Chapitre 2 : L(e des)espoir


Froid.
Très froid.
On aurait dit un froid généré par Hyoga.
Chaud. Flammes.
Seules celles du phoenix auraient pu rivaliser avec cette chaleur.
Je suis consciente de ce qui m'arrive. Sur Terre, on aurait appelé ça un " état de choc ". Aux frontières de mon esprit, je me suis demandée ce que cela aurait donné pour qualifier ça à l'échelle divine.
Pas le temps.
Je dois maîtriser mon corps, ce corps humain qui se dérobe.
Malheureusement, mon cosmos divin semble aussi me faire défaut.
Concentre toi. Calme toi. Ne pense qu'a ça.
Si tu veux qu'ils vivent…

Les yeux d'Ikki viennent de s'entrouvrir.
Son retour à la réalité, il l'a déjà pas mal entamé. L'explosion ne l'a pas pris par surprise, contrairement aux autres. Après l'océan de sensations, il a été capable de se frayer un chemin vers son intelligence. Un semblant de cosmos s'est fait jour en lui.
Il est couché non loin du caveau, en plein centre d'Ellision, le joyau des Enfers. Il sait que Shiryu et Hyoga sont prés de lui, il peut aussi sentir la respiration calme de son frère dont le corps repose en travers du sien.
Il sent une personne qui se débat. Et qui lentement reprends le dessus. Ah ça, c'est le cosmos d'Athéna.
Reconnaissable entre mille. Mille fois salvateur, mille fois ressenti en tout point de la bataille.
Elle est en vie.
L'âme du phœnix s'apaise.
Sa déesse a survécu. Elle a vaincu. Serait il permis d'espérer enfin ?
Ses yeux sont ouverts, ses pupilles s'adaptent à la lumière déclinante.
Ils cherchent ceux de son ami, en esquissant un sourire. Il ne s'est pas trompé, Shiryu est en aussi mauvais état que lui. Ses longs cheveux noirs, qu'il porte toujours libres sur ses épaules sont poisseux de sueur et de sang. Et pas étonnant à ce qu'il ait eu du mal à ouvrir les yeux, avec cette arcade sourcilière fendue.
Le Phœnix ne désire rien d'autre que de s'attacher aux yeux de son frère d'armes et de douleur. Il demeure pourtant interdit par l'angoisse qu'ils reflètent.
Il sait que bientôt, ses propres yeux risquent de refléter la même émotion.
Car même lui ne sait pas.
Et en un sens, il redoute de savoir.

Vous savez quoi ? Je n'aurais jamais imaginé, même dans mes rêves les plus fous, que ma fin survienne un jour. Et même si, dans le pire de mes cauchemars, j'aurais eu à mourir, j'aurais plutôt imaginé Zeus, ou encore Poséidon, ou peut être même un ancien dieu me portant le coup fatal.
Mais sûrement pas un humain.
Non, je ne suis toujours pas parti, même si de seconde en seconde, mon cosmos s'amenuise. Je sais maintenant ce par quoi passe la mort d'un dieu, si on lui laisse le temps de l'analyser, bien sur. C'est une perte des sens. J'aurais bientôt perdu mon neuvième sens. Si je continue à régresser comme ça, il ne m'en restera bientôt que cinq.
Et je mourrais comme un banal humain.
Qui l'eu cru ? En tout cas, j'aurais bien été le dernier à le croire, si on m'avait raconté une fable pareille.
En tout cas, il me semble que je ne vais pas partir seul. Elision commence à partir, lui aussi. Son effondrement suivra graduellement le mien. Et chacun des êtres qui le peuple, vivant ou mort, partira avec moi.
Ça ne fait aucun doute.
Je continue bien malgré moi à lire les pensées de ceux qui m'environnent. Et c'est de ces pensées que je tire ma certitude.
Leur destin les attend tous ici, homme, ou dieu. Il eu mieux valu qu'aucun d'eux ne se réveille.
Athéna ?
