Chapitre 1 : La renaissance d'un mythe


Bluegrad, le 31 octobre 2187

Merciless écrasa d'un geste rageur son mégot de cigarette dans le cendrier de plastique, posé sur le bar devant lui, puis vida d'un trait le fond de vodka bon marché oublié dans son verre. L'intermédiaire n'était pas venu, et cela signifiait une nouvelle guerre avec les gars de la mafia russe. Avertissant de la situation les hommes de mains restés dans le bar, il resserra le col de son blouson de cuir et franchi la porte d'un pas décidé. Son père risquait de lancer un raid meurtrier d'ici quelques heures, et à ce moment là, il préférerait certainement être loin des combats, là où sa place de diplomate le plaçait généralement. Non pas qu'il ne se soit jamais battu, et ce bien qu'il n'y répugnait guère, mais sa nature prudente jouait pour beaucoup dans sa survie, là où tous ses frères avaient trouvé la mort les uns après les autres. A présent il était le dernier, et tous savaient au sein de la "famille ", qu'il était son ultime espoir…

Dehors, la neige, noire de la crasse des usines qui étouffaient la cité, avait recommencé à tomber à gros flocons, repoussant la faune des rues dans des endroits éloignés, comme si, pour un soir, la misère s'était dissimulée au regard du monde. Les mains dans les poches, il commença à remonter la rue lentement vers son appartement, la tanière ou il se réfugiait quand le monde commençait à devenir trop fou autour de lui. Toutefois, ce soir, son intuition lui disait de ne pas s'y arrêter. Etait ce à cause de ce clochard resté seul sous la neige, trop peu ivre pour être honnête ? Ou de ce rideau trop vite tiré sur son passage ? Il n'aurait put le dire, mais trop souvent son "sixième sens ", comme il s'amusait à l'appeler, lui avait sauvé la vie, pour qu'il puisse l'ignorer consciemment. Il poursuivit donc son chemin sans se retourner, dépassant la périphérie de la ville, s'enfonçant au sein du no man's land constellé de ruines, et déclaré récemment patrimoine culturel afin d'apaiser la soif des divers bâtisseurs avides de parkings. Le jeune homme aux longs cheveux roux n'était pas vraiment étranger à cet endroit, petit déjà, il aimait s'y dissimuler, passant des heures à contempler les vestiges de ce passé révolu, s'étonnant à se demander s'il avait réellement ressembler à ce que ses songes lui inspiraient. Parfois même, au contact de ces vieilles pierres, il ressentait de troublantes émotions, comme si, dans une autre vie, son existence même avait été liée à ce lieu délaissé. Pressant le pas, il dépassa une rangée de colonnes brisées, comme tranchées par le fil d'une improbable lame, puis gravit une volée de marches à demi enfouies sous le manteau neigeux, qui, ici, étrangement, n'était jamais souillé de suie. Ce n'est qu'une fois en haut qu'il se retourna pour la première fois, repérant rapidement un mouvement furtif dans son dos. Il eut à peine le temps de plonger en contrebas quand une première balle siffla à ses oreilles, suivie de prés par deux autres mieux ajustées, qui frôlèrent son épaule de quelques bienheureux centimètres. A présent le doute n'était plus permis, c'était ce soir que Pietrov avait choisi pour mettre un terme définitif aux agissements de ses rivaux. Pourtant, et il en était le premier surpris, Merciless se sentait étonnement calme, en confiance, comme s'il avait attendu cette nuit toute une vie…

Courant furtivement, il franchit le seuil d'un large porche recouvert de glace et de stalactites, s'enfonçant au cœur d'une colline qui autrefois devait être l'entrée d'un massif château de pierre, ses poursuivants sur les talons. Il descendit ainsi quelques minutes dans les ténèbres les plus totales, et finalement, irréelle, une lueur pourpre finit par se détacher au bout du tunnel, comme la promesse d'une sauvegarde divine. Etrangement, le jeune homme ne faisait pas que "voir " cette lumière, il commença à la "ressentir " à travers tout son être, froide et pourtant accueillante, éblouissante et pourtant douce, et il "sut " alors, instinctivement, ce qui se trouvait là en bas. Et alors il la vit…
D'abord, il pensa que ce n'était qu'une harpe rouge, un instrument qui l'appelait, pas avec des mots, mais par empathie : colère, douleur, joie, amitié, tous réunis en un seul et même sentiment, comme une vie, non, plusieurs vies, rejouées en un unique instant. Et derrière tout cela une autre force, terrifiante et pourtant réconfortante, empreinte d'une sagesse et d'une volonté sans commune mesure. Aucun parrain de quelque famille que ce soit, aucun chef d'état, aucun homme de main, même dans la mort, ne fut jamais plus impressionnant que cette simple aura, qui intimait le silence, juste en étant "présente ". Merciless tendis la main…

