Chapitre 1 : Star Light Extinction


Je suis Sion de Jamir, chevalier d'or du signe du Bélier. Et aujourd'hui, je vais mourir.

Pourquoi cela doit-il toujours se passer ainsi ? Depuis des siècles déjà, ces conflits ébranlent le monde. Pendant des générations encore, ils se succéderont, inlassablement. Et nous n'y pouvons rien, simples acteurs que nous sommes, voués à une fin tragique. Sans cesse les mêmes luttes, les mêmes affrontements. Pour défendre les mêmes causes et les mêmes utopies. Jamais cela n'a changé, jamais cela ne changera. Parce qu'Ils en ont décidé ainsi, et que nous Leur devons tout.

Remettre en cause cette situation est impossible. La seule attitude convenable est de jouer notre rôle jusqu'à son terme, avant de quitter définitivement la scène. L'issue du combat n'a, au fond, que peu d'importance. Elle ne viendra jamais. Seule compte la guerre. Pour elle nous serons sacrifiés aussi sûrement que des pions sur un échiquier. Mais loin de me déplaire, un tel destin m'emplit de fierté.

Comment tout cela a-t-il commencé ? D'abord était l'harmonie. Cette terre n'était parcourue que par un frémissement de paix et de sérénité. Puis les homme ont surgi d'on ne sait où, apportant avec eux leur cortège de rêves et de cauchemars. Alors que la majorité d'entre eux ont choisi de s'enfoncer dans la barbarie, certains, par un miracle de sagesse, ont réussi à guider leur âme vers des cieux plus cléments. Et sont devenus des dieux. Du partage du monde est né l'Equilibre. Chacun avait trouvé sa place et son domaine.

Il aurait pu en être ainsi pour toute l'éternité, mais cela n'a duré qu'un trop bref instant. Bientôt, certains dieux ont jugé que les hommes n'étaient plus dignes de peupler le monde, qu'ils méritaient la plus terrible des punitions, et ont entrepris d'appliquer eux-mêmes leur sentence divine. D'autres au contraire, ont dû se résoudre à s'interposer, pour protéger ceux qu'ils considéraient comme leurs enfants.

Et les guerres fratricides ont commencé, pour ne plus jamais trouver leur terme. Chaque génération fait son quota de victimes. Des humains, entraînés dans un conflit qu'ils n'ont pas déclenché. C'est un lourd fardeau qui pèse sur nos épaules. Tant de gens ignorent jusqu'à notre existence, alors que leur destin repose sur nous. Nous sommes garants de leur rédemption, et ne récolterons pour seule gloire que la satisfaction d'avoir accompli notre devoir. Mais c'est déjà la plus belle des récompenses.

Tôt ce matin, nos Cosmos ont résonné d'un appel alarmant. Une fois de plus, l'invasion a commencé, mais d'une façon inattendue cette fois. En l'espace de quelques secondes, nous avons tous ressenti la tragédie qui venait de s'abattre sur les hommes. Partout sur la planète, les spectres d'Hadès étaient en train de massacrer, tuer, prendre des vies par milliers. Au lieu de concentrer leur assaut sur nous, nos ennemis ont choisi de s'en prendre à ceux qui ne pouvaient se défendre. C'était sans doute un piège, destiné à attirer la majorité des chevaliers loin du Sanctuaire, afin d'affaiblir sa défense. Mais avions-nous le choix ? A des centaines de kilomètres, des dizaines d'hommes mouraient sans même comprendre pourquoi. Un véritable carnage avait commencé. Même ici, coupés du monde, nous le ressentions aussi sûrement qu'en y étant. Et que faire ?

Ces instants ont été parmi les plus délicats de toute notre existence. Nous savions qu'en éloignant les chevaliers d'argent et de bronze du Sanctuaire, nous rendions notre propre tâche plus difficile encore. Il a pourtant fallu prendre rapidement cette décision. La déesse ne pouvait laisser mourir les habitants de la terre, qu'elle avait pour rôle de protéger. En quelques secondes, Athéna, souffrant au fond d'elle de l'invasion qui avait lieu, a dû se résoudre à donner le signal. En un éclair, le Sanctuaire s'est vidé de presque tous ses occupants. La plupart, en effet, se sont dispersés aux quatre coins du monde pour tenter de mettre un terme à ce bain de sang. En ce moment même, ils sont sans doute en train de lutter contre les guerriers d'Hadès, dans l'espoir de limiter les dégâts. Je leur souhaite de réussir, même si je devine que peu d'entre eux verront le soleil se coucher ce soir.

