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C'était une vaste campagne de recrutement. Venant de tout le Japon, venant du monde entier, des milliers d'enfants se succédaient, étaient jaugés par des experts formés pour l'occasion. Ces derniers ignoraient les tenants et aboutissants de leur travail, mais leur talent et leur fidélité à la fondation Graad les rendaient parfaitement compétents. Quant aux enfants, c'était sur des critères inhabituels qu'ils étaient jugés. Etre un génie dans un domaine particulier était un plus appréciable dans la sélection, mais plus que toute autre chose, c'était sur leur aptitude à s'exprimer à travers un concept qu'ils étaient sélectionnés. Ainsi furent écartés d'office des enfants au potentiel immense. Ainsi furent choisis d'autres qui semblaient beaucoup moins doués. Durant ces entretiens, les compétences étaient inutiles, seul le potentiel comptait. Un autre facteur était l'attachement des candidats à quelque chose, comme à une terre précise, ou à une famille : il nous est plus facile de travailler avec ces problèmes-là en moins. Extrait du rapport de Mr Ninko sur le recrutement des chevaliers d'acier "Chevaliers inconnus ! Je suis Sergueï, seigneur noir du Dragon et maître de ces terres. J'ai entendu dire que vous étiez forts. Peut-être n'est-ce qu'une rumeur, peut-être est-ce vrai, c'est pourquoi, jusqu'à votre victoire, jusqu'à votre mort, je serais votre adversaire." Surgissant au détour d'un chemin, un homme s'impose brutalement face aux chevaliers d'acier, et tous expriment une profonde surprise. Pas à cause de son armure noire, représentant l'antique et puissant dragon, ni à cause de sa longue chevelure noire, inhabituelle en ce lieu. Ce n'est pas non plus son visage aux traits juvéniles qui marquent Kyô, Kinô et Ashita. C'est... "!!!" ... son regard, ou plutôt ses yeux, ses yeux d'ébène, pareils aux sombres ténèbres, noirs comme la nuit, trahis par la seule blancheur des pupilles. "Ashita, tu as vu ça ? - C'est ... euh ... un trait physiologique intéressant. - Taisez-vous.", souffle Kyô. "Il n'est pas seul." A la suite du seigneur noir, se tiennent deux autres chevaliers noirs vêtus de leurs armures. Sur un signe de l'homme qui vient de se présenter, ils restent soigneusement en retrait, laissant au Dragon noir l'entière gestion de la situation. Soucieux de calmer la situation, Ashita avance de deux pas, et part dans des mots calmes et pleins de sagesse. "Tu es donc le Dragon noir, c'est justement toi que nous cherchions. Pourquoi dis-tu vouloir nous combattre, nous ne t'avons encore rien f... - ASHITA !" Mais le chevalier des Sciences Biologiques n'a pas le temps de terminer sa phrase. Pris par surprise, il est bien incapable de sortir de la trajectoire de l'attaque de ce nommé Sergueï. C'est un poing massif qui vient violemment percuter la mâchoire du chevalier d'acier. Sans lui laisser plus de temps pour reprendre ses esprits, d'un formidable coup de tibia à la hanche, à nouveau le chevalier noir frappe son adversaire, et c'est un violent coup de pied au ventre qui achève la série, projetant Ashita trois mètres plus loin, l'envoyant mordre la poussière sale. "Kyô ! Attend ! - Que dis-tu Kinô ?!" D'une parole, Kinô vient de briser l'élan de son compagnon, l'empêchant de riposter immédiatement. "Kinô ?! - Attend, juste un peu ..." Sans doute le chevalier de la Machine Informatique s'est-il rendu compte de quelque chose, toujours est-il que, loin de poursuivre son agression, le Dragon noir s'est figé sur place. "Son attitude n'est pas celle d'un assassin. Regarde, il a l'air ... surpris, déçu. Mais reste sur tes gardes, il n'a pas renoncé à nous combattre." La voix du seigneur noir exprime de nombreux sentiments. "Qui êtes-vous ...?" Comme pour les contenir, il jette son regard en direction du sol. "Vous êtes du Sanctuaire, c'est cela ?" C'est Kinô qui répond à la question. "Tu fais erreur. - Mais alors ..." Il relève la tête, et à ses lèvres tremblantes Kinô reconnaît le début du désespoir. "Mais alors ... comment avais-vous pu arriver jusqu'ici ?" D'un geste de la main, Kinô fait signe à Kyô de ne rien dire. Il est des réponses qu'il n'est pas besoin de formuler, pour qui possède un minimum d'intelligence. "Le gardien ... Il n'a pas pu vous laisser passer. Et ces rumeurs... Non... Est-ce vrai que vous avez vaincu Guilty ?" Pas de réponse, encore. Certaines choses se font dans la douleur, certaines prises de conscience. Kinô ignore totalement ce que représente cette vérité pour le Dragon noir, mais quelle qu'elle soit, ce dernier est semblable à une bombe, prêt à exploser. Ashita, même s'il reste au sol, ne semble pas en danger : ce ne sont pas trois coups qui vont abattre un chevalier d'acier équipé de l'opportune protection de son armure. "C'est donc vrai... Lequel d'entre vous est parvenu à pareil exploit ? - Il est là, devant toi.", répond enfin Kinô. "C'est ... lui ...?" Une goutte de sueur froide trahit la profonde inquiétude du seigneur noir. "Mais ... c'est impossible... ... si ça avait été vrai... jamais... ... - Sergueï ? - JAMAIS je n'aurais été capable de le mettre à terre aussi facilement !!" Ashita, chevalier d'acier des Sciences Biologiques, gît encore, souillant de son corps le même sol sale qui supporte le poids de ses deux camarades qui, à sa gauche, à sa droite, tente laborieusement d'éviter un nouvel assaut, usant de mots simples, de silences, calmant leurs ardeurs. Mais la chose reste difficile, tant la réaction de ce nouvel adversaire est difficile à comprendre. "N'était-ce donc qu'un coup de chance ?!", s'emporte-t-il, laissant uns soudaine colère envahir son être. "Ou bien le gardien aurait-il eu un instant de ... faiblesse ? C'est... tellement... - Sergueï ...", tente adroitement Kinô. "J'ai du mal à te comprendre, mais si ta volonté n'est pas animée d'intentions cruelles, nous ferons tout notre possible pour t'aider." Kyô, impulsif Kyô, s'apprêtait à protester, mais d'un regard son camarade lui supplie de ne rien dire. 