Lorsque Grichka déboula dans la grotte, ses yeux cybernétiques balayant la nuit, il n'eut que le temps de voir une forme humaine se tenant droite devant lui, n'esquissant pas un mouvement, que ce soit pour fuir ou même se défendre de quelque façon que ce soit. Un rictus sur le visage, la pensée que cet imbécile sans améliorations, ce "vieil homme ", comme ils les appelaient, ne pouvait pas le voir, l'amusa un court instant, celui qu'il lui fallu pour appuyer sur la gâchette de son PM Skorpio. L'éclair des balles déchira le voile de l'obscurité, révélant l'espace d'une demi seconde un être revêtu d'une armure aux reflets rouges, qui… les esquiva !
L'homme de main s'attendait à tout sauf à ça, de sa vie, il n'avait jamais vu personne, même pourvu des meilleurs systèmes de réflexes améliorés, éviter les coups d'une arme à feu. Surpris, il lança un tir de barrage ciblé devant lui, tous ses capteurs en éveil. Mais encore une fois, rata sa cible. Puis un sifflement aigu retentit à sa gauche, comme celui d'une lame fendant l'air… Ses réactions renforcées par la machine ne furent pas suffisantes pour esquiver les fils tranchants qui se refermèrent sur lui en moins d'une seconde, lui coupant la respiration, entaillant ses vêtements blindés comme s'il s'agissait de simple coton. Puis une voix s'éleva, mélancolique, bien que teintée d'une note triomphante : " Ecoute bien mon ami, tu est le premier à l'entendre depuis plus de cent années, ce morceau s'intitule le requiem de jade, et il va t'accompagner dans la mort… ".
La mélodie fut jouée, et à la dernière note, comme il en avait toujours été, sauf pour un héros de jadis, Grichka plongea au sein du puits jaune du royaume des morts…


Rencontres...

L'homme frotta ses lourdes mains, transies de froid, l'une contre l'autre, et posa sa hache le long du tronc de l'arbre qu'il s'apprêtait à abattre. C'était un homme du Nord, un bûcheron, que des années de vie dans la rigueur du climat Asgardien avaient rendu aussi dur que la terre de son pays. La trentaine passée, une barbe et de longs cheveux déjà grisonnants, encadraient un visage qui n'avait pas encore tout perdu de l'éclat de la jeunesse.
Reprenant son souffle, bercé par le son du vent dans les branches des arbres de la forêt, il leva les yeux un instant vers le ciel qui déjà s'obscurcissait, souriant au soleil couchant, ignorant que c'était là la dernière fois qu'il pourrait le faire en tant que mortel.

Le changement se fit lentement, comme si son esprit simple, d'un coup, s'ouvrait à un nouveau degrés de conscience, comme s'il sortait, après tant d'années, d'un long songe paisible, pour retomber dans les souvenirs violents des centaines de guerres passées. Portant sa main à son front, il vacilla un instant, prêt à s'écrouler, puis ses forces revinrent tandis que son regard se durcissait. Les images continuèrent d'affluer, parfois comme des flashs, souvent comme des scènes entières d'autres existences : un homme blond et fier un marteau à la main, une assemblée de guerriers écoutant une femme aux cheveux clairs debout devant un trône vide, un enfant portant une armure de cristal, une forteresse de glace hors du temps…et un nom : Odin, son nom. Se redressant, son aura luisant désormais dans la pénombre, il se mit en marche, abandonnant sur place la vie de cet homme qu'il ne connaîtrait jamais, et dont le souvenir s'effaçait déjà…