Mais la bataille décisive va se dérouler ici, en ces lieux mille fois saints. Aujourd'hui encore, le sort d'un monde va se jouer. Nos ennemis sont déjà arrivés et, profitant des derniers instants de paix, s'apprêtent à donner l'assaut final. Douze nous sommes, fiers et unis face à l'adversaire. Ils sont plus nombreux, mais nous vaincrons. Aucun d'entre eux ne parviendra à traverser les douze Maisons, j'en fais le serment. Je les attends de pied ferme, sur le seuil de ma demeure. Ils s'approchent déjà, attirés par l'odeur du sang et des combats. Ce sont des humains, au fond, tout comme moi. Sans doute devrais-je même les considérer comme des frères. Pourtant le sort a voulu que nos rôles soient opposés dans la pièce qui va se jouer ici même. Je n'ai rien contre eux, mais nous ne sommes pas dans le même camp. Et pour cette seule raison, je vais affronter tous ceux qui voudront franchir le seuil de ma Maison.

J'ai toujours respecté mes ennemis. Ce que je ne supporte pas, c'est la médiocrité. L'un d'eux vient d'abattre froidement Pégase, un chevalier de bronze qui avait eu la folie de rester et de leur barrer la route, comme une preuve de son courage. Mais s'il s'imaginait nous être d'une quelconque utilité, il se trompait lourdement. Pégase, tu viens de comprendre à tes dépens que le courage ne peut pas tout. J'espère que tu t'en souviendras dans ta prochaine vie. C'est à nous seuls, chevaliers d'or, que revient l'honneur de défendre la déesse. Les sous-combattants n'ont pas leur place ici. Je ne te vengerai pas, chevalier Pégase. Ta mort m'indiffère, tu l'as amplement méritée par ta bêtise. Je m'efforcerai seulement d'accomplir mon devoir mieux que tu ne l'as fait, et je crois que ce ne sera pas bien difficile.

Les adversaires qui s'avancent vers moi sont nombreux, mais aucune peur ne m'envahit à leur approche. Pourtant, je sais bien qu'en tant que chevalier du Bélier, je suis en première ligne dans cette guerre. Mais peu m'importe de survivre ou non à cette funeste journée. Je me battrai, puisque mon destin m'y oblige. Et je défendrai mon temple jusqu'au bout.

*******

C'est ici que tout commence. Avec une tension évidente, les spectres gravissent lentement les marches qui les séparent de leur première étape. Puis ils s'arrêtent, à quelques mètres de l'unique occupant des lieux. Ils semblent hésiter devant leur destin. La Maison du Bélier est une étape obligée à laquelle ils ne pourront échapper, mais c'est un pas difficile à franchir. Le guerrier en armure dorée les dévisage, impassible. Bleux sont ses cheveux qui descendent jusqu'au bas de son dos, tandis que les deux points qui marquent son front luisent d'un éclat mystérieux et indéfinissable. Il tient son casque dans la main droite, comme s'il était peu désireux de combattre. Il attend une action de l'ennemi qui ne vient pas. Alors il parle, pour combler un silence pesant.

- Je ne vous souhaite pas la bienvenue ici, guerriers d'Hadès. Je sais ce que vous voulez, ce que vous espérez. Mais vous n'atteindrez pas votre but, je peux vous le certifier. Vous pouvez encore vous retirer, il n'est pas trop tard pour renoncer à votre folie.

Aucun bruit ne se fait entendre, pas même une respiration. De toute façon, il ne s'attendait pas à une quelconque réaction de la part des assaillants. Alors il reprend.

- Je suis Sion de Jamir, chevalier d'or du signe du Bélier, et gardien de la première Maison du Zodiaque. Quiconque tentera de la traverser périra de ma main. J'espère avoir été clair. Y a-t-il malgré cela des volontaires ?

Une fois de plus, il n'a que le silence pour réponse. Qui osera franchir le pas ? Personne ne semble décidé. Alors Sion, amusé, émet un petit rire ironique auquel répond un des assaillants avec détermination.

- Il y en aura, sois-en assuré. Nous traverserons le temple que tu es censé protéger en foulant des pieds ta dépouille ensanglantée. Il en sera ainsi dans chaque Maison du Zodiaque. Et ce soir, dans douze heures, le règne d'Athéna aura pris fin, laissant toute liberté à Hadès d'instaurer son utopie. Tu devrais être fier, chevalier du Bélier. Ta mort prochaine va contribuer à bâtir le monde idéal pour lequel nous nous battons. Mais il serait vain de gaspiller notre temps en conflits idéologiques...

C'est le puissant Eaque qui vient de prononcer ces paroles, le regard serein. Cependant, ce discours confiant ne provoque toujours aucune émotion chez le calme chevalier d'or du Bélier. Lui se contente d'observer tranquillement la scène. Il attend, immobile, le casque à la main. Eaque se tourne vers son groupe.