Elle a réussi à reconquérir son unité avec son corps, sa fusion qui fait de chacune de ses réincarnations un événement. Mais de son cosmos divin, il ne palpite pour l'instant que quelques lambeaux. Il lui sera impossible de récupérer suffisamment pour espérer partir d'ici avant que le chaos ne se déchaîne.
Même seule.
Ses pensées, sans que je me l'avoue vraiment, me touchent.
Les quatre humains fraîchement délivrés ?
Eux ne peuvent que très peu bouger. Pour l'instant, deux d'entre eux rassemblent leurs forces pour se relever. Mais je doute que, même en combinant les forces qui leur reste, ils soient capable de contrecarrer leur destin.
Leurs pensées sont focalisée sur trois points distincts : le Terre, Athéna, et…
Quand a ce Seiya…
Je ne ressens plus rien de lui.

Ce froid aurait du lui être familier.
En tant que maître incontesté du froid capable d'atteindre le zéro absolu sans peine, chaque température, chacun de ses effets sur l'environnement constituait pour lui une langue, un dialecte qu'il était peut être le seul à parler, mais qui constituait une facette de ce dialogue avec son cosmos.
Mais ce froid là était différent.
Il était de l'espèce de ceux qui vous broie le corps. Il était de ceux qui vous conduisent doucement vers la mort.
Mais de cela, il n'est pas question. Il lui faut revenir. Ce froid est une autre bataille qu'il lui faut gagner.
S'il est encore capable de sentir, c'est sans conteste qu'il est en vie.
Malgré la peur. Malgré la douleur.
Il le faut. Pour sa mère, Cristal, Camus, Isaak. Pour Athéna, Shiryu, Ikki, Shun…Pour Seiya.
Le Cygne blessé n'a plus aucune énergie. Ou si peu. Et c'est dans ce peu qu'il lui faut puiser. Rassemble ton esprit, focalise le sur ton corps. Ne te préoccupe que ce cela. Ne t'occupe que de maintenant.
Il y a quelque chose de chaud prés de lui. De vivant. Cette source l'aide à combattre le froid de l'oubli, à rétablir en lui la volonté de vivre.
Ouvre les yeux.
Il est tombé contre Shiryu.
Ce dernier bouge. Oh, à peine, mais des frémissements agitent son dos.
Ce sera bientôt le tour du cygne. De recouvrer ses sens, et de revenir à la vie.

Comment se fait il, que moi, le dieu des morts, je me sente de moins en moins concerné par la mienne?
Chez les humains, lorsque la mort arrive, le mot d'ordre est de regretter ses fautes, se préparer pour le grand voyage, etcetera, etcetera. Enfin, c'est ce qu'il devraient faire, avant de subir mon jugement. Mais il semble que ce soit plus facile à dire qu'à faire.
Surtout quand on ne sait pas ce qui vous attend.
Mais moi, je reste là, mes pensées ne reflétant en aucun cas ce moment qui devrait pour le moins être solennel. Et puis, je suis bien trop attirée par les pensées et les émotions que je décèle autour de moi. Je suis en train de regarder purement et simplement des âmes à nu en temps réel.
Et ce que je vois m'incite à vouloir comprendre…
Comprendre ?
Ah, ça, mon très cher Hadès, que voila de singulières pensées… voudrais tu vraiment comprendre ce que tu veux anéantir, pardon devrais je dire, ce que tu voulais anéantir, et qui t'as détruit ? Voudrais tu vraiment remettre en question l'idéal de pureté au nom duquel tu voulais annihiler jusqu'au nom de l'espèce humaine ?
