa alors qu'il ne devait pas y avoir plus d'un millier d'habitants sur l'île au maximum. Un peuple si prospère, qui avait connu un déclin si bref et si fracassant... Il chassa ces pensées de son esprit et commença à longer la rue. Cela faisait bien une heure qu'il avait quitté la hutte où il avait passé la nuit afin de trouver une piste qui puisse l'emmener vers les réponses qu'il cherchait si ardemment et il n'avait toujours rien trouvé d'intéressant. Son sang commençait à bouillir de rage lorsqu'il lui sembla entendre une rumeur, un léger brouhaha venant de quelques dizaines de mètres plus loin. " Allons, se dit-il, c'est une occasion d'en apprendre un peu plus sur ce peuple millénaire, et son mode de vie. Après tout combien d'hommes peuvent se vanter d'avoir été sur l'Atlantide ? "


Il parcourut rapidement les dalles installées par terre, pour atteindre un embranchement qui débouchait sur une vaste place.
Le marché. Malgré le petit nombre d'Atlantes, le commerce était resté monnaie courante sur l'île.
Il avança, prit le temps d'observer les étals, garnis d'aliments dont il n'aurait jamais soupçonné l'existence. De drôles de fruits, aux formes biscornues... Il était pourtant en Méditerranée, le milieu ne pouvait pas être si différent que ça ! Et pourtant... Il continua d'avancer sur la petite place, examinant les lieux. Du poisson, du pain, des céréales, des fruits, des légumes... Les quantités semblaient grandes, en comparaison de la faible surface de l'île. Pour obtenir un tel rendement, les Atlantes devaient avoir des techniques de pointe en matière d'agriculture. Mais il interrompit d'un coup sa réflexion. Il réalisa alors que le silence avait repris ses droits, et que chacun s'était tu, dévisageant l'étranger. Jamais Ikki ne s'était senti autant observé. L'espace d'un instant il faillit perdre son sang-froid, mais il se rendit bien vite compte que cela ne pourrait que le desservir auprès d'Eileen dont il avait besoin s'il voulait obtenir les renseignements qu'il voulait. Calmement il vint s'installer sur un banc, à côté d'une fontaine. Il attendit quelques instants, puis le cours normal des choses reprit. Mais Ikki savait qu'il était l'étranger. Il observa à nouveau la place de marché, qui, en fin de compte, était plutôt petite. Maintenant les gens ne faisaient pratiquement plus attention à lui et il en était soulagé. Il goûta quelques instants au confort de sa position, les yeux perdus dans le vague, songeant aux probables épreuves qui l'attendaient ici.

- Bonjour !

Il sursauta. Quelqu'un lui avait parlé. Il tourna la tête, pour tomber nez à nez avec une jeune fille à peine plus vieille que lui, qui lui souriait. Ikki fut surpris d'une attitude si accueillante, alors que personne jusqu'à présent ne lui avait adressé la parole. Et surtout, il fut frappé par la laideur de son interlocutrice. Un nez énorme, un menton exagérément avancé et des lèvres d'une incommensurable épaisseur..."la pauvre", pensa-t-il. Il se força cependant à sourire, le plus naturellement possible. Il fallait à tout prix être civil, mais dieu que cela allait être dur !!!

- Bonjour... Je m'appelle Ikki.
- Je sais, toute notre cité parle de vous et de vos compagnons. Les nouvelles vont vite, vous savez. Vous êtes les bienvenus ici, malgré ce que peuvent en dire certains. Et c'est plutôt rare que nous ayons des visiteurs... Surtout aussi beaux que toi !
- Ah... Me.. Merci...

Ikki frémit en entendant de telles paroles, et commença à regretter de n'être pas resté confortablement dans son lit, au lieu de partir à l'aventure.

- Je m'appelle Sianna.

C'était un très joli prénom, mais Ikki s'abstint de le faire remarquer à la jeune fille. Comment des parents avaient-ils pu donner un prénom si poétique à une créature si affreuse ? Et ces derniers, à quoi pouvaient-ils bien ressembler ?

- Vous êtes des chevaliers d'Athéna, n'est-ce pas ? Et vous êtes venus chercher les secrets de vos armures...
- Et pour récupérer la seconde armure des Gémeaux, en passant.