'Nous avons besoin de lui, tu as compris cela, Kyô ?' "Hé hé hé ..." Mais le doux ricanement qu'exprime le seigneur noir, auquel se mêle subtilement d'indistinctes émotions – colère ? tristesse ? –, ôte tout espoir aux chevaliers d'acier. "Et comment pourriez-vous être de la moindre utilité compte tenu de votre... ... force ?" Et c'est dans un râle, dans un cri exprimant la sauvagerie de celui qui a peu à perdre, que le chevalier noir se jette en avant. Peut-être est-ce grâce à ses sens, exacerbés, très attentifs, peut-être est-ce à cause de son instinct, ou peut-être est-ce encore autre chose, toujours est-il que Kinô, bien que se déplaçant à une vitesse inférieure, parvient à éviter la violente attaque. Tout aussi prompt, les muscles chauffés autant par la frustration, par la tension, que par la colère d'avoir vu Ashita heurter le sol, Kyô réagit immédiatement et contre-attaque avec la vitesse d'un léopard. Son coup de poing ne fait pas plus mouche que celui de Sergueï, mais vaut à ce dernier le déshonneur d'une sueur froide. Un peu surpris par le rythme des événements, le Dragon noir, prend une seconde pour juger ses adversaires... "FIREBOLT !!" ... et manque de se faire carboniser par une ardente boule de feu, échappée une fraction de seconde plus tôt des mains du chevalier de l'Energie. "Z... Zuuuut ! Je l'ai loupé !" Kyô trépigne de rage, exprimant une farouche haine envers lui-même. Quant à Kinô, bien que terrorisé par la violence des événements, il reste suffisamment lucide pour apprécier l'expression emplie d'espoir d'un bien curieux personnage. "C'est ... bien ...", finit par avouer le chevalier noir. "On va peut-être essayer, finalement..." L'instant qui précède l'assaut voit déjà un des chevaliers d'acier se retirer du combat. "Ca va, Ashita ? - T'inquiète, je tiens à peu prés ... Aïe ! ... debout. Mais ..." La main ouverte de Kyô repousse le blessé. "Laisse-le nous, Ashita. Kinô et moi, on va se le faire, cet enfoiré qui se permet de frapper sans sommations. Ces seigneurs noirs n'ont décidément aucunes manières, je vais lui faire avaler ses dents, à ce Ser-je-sais-pas-quoi. - Disons que... Disons que je vais rester en réserve. - T'as oublié de dire 'Aïe' sur ta dernière phrase. - Désolé ... Aïe ! - Bon, fini de rire. Kinô, t'es prêt ? - Euh... - On y va !" Sans même s'inquiéter de la réaction de ses camarades, Kyô part dans un bond prodigieux, faisant exploser sa cosmoénergie avec rage, calculant sa trajectoire avec soin. Surprenant le seigneur noir, il se place à son côté, et lui saisi le bras de ses deux mains. "Kinô ! Maintenant !" Mais l'offensive du chevalier de la Machine Informatique tarde trop à venir : d'un mouvement vif, le poing libre de Sergueï écrase la poigne de Kyô, le forçant à desserrer son étreinte. Bougeant alors son bras captif, le chevalier noir traîne le chevalier d'acier, qu'un violent coup de pied projette aux pieds de... "!!!" ... Kinô. "Kyô ! Ca va ?!" L'air en colère, presque méchant, l'intéressé se relève, plus furieux qu'autre chose. "Juste une chose, Kinô. Quand je dis 'On y va', que fait-on ? - Mais... - T'es qu'une chiffe molle, Kinô ! Tu m'énerves à la fin, ai un peu confiance en toi, que diable !" Un peu effrayé par le ton de son camarade, un peu penaud, aussi, Kinô ne trouve rien à répondre. C'est après quelques secondes que Kyô, un peu calmé, reprend. "Bon ... C'est pas grave. T'as de la chance que notre adversaire préfère nous attendre que venir à nous. Tu veux bien essayer, au moins ? - Je... Essayer ? Non. - Non ?! - Non. Pas essayer. Je vais y arriver." "Vous avez terminé ?", demande simplement le seigneur noir. Mais Kyô s'emporte. "Arrête de jouer les blasés ! Je sais pas pourquoi tu t'en prends à nous, alors que nous ne t'avons rien fait, et que nous venions animés d'intentions pacifiques, mais si le sang est tout ce que tu souhaites, je vais t'offrir le tiens ! - Voyez-vous ça ..." Kyô sait qu'en situation réelle, si un échec ne signifie pas nécessairement que les tentatives futures échoueront à leur tour, il en présage néanmoins quelque chose de négatif. Ce point acquis, il réfléchit quant à une tactique viable face à cet adversaire aux motivations étranges. A mesure qu'il l'observe, sa colère retombe peu à peu, et c'est avec objectivité qu'il décide de la marche à suivre. 'Si combattre est la seule chose qu'il veuille faire, c'est par là que nous passerons.' Il échange un regard entendu avec son camarade, Kinô. Ce dernier n'a pas encore pris conscience de son potentiel, mais Kyô devine que le jour venu, il sera un redoutable combattant : il est trop intelligent pour qu'il en soit autrement. C'est seulement après avoir pris le temps de réfléchir à tout cela qu'il passe à l'attaque. Pareil au fauve qui, sauvage et plein de hargne, bondit sur sa proie, Kyô, d'une manœuvre souple et agile, vient se placer juste à côté de son adversaire... ... et saisie, de toute sa poigne, son bras puissant. "Kinô ! Maintenant ! - Quelle stupidité.", souffle Sergueï, sans que la moindre émotion ne trahisse sa voix. "Tu viens à l'instant de tenter cette tactique." L'assaut frontal est rarement la meilleure tactique, sans doute Kinô pense-t-il que les conditions lui sont favorables pour tenter pareille action. Avec toute sa hargne, il fait exploser son cosmos, et pousse son poing en avant avec un cri de guerre assourdissant. "La Technique du Leurre !", s'exclame-t-il, peu avant de se faire écraser la poitrine par la paume de la main d'un Sergueï qui n'a pas eu grand chose de plus à faire que d'avancer sa main pour contrer la technique. Mais même un mouvement aussi simple peut se révéler efficace si la puissance y est, et c'est exactement ce que se dit Kinô, au moment de heurter violemment le sol, la dureté de sa chute à peine amoindrie par une habile roulade. "Et alors quoi ?", s'impatiente le chevalier noir. "Parce que ton copain me tient le bras, tu t'imagines que je suis sans défense ?" Mais les choses ne sont pas toujours ce qu'elles semblent être, et une goutte de sueur froide trahit l'inquiétude et la surprise du Dragon Noir, au moment où un cosmos subtilement camouflé explose juste à côté de lui... "Shocking Grasp." ... et que le chevalier