Non je ne le veux pas !!! Sûrement pas ! Des siècles et des siècles que j'observe, que j'amasse des preuves. Les humains ne sont que des loups, des vipères, et c'est encore faire injure à ces animaux que de les comparer à eux. Ils sont incapables de se contenter de ce qu'ils ont. Il leur en faut toujours plus. L'envie les ronge. Ils ont l'imbécillité de croire que leur propre voisin est plus heureux qu'eux. Ils brisent ce qui pourrait faire leur bonheur, incapables d'être satisfaits. Et se vautrent dans le mal. L'humanité ne vaut pas ce qu'Athéna fait pour elle. Et pour quoi en retour ? Toujours plus d'injustice, de souffrance, d'envie, de jalousie…
Des siècles que j'attendais ce moment.
De purger le mal par le mal.
Ce que j'ai fait, je ne le regrette pas !!!
Jamais !!!
Tu les as pourtant observé, ces six là. Une déesse pour défendre l'Humanité, et cinq de ses représentants pour la défendre, elle. Et qu'a tu vu ?
Courage, loyauté, bonté, intelligence, dévouement, amour,… sacrifice…
Pour une cause en laquelle ils croyaient, pour une cause qu'ils pensaient, non, savaient être juste.
La cause de l'Humanité. De sa différence, de ses faiblesses, de ses bassesses, des ses ignominies sans nom. Mais aussi de son immense capacité à espérer, à aimer, à être belle, simple, joyeuse, unique, mais pourtant si diverse. Car les humains ont beau faire partie d'un tout, ils sont différents les uns des autres, comme toi tu l'es d'eux. Et c'est bien cela, n'est ce pas, qui t'a poussé au plus profond de toi-même à les haïr. En accédant à ton statut de divinité, ta part d'humain s'est peu à peu effacée. Et tu as oublié…

- Tu n'as simplement pas supporté la dualité de l'Humain, Hadès.

Quoi ???
Qu'est ce que ???
Qui est là ?? Qui s'est permis ??
C'est la deuxième fois en quelques secondes.
J'ai beau être sur le point de perdre mon neuvième sens, il me reste les huit autres. Et malgré cela, je ne sais absolument pas qui a pénétré dans ma tête.

Opération délicate que celle de se relever quand on est dans un tel état. Ramener ses membres sous son corps pour se soulever. Attendre que la douleur et la sensation de flou qui ne demande qu'a nous refaire chavirer dans l'inconscience s'atténue.
Trois chevaliers à l'armure en piteux état ont commencé à se redresser. Commencer est d'ailleurs un grand mot. Deux sont encore à genoux, un troisième lutte pour s'asseoir. Non loin, une jeune fille a surpris du coin de l'œil un mouvement. La vue de ses compagnons lui réchauffe le cœur. Elle doit leur faire honneur. Se relever avec eux en hommage à leur courage et leur dévouement.
Et elle prie. Pour que, malgré tout ce qu'ils ont endurés, une vie leur soit offerte. Elle sait que l'espoir peut faire des miracles, c'est une leçon qu'elle a apprise à rude école. Tout comme eux. Alors elle espère.
C'est le seul sentiment qu'elle puisse pour l'instant se permettre.

Ils sont debout. Au terme d'une lutte acharnée contre un corps qu'ils connaissent pourtant si bien, ils ont réussis à se relever. Vacillants mais debouts. Leurs yeux se cherchent. Ils se regardent. En vie.
Les trois chevaliers en bien piteux état n'osent pourtant se sourire.
Puis ils prennent conscience de ce qui se passe autour d'eux.
Ellision part en lambeau, le ciel commence à noircir, des déflagrations lointaines se font entendrent dans les prisons, preuve que le gardien des lieux n'en maîtrise plus les rouages jusque là si bien huilés.
Et là…
Le pire spectacle qu'il leur ait été donné de voir les cloue sur place.
Etre arrivé si loin, et payer un si lourd prix….
Les chevaliers d'or, leurs maîtres, leurs amis… Et maintenant lui
Ils voient ce qu'ils avaient redouté de voir depuis l'explosion. Un corps gît, non loin d'Athéna. L'armure qui le recouvre n'a plus aucune forme, les seuls fragments restants sont termes et incolores, semblant dépourvus de toute vie. Tout comme son porteur. Il repose dans une véritable mare de sang, que le sol commence à absorber, et de fragments d'armure. Son corps n'est qu'une masse de chairs tailladées. Les traits de son visage, étrangement épargné, tourné vers le ciel des enfers, sont pourtant détendus, paisibles, comme si la vie ne l'avait pas quitté. Mais ce qui lui transperce le torse dément toute idée de vie.