- Qui est volontaire ?

Un spectre s'avance, et toise son supérieur avec dédain.

- Je trouve cette façon de faire totalement stupide. Tous les atouts doivent être mis de notre côté. Alors pourquoi ne pas profiter de notre supériorité numérique ? Le combat singulier est certes plus glorieux, mais l'honneur est, avouons-le, tout à fait secondaire en de telles circonstances. Non, je suggère plutôt que nous attaquions Sion, tous en même temps. Nous sommes plus de 25... Ainsi, nous pourrons traverser sans encombre les douze maisons du zodiaque, et atteindre la déesse en quelques minutes.

Jamais silence n'a été plus tendu que celui-là. Eaque demeure impassible. Comme en quête d'un signe divin, il lève les yeux vers le ciel pendant un court instant. Avant de les rabaisser. Sans un mot, il tend le bras. Un éclair jaillit, son interlocuteur s'écroule. Cette exécution brève et sans appel semble avoir suscité l'intérêt de Sion. Il ne croyait pas les spectres capables de s'entretuer. Il s'apprête à esquisser un sourire, lorsque Eaque reprend la parole, les yeux perdus vers l'horizon et la mer déjà tumultueuse. Il parle vite, d'une voix sèche et cassante.

- La fin ne justifie pas les moyens. J'espère que tout le monde a compris, je ne le répéterai plus.

Sion est impressionné. Pour lui, les spectres ignoraient le concept même de loyauté. Il les a toujours considérés comme de vulgaires assassins, n'obéissant qu'à leur propre intérêt. Mais voilà une attitude qui vient contredire cette analyse. Il en viendrait presque à éprouver une certaine admiration envers Eaque. Le respect mutuel que ressentent deux hommes partageant les mêmes principes. Peu importe. Son destin est de défendre la maison du Bélier. Comme à son habitude, il ne manifeste rien des sentiments qui l'agitent, et se contente d'observer l'ennemi. L'un d'eux, vêtu d'un surplis aux formes inhabituelles et originales, prend la parole.

- Partez.
- Quoi ?
- Partez, Eaque. Je me charge du chevalier du Bélier. Vous devez avancer. Je vous rejoindrai par la suite.

Inutile de parler davantage. Un silence est souvent beaucoup plus explicite qu'une conversation futile et dénuée d'intérêt. Tandis que Sion recule dans les profondeurs du Temple dont il a la charge, Eaque échange un regard avec son interlocuteur, avant de lever la main, et tous s'élancent, remplis d'espoir et de courage. Les assaillants ne perdent pas une seconde, et aucune hésitation ne les ralentit. Ils pénètrent au coeur de la Maison du Bélier sans prêter la moindre attention à son gardien avant d'être à leur tour happés par les ténèbres. Sion n'a pas esquissé un geste pour les arrêter. Seul demeure un spectre, celui qui s'est proposé pour affronter le chevalier d'or. Il gravit les dernières marches avec prudence, mais sans aucune crainte. Une fois entré, il aperçoit la silhouette immobile du gardien, qui se tient devant lui. Il se poste devant son adversaire et l'observe d'un air circonspect, comme pour en juger la valeur.Aucun Cosmos n'émane de cet ennemi. Ce chevalier est étrange, il a l'air... absent. Son regard est perdu dans le vague. Et il ne profère aucune parole. Tant mieux, au fond. Cela vaut mieux que des préliminaires superflus.

- Très bien, chevalier du Bélier. Je ne perdrai pas de temps en discours inutiles. Mon nom est Astarill de la Mandragore, l'étoile céleste de la Magie. Le destin a fait de nous des adversaires, alors sois certain que je ne t'épargnerai pas, Sion du Bélier. En garde !

A une vitesse qui n'est pas tellement éloignée de celle de la lumière, le spectre se rue vers son ennemi en donnant l'impression de flotter au-dessus du sol. Une détermination sans failles peut se lire sur son visage. Il effectue soudain un brusque écart vers la gauche, et propulse son pied droit vers la poitrine de Sion. Mais celui-ci a déjà esquivé, et réapparait subitement derrière Astarill. Curieusement, il reste immobile. Astarill n'hésite pas. Il se retourne et tente de frapper le chevalier du Bélier à plusieurs reprises. Mais à chaque fois, Sion échappe au poing furieux de son ennemi. Et ce, sans le moindre effort. Sion se contente de disparaître, pour se matérialiser aussitôt à un autre endroit de la pièce. Astarill est cependant tenace. Il fronce les sourcils et des blocs de pierre surgissent du sol comme des fantômes. Après quoi ils sont projetés vers Sion avec une effrayante célérité. Encore un échec. Le gardien du Temple n'essaye même pas de les éviter. Il s'efface devant l'assaut, et réapparaît quelques mètres plus loin, dans la même position. Sans la moindre égratignure. Cette fois Astarill est ébranlé. Quel est ce chevalier ? Serait-il invincible.....