de l'Energie, de ses doigts mortels, serrant leur prise avec puissance, déchargent une redoutable charge électrique. Sans qu'une exclamation ne franchisse ses lèvres, le prétendu invincible Sergueï, seigneur noir du Dragon, s'effondre. "Kyô ? Tu crois qu'on l'a eu ? - En tout cas, Kinô, j'adore ta 'Technique du Leurre'. T'es génial, y a même pas besoin de t'expliquer les choses pour que tu les comprennes." Les joues de Kinô s'empourprent, la flatterie n'étant pas quelque chose à quoi il est habitué. Les deux chevaliers d'acier jaugent leur adversaire tombée d'un oeil inquiet. L'action a eu lieu une poignée de secondes plus tôt, et le Dragon Noir n'a pas esquissé le moindre geste depuis. Mais, la technique de Kyô a beau avoir prouvé son efficacité plus tôt dans la journée, la simplicité de l'issue de ce combat parait presque trop belle. "Au fait, Kinô, il ne t'a pas blessé, j'espère ? - Bien sûr que non. J'ai parfaitement deviné qu'il allait contrer ma fausse attaque de cette manière, et j'ai pu m'y préparer. J'ai à peine sentit le coup. - Fait voir ..." Sans crier gare, Kyô assène un coup de poing à son camarade, à l'endroit qu'ils viennent juste de mentionner. "Ouach ..." Kinô se tord de douleur. "Ca va pas la tête ?! - Ha ha ! J'en étais sûr. Ton explication était crédible, mais quand même. Ce seigneur noir est tellement fort. - Au fait, tu trouves pas ça bizarre ? Les deux autres ne bougent pas !" Du coin de l'oeil, Kyô jauge les deux chevaliers noirs qui, sans dire mot, sans faire un mouvement, les regardent, passifs. "Leur chef vaincu, ils devraient venir, l'aider, non ? A moins que... - Cela veut dire que ..." Ni Kyô, ni Kinô n'osent terminer sa phrase, mais la vérité peine à être dissimulée longtemps. Ce n'est d'abord qu'une vibration, quelque chose de faible mais d'indéniablement perceptible, quelque chose qui ne présage rien de bon. Sa croissance commence lentement, faisant frissonner l'air, dérangeant quelque insecte. Puis viens le mouvement, celui d'un chevalier qu'on croyait vaincu, mais qui dès à présent entreprend de se relever. Il y a ensuite une subtile impression de lumière diffuse, chaude et agressive. Sergueï est à genoux, il semble reprendre un souffle qu'on lui aurait violemment coupé, et d'un seul coup... ... il se remet debout, fier, comme s'il n'avait jamais été frappé, comme s'il ne pouvait pas être vaincu, exprimant une cosmoénergie que beaucoup considérerait comme très sérieuse. "Oui ...", et sa voix est rauque, comme libérée d'un lourd fardeau qu'il aurait porté pendant bien longtemps. "Oui ... Ca devient intéressant, mais ce n'est pas ... suffisant." Animé d'un sentiment de supériorité qui ne lui ressemble guère, Kinô bondit. "C'est comme avec Jozan, sa force doit avoir diminuée de moitié, c'est le moment d'attaquer ! - ATTENDS, KINO !", s'exclame de concert Kyô et Ashita, qui n'avait pourtant rien dit jusqu'ici. Mais l'avertissement vient trop tard : malgré la situation, malgré ses réflexes surprenant, Kinô, alors qu'il arrivait au contact, reçoit le poing de son adversaire en plein visage. "Ca va Kinô ?!" La sincérité de l'inquiétude de ses camarades touche profondément Kinô, qui répond par un sourire exprimant une sorte de plénitude. "On va... - Kinô ? - On va ... gagner." "Regardez-le ...", souffle Kinô, et dans le son de sa voix raisonne la certitude d'avoir mis le doigt sur quelque chose. Kyô, s'il l'avait déjà fait soigneusement auparavant, n'en prend pas moins le temps de jauger à nouveau ce décidément coriace adversaire. La tenue simple camouflée sous l'épique armure noire du Dragon, le visage vide et la longue chevelure sont déjà des traits familiers pour le chevalier de l'Energie. "Tu t'attardes trop aux détails.", lui fait remarquer Kinô. "Vois plutôt comme il reste immobile, sur la défensive. - Il attend qu'on l'attaque et réagit en fonction de nos actions. Tu penses qu'on devrait le forcer à passer à l'offensive ? - Je n'ai pas dit ça mais... Kyô ? - Oui, Kinô, quoi donc ? - Pourquoi ton attaque a-t-elle été inefficace ?" C'est après un soupir subtilement déçu que Kyô répond. "Je sais pas trop. Je pense qu'une partie de son attention était tournée vers moi, ne serait-ce qu'inconsciemment, et donc il gardait tout son potentiel défensif. En fait, je crois qu'il est tout simplement exceptionnellement fort. Rien à voir avec Guilty, mais celui-ci excepté, je ne connais personne d'aussi fort. - Crois-tu pouvoir le blesser avec une autre attaque ? - Je... Je pense que oui, y a pas de raison. Aussi fort soit-il, il reste un homme fait de chair et de sang. Il doit forcément subir des blessures. Le problème, c'est que je vois mal comment percer sa défense. J'ai le sentiment que je ne pourrais jamais le prendre suffisamment par surprise pour le frapper de manière suffisamment efficace." C'est avec un sourire presque enfantin, et avec une solide assurance, que Kinô pose sa question. "Kyô, es-tu prêt à me faire aveuglement confiance ? Es-tu prêt à faire ce que je te dis sans chercher à comprendre ? - Je suppose ...", lâche l'intéressé dans un soupir. "Sois un arbre, Kyô. - Mais bien sûr. J'ai qu'à devenir un arbre. C'était tout bête, comment n'y ai-je pas pensé moi-même ? T'en a d'autre comme celle-là ? - Ne bouge pas. Ne bouge plus. Calme ton ardeur, refoule ta hargne, débande tes muscles, deviens aussi immobile qu'un arbre. Contient ta cosmoénergie, que même s'il cherche précisément ta présence, ton adversaire ne puisse déterminer ta position ainsi. - Ben voyons ..." Kyô n'est pas inconscient au point de mettre en doute les idées de son camarade Kinô. De nombreuses fois par le passé, ce dernier s'est révélé proposer d'excellentes solutions pour toutes sortes de problèmes, usant parfois d'astuces aux mécanismes bien délicats à percevoir au premier abord. Kyô est habitué à cela, et il sait d'ordinaire faire abstraction de ses à priori et de ses craintes quand pareille situation se produit. Mais pour une fois, vraiment, cela lui est difficile. "Tu as conscience, Kinô, que s'il nous attaque à ce moment-là, il sera très difficile pour nous de nous en sortir. - Si je ne me trompe pas, à coup sûr nous allons lui trouver une ouverture, mais tais-toi donc, je crains qu'il ne nous entende, ça pourrait tout faire échouer. - Ben voyons ..." Une certaine fierté caractérise la personnalité de Kyô, c'est pourquoi il déteste se prêter au petit jeu de son camarade. 