L'Epée d'Hadès a été fidèle à sa réputation. Elle est allée droit au cœur. Qui ne bat désormais plus.
Comment décrire une souffrance qui vous déchire la tête, le cœur, jusqu'au tréfonds de votre être ?
Athéna a esquissé un geste dans sa direction, elle veut le toucher, elle peut peut-être encore le ramener. Elle vacille. Bouger lui fait terriblement mal. Mais c'est une Saori pantelante qui vient s'abattre prés du corps immobile. A genoux, elle touche ce visage dont les yeux l'on tant de fois encouragé, ces yeux devant lesquels elle se sentait si femme, en totale osmose avec son corps humain.
Ces yeux qui maintenant sont clos…
Ce corps qui était animé d'une telle fougue, d'une telle ardeur, qui ne savait jamais rester en place. Cette foi infaillible qu'il avait en elle, en l'humanité, en ses frères…
Durant toutes ces batailles, il avait été de plus en plus leur fer de lance, ranimant leur courage, se relevant sans cesse après chaque coup, communiquant à chacun sa volonté, allant jusqu'à réussir l'impossible, réalisant le miracle quand tout semblait perdu. Il incarne l'Espoir, celui qui soulève, qui agit, droit, constant, inextinguible.
Et l'Espoir est maintenant au sol, terrassé.
Seiya…
Elle passe sa main sur ses cheveux, jamais peignés, toujours en bataille. Ils sont collants de sueur.
Il y a peut être encore un espoir, ce n'est pas possible autrement. Il le faut.
Saori n'en peut plus. Elle soulève le corps sans vie et le presse contre son propre corps. Sa kamui l'empêche de sentir quoi que ce soit. Elle lui demande de la quitter. L'armure retourne à son état de petite statuette, sa propriétaire étant hors de danger immédiat.
Comme en transe, elle agrippe la lame qui lui fait face. Inconsciente des coupures qu'elle se provoque ainsi au creux des mains, elle arrache cet objet qui lui cause une horreur sans nom. Et la rejette loin d'elle.
Le bruit provoqué par la chute de l'épée contre le roc la fait frémir. Elle ne peut plus s'empêcher de trembler comme une feuille ballottée par le vent.
Les quatre autres chevaliers l'ont rejoint. Ikki, aidé par Shiryu, portent Andromède, encore inconscient. Malgré la légèreté de Shun, c'est pas à pas qu'ils progressent. Ils ne sont pourtant pas loin de leur destination. Shiryu a du s'y reprendre à deux fois, sur les derniers mètres. Hyoga tremble. Ils s'immobilisent prés de leur déesse prostrée, dont le corps tremble si fort.
Aucun mot ne peut sortir de leur bouche, leur gorge est comme bloquée.
Et la douleur commence à leur brûler le cœur.
Saori tient contre elle le corps de ce chevalier qui l'a si souvent sauvé des griffes de la mort, qui était prés à tout pour elle et pour ses frères. Il va se relever, il l'a déjà fait, il est passé tant de fois prés de la mort et tant de fois revenu. C'est impossible, cela ne peut pas être. Ce visage est si calme, si paisible, ces yeux vont s'ouvrir, elle en est sure.
Non ! NON ! NOOOOOOOOONNNNN !!
La lame de fond qui se soulève en elle atteint l'intensité d'un raz de marée. Le front contre le torse de celui qu'elle a tant aimé, les bras enserrant sa tête, elle sent monter en elle un immense désespoir, une douleur qu'elle n'a jamais encore connue, qu'aucune de ses précédentes réincarnations n'a connue. Et c'est un cri de pure souffrance qui s'échappe de ses lèvres, un cri de négation face à l'horreur de la réalité de ce qu'elle est en train de vivre.