Un court instant après, il se trouvait au cœur d'une cité de ruines, une forteresse qui autrefois s'était élevée fièrement pour régner sur la moitié du monde. Partout, ne restait que désolation, une fois ses guerriers morts et leur maître disparu, nul n'avait souhaité rester ici, tous étaient partis, attirés par la promesse d'une vie plus facile, loin de cette terre maudite qui pourtant avait été celle de leurs ancêtres. Néanmoins, une présence était encore là, faible, presque aussi forte que l'aurait été celle d'un loup affamé ou d'un petit animal, une présence pleine de douceur, mais emplie d'un désespoir poignant, même pour lui dont l'humanité n'était plus qu'un lointain souvenir. Il contourna le large pan du mur effondré de ce qui avait dut être un large couloir à colonnades, et déboucha dans les restes d'une immense salle au plafond disparu, ou la terre nue avait remplacée les dalles de granit. Ce qu'il vu en y entrant, ce fût les croix d'un petit cimetière à moitié enterré sous la neige, puis une forme humaine, agenouillée prés de l'une d'entre elles. Le tout respirait la paix et la mélancolie, et sur l'une des tombes improvisées, il put même discerner quelques fleurs commençant à poindre hors du manteau neigeux. Continuant sa route, il laissa errer son regard sur les noms gravés dans le bois : Thor, Fenrir, Syd, Bud, Hagen, Mime, Siegfried…

"excusez-moi monsieur, mais, qui êtes vous ? "

La femme qui s'était levée, et qui à présent fixait le jeune dieu, devait avoir plus de cent années, mais son regard, encadré par une masse de cheveux blonds bouclés, semblait toujours être celui d'une enfant. Odin se contenta de la dévisager en silence, et soudain, comme si elle le reconnaissait, la vieille femme fondit en larmes, se laissant tomber au sol, laissant entrevoir par-dessus son épaule le nom : Hilda de Polaris, gravé sur la tombe derrière elle.

Puis la voix puissante du dieu retentit, reprise en écho à travers toute l'antique forteresse : " Longtemps tu as attendu ici, Prêtresse Flamme, mais aujourd'hui, ta tâche touche à son terme, bientôt, tu pourras te reposer, et t'allonger ici à ton tour. N'est ce pas là ton souhait le plus cher ? ". Elle redressa la tête, et calmant ses larmes, fixa son regard sur la tombe aux fleurs nouvelles nées. " Oui seigneur, je suis las de cette vie, et n'aspire qu'a retrouver dans la mort le seul homme qui m'ait vraiment aimée. ". Odin hocha la tête, comme pour donner son accord, puis repris : " Mais, tu dois le savoir, avant cela, tu dois m'amener celle qui te succédera. Ce n'est qu'après, que j'accéderais à ta dernière demande. ".
" Je le sais seigneur, je le sais… ", répondit elle avec un léger sourire, avant de se retirer en hâte. Et derrière elle, comme si le temps n'avait plus aucune importance, les vieilles pierres, une à une, mues par la volonté divine, commencèrent lentement à reprendre leurs places…

***

Laissant le corps de Grichka là où il était tombé, Merciless avait précipitamment quitté la grotte, ce qui lui avait d'ailleurs permis de se rendre compte de la vitesse fulgurante dont il était devenu capable, malgré le poids imposant de sa nouvelle armure. Au début, il avait cru rêvé, pensant que celle ci n'était qu'un ce ces prototypes révolutionnaires d'exo armures vendues à prix d'or par la Graad Corporation, mais il avait dut rapidement se rendre à l'évidence, il n'en était rien. Le jeune homme s'y connaissait peut être peu en technologie, mais les nouvelles capacités qu'il possédait : cette rapidité, ces fils tranchants qui étaient partis de sa lyre, comme vivants et doués d'une volonté propre, cette facilité qu'il avait désormais développée pour la musique, tout cela ne pouvait venir d'un simple gadget, aussi perfectionné soit-il. Et puis, ces mots qu'il avait prononcés, des mots qui n'étaient pas les siens… A présent, assis sous un ponton du port, l'armure posée à ses côtés ayant repris sa forme originelle, Merciless, perdu dans ses pensées, regardait avec amertume les vagues se briser sur les morceaux de glace de la berge, quelques mètres plus bas. Puis, comme pour le couvrir de son manteau, la neige noire se remit à tomber, emportée par le vent glacé, recouvrant lentement Blugrad. S'étendant contre le mur taggué derrière lui, il sortit une cigarette tordue de son paquet, la protégeant du vent de ses mains avant de l'enflammer. Tant de souvenirs étaient remontés à la surface, comme le corps de son frère aîné, repêché ici quand il n'avait encore que 13 ans, ou celui du visage d'un homme moustachu l'entraînant au combat dans la cour d'un château disparu. Tenant la harpe d'une main, il la détailla du regard, laissant ses doigts courir sur le cadre, puis les cordes, comment un si bel instrument pouvait-il semer la mort ? Il la reposa d'un geste dans la neige prés de lui, tirant sur sa clope comme pour conjurer le maléfice, la tête emplie de questions sans réponses…