'Un jour, il me fera faire le poirier. Rien que pour voir si je vais jusqu'au bout.', se dit-il. Mais cette fois encore, il choisit d'obtempérer. Un instant plus tard, sa présence est si effacée qu'il aurait presque été possible de se tenir à côté sans faire attention à lui. "Et maintenant ?", s'inquiète-t-il. "Je fais pareil, et toi, tu imites tous mes mouvements. Deviens mon miroir, ne cherche pas à comprendre, ait confiance en moi, et quoi que je fasse... - ... je fais de même. Evidemment, c'est complètement stupide, mais enfin bon..." C'est aussi à cause de son doute à ce moment-là, plus encore que des événements qui vont avoir lieu, que Kyô, plus tard, se promettra de ne jamais plus douter de son camarade, Kinô, le chevalier d'acier de la Machine Informatique. Rares sont les formes de vies aptes à survivre sur le sol calciné de l'Ile de la Reine Morte, sa géologie et son climat y veillent avec soin. C'en est à se demander qui sur Terre peut être assez fou d'esprit pour envisager ne serait-ce que d'y passer une heure. Parmi les formes animales et végétales qui choisissent à forte raison de ne pas y élire domicile, on compte bon nombre d'insectes. Qu'ils soient rampants ou volants n'y change rien, aucune bestiole, si insignifiante soit-elle, n'est là pour briser le silence de mort qui, plus pour longtemps il est vrai, viens de s'installer là où se défient chevaliers d'acier et seigneur noir. Kyô et Kinô ont souvent fais des exercices semblables durant leur formation. Faire le vide, contenir sa présence, être aussi silencieux qu'un arbre. C'est alors qu'une chose qu'Ashita, en retrait par rapport à la scène, juge comme parfaitement curieuse se produit. Le seigneur noir du Dragon, l'implacable Sergueï, celui-là même qui de plein fouet avait reçu l'indomptable Shocking Grasp de Kyô, et s'en était relevé, semble perdre sa froide assurance. Le temps de tourner la tête à droite, puis à gauche, et... "!!!" ... à son tour il masque sa présence, refoule sa cosmoénergie, et devient lui aussi un arbre, à la différence très notable que lui semble particulièrement et inexplicablement très mal à l'aise. 'Ça, par exemple, a quoi est-ce qu'il joue ?', se demande Kyô. Jetant un coup d'oeil à Kinô, il voit se dernier le regarder fixement, l'index posé sur la lèvre, lui intimant le silence. 'Qu'est-ce que Kinô raconte ? Est-ce que je pense trop fort ?' Mais l'heure n'est plus à la spéculation. Avec lenteur et précision, presque avec douceur, Kinô lève le bras droit, et le descend, paume ouverte, tout droit, en direction du Dragon Noir. Kyô la reconnaît instantanément. Cette façon de jeter son bras en avant est typiquement la posture qu'il adopte quand il utilise Firebolt, sa première attaque, qu'il pensait ne pas pouvoir utiliser dans pareil combat. Encore un regard échangé avec Kinô. Celui-ci hoche la tête. Le signe d'un départ, l'ordre de lancer l'attaque. Kyô sent que c'est peine perdue, mais comme ça ne coûte pas grand chose d'essayer, il refoule ses doutes, et agît. D'un seul coup, sa cosmoénergie explose. "FIREBOLT !! Le projectile incendiaire quitte sa main. 'Ca ne marchera jamais, cette technique est trop prévisible.' Voilà ce que pense Kyô, et quelque part il a raison. En situation normale, jamais la boule de feu n'aurait atteint le seigneur noir. Trop agile et rapide, ce dernier aurait d'un bond évité l'attaque. Ou alors il aurait contenu sa puissance dans le creux de ses mains, ce que Sylvan, le chevalier noir de l'Hydre, avait presque réussit à faire. Mais, à la grande stupéfaction du chevalier de l'Energie, les réflexes de Sergueï semblent s'être considérablement émoussés, et c'est avec une fraction de seconde de retard qu'il réagit, soit bien trop tard. La boule de feu, pleine de puissance, explose à son contact, l'envoyant mordre la poussière. Pour exprimer leur joie, certains choisissent de bondir dans toutes les directions en couinant comme une sourie face à un fromage qu'on aurait négligemment laissé traîner quelque part. De tels enfantillages prennent généralement fin avec la petite enfance, et à l'age de Kinô ne devraient plus être que de nostalgiques souvenirs. C'est du moins vrai en théorie, parce que pour ce qui est de la pratique, ce dernier déroge à la règle avec autant de force qu'il n'est humainement concevable. "On a réussi !", jappe-t-il, hystérique et fier. "Kyô, le glorieux chevalier de l'Energie, et son camarade Kinô, de la Machine Informatique, triomphent vaillamment de leur adversaire !" Kyô partage son émotion avec un simple sourire, un peu attendri par l'exultation sans borne de son compagnon. La pression du combat a néanmoins du mal à retomber, et ce pour deux raisons. La première est qu'après le féroce impact, Sergueï s'est effondré, à grand fracas certes, en faisant résonner son armure, il est vrai, mais toutefois sans pousser le moindre cri. Cela aurait-il quelque chose à voir avec la certitude de Kyô que sa boule de feu n'est pas capable de faire suffisamment de dégât ? La deuxième raison est l'attitude mitigée des deux chevaliers noirs qui accompagnent le seigneur Dragon. Sur un probable désaccord, ils s'entretiennent avec moult gestes et regards agressifs. La vérité est que si Sergueï était véritablement hors de combat, leur réaction serait probablement plus tranchée. La réponse à cette question ne tarde de toute façon pas à venir, et s'incarne en la personne d'Ashita qui, suffisamment remis de ses blessures, se fraye un chemin entre ses deux camarades, et se rend au niveau de cet homme gisant et apparemment inconscient. Il le jauge environs une seconde et... "!!!" ... abat son poing en direction du visage du seigneur noir, sous les regards ébahit des autres chevaliers noirs, que la distance rend totalement impuissants. "Attend." La requête, prononcée par les lèvres qu'on