Il n'est plus.
Seiya…
Et c'est de sa faute, ça ne fait aucun doute. Pour prix de sa victoire contre le dieu qui menaçait l'humanité, elle ne récoltera que la douleur et les larmes. Elle avait voulu que les guerres contre Hadès cessent d'ensanglanter le monde, elle voulait que tout cela s'arrête. Alors, elle avait pris la décision de le rencontrer face à face, et avait tiré des plans pour atteindre son corps mythologique. Elle voulait l'empêcher de nuire une fois pour toute. Sans le tuer, juste l'emprisonner de manière très efficace. Elle avait entraîné ses chevaliers dans une guerre que normalement, aucun chevalier de bronze n'aurait pu, même dans ses rêves les plus fous, simplement tenter. Comble de surprise, les cinq chevaliers de bronze menés par Seiya, s'étaient présentés devant Hadès. Comment avait elle pu les mêler à un combat qu'elle seule aurait du mener ! Elle ne pensait pas que cela irait jusque là. Elle ne voulait pas que ça aille jusque là. Jusqu'à la mort d'un dieu et de…
Elle hurla de nouveau. Toute idée de rang divin l'avait quitté, la grande et majestueuse Athéna s'était tue. Ne restait que Saori, une humaine terrassée par la douleur et le malheur. On venait de lui enlever ce qu'elle avait de plus cher au monde, ce qu'elle chérissait, maintenant elle le savait, ce qu'elle aimait de toute son âme, bien plus que sa vie.
Et elle avait commis l'incommensurable erreur de mettre ce qu'elle aimait dans la balance.
Prés d'elle, les trois chevaliers étaient tétanisés. Leur frère. Il était parti. Jamais ils n'auraient pu imaginer que Seiya puisse mourir un jour. Cette idée même était impossible à concevoir. Allons donc. Seiya ? C'est une pure volonté, une pure rage de vaincre. Un guerrier que rien ne peut arrêter, pas même un dieu. Il avait vaincu chacun de ses adversaires, l'un après l'autre, était allé jusqu'à mettre à mal Poséidon lui-même. Et à chaque fois, il avait puisé en ses frères et en Athéna la puissance de se relever. Il avait acquis la confiance, la foi inébranlable de chacun de ses amis. Quand, il y a peu, son cosmos était entré en contact avec le leur pour leur demander de lui céder leur propre cosmos, chacun des quatre chevaliers n'avait pas hésité une seule seconde. Ils lui avaient tout donné. Seiya avait fait éclater sa bulle de vie, et avait littéralement disparu. Aucun des quatre n'avait songé à ce qu'il allait pouvoir tenter. Athéna était pratiquement perdue, à la merci de son adversaire, il fallait faire quelque chose. C'est le cri de rage d'Hadès, qui leur avait fait prendre conscience que ce quelque chose était en train de se produire. Puis il avait eu l'explosion.
Ils contemplaient la vaillance transpercée.
Saori ne peut plus retenir ses sanglots qui deviennent incontrôlables.
Elle qui est une déesse, qui a la confiance de ceux qui se battent pour elle, qui a atteint le neuvième sens, qui protège la vie sur Terre, ne peut rien faire. L'impuissance la noie. Ses talents, sa volonté, son amour se heurtent à l'innommable…
Elle ne sert à rien à celui dont elle s'est involontairement servie….
Et elle vient de comprendre une chose fondamentale. Elle n'a jamais laissé Seiya exprimer ses sentiments autrement qu'en lui servant de bouclier à chaque bataille. Il lui était impossible de dire son amour à une déesse censément pure. Alors il le lui a dit autrement.
Assez ! Assez ! ASSEZ !!!