*******

- Halte ! Qu'est-ce que c'est que ça ?

Tout le groupe s'arrête devant un obstacle imprévu. Ils n'ont pas encore quitté la légendaire Maison du Bélier, que déjà les ennuis recommencent. Devant eux se poursuit le sombre couloir, sur plusieurs dizaines de mètres. Tout semble normal. A ceci près qu'un étrange mur se dresse, comme une barrière entre les spectres et la sortie du temple. Il est presque parfaitement transparent, mais n'a pourtant rien à voir avec du verre.

- Quelle étrange matière, murmure Eaque qui est venu effleurer la roche de sa main. Elle semble d'une solidité à toute épreuve.
- Ce n'est pourtant pas une vulgaire vitre qui va nous arrêter. Ecarte-toi, Eaque. Elle ne va pas nous barrer le chemin plus longtemps.
- Non, c'est une mauvaise id...

L'exclamation d'Eaque est couverte par le fracas d'un faisceau lumineux qui s'écrase contre le mystérieux mur. Après quoi une éblouissante lumière jaillit pour disparaître aussitôt. Le silence ne dure qu'un bref instant, avant d'être brisé par le bruit d'un corps violemment projeté sur le sol. L'imprudent spectre vient de subir de plein fouet sa propre attaque.

- Ménakis, imbécile... Tu ne pourras donc jamais réfléchir avant d'agir ?
- Je ne comprends pas, fait l'interpellé en époussetant son surplis. Cela ressemble à une simple plaque de verre, comment peut-elle renvoyer les attaques ?
- Il ne faut pas se fier aux apparences. Ce mur est bien plus solide qu'on ne le laisse croire.
- Voilà donc pourquoi le chevalier du Bélier nous a laissé passer sans trop faire d'histoires... Il avait tout prévu.
- Ca semble aussi solide que du diamant, voire plus encore. Mais c'est bien plus qu'une vulgaire barrière. Je crois que sa résistance est intimement liée au Cosmos de son créateur.
- Sion ? Alors il faudrait attendre qu'Astarill en vienne à bout pour pouvoir avancer ?
- Ne sois pas stupide, Ménakis. Ce mur reste quelque chose de matériel, il n'est évidemment pas indestructible. A la mort de Sion, il disparaîtrait certainement. Mais il est inutile d'attendre jusque là. Si la solidité de ce mur dépend du Cosmos de celui qui en est à l'origine, alors il doit être possible de le détruire en dépassant ce Cosmos.
- Je ne comprends rien à ce que tu racontes, râle Ménakis.
- Aucune importance. Nous allons tous projeter notre énergie contre ce mur, cela devrait suffire. A nous tous, nous en viendrons à bout sans problèmes. En avant !

Inutile de le dire une deuxième fois. Sans attendre, les spectres condensent leur Cosmos, avant de le projeter sur l'obstacle, dans l'espoir de le briser. Les bras se tendent, les muscles se crispent et les regards se concentrent sur l'objectif. Puis vient l'impact. Une lumière aveuglante, un bourdonnement étrange. Impossible encore de distinguer quoi que ce soit. Cette incertitude se poursuit quelques secondes durant, avant qu'un fracas de verre brisé se décide à y mettre fin. Cela a fonctionné. Devant eux ne subsiste plus qu'un couloir vide, à peine envahi par les volutes de fumée où se fondent les débris du mur qui leur barrait la route. La voie est libre, et les spectres s'y engagent sans un seul regard en arrière. Sauf un, à qui ce succès a semblé bien trop facile. Eaque doute. Avant de suivre le reste du groupe, il fronce les sourcils, alors qu'un frisson lui parcourt l'échine.Quelle étrange sensation...

******

Rien. Le silence. Un face-à-face. Et des pensées éparpillées qui s'entrechoquent dans une cervelle, à une vitesse qui donnerait le tournis à n'importe qui. Mais Astarill n'est pas n'importe qui.

"Bon, il n'y a pas 36 solutions possibles. La première idée qui me vient à l'esprit, c'est une illusion. Sion emploierait une illusion qui me ferait croire qu'il est ici alors que ce n'est pas le cas. Mais c'est absurde, parce qu'il n'a pas pu exercer une telle technique sur tant de guerriers à la fois. Alors ?....."