croyait muette de Sergueï, avec plus d'énergie que celle d'un simple agonisant, met fin au mouvement d'Ashita. Il manque un gros centimètre avant qu'un visage ne soit pitoyablement écrabouillé. "Je le savais.", souffle le chevalier d'acier. "Je suis Ashita, chevalier d'acier des Sciences Biologiques. Il n'y avait aucune chance pour que tu me trompes." Sans ouvrir les yeux, sans bouger, le seigneur noir exprime une profonde sérénité. "C'est donc ainsi que vous avez vaincu le gardien. - Vaincu ? - Oui, vaincu. Séparément, aucun de vous ne m'aurait inquiété, mais à vous trois, vous avez triomphé. La rumeur était donc fausse. Des 'chevaliers d'acier', vous dites ? Vous n'êtes donc pas du Sanctuaire. Toi, qui te fais appeler le chevalier de la Machine Informatique, par ton habile sens de l'observation et par ton instinct, tu as su mettre à nu mes faiblesses et en tirer partie. Chevalier de l'Energie, ta force de frappe a eu raison de moi. Chevalier des Sciences Biologiques, tu as déjoué ma dernière carte, et m'a privé du potentiel de réduire les efforts de tes compagnons à néant. Je ne m'y attendais pas, mais ... je dois vous féliciter." La première jambe soutient courageusement son poids, celui de son armure et celui de ses blessures. Mais la deuxième chancèle quelque peu, et Sergueï aurait sans doute subit le déshonneur de la chute si le chevalier noir, celui qui l'accompagne, celui qui reste, ne l'avait point discrètement soutenu. L'autre vient de partir. Sans dire un mot, d'un seul regard, d'un seul signe, le Dragon noir vient d'envoyer un de ses hommes accomplir ce qu'on peut appeler une mission. Le but de cette mission reste toutefois un mystère complet pour les chevaliers d'acier, et, dans la mesure où aucun d'eux ne se sent de poser une question à ce sujet, le restera encore un peu. "Et maintenant ?", demande Kyô, aussi simplement que s'il demandait l'heure à quelqu'un. La réponse du seigneur noir ne tarde pas plus. "Un vœu pour un vœu. C'est à prendre ou à laisser. - Un voeu pour un voeu ?", s'inquiète Kyô, un peu surpris par pareille proposition. "Ce qu'il veut dire, lui explique Kinô, c'est que nous exaucerons mutuellement un souhait de l'autre. Lui pour nous. Nous pour lui. Cela restera dans la mesure de nos capacités respectives, sinon l'accord sera caduc. Est-ce cela, Dragon Noir ? - Décidément, chevalier d'acier, tu possèdes plus de ressource que ton apparence ne le laisse deviner. Alors ? Que décidez-vous ?" "N'est-ce pas ce que nous pouvons appeler une alliance ?", s'aventure Kinô, une fois seul avec ses deux camarades. La route qui supporte ses pas n'est rien de plus qu'un sentier faiblement marqué par un passage sans doutes peu fréquemment employé. "Pas vraiment.", répond simplement Ashita. "Une alliance se fait dans un objectif commun, ce qui n'est pas le cas présentement. - Nous n'en savons rien, reprend Kinô. il n'a même pas voulu nous dire quel est le voeu qu'il voudra qu'on exauce pour lui. - Mais il n'a pas voulu entendre le nôtre. Il s'en désintéresse probablement. - C'est vrai !", et Kinô a l'air très convaincu en affirmant cela. "Quelque chose doit vraiment lui tenir à coeur, pour qu'il s'engage à nous aider ainsi, sans même savoir ce que l'on veut. Tout ce qu'il nous a demandé, c'est de transmettre un message aux trois autres seigneurs noirs. Il avait l'air sincère en disant qu'à nous tous, nous pourrions atteindre tous les objectifs." Kinô jauge le sol devant ses pieds. Il se serait plutôt attendu à une côte, mais la platitude du terrain signifie sans doute qu'ils sont en train de contourner le volcan. Quelque chose semble ne pas tourner rond, mais la voix de Kyô le tire de ses pensées. "Les seigneurs noirs ... Qui sont-ils ? Quels sortent de pouvoir possèdent-ils ? - Je m'inquiète moins de ces questions là, reprend Ashita, que de savoir s'ils vont nous croire. - 'Dites-leur que Sergueï du Dragon Noir les convoque à titre exceptionnel. Dites-leur que s'opposer à votre volonté revient à faire de moi leur ennemi.'" Ainsi parle Kinô, citant celui qu'ils ont laissé un peu plus tôt, l'abandonnant à la seule garde de celui qui doit être un simple guerrier à la solde d'un clan. "Rappelez-vous des paroles de Sylvan. Il nous a dit que les seigneurs noirs n'étaient pas ennemis. Ils accepteront sans doute de venir avec nous, ne serait-ce que dans le doute. De plus, le Dragon Noir a envoyé un de ses hommes prévenir de notre arrivée." Kinô s'arrête de marcher. Jetant des coups d'oeil dans toutes les directions, il se sent légèrement désorienté. "Au fait, l'interromps Kyô, comment expliques-tu que ce Sergueï n'ai pu esquiver Firebolt, tout à l'heure ? Comment as-tu deviné que cela se produirait ? - Pardon ?", Kinô semble un peu perdu. Mais, peu désireux de se laisser distancer, il prend le pas de ses deux camarades. "Ah oui, c'est en fait très simple. Je suis surpris que tu ne t'en sois pas rendu compte toi-même. Tu as sans doute remarqué que son style de combat était très passif, très défensif. Il s'est certes jeté sur moi au départ, mais par la suite, il attendait méticuleusement un premier mouvement de notre part. - Et alors ? - Il y avait pleins d'autres petits détails qui m'ont mis la puce à l'oreille, et quand je t'ai proposé ce plan, je n'avais presque plus de doutes. - Mais enfin, de quoi tu parles ?" Kinô n'est pas du genre à se vanter de son savoir-faire. C'est tout simplement qu'il aime amener les autres à ce qu'ils trouvent les solutions des énigmes par eux-mêmes. "Même toi, tu as été surpris par sa réaction quand nous avons masqué notre présence. Penses-tu qu'il ait réellement réagit de façon pertinente en nous imitant ? Je ne crois pas. Alors à ton avis, est-il stupide d'avoir fait ça ? - Viens-en au fait, Kinô, tu me fatigues avec tes questions. - Très bien. Ce n'est pas un compliment, Kyô, n'importe qui qui aurait vu ton attaque l'aurait esquivé d'un seul bond. - C'est justement ça que je ne m'explique pas, justem... Attends une seconde, n'importe qui qui aurait 'vu' mon attaque ?" Le regard de Kinô décroche de celui de son camarade, et se lève vers le ciel. "Cet homme est vraiment très fort d'arriver à autant dissimuler son infirmité, mais tu as bien compris. Le seigneur noir du Dragon, l'implacable Sergueï, est aveugle. ... Au fait, on n'est pas déjà passé par là ?" 