Ses chevaliers la voient se raidir, toujours contre son chevalier, sa robe rougie du sang de celui qu'elle serre convulsivement. Shiryu et Hyoga s'effondrent prés de leur déesse. Ikki s'agenouille difficilement, et allonge Shun prés du corps dont il ne peut détacher les yeux. Chacun d'eux posent sa main sur le corps. Ils sont surpris d'y découvrir un peu de chaleur.
C'est le seul hommage qu'ils soient en mesure de lui rendre.
Shiryu, Hyoga, Ikki, Shun… si dissemblables, et pourtant si unis. Unis à cause de leur foi en un monde meilleur, un monde qui leur a pourtant jusqu'à présent tout pris, et qui maintenant leur a fait bien pire. Il vient de leur enlever leur volonté de se battre. Il vient de les priver de leur frère.
Seiya. Toujours si impétueux, si plein de vie et de confiance. Et bon sang, si prévisible. Pourquoi il a fallu que ça finisse ainsi, mais qu'est ce qui lui a pris ?
Chacun des chevaliers suit le même raisonnement. Et bien qu'ils connaissent la raison profonde de ce qu'ils ont sous les yeux, ils ne peuvent s'empêcher de se demander pourquoi il a été fou à ce point. Ça n'aurait pas du être lui. Là étendu par terre, ça aurait du être l'un d'eux. Pourquoi ? POURQUOI ???
Shiryu serre les poings, et frappe la rocaille. Il ne s'étonne même pas du fait qu'il puisse encore bouger, tant la rage et la révolte envahissent son esprit. Il voudrait que ce cauchemar cesse, il voudrait pulvériser ce roc pour que cette réalité se déchire, il voudrait… Pourquoi ? Qu'on lui dise pourquoi ! Shiryu entend ce mot rouler dans sa tête, à l'infini. Sans réponse…
Hyoga ne réagit pas. Il semble hypnotisé par les tremblements du corps de Saori. Sans qu'il s'en rende compte, le sol autour de lui s'est recouvert d'une fine pellicule de givre. Son esprit est comme bloqué, tant il refuse de voir ce que ses yeux lui hurlent…
Ikki gémit. Tout son être gémit de douleur. Chaque fibre, chaque atome de son corps se révolte face au spectacle découvert il n'y a que quelques secondes. La plainte sourde qui sort de ses lèvres lui semble étrangère. Le phœnix a plusieurs fois par le passé déjà offert sa vie en échange de celle de son ami. C'est lui qui aurait du être là, couché, exsangue. Pas lui. Pas lui… Ikki a la sensation que sa tête ne va pas tarder à éclater. Il s'en moque. Plus rien ne peut l'atteindre. Il est parvenu aux limites de la haine, de la douleur, du désespoir…
Saori berce ce corps contre elle comme un enfant, en murmurant des mots sans signification…
Impuissance. Douleur. Révolte. Espoir, l'ultime don….

Soudain Athéna se redresse
Elle a pris une décision.
Dans un recoin de son esprit, elle vient de penser qu'ils sont au royaume des morts, et que ses chevaliers viennent d'arriver bien vivants devants elle. Le gardien de ce royaume, actuellement à quelques mètres d'eux est en train d'agoniser, elle n'a aucun besoin de sa cosmoénergie pour s'en rendre compte. Elle ne prend même pas le temps de lui en vouloir, ni de le haïr. D'ailleurs, pourquoi faire ? Elle ne le peut ni ne le veut. C'est en le voyant qu'elle vient d'avoir étrange sensation. Sensation qui s'est mué en une vague idée. Chacune des âmes doit aller aux enfers après sa mort. Mais ce royaume est en train de périr. Aucune âme ne peut y trouver un quelconque repos.
Elle sursaute. Elle vient de comprendre ce qui est en train de se passer, et ce que cela implique. Et ça l'effraie.
Pas le temps. D'abord Seiya.
Si le monde des morts n'existe plus, c'est qu'il est encore ici, en Ellision.
Il a effleuré le neuvième sens. En tout cas, elle le pense. Elle-même maîtrise ce sens de manière imparfaite, elle est loin d'égaler son père.