Son oeil méfiant se pose sur le calme et placide chevalier d'or du Bélier, qui semble avoir conservé la même position depuis le début. Il n'a toujours pas ouvert la bouche. Ce n'est pas qu'Astarill ait peur, loin de là. C'est seulement qu'il ne peut s'empêcher d'éprouver une certaine inquiétude face à un adversaire aussi froid, et absent. Et surtout, qui pas une seule fois n'a paru concentrer la plus petite parcelle de Cosmos. Un fantôme, voilà à quoi ressemble le chevalier d'or. Une silhouette vide de toute chaleur et de toute aura. Mais sans se laisser décontenancer, Astarill reprend le fil de ses pensées.

"A moins qu'il n'ait déclenché son illusion qu'après le départ des autres. Mais non. Car je n'ai pas senti la moindre agression mentale. Et pourquoi ne m'attaquerait-il pas, en profitant d'un tel avantage ? J'élimine donc l'éventualité de l'illusion. Alors que reste-t-il ? Peut-être qu'il est tellement rapide que je ne peux pas discerner ses mouvements. Mais ma vitesse est proche de celle de la lumière. Il peut à la rigueur atteindre ce plafond, et donc me dépasser, mais pas sans que je distingue ses déplacements. Alors quoi ? Une technique de téléportation peut-être ? A vérifier... Je vais déclencher une technique de combat contre lui. Je saurai alors s'il utilise une téléportation... ou autre chose."

Le trouble a depuis plusieurs secondes envahi Astarill, qui sent avec frustration que la situation lui échappe. Il faut agir, et vite. Focaliser ses pensées sur une attaque, quelle qu'elle soit, afin d'effacer le doute qui agite son esprit. Et aussi pour faire le test. Le spectre fixe ses yeux sur un point situé à des kilomètres de là. Il tend les bras d'une façon étrange, presque inquiétante. Ses mains se transforment en ombres fantomatiques. Aussitôt une lueur inconnue apparaît autour du corps de Sion. Orangée, elle s'intensifie et nimbe le gardien du Temple au point de rendre ses membres presque opaques. Après quelques secondes, elle l'a totalement enveloppé, sans qu'il ait pris la peine de faire le moindre geste de défense. Et pourtant, rien d'autre ne se produit. Astarill interrompt brutalement sa concentration, et croise les bras. Son visage prend un air dubitatif. Et les pensées recommencent à affluer dans sa tête. Mais une légère lueur est venue les éclairer, cette fois-ci.

"Une illusion... je crois que je n'étais pas très éloigné de la vérité. Ma technique s'est révélée inefficace contre cette... ombre. Cela signifie qu'il n'est pas ici."

A présent Astarill baisse lentement les bras et esquisse un sourire. La lueur orange qui nimbait le chevalier du Bélier s'estompe sans tarder, laissant place à un Sion qui n'a pas bougé d'un cil. Et qui juge toujours bon de garder le silence se contentant de fixer son adversaire du même regard froid et étranger. Une seconde s'écoule, pendant laquelle aucun des deux guerriers ne fait le moindre mouvement. Une idée s'approche, captée par le flot continu des pensées d'Astarill. Elle porte en elle la compréhension d'une situation mystérieuse. Et la lumière fut...

"J'ai donc en face de moi, non pas un chevalier d'or comme j'aurais pu le penser, mais une ombre vide de tout Cosmos. Peut-être une sorte d'apparition, de projection. J'imagine que Sion est resté plus profondément dans sa demeure pour stopper, ou tout au moins ralentir les autres. Et pour me distraire, il a utilisé une image de lui-même. Pfff.... Combien de temps espérait-il me retenir ainsi ?"

Astarill sourit vraiment maintenant. Sion l'a sous-estimé. Son stratagème était subtil sans doute, mais Astarill est intelligent et il le sait. C'est peut-être d'ailleurs ce qui lui a valu l'honneur d'être de ceux qui affronteraient l'élite de la chevalerie. En tous cas, à présent la situation est limpide, et l'attitude à adopter évidente. Le spectre semble reprendre conscience, réaliser que plus rien ne le retient ici désormais, et certainement pas cette ombre qui lui tient lieu d'ennemi. Et brusquement, tournant le dos à son adversaire, il se met à courir vers les profondeurs de la Maison du Bélier en proférant des paroles pleines de détermination.

- Ca suffit comme ça, Sion du Bélier. Tu ne m'échapperas pas de cette façon. Ni d'aucune autre, d'ailleurs.

Son adversaire ne répond rien. Astarill continue de courir, sans se retourner. Ce serait inutile. Sion n'est pas ici, de toute façon. Et il n'y a pas de temps à perdre. Le spectre accélère et suit sans tarder le même chemin que ses compagnons, quelques minutes plus tôt.