'Des chevaliers d'acier ? Qui peuvent-ils bien être ? Ils ne sont pas du Sanctuaire, à quelle faction peuvent-ils appartenir ? Servent-ils une autre divinité ? L'homme tient difficilement debout. Afin de sauver les apparences, il a poussé son corps au-delà de ses limites, et le contre coup commence à affaiblir son endurance. 'Toutes ces questions que je me pose, ont-elles seulement un sens ? Si ils peuvent m'aider, et je pense qu'ils le peuvent, cela est suffisant.' Il se tourne vers le chevalier noir qui se tient à son côté. Il ne peut pas le voir, mais il perçoit sa présence mieux encore que si ses deux yeux lui offraient la chaleureuse lumière du Soleil. Mais il ne s'intéresse pas à lui. Il pense à quelqu'un d'autre. Il pense à lui, à cette personne... 'S'ils peuvent t'aider ... mon frère.' Un an plus tôt 'Je m'appelle Roman, et je suis une ombre. Je regarde mon frère sortir de la cabane, mais ces quatre murs de bois sont mon seul Sanctuaire. "Au revoir, mon frère" Il entend à peine mon salut. Mais je ne lui en veux pas : il est Sergueï, seigneur noir du Dragon, et commande sans limite sur le clan dont il est le maître. Il est le plus puissant des chevaliers noirs. La demi-douzaine d'hommes qui lui obéissent aveuglément peuvent sembler peux nombreux, mais chacun d'entre eux fait plus que mériter son armure noire. Il balance les trois autres seigneurs noirs réunis, Jango lui-même le craint, qui ne doit son salut qu'à un désintéressement à son sujet de la part de mon frère. Mon frère, Sergueï... J'existe à peine pour lui. Il ne se préoccupe pas de moi, et m'interdit de révéler mon existence, me forçant à me terrer, à l'abri des regards, en attendant mon jour. "Tu es mon frère jumeau, m'a-t-il dit, un jour. C'est un fait intéressant, tactiquement parlant. Nous jouerons cette carte le jour venu." Il est tout sauf fraternel. A la naissance, quand notre mère nous portait dans chacun de ses bras, je pleurais, et il m'ignorait. Aveugle de naissance, j'ai fais trois fois ses efforts dans la vie, et quand finalement j'ai gagné mon armure du Dragon Noir, rien n'a changé. Mais cela m'est égal. Peu m'importe ce qu'il pense de moi. Peu m'importe qu'il m'ignore, ou qu'il me méprise. Peu m'importe que ce ne soit pas réciproque, car il est mon frère, et cela me suffit. Si son attitude vis à vis de moi est celle qui lui convient, je l'accepte sans rien dire. Et s'il me demandait de mourir pour lui, je le ferais.' 'Près d'un an s'est écoulé, depuis que je pensais à tout cela. Je disais, alors, que je ferais tout pour lui. Que je mourrais pour lui, s'il le fallait. Il y a un mois, Sergueï s'est effondré, frappé d'un mal étrange et inexplicable. C'est alors que c'est arrivé. "C'est ton heure. Prends ma place. Prends mon nom. Agit comme je le ferais." C'est ce qu'il m'a dit. Il ne veut pas paraître faible, mais à privilégier les apparences, il risque de mourir. J'aurais échangé ma santé contre sa maladie, si j'avais pu, mais comme cela n'est pas possible, je n'ai plus qu'à chercher de l'aide. Ce faisant je désobéis à sa volonté, car lui n'aurait jamais cessé d'être quelqu'un de fort, de solitaire, quelqu'un qui ne compte sur personne. Si aujourd'hui il compte sur moi, cela donne un sens à mon existence. "Arrête toi ici." Je me rappelle cet ordre. Nul sur l'île de la Reine Morte n'est capable de soigner mon frère, aussi il me faut chercher du secours ailleurs. Mais il était là. Il m'attendait, chargé de la haine que nous lui renvoyions sans cesse, prêt à nous tuer au moindre de nos gestes. "Arrête toi ici." Ainsi me parlais le gardien, Guilty, l'homme au masque de démon, alors que je faisais mine de partir. "Les chevaliers noirs sont sur l'île de la Reine Morte. Fait un pas de plus, et meurt." Dans mon désespoir, j'essai des mots qui ne sauront même pas entendus. "Je reviendrais. Je vais chercher de l'aide pour mon frère mourant. Je ne fais rien de mal." Il n'a d'abord rien répondu. Il s'est approché tout doucement de moi. Tétanisé, je ne bougeais pas quand il a approché son visage du miens. Je sentais sa respiration chaude derrière son masque atroce, et dans le chuchotement de sa voix, résonnait le son de ma propre mort. "Vous autres chevaliers noirs êtes moins que de la vermine. Même la vermine se respecte trop pour venir sur cette île, et vous, vous y avez grandis, vous entretuant comme des animaux, pourris par l'ambition, cultivant des espoirs laids. Chevalier Noir, ose me supplier, ne serait-ce qu'une fois de plus, et tu mourras dans la douleur. Je m'occuperais de toi. Je commencerais par t'arracher les membres, et t'écorcherais la peau, laissant la chair à vif. Je tremperais ton corps dans la mer, et le sel de l'eau te fera hurler de douleur durant des heures. Puis, j'abandonnerais ton corps aux oiseaux et aux charognards des îles alentours, et dégusterais le spectacle de ton ultime agonie. Quand tu mourras, tu n'emporteras que la douleur, celle de ton corps, et la haine, celle que tu nourriras pour moi. Tu passeras le reste de l'éternité dans un enfer atroce. Et tout cela, vois-tu, sera entièrement et uniquement de ta faute." Aujourd'hui, j'ai croisé le gardien. Je ne peux pas le voir, mais je devine son oeil, de l'autre côté de mes yeux, de l'autre côté de son masque. Il attend. Il attend que je tente quelque chose. Il attend pour mettre sa menace à exécution.' 'Un de mes hommes m'a fait part de la rumeur. Trois chevaliers inconnus auraient investi l'île de la Reine Morte. Ils prétendraient être des chevaliers d'acier. Mon frère agonise, je ne peux même pas aller chercher d'aide, et aujourd'hui, un sursaut d'espoir me noue le coeur. Ces trois étrangers peuvent m'aider. Ils peuvent aider mon frère. La rumeur dit qu'ils appartiendraient au Sanctuaire. Si cela devait être le cas, peut-être pourrais-je négocier quelque chose avec eux. Dans l'autre cas, alors ils sont ici sans l'autorisation du gardien. Ce qui signifie... On m'annonce qu'ils viennent dans ma direction. J'envoie un chevalier noir prévenir les trois seigneurs noirs. "Dis-leur que je vais les affronter. Ils sont peut-être notre clef, notre sésame qui nous permettra de quitter cette île. Qu'ils se tiennent prêts, car dans peu de temps, si les circonstances nous sont favorables, je leur proposerais une alliance ponctuelle contre le gardien." Il part porter la nouvelle. Les chevaliers inconnus arrivent.' 