Elle va essayer de le faire revenir. A n'importe quel prix. Il n'a pas fait tout cela pour elle pour qu'elle le laisse partir, il n'en est pas question. Elle se rappelle maintenant.
Dans sa précédente incarnation, un autre chevalier Pégase avait permis l'emprisonnement d'Hadès au prix de sa vie. Il avait consumé jusqu'à son énergie vitale pour permettre à sa déesse de rétablir la paix. Et avait blessé Hadès. Dans un coin de son esprit, elle se rappelle la réaction d'Hadès lorsqu'il a vu Seiya face à lui. Elle ne veut à aucun prix que l'histoire se répète. Assez de sang, de souffrance, de morts. Et surtout pas cette mort là.
Son cosmos, encore vacillant, commence à se masser autour d'elle. Mais il est si faible. Il est pourtant animé d'une douceur et d'une pureté jamais égalées. Et d'une douleur sans bornes. Car c'est l'étrangeté d'Athéna de pouvoir faire cohabiter ces sentiments dans son propre cosmos.
Elle est loin d'être en état de faire quoi que ce soit. Mais elle s'en moque. Elle va reprendre ce qu'on lui a pris. Au tréfonds de son être, elle se concentre. Elle va mener le combat le plus important de sa vie. Et sans doute le plus dur.
Les chevaliers autour d'elle ont compris sans qu'elle ait eu besoin d'ouvrir la bouche. Il n'y a qu'une seule chose qui puisse animer le regard de leur déesse d'une telle détermination en de telles circonstances.
Shiryu pense dans un brouillard cotonneux qu'Athéna devrait plutôt partir d'ici le plus vite possible. Sa vie est bien trop précieuse. Elle doit être préservée à n'importe quel prix. Si jamais elle venait à mourir en plus de Seiya…
Shiryu et Ikki ont esquissé le même geste vers Saori. Ils veulent la retenir. Elle doit survivre.
C'est à ce moment là que deux yeux pers se posent sur eux.
Noyés. Mais nimbés d'un espoir…
Ils n'essaieront pas de la dissuader. Ils savent qu'elle ne va rien leur demander. Mais ils le feront. Parce que c'est la seule chose juste à faire. Et c'est tout ce qui leur reste.
L'espoir doit vivre. A n'importe quel prix.

Bon sang, mais je n'en croit pas mes yeux, ni ma tête d'ailleurs. Ils vont vraiment le faire. Ils n'ont pas pensé une seule seconde à partir d'ici. C'est dingue. Ou alors je délire.
Je ne reconnais plus Athéna. Je savais qu'elle ne vivait que pour défendre ses chers humains, mais ce qu'elle entreprend confine à la folie. Jamais son titre de déesse de la sagesse ne fut plus démenti.
Le choc que m'avait causé cette voix dans ma tête a pratiquement été effacé par ce que je vient de ressentir. Ne peut on pas me laisser mourir en paix ? Serais je obligé de subir ces sensations jusqu'à ma fin ?
Cette foi me gène. Cet amour me déstabilise. Et cette absence de haine à mon égard me contrarie. Car c'est le monde à l'envers.
Juste une volonté d'agir. Une déesse et trois humains sont en marche. Et tout ça pour quoi ?
Pour un autre humain !!
Je crois que seule Athéna est consciente de ce qui est en train de se jouer ici. Les trois autres sont encore abrutis par la douleur. Ce n'est pas seulement la perte de ce chevalier, c'est l'effondrement d'un royaume majeur, c'est la disparition d'un dieu majeur, c'est surtout… Peut on vraiment donner un nom à une telle chose ?
Lorsqu'elle s'est redressée, et qu'elle m'a vu si proche, alors qu'elle serrait son chevalier, elle n'a fait que se raidir. J'ai pu voir tout ce qu'elle a ressenti. Et ce qui m'a le plus choqué, c'est qu'on aurait dit, on aurait dit… des réactions humaines. Pour une déesse, c'est proprement incroyable. Comment a-t-elle pu se laisser piéger à ce point ?