******

Des hommes, juste des hommes. Ce ne sont pas des dieux, même s'ils ont en eux une parcelle de force divine. Celle qui apporte une grandeur infinie aux actions, et qui parfois, donne naissance aux miracles. Ils avancent, au coeur du temple grec, sombre et mystérieux. Sans vraiment savoir vers quel destin ils se dirigent. Peu importe. Ils ne sont guidés que par la foi en leur cause commune. Comment la Fortune ne pourrait-elle pas leur sourire, dans de telles circonstances ? Et pourtant... Quelque chose est anormal ici. Cette idée naît d'abord chez les plus craintifs, ceux qui ne peuvent s'empêcher d'éprouver une peur irraisonnée à l'approche de l'inconnu. Mais les idées peuvent parfois se répandre redoutablement vite, pour causer des dégâts sans précédent. Et s'il n'y avait que ça...

- Stop !

Une voix s'élève, contrastant avec les bruits de pas qui résonnent depuis de longues minutes (heures ?). Tous s'arrêtent pour écouter celui à qui ils doivent le respect. Un de ces guerriers légendaires, celui qui porte le nom de Minos, manifeste ses craintes.

- Il y a quelque chose qui cloche.

Des paroles bien peu utiles, qui n'apprennent rien à personne. Tous ont bien remarqué que les choses ne se déroulaient pas comme prévu. Mais impossible de mettre le doigt sur le problème. Ce n'est d'ailleurs même pas nécessaire. C'est le problème qui s'impose à eux, bien rapidement.

- Qu'est-ce que c'est que ça ?

Des yeux se tournent vers Minos, qui vient de prononcer ces paroles méfiantes. On jette des regards dans tous les sens. Quelle est cette nouvelle menace ? Ce n'est rien d'abord. Un léger bruissement, aussi doux qu'un vent d'été, qui parcourt la salle. Puis une drôle d'impression, comme si l'air se mettait brusquement à scintiller. Des parcelles de poussière d'étoile qui commencent à briller aux quatre coins du Temple. On croit les voir danser dans les airs, et se répandre peu à peu dans la pièce, dans un son étrange qui rappelle un cliquetis. En temps normal, on serait tenté d'éprouver un certain émerveillement pour ce mystère. Mais Minos ne peut s'empêcher de ressentir une gêne, comme un mauvais pressentiment. Cependant, cette impression ne va pas au-delà de la simple inquiétude. Elle est stoppée net par la forme inconnue qui vient d'apparaître devant le groupe. Non, ce n'est pas une silhouette inconnue. Au contraire, ils ne la connaissent que trop bien. Grand, fier et majestueux. Revêtu de son armure étincelante. Aussi étonnant que cela puisse sembler, c'est Sion, le chevalier du Bélier, qui leur fait face. Un murmure d'incompréhension parcourt le groupe d'assaillants, auquel Sion met un terme rapidement, avec un petit rire.

- Guerriers d'Hadès, déclame-t-il comme si l'appellation "spectres" lui écorchait les lèvres, je serai bref. Votre entreprise est d'ores et déjà vouée à l'échec. Au vu de l'évidente faiblesse qui vous caractérise, je serais fort étonné si vous parveniez au-delà du troisième Palais. Malgré votre supériorité numérique, c'est la défaite qui vous attend au Sanctuaire. Une inévitable et écrasante défaite.

Remous dans son auditoire. Sion a distinctement souligné les deux adjectifs de sa dernière phrase. Les spectres voudraient répliquer, mais trop de pensées se bousculent en eux pour qu'une seule sorte du lot. Alors personne ne répond, et Sion reprend sa diatribe avec une conviction qui va en s'accentuant. Il parle, mais son esprit est en proie à une réflexion intense. A cet instant, il aurait souhaité disposer d'une attaque frontale qui lui permettrait de s'en prendre à l'ensemble des assaillants, en envoyant une bonne dizaine rejoindre leurs ancêtres. Mais tel n'est pas le cas. Tout au plus pourra-t-il en tuer trois ou quatre, pendant que les autres sortiront de sa Maison... Tant pis. L'heure n'est plus aux regrets ni aux états d'âme. Vient un moment où il faut cesser de réfléchir.

- Cette défaite, je vais d'ailleurs l'inaugurer ici même, dès à présent, par ce qui ne sera pour moi qu'un vulgaire échauffement. Mais pour vous... une saignée !