'Je ne m'attendais pas à ça. Ils ne sont pas très forts, mais possèdent un potentiel comme nul autre pareil. Avec ce potentiel, ils ont vaincu ma force, et vaincront celle du gardien une nouvelle fois, comme ils l'ont déjà fait. Avec eux, les portes de notre prison vont s'ouvrir. Je pourrais quitter l'île de la Reine Morte, j'emmènerais mon frère, et sauverais sa vie. Sans doute me tuera-t-il, ensuite, de colère, mais je mourrais l'âme en paix. D'un geste, j'envoie un autre messager devancer les chevaliers d'acier auprès des seigneurs noirs. Ils sont rivaux, mais saisirons cette occasion. Que ce soit la liberté ou la vengeance, ils ont trop à y gagner pour ne pas prendre le risque. Je me sens faible, mes jambes flanchent. Un dernier chevalier noir me soutient. Il doit trouver cela étrange. Je me demande pourquoi il ne me distingue pas de mon frère : jumeaux, nos yeux n'en sont pas moins différents. Je lui demande de me laisser m'allonger. Il s'inquiète, mais obéit. Il veille sur moi. Je ferme mes yeux aveugles, et laisse la sérénité envahir mon corps. Je savoure l'espoir comme un nectar sacré, dont chaque goutte passionnerait mille jours pour mille personnes.' Un instant plus tôt L'invisible silhouette, personne ne l'a repérée. Elle s'est glissée contre un rocher, et s'est rendue aussi immobile que lui. La distance aidant, aucun des acteurs de cette scène ne le remarque. Ils sont six, ce n'est pas le moment. Cet homme les observe. Il observe avec intérêt le combat des trois inconnus contre le seigneur noir, mais n'intervient pas. Quand le combat se termine, il ne fait toujours rien. Un des chevaliers noirs se retire, sur un signe de son seigneur. Ils sont encore cinq, c'est encore trop tôt. Les chevaliers inconnus partent à leur tour. Le seigneur noir s'est effondré, trop affaibli pour supporter son propre poids. Ils ne sont plus que deux. C'est le moment. La silhouette sort de sa cachette. Elle se rue sur le chevalier noir, qui regarde malheureusement dans la mauvaise direction. Ce n'est pas difficile de lui prendre la vie. Il y a un gargouillis infâme au moment où sa tête quitte son corps, tranchée d'un seul revers d'une main puissante. Il n'est pas question d'attendre. Au sol, le seigneur noir reste dangereux, et il est en train de comprendre ce qu'il se passe. "Qu ..." Un coup de poing s'abat sur son estomac, tranche sa chair, broie ses os, traverse presque son corps, lui coupant le souffle, l'incapacitant à jamais. Il n'y a pas de cri, mais il y a la douleur. Il n'est pas encore mort. 'Il y a un cri, un cri qui meurt dans un gargouillis dont mes ténèbres me laissent imaginer l'origine. Je dois réagir... "Qu ..." Trop tard. Un poing me traverse le corps, m'incapacitant à jamais. La fulgurante douleur me ferait hurler, mais je suis trop faible pour cela. Je sens quelque chose rouler à mes pieds. C'est la tête du chevalier noir qui était avec moi. Lui au moins n'aura pas souffert. Quant à moi, je souffrirais mille tourments en enfer... "Tu n'es pas Sergueï.", me dit-il. "Tu as son apparence et son armure, mais pas ses yeux. Serais-tu son frère ?" Je suis en train de mourir, mais un sourire serein défigure mes lèvres. C'est celui du condamné à mort. Je réponds. " Pour comprendre cela, tu ne peux être que le maître autoproclamé de cette île, le lâche Jango. Tu sais pourtant bien que maintenant, tous les seigneurs noirs vont s'unir contre toi. Qu'espères-tu ? Pourquoi fais-tu cela ?" La voix de Jango est emplie d'une ambition démente. "Le temps est venu pour moi d'unifier cette île. Quant aux autres seigneurs, ils seront bientôt tous morts." Je cherche à comprendre le sens de ses paroles. Quand j'y parviens, je regrette jusqu'à ma naissance. Toute ma vie aura été un échec. Je perçois la main de mon assassin se lever dans le ciel. "Attends, Jango, ne veux-tu pas entendre ma dernière volonté ?" Mais il la connaît déjà. "Ton frère ? Tu m'en demandes trop, n'est-ce pas un seigneur noir ?" Des larmes. Chaudes, douces, elles s'écoulent le long de mes joues. J'ignorais pouvoir encore pleurer. Je ne perçois pas la main de ce monstre me trancher la tête. Dans tout l'univers, il n'y a plus que des regrets. Des regrets, et ces larmes ...' Une journée tout à fait tranquille. Telle était en tout cas l'opinion de Hennet, chevalier noir du Petit Chien, qui jusqu'alors laissait paisiblement les heures s'écouler, peu concernés par des responsabilités ennuyeuses. A son côté, se livrant à toutes sortes d'absences d'activités, une poignée de chevaliers noirs occupe un espace limité définissant le territoire du clan de Tordek, seigneur noir de l'Ours. De tous les seigneurs noirs affiliés au clan de Jango, Tordek est sans doute un des plus réfléchis et des moins cupidement violents, même si certains feraient remarquer que si il possédait tant de valeur que ça, il n'aurait pas dans son clan un de ces 'apprentis' dont on sait bien qu'ils n'auront jamais d'armure noire. Mais Hennet se moque de tout cela. Il a obtenu son armure quelques mois plus tôt, après quelques années de galères, et entend bien jouir du confort que lui confère ce statut. Il sait bien que même les chevaliers noirs en viennent à des situations désagréables, mais n'en a cure. Tout ce qu'il souhaite, c'est que les choses restent ainsi. C'est pourquoi il déteste à ce point la suite des événements. Car l'arrivée des trois chevaliers inconnus de la rumeur n'est pas quelque chose qui va rendre sa journée plus simple. Kyô, Kinô et Ashita. Ce ne sont pas les noms que leurs ont donnés leurs mères, mais ils aiment s'appeler ainsi. Il y a une heure, ils partaient à la rencontre des seigneurs