Sianna frémit à ces paroles.

- Ton ami devrait oublier cette armure. Elle est maudite. Elle ne pourra que le conduire vers le Mal, et la mort.
- Oh, je n'en suis pas si sûr. Kanon n'est pas n'importe qui. Cela dit, je ne suis pas absolument certain de pouvoir le définir comme mon ami... Mais, dis-moi, que sais-tu exactement au sujet de cette armure ?
- Peu de choses, en fin de compte. Ce qu'en disent les légendes... Je ne pourrai rien te dire de plus qu'Eileen.
- Comment vivez-vous ici ? Je veux dire... Comment fonctionne le Conseil, au juste ?
- Et bien... Il est composé de quatre membres qui prennent toutes les décisions de la cité. Eileen est la Grande Prêtresse, elle préside le Conseil.
- La Grande Prêtresse ? Mais de quel dieu ? Je ne comprends pas bien comment vous parvenez à vivre ici, reclus sur cette île, alors que le reste du monde vit à l'heure d'Internet et de la haute technologie... Je ne veux pas dire que vous êtes des arriérés, mais ce mode de vie me semble si étrange...
- Nous avons d'autres atouts, qui compensent largement les bienfaits de votre technologie... Et nous ne sommes pas des arriérés. Il fut un temps où mon peuple était le plus brillant, capable de régner sur le monde...

Son regard se fit perdu, mélancolique, et nostalgique d'une lointaine époque, qu'elle ne pouvait pourtant pas avoir connu.

- Quel genre d'atouts ?
- Tu en sauras davantage par la suite... Mais sache que nous avons notre propre "technologie". Et nous ne sommes pas si isolés du monde... Nous sommes au courant de tout ce qui se passe ailleurs. Nous pensons seulement que notre mode de vie et le vôtre sont tout à fait incompatible.
- Et toi, que fais-tu de ton existence ?
- Jusqu'à l'âge de douze ans, je suis allée à l'école. Nous avons peut-être l'air un peu... Primitifs, mais notre civilisation a acquis un formidable savoir au cours des siècles. Qui dépasse le vôtre dans de nombreux domaines.

Ikki était de plus en plus perdu. Au lieu de l'aider à comprendre, cette conversation lui embrouillait surtout l'esprit. Comment ces Atlantes retirés sur leur île, n'ayant aucun contact avec le reste du monde, pouvaient-ils prétendre le connaître aussi bien que lui ? Et s'ils disposaient de connaissances avancées, pourquoi ne pas en faire profiter les autres peuples ?

- Ensuite, j'ai arrêté l'école, et mon père me fait travailler avec lui. Il est là-bas, c'est l'homme à la barbe. Tu le vois ?

Ikki apercevait effectivement celui qu'elle désignait comme son père, debout devant un étalage de pains en tous genres.

- Dis-moi, comment, sur une si petite île, parvenez-vous à produire tant de nourriture, et de biens en tous genres interrogea Ikki en observant les vêtements, et les objets divers qui recouvraient les étals ? Je ne comprends pas, vos ressources sont pourtant minimes, sur une surface si restreinte !
- Cette île n'est pas si minuscule que tu le prétends, mais sa taille est amenuisée par le charme qui en défend l'entrée. Et je te l'ai dit, nous ne sommes pas totalement ignorants, nous avons des méthodes très efficaces... Dis-moi, tu veux que je te fasse visiter le reste de l'île ? Ce sera plus intéressant que de raconter, non ?

Ikki déglutit. Passer le restant de sa journée, seul avec une fille si repoussante... Mais ce serait certainement le meilleur moyen de découvrir cet endroit si étrange. C'est donc avec courage qu'il acquiesça sans cesser de sourire.

- D'accord.

******

L'homme longea le couloir sans un bruit, pour venir s'arrêter devant une porte de bois. Il frappa, ne reçut aucune réponse et entra. Les trois invités dormaient encore. Mais ils avaient suffisamment récupéré.

- Saga, Kanon, Shun ? Il est temps de se lever maintenant. Eileen souhaiterait vous parler à tous les trois.