"excuse-moi, je peux m'asseoir ici ? ". Merciless failli s'étouffer avec sa fumée tant la voix de la femme le surpris. Lui qui était l'un des membres les plus vigilants de sa famille, ne l'avait pas entendu approcher. Mettant cela sur le compte de ses réflexions, il la dévisagea néanmoins un instant : de longs cheveux blonds tombant en dessous de la ceinture, mais visiblement sales et humides, un visage attrayant aux yeux bleus fuyants, un manteau de cuir long retombant sur des vêtements de tissus noirs, portés par-dessus une jupe courte et des bas déchirés, le tout terminé par des bottes aux énormes semelles. Bref, le parfait top model goth de la rue…
"heu, c'est oui ou non, parce que là tu vois, il neige ! ". Elle leva le doigt au ciel pour souligner sa phrase, et Merciless, un peu gêné, lui fit signe qu'elle pouvait rester, sans même se soucier de dissimuler son armure.
" Wow, t'es un de ces nouveaux mercenaires là, avec des armures de dejantés ! " Lança t'elle en la pointant du doigt. Puis, devant son silence, elle abandonna rapidement le sujet pour tomber dans la contemplation des plaques de glace s'entre choquants à quelques mètres de là. Le jeune homme en profita pour retomber dans ses pensées. Si Pietrov avait tenté de l'éliminer, c'est qu'une grande offensive venait d'être lancée, et en ce moment même, peut être se battait-on dans le manoir de son père. Il se rassura en se disant que les protections de la maison étaient parmi les plus efficaces qui soient, tous en sachant pertinemment que tôt ou tard il devrait aller faire son "rapport " sur l'incident de ce soir. Jetant un coup d'œil à la fille, il vit qu'elle n'avait pas bougé, resserrant son manteau sur elle pour tenter d'y glaner un peu de chaleur. Machinalement, il lui tendis son paquet de cigarettes. " Non-merci, je ne fume pas. ", Répondit-elle avec un sourire en agitant la main.

" Ho, je vois, moi qui t'avais prise pour une fille de la rue " déclara t'il sans même la regarder.
" Tu décide bien vite de ce que sont les gens je trouve, comment peut-tu savoir qui je suis et d'où je viens ? Toi-même, le sait-tu ? ", Répondit-elle en désignant l'armure du menton. Sa question resta un instant en suspend, comme accrochée aux derniers flocons tombant lentement autour d'eux…
"je sais qui je suis, mais ça, non, je n'en aie aucune idée. ". Merciless lança son mégot dans l'eau, ou il s'éteignit en grésillant. La fille soupira, montrant un point lointain dans le port, d'où surgissait une sorte d'antenne rouillée. " Avant, la mer s'arrêtait la bas, juste derrière ce bout de métal. Dans quelques mois, je pense que cet endroit lui aussi se retrouvera immergé. ". Sa remarque le surpris, mais il se contenta de hausser les épaules. " Oui, il faut croire que rien n'est éternel, le monde change, c'est comme ça, l'on n'y peut rien.
- Alors voila ta défense, le fatalisme...
- Chacun survit comme il peut, c'est aussi simple que ça. ".

La jeune fille se releva en s'époussetant et jeta un œil rapide au ciel. L'averse de neige s'était calmée, et à travers les nuages, il était même désormais possible de discerner quelques rares étoiles. Sans un mot, elle s'abaissa pour passer sous la poutre du ponton, et partit sans un mot. Merciless n'essaya même pas de la retenir, et elle disparue bientôt de sa vue, avalée par les ombres de la ville. Il resta encore quelques minutes, seul au bord de l'eau encombrée de détritus, puis décida qu'il était temps de rentrer chez son père. Enfilant son armure, il se mit aussitôt en route, la tête comme prête à exploser sous le nombre croissant de ses interrogations…

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Cette fiction est copyright Guillaume Monteil.
Les personnages de Saint Seiya sont copyright Masami Kurumada.