Athéna, je commence à la connaître, pour l'avoir combattue plusieurs fois. Enfin, je croyais la connaître. Jusqu'à présent, les êtres qu'elle défendait n'avaient pas de nom à ses yeux. Elle les aimait dans leur ensemble. Pour ce qu'ils représentaient. Si au cours de ses réincarnations elle a été proche de quelqu'un, ça n'a été que de ses chevaliers, enfants qu'elle était résignée à perdre un jour dans ses batailles stériles contre les diverses puissances convoitant la terre, moi y compris.
Mais elle préférait faire le choix de les perdre, plutôt que l'humanité en pâtit. Ou qu'un dieu se mette franchement en colère.
Et je me suis mis en colère.
Et il y a eu ces cinq là.
Il y a eu celui là.
Ses chevaliers. Une belle énigme, ceux là, si vous voulez mon avis. La plus belle de celle que j'ai pu observer dans l'humanité. Et croyez moi, j'en connais un rayon.
A-t-on idée aussi, de se mêler d'une bataille de dieux ? A quel jeu pensaient ils prendre part ? Le pompon revient sans conteste à ce Seiya. Cette impudence, cette impertinence, toujours debout, toujours se dressant entre moi et elle, toujours si parfaitement… humain.
J'aurais commencé par l'abattre, celui là, j'aurais cueilli Athéna sans peine, je m'en rends compte maintenant. Ou peut être pas. Elle n'aurait pas abdiqué. Juste pour lui.
Ah, j'enrage. J'enrage rien que de voir que de telles pensées peuvent m'envahir.
Je ne peux m'empêcher de repenser à ce que m'a dit Athéna, peu avant que l'on s'affronte. Elle m'a dit que j'étais dans l'erreur au sujet des humains. Mais comment nier l'évidence, par Zeus ! Comment peut-on être aussi aveugle ! Ces fameux humains sont pourris jusqu'à la moelle. C'est là, il suffit de regarder. Je le vois passer à chaque âme, aucune pour en rattraper l'autre.
Est-ce d'avoir été aveugle qui leur a permis de me battre ? En suis-je vraiment sur ?
Mouais.
Je suis un dieu de pureté. J'exècre la violence et le mal. Et par conséquent, j'exècre les humains.
Et pourtant…
Ce Seiya…
Je l'avoue, il me déroute. Il a réussi à me frapper. Et tiens, j'oubliais, son coup m'est fatal. Car ce n'est pas le coup d'Athéna qui a causé ma perte. C'est bien toute la force de cet homme lancée contre moi, sans même penser à sa propre défense.
Et je le répète, je ne l'ai pas senti venir, ni se déplacer un seul instant.
Je suis en train de passer à coté de quelque chose.
Je vais vous faire une confidence renversante. Je souhaite presque que ces quatre là arrivent à quelque chose. Techniquement, le schéma esquissé par Athéna est valable. Sans enfers pour les accueillir, les âmes n'ont d'autres choix que d'errer, sans en avoir la moindre conscience. Enfin, ça dépend de quel degré de conscience on parle.
Je voudrais qu'ils y arrivent. Pour que je puisse faire une dernière chose dans mon éternité divine.
Pour savoir. Pour comprendre.
Car je ne comprends toujours rien de rien.
Malheureusement, il n'y a que peu de chance que ça se concrétise. Aucun n'a suffisamment recouvré de force. Et quand bien même, nous sommes dans mon royaume, vous vous rappelez ? J'ai perdu mon neuvième sens et le huitième commence à m'échapper. La véritable destruction des enfers va pouvoir commencer.
Il est inutile qu'il revienne. Ce serait pour repartir aussitôt.
Il ne me reste rien d'autre que d'attendre. Et pour attendre, ça, j'attends.
La fin.
On verra bien.

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Les personnages de Saint Seiya sont copyright Masami Kurumada.