Trois grognements indistincts servirent de réponse. Après quoi les jumeaux et le chevalier Andromède prirent conscience de la situation, et s'empressèrent d'obtempérer. Peut-être la Prêtresse aurait-elle quelques informations à leur fournir sur le but de leur voyage.

- Ikki est-il réveillé ?
- Il semblerait qu'il ait choisi de visiter seul notre cité, sans attendre que nous venions le réveiller. Vous le retrouverez sans doute plus tard.

Les trois chevaliers étaient prêts. Finalement, cette expédition sur Atlantide s'avérait plus tranquille qu'ils ne l'avaient cru. Malgré l'accueil au départ plutôt froid, ils semblaient à présents traités comme des invités, ce qui était plutôt bon signe.

- Je m'appelle Solagar. Eileen m'a chargé de vous conduire auprès d'elle.
- On te suit, fit Kanon.

Solagar quitta la pièce, et les trois hommes lui emboîtèrent le pas. Ils l'accompagnèrent à travers la maison, puis dehors, le long d'une ruelle peu fréquentée. Il devait être neuf ou dix heures, selon le soleil. De toute façon ils n'étaient pas pressés. Ils continuèrent leur route pendant quelques minutes, avant d'atteindre un édifice qui contrastait singulièrement avec les autres. Un temple visiblement.
Surélevé, on ne pouvait y accéder qu'après avoir gravi plusieurs dizaines de marches. Les épaisses colonnes de style grec étaient hautes, on ne parvenait à en distinguer le bout qu'avec difficulté. Derrière elles, on pouvait apercevoir les murs du bâtiment, recouverts de marbre blanc. D'immenses portes se dressaient, frappées d'un symbole qui rappelait la forme d'un trident. Au sommet des escaliers, deux énormes statues en or massif montaient la garde, représentant deux animaux mythiques aux ailes étincelantes. Mais impossible de les reconnaître. Saga était pourtant certain de les avoir déjà vues quelque part... Mais la splendeur de l'architecture n'avait rien de commun avec le reste de la cité. On était bien loin de la petite bourgade antique désormais. C'était l'Atlantide qu'ils avaient en face d'eux, la vraie. Celle qui leur avait été décrite dans leur enfance. Comme pour prouver leur pensée, Kanon et son frère tentèrent d'apercevoir le sommet du dôme qui surplombait le temple, mais peine perdue. Il avait l'air de crever les nuages.

- Ne vous laissez pas impressionner par le Temple, fit Solagar. Il faut un lieu sacré, à la hauteur des mystères qu'il recèle... Et puis ce n'est rien, en comparaison d'autrefois. Il fut un temps où nos lieux de culte dépassaient les étoiles, ajouta-t-il avec une pointe de regret. Assez bavardé. Il est temps de rejoindre Eileen.
- Attends, Solagar ! Il y a quelque chose que je ne m'explique pas. Hier soir, lors de notre entrevue avec votre Prêtresse, nous nous sommes rendus dans ce qui ressemblait surtout à une caverne. Et le village que nous avons traversé n'avait rien de la cité que nous avons découvert ce matin. Quelques masures... Il y a quelque chose d'étrange. J'ai l'impression qu'à notre arrivée, vous nous avez caché le véritable visage de votre île. Je me trompe ?
- Tu es perspicace, chevalier d'Athéna. En effet, nous n'avons pas l'habitude de recevoir des visiteurs. Mais lorsque cela survient, nous tâchons de conserver le secret de notre existence. Pour des étrangers, l'endroit où nous nous trouvons n'est qu'une île rocailleuse, sans le moindre intérêt pour qui que ce soit. Pour ceux qui parviennent à passer outre ce maquillage, ils ne découvrent ici que le visage de l'île que nous voulons bien leur montrer. Mais Eileen a estimé que vous ne représentiez pas une menace pour notre communauté, aussi pouvez-vous voir Atlantide telle qu'elle est réellement. Maintenant, si vous le voulez bien, la Prêtresse vous attend.