noirs. Ce n'est pas que les explications de ce Dragon Noir étaient confuses, ni qu'eux-mêmes manquent de compétence dans le domaine de l'orientation, mais, il fallait bien se rendre à l'évidence, ils s'étaient perdus. "C'est ici ?", s'inquiète Kyô, chuchotant la question discrète à l'oreille de son camarade. "Je ... Je ne sais pas.", lui répond, peu en confiance, ce dernier. Le fait d'avoir vaincu le Dragon Noir, réputé être un des puissants de cette île, ainsi que leurs victoires sur Jozan et Sylvan, devrait les rassurer quant à leur sécurité, mais il est difficile de ne pas se sentir vulnérable quand une demi-douzaine de paire d'yeux vous fixent, et qu'une seule d'entre elle ne porte pas d'armure. "Vous avez vu ça ?", s'étonne un Kinô facilement impressionnable. "Quoi donc ?", demande Kyô. "La fille. - Pardon ?" Kyô jauge chacun de ces adversaires potentiels. Tous ont l'air de chevaliers virils. "Je vois pas de fille, moi. - Elle est très masculine. Elle n'a pas d'armure. - Quoi, c'est une fille, ça ?" Mais les deux camarades ne continueront pas leurs spéculations, car l'un de ces chevaliers noirs s'approche d'eux. La simplicité de son apparence, la douceur de son visage tranche par rapport à ceux des autres chevaliers noirs, et dans sa voix résonne quelque chose de rassurant. "Bonjour, étrangers. La rumeur de votre présence est arrivée jusqu'à nous, aussi est-il inutile de vous présenter. Quant à moi, je suis Tordek, seigneur noir de l'Ours, maître de ces terres. Nous avons entendu parler de vos exploits, et ne souhaitons pas entrer en conflit avec vous." Frappé par une vérité, Ashita chuchote à l'oreille de Kinô. "C'est le premier à nous être pacifique.", se félicite-t-il. "Il me plait." "Pouvons-nous connaître la raison de votre présence ici ?", s'enquiert le dénommé Tordek. Ashita lui répond. "Nous nous sommes égarés. Nous cherchons promptement les trois seigneurs noirs, appelés de façon urgente par le seigneur Sergueï du Dragon Noir. - Je crois que votre quête s'arrête ici.", répond simplement le seigneur noir. Ashita reste interloqué une seconde, ne saisissant pas très bien le sens de ces paroles. Le Dragon Noir leur a décrit ceux qu'ils doivent chercher. Il y a Jared, le Pégase Noir. Il y a Sven, le cygne noir. Et il y a Huseiyn, l'Andromède Noir. Ce Tordek n'est manifestement aucun d'eux. C'est alors qu'il réalise la direction du regard de Tordek, qui ne les regarde pas directement, mais fixe quelque chose derrière eux. Il perçoit la présence derrière son dos. Il fait volte-face en un instant, pris d'une intuition aussi mauvaise qu'elle n'est soudaine. "Kinô ?", s'inquiète-t-il. "Qu'en penses-tu ?" Le chevalier de la Machine Informatique est blanc comme les neiges des hautes montagnes. "Ils..." Son coeur s'est presque arrêté de battre. "Ils sont fout de rages. Voyez leurs ... regards. Ils ne pensent qu'à nous tuer." Ce sont eux, les trois seigneurs noirs. Non soumis à l'autorité de Jango, leur force dépasse celle des autres chevaliers noirs, et tout ce qui se passe sur l'île de la Reine Morte les concerne inévitablement. S'opposer à leur volonté, c'est chercher des ennuis. Les mettre en colère, c'est signer sa mort. Ils sont ici. Et ils sont fous de rages... "Vous tuer ?", lance froidement l'un d'entre eux, le Cygne Noir. "On va peut-être commencer par ça, oui." Au même moment, Grèce Là-bas, dans la vive lumière de l'après-midi, se tient un homme. Son apparence n'est pas la plus fière qui soit, mais dans son regard luît la lueur de la détermination, le sérieux, le devoir. C'est peut-être le genre d'homme capable de rester sur place à ne rien faire, dans un coin discret du Sanctuaire sacré d'Athéna, mais désormais il est plus qu'un simple garde. La silhouette se glisse jusqu'à son niveau, et l'interpelle d'un seul mot. "Déipylos ? - Tu sais, Axios, je ne suis pas sûr de ce que les autres penseraient, s'ils nous voyaient nous rencontrer ainsi." L'autre éclate de rire. "Arrête de dire des choses qui n'ont pas de sens, tu sais bien que je n'ais eu mon armure du Petit Renard qu'il y a peu de temps, et que nous avons toujours été bons amis. Et puis n'as-tu pas eu une promotion toi aussi ? Ne fais-tu pas désormais partie de la garde rapprochée du Grand Pope ? N'est-ce pas le statut le plus honorifique qui soit pour un non-chevalier ? - Mm... Peut-être." Le regard des hommes, leurs yeux luisants, le sourire aux coins de leurs lèvres, un profond respect mutuel, tout dans leur attitude exprime une confiance réciproque sans défaut, une possible amitié. "Axios, as-tu parlé à Tremi ? - Mon maître, le chevalier d'argent de la flèche, mourrait sans hésiter si le Grand Pope le lui demandait. Nous avons commis une grave erreur en lui parlant, maintenant, il a des doutes à mon sujet. - Zut ..." Avec cette nouvelle, c'est un espoir qui se perd pour Déipylos, une possibilité en moins. Mais d'autres cartes sont à jouer. "Axios, je dois t'informer d'une nouvelle grave. - Un autre corps découvert ? - Non. Pas aujourd'hui. C'est en relation avec un lieu nommé l'île de la Reine Morte. - L'île de ... ? Tu parles de cette île où vivraient des chevaliers reniés par Athéna ? Ainsi, elle existerait bien, dire que je croyais que ce n'était qu'une légende... Qu'y a-t-il à son sujet, Déipylos ? - Le Grand Pope a ordonné son anéantissement." Quelques secondes suspendent le temps, avant que le chevalier de bronze ne réponde. "Rien ne me choque là-dedans, je crois. Si ce sont bien des renégats... - Le problème, c'est que l'exécution n'a finalement pas eu lieu. - Tiens donc ? Pourquoi cela ? - La simple intervention du chevalier de la Vierge a persuadé le Grand Pope de reporter l'opération." "Il se passe quelque chose de grave.", répond finalement Axios, après une patiente minute de réflexion. "De mémoire, le Grand Pope n'est jamais revenu sur une décision. Jusqu'à aujourd'hui, il agissait de façon troublante, mais cohérente. Préviens les autres de ton côté, je vais voir ce que je peux faire. - Dois-je en parler à qui tu sais ? - Tu sais bien qu'on sera perdu si on se trompe à son sujet, alors mieux vaut attendre." |