Il tend le bras en l'air, à la verticale, dans un geste d'une rare élégance. Puis tout devient flou. Tout au plus distingue-t-on deux mains ouvertes, libérant une lueur inquiétante, assombrie par la mort qui s'y dissimule. Le temps se ralentit brusquement. Une seconde se tend, s'allonge jusqu'à représenter une éternité aux yeux des envahisseurs. Mais ce n'est qu'une seconde. Une fois écoulée, elle s'enfuit, laissant derrière elle le souvenir de trois ombres dont les corps, déjà vides de toute essence, se fondent dans la plus mortelle des explosions de lumière. Quelques lambeaux de surplis ont été projetés aux quatre coins de la salle. Et le silence. Seul un silence glacé et évocateur fait office d'oraison funèbre et accompagne les défunts dans leur ultime voyage, vers un monde qu'ils ne connaissent que trop bien. Trois mots pourtant résonnent, doucement murmurés par celui qui est à l'origine de l'événement. Trois mots remplis de significations et de concepts.

- "Star Light Extinction..."

Puis c'est la riposte. Comme on pouvait l'espérer, la contre-attaque ne s'est pas faite attendre. Un premier homme se rue sur Sion pour lui faire goûter à toute l'intensité de sa rage. Ses poings fendent l'air avec célérité et puissance, mais sans subtilité. Et un coup de pied circulaire en pleine tête le projette contre le mur adjacent, où son corps s'enfonce comme si la paroi était de mousse. Un second prend l'offensive, et feint de frapper dans l'espoir de tenir le chevalier du Bélier à sa merci. Cette fois-ci, un peu de stratégie anime les mouvements furieux du spectre enragé. Mais la vitesse est bien en-dessous de celle de la lumière. Comment peut-on espérer atteindre un chevalier d'or avec une lenteur aussi flagrante ? Ainsi pense Sion, lorsque son uppercut envoie violemment son adversaire contre le plafond de pierre. Y a-t-il un troisième volontaire ? La réponse lui vient aussitôt au visage, sous la forme d'une pluie de cailloux pointus et acérés, prêts à trancher la gorge de Sion si celui-ci leur en laissait l'occasion. Ce ne sera pourtant pas pour cette fois.

- Crystal Wall.

Un simple murmure... et un mur de cristal s'interpose net entre la victime et les projectiles. Parfait. Sion n'est pas qu'un chevalier d'or. Sa valeur et son expérience le rangent parmi le cran supérieur de cette élite, il en a conscience. Et il n'en est pas peu fier. Aussi observe-t-il ses trois assaillants avec un mélange de mépris et d'amusement. Quant aux autres...

Ils sont passés. Il n'est nul besoin de regarder vers l'arrière pour constater cette évidence. Une vingtaine de spectres, profitant de la diversion offerte par trois de leurs compagnons, ont réussi à traverser la première Maison du Zodiaque, défendue par le sage et puissant Sion, chevalier d'or du Bélier. Ils sont à présent en route vers le Temple du Taureau, deuxième étape obligée de leur assaut. Telle est la situation. Sion n'a pas de regrets. Malgré sa valeur, il eût été utopique de sa part de vouloir intercepter tous les assaillants à lui tout seul. Et il n'est pas mécontent de sa manoeuvre, d'ailleurs. Trois spectres ont déjà péri de sa main. Une formalité. Trois autres lui font face en ce moment. Une seconde formalité. De la piétaille, rien de plus. Et cet Astarill ne va sans doute plus tarder à le rejoindre, désormais. Lui semble un peu plus dangereux que ses compagnons. Il doit avoir un niveau supérieur à celui d'un chevalier d'argent, contrairement aux six autres. C'est presque rassurant. Mais si Astarill tombe à son tour sous les coups du chevalier du Bélier, cela fera sept victimes, soit le quart de l'expédition. Non, décidément, Sion n'éprouve aucun regret à avoir laissé passer le gros des troupes d'Hadès. Avec sept victimes à son actif, il pourra quitter ce monde avec honneur et fierté. Mais pour l'heure...

- Par les Flammes de l'Enfer !