Les trois chevaliers acquiescèrent, et ils gravirent les marches qui le séparaient du temple. Ils pénétrèrent dans un couloir sombre, qu'ils traversèrent en silence, avant d'aboutir à une salle large et spacieuse, donnant sur un balcon.
Solagar les abandonna, tandis que les deux frères et Shun découvraient la pièce. Elle était sans commune mesure avec celle où ils avaient dîné la veille. Ici, le confort était de mise. Dans un coin, une porte s'ouvrit, laissant la place à Eileen, suivie d'Elias. Ce dernier avait toujours ce même regard, où se mêlaient colère et déception. Mais aucun de ses gestes ne trahissait les violentes émotions qui semblaient le parcourir. A peine entré dans la salle, il demanda à Eileen l'autorisation de se retirer. Celle-ci attendit qu'il ait quitté la pièce, pour adresser la parole à Saga, qui passait pour le plus commode des Gémeaux.

- J'ai appris que l'un de vos compagnons était déjà en train de découvrir l'île. C'est une bonne chose.

Elle prit une inspiration, puis repartit.
- Je sais maintenant tout ce que vous espérez trouver sur cette île. Il est vrai que nous pouvons aider Phénix et Andromède à comprendre leur armure. Mais je vous déconseille encore une fois de partir en quête de la seconde armure des Gémeaux. C'est la plus mauvaise des idées, mais si vous insistez, nous serons forcés de vous aider, en vertu d'un pacte millénaire.

Les deux frères froncèrent les sourcils. Jamais Mû n'avait évoqué l'existence d'un accord, entre Athéna et les Atlantes.

- Je sais ce que vous pensez. Mais même Mû de Jamir ignore son existence. Cependant, laissez-moi d'abord vous raconter l'histoire de mon peuple. A l'origine, notre continent était gigantesque. Il regroupait en vérité plusieurs îles, et s'étendait sur des kilomètres. Notre civilisation était brillante, et s'épanouissait déjà, alors que les vôtres étaient encore balbutiantes. Nous étions avancés en matière de technologie, et destinés à régner sur le monde un jour. Il fut un temps où nous étions en passe de conquérir la Méditerranée. Nos cités resplendissaient, notre empire s'agrandissait à vue d'œil, et rien ne semblait pouvoir mettre un terme à notre expansion.
- Et après, coupa Kanon, que cet interminable éloge de l'Atlantide commençait à exaspérer ?
- Notre population croissait à un rythme si rapide qu'il nous a fallu envoyer des colons, en quête d'autres terres à conquérir. Une île a particulièrement attiré notre attention, au cœur du Pacifique. Aucun peuple n'y avait élu domicile, et nous avons jugé bon d'y installer quelques cités. Elles se développèrent rapidement, et perdurèrent pendant des siècles.
- Il y une chose que je ne m'explique pas, fit pensivement Saga. Les Atlantes étaient, à l'origine, des adorateurs de Poséidon, non ?
- C'est exact.
- Mais dans ce cas, pourquoi les Atlantes ont-ils construit des armures aux chevaliers d'Athéna alors qu'ils étaient dans le camp adverse ?
- C'est une longue histoire, chevalier des Gémeaux, répondit en soupirant la Grande Prêtresse. Il vous faut tout d'abord savoir que les Atlantes ont toujours été un peuple pacifique. Nous avons la guerre en horreur. La mort de notre prochain est quelque chose qui nous répugne profondément. C'est pourquoi lorsque Poséidon a déclaré la guerre à sa nièce Athéna, les anciens ont été horrifiés.
- Pourquoi, demanda Shun, que ce discours intéressait au plus haut point ?
- Parce qu'ils ont compris alors que le dieu qu'ils vénéraient allait les entraîner dans toujours plus de conquêtes, toujours plus de batailles, toujours plus de morts. Alana était la Grand Prêtresse en ce temps-là. C'est elle qui a pris la décision la plus critique que notre civilisation ait jamais eu à prendre. A l'insu de Poséidon, elle est allé voir Athéna et lui a proposé une alliance. Cette dernière a accepté à condition que les Atlantes lui confectionnent des armures pour rivaliser avec les Ecailles des Généraux des Mers de Poséidon. Alana s'est engagée sur ce point et Athéna a remporté la bataille. Depuis les Atlantes et les chevaliers d'Athéna se sont engagés à venir en aide les uns aux autres.
- Mais et Poséidon ?

Eileen eut un pauvre sourire.

- Le Dieu des Océans n'a pas mis très longtemps avant de comprendre la trahison dont il avait été victime. Dans une extrême fureur il a déclenché le plus puissant raz-de-marée jamais vu depuis le Déluge. Ce raz-de-marée a provoqué l'effondrement de tout notre empire. Sans l'intervention de dernière minute d'Athéna, toute notre civilisation aurait été détruite. Elle nous a permis de conserver deux misérables morceaux, l'un en Méditerranée, et l'autre dans le Pacifique. Grâce à Alana, Athéna a pu protéger la terre, mais notre civilisation a été presque entièrement et irrémédiablement détruite...

La voix d'Eileen se tut. Saga et Shun étaient captivés par ses paroles, alors que Kanon avait paru bien moins passionné. Il se moquait éperdument de l'histoire des Atlantes et de leurs états d'âme. Il n'était pas venu jusqu'ici pour écouter des contes incompréhensibles. Il devait reconnaître qu'il n'avait pas suivi grand-chose, mais contint son irritation. Il voulait partir à la recherche de l'armure, et rien d'autre ne l'intéressait pour le moment. Le fait qu'il ait rallié le camp d'Athéna n'impliquait pas qu'il doive abandonner son caractère impatient et irascible.

- Pourquoi nous racontez-vous tout ça, Eileen, interrogea-t-il tout de même ? Quel rapport avec notre quête ?
- Lors de la création des 88 armures, il fut décidé qu'elles ne reviendraient pas toutes à Athéna. Quatre d'entre elles furent attribuées aux Atlantes eux-mêmes, mais elles et leurs propriétaires étaient à la disposition d'Athéna si celle-ci le souhaitait. Ce sont les armures de vermeil. Leur puissance varie en fonction de leur porteur, allant du niveau de bronze à celui d'or, voire au-delà. Elles sont actuellement en notre possession. Elles sont assez particulières, vous comprendrez pourquoi.
- Je ne vois toujours pas le rapport avec l'armure des Gémeaux.
- Il existe pourtant, Kanon. Toutefois, je te demanderai un peu de patience. Nous avons quelques problèmes, ces temps-ci. Les membres du Conseil se disputent au sujet d'une question assez importante. Je ne sais pas comment cela va finir, mais je ne suis guère optimiste. Vous n'êtes pas arrivés au bon moment, chevaliers. Nous sommes au bord d'un conflit, et votre venue risque de mettre le feu aux poudres. Je compte sur vous pour rester discrets.

Eileen soupira.

- Inutile de discuter plus longtemps. Bientôt nous vous aiderons à trouver ce que vous cherchez, mais vous devrez garder pour vous les informations que vous avez apprises aujourd'hui. Pour le moment, vous pouvez rejoindre Ikki, et visiter l'île.

Elle se leva, et désigna aux trois hommes la porte donnant sur le couloir par lequel ils étaient venus. L'entretien était terminé.

******

L'ensemble de la cité. C'est ce qu'Ikki avait devant les yeux, installé sur une colline. A sa gauche, une créature laide et repoussante, du nom de Sianna. Elle n'avait sans doute pas mérité pareille apparence.
Mais Ikki avait beau apprécier sa compagnie, son physique provoquait en lui ce qui s'apparentait à la plus violente des répulsions. Un sentiment de culpabilité le rongeait, car il devait reconnaître qu'elle avait beaucoup d'autres qualités. Mais impossible de la regarder en face sans avoir envie de tourner la tête dans une autre direction. Toujours est-il qu'elle lui avait permis de découvrir plus en détail cet univers insoupçonné. Il commençait à comprendre maintenant à quoi ressemblait la vie quotidienne d'un Atlante. Ce qui l'avait le plus surpris, c'était de constater que ce peuple bénéficiait de l'électricité, grâce à des panneaux solaires installés sur les toits des bâtiments. Et ils ont aussi l'eau courante, pensa Ikki. Les Atlantes n'avaient décidément rien à voir avec la peuplade primitive et ignorante qu'il avait imaginé trouver en ce lieu. Malgré le petit nombre d'habitants, le niveau de vie était largement supérieur à celui de certains pays. Et ils semblaient capables de prodiges, de la guérison instantanée à la télékinésie. Et il était loin d'avoir tout découvert, il lui restait encore tant de choses à comprendre... Mais il était venu ici dans un but bien précis, et il ne comptait pas l'oublier. Il attrapa un bout de bois mort qui traînait là, et le tourna dans tous les sens de sa main gauche, en laissant ses pensées divaguer au gré de son regard. Il rêvait. Au passé. Souvent sanglant, empli du tumulte des batailles. A l'avenir aussi. Un avenir qu'il espérait riant, mais qu'il supposait encore parsemé d'épreuves. A commencer par cette île, où tant de mystères l'attendaient. Peut-être aurait-il des réponses, et peut-être pas. Ses yeux se posèrent sur le morceau de bois qu'il continuait de tenir. Un avenir qu'il devinait en tous cas plein de surprises, bonnes et mauvaises. Soudain, les paroles qu'il entendit lui glacèrent le sang.

- Tu as une petite amie, Ikki ?

Une main se posa sur la sienne. Et un effroi sans nom s'empara de lui.
Un frisson remonta dans son dos. Il tourna lentement la tête vers la gauche, pour se retrouver face à Sianna, qui souriait d'un air confiant. Et le chevalier Phénix, qui pourtant avait connu l'Enfer sur l'île de la Mort et affronté des guerriers les plus terribles les uns que les autres, commença à entrevoir ce qu'était véritablement l'horreur.

*****

A quelques mètres seulement de là, Saga était assis sur un rocher, contemplant la mer, dont le flux et le reflux l'endormait petit à petit. Kanon et Shun avaient décidé de suivre le conseil de la Grande Prêtresse et étaient allés visiter la ville. La discussion qu'ils avaient eu avec Eileen avait été des plus intéressantes. Pourtant, plus que l'histoire, au demeurant passionnante, des Atlantes, ce qui avait retenu son attention, c'étaient les quatre armures de vermeil. Depuis plus d'une heure, il cherchait désespérément quelles pouvaient être ces armures. Il se rappelait vaguement avoir lu quelque chose dessus au Sanctuaire mais du diable s'il arrivait à mettre la main dessus. Voyons… Il y avait l'armure du Lynx, celle de la Couronne Australe, celle de la Couronne Boréale et celle… Non, rien à faire, il ne parvenait pas à remettre la main dessus. Enfin, ce n'était probablement pas très important.


Tout à coup il aperçut une silhouette, à demi cachée par les arbres. Il se mit en marche et se rapprocha discrètement du mystérieux promeneur. Traversant une clairière, il rejoignit le sentier et se tint en travers du passage, prêt à interpeller l'inconnu. Elias surgit soudain, et chacun des deux fut aussi surpris que l'autre.

- Que fais-tu ici, chevalier ? La Prêtresse t'a-t-elle autorisé à circuler librement sur nos terres ?
- Bien que cela doive sans doute t'agacer profondément, sache qu'Eileen nous a effectivement donné l'autorisation de nous promener à notre guise. Et toi, où vas-tu comme ça ?
- Cela ne te regarde en rien, chevalier des Gémeaux. Tu ferais mieux de rejoindre tes compagnons, et ton frère..
- Tu n'as pas à me donner d'ordres, Elias. Notre présence te dérange-t-elle donc à ce point ?
- Un conseil, Saga ou Kanon, qui que tu sois : ne te mets pas en travers de ma route. Tu pourrais bien le regretter par la suite. Maintenant écarte-toi. Et ne t'avise pas de me suivre !

Saga observa Elias s'éloigner sur le sentier. Quel curieux personnage... Pour une raison qu'il ignorait, Elias semblait vouer une véritable haine aux chevaliers. Un sentiment que le chevalier des Gémeaux n'avait que trop connu…

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Cette fiction est copyright Emmanuel Axelrad et Clément Baudot.
Les personnages de Saint Seiya sont copyright Masami Kurumada.