Sion tourne négligemment la tête vers le danger, mais son regard dépeint plus la curiosité que la crainte. Quelle est cette attaque ? Les deux mains du spectre se positionnent pour former un réceptacle ouvert en direction de l'adversaire. Il s'en échappe quelque chose, qui ressemble à une fumée orange, prête à partir en fusion. Très vite, elle se métamorphose, se tourne et se retourne dans les airs. De nuage, elle devient spirale dont les filaments s'épaississent et s'intensifient. Soudain c'est l'assaut. Sans crier gare, le tourbillon s'enflamme et se voit propulsé vers Sion à une vitesse qui ne manquerait pas d'impressionner les plus valeureux des défenseurs d'Athéna. C'est d'abord une chaleur étouffante qui se propage dans la salle, une exhalaison brûlante digne des volcans les plus terribles. C'est aussi la puissance condensée d'un souffle prodigieux, qui projette le tourbillon avec une telle force que son déplacement dans les airs émet un grondement sourd et inquiétant. C'est enfin et surtout l'intensité d'un Cosmos plein de rage et de colère, une aura furieuse qui s'apprête à déferler sur le meurtrier qui prétend défendre le Temple du Bélier. La spirale prend encore de l'ampleur, et poursuit sa course terrifiante, comme si rien ne pouvait entraver son sinistre dessein. Dans un instant, c'est toute sa formidable énergie qui va déferler sur le calme et placide Sion, pour l'emporter dans l'ultime voyage, celui que chacun craint et attend à la fois. Et pourtant...

Un choc.

Et tout s'écroule. C'est comme un bref mais intense coup de tonnerre qui réveillerait subitement un promeneur assoupi. S'ensuivent un court silence, puis trois exclamations de stupéfaction. Que s'est-il passé ? En une fraction de seconde à peine perceptible, un rien a retourné une situation qui semblait acquise. Un rien. Seulement la main droite du chevalier du Bélier, qui, les yeux fermés et le sourire aux lèvres, a stoppé net le tourbillon, aussi facilement que s'il s'agissait d'une légère brise. La spirale s'évanouit dans les airs avec un bruissement. Cette attaque, en apparence si menaçante, a été repoussée par Sion comme on écarte de la main une branche qui barre le passage, sans y porter davantage d'intérêt.

C'est une aura formidable que celle que dégage ce chevalier. Ainsi pensent ceux qui lui font face. Après un instant où il se laisse aller à la crainte, le spectre se redresse, l'air méprisant. Pour lui, rien n'est encore joué. Il serre les poings fronce les sourcils. Chacun de ses muscles est tendu en attente d'un effort qui ne tardera plus. Une lueur orange apparaît brusquement autour de lui et s'intensifie d'un coup, avec un son qui évoque une explosion. Ses mains et ses pieds semblent soudain s'enflammer, nimbés d'une lueur plus intense que le reste du corps. Le spectre reste un instant dans cette position, peut-être dans l'espoir d'intimider l'ennemi. Puis il prend l'offensive.

- Dioclès, prends garde !

Ignorant l'avertissement de son compagnon, le dénommé Dioclès, puisque tel est son nom, se rue sur son ennemi avec des intentions qui n'ont rien d'amical. Il frappe, bondit, feinte et frappe encore. Ses mouvements lui arrachent quelques grognements rauques entrecoupés de respirations brusques, où se devine l'essoufflement. En vain. Avec une évidente économie d'efforts, le calme Sion du Bélier évite et bloque méthodiquement chacun des coups que tente de lui asséner Dioclès. Cela ne semble être pour lui qu'un amusement, rien de plus. Dioclès n'a pourtant pas dit son dernier mot. Il pousse un cri de guerre plein de sauvagerie, autant pour intimider Sion que pour libérer toute sa force. Sa jambe vient frôler la joue du chevalier du Bélier en faisant jaillir de l'air un sifflement assourdi par la toute relative lenteur du mouvement. Il est manifeste qu'il a mis toute sa puissance dans ce coup. Et cela ne rend son échec que plus flagrant encore. Sion n'a eu aucun mal à éviter l'assaut, une fois de plus. Il sourit.

- Tu es lent, dit-il doucement, comme avec regret. Ton maître a commis une belle erreur en te croyant de taille à rivaliser avec les chevaliers d'or.

A ces mots emplis de vanité succèdent trois coups brefs, secs et puissants. Le premier atteint l'estomac de Dioclès, qui se plie en deux sous le choc. Le second le frappe sur la nuque avec une telle violence que le spectre vient s'écrouler au sol, abattu. Et le troisième l'envoie valser à quelques mètres de là, contre un pilier qui s'éclabousse de sang au passage. Une fraction de seconde plus tard, les compagnons d'infortune de Dioclès réalisent enfin ce qui vient de se passer. Et ça n'est pas agréable du tout.

Il n'est pas un combat qui rebute les mythiques spectres, sages et puissants guerriers d'Hadès. Leur fierté et leur courage ont bâti leur légende. Et à ce titre, le sentiment de crainte face à un adversaire de valeur n'est pas dans leurs habitudes. Ils n'ont pas coutume de se laisser intimider par une apparence d'invincibilité, eux que la Mort indiffère. Aussi, ce ne sont pas les manières quelques peu prétentieuses de celui qui dit être le chevalier d'or du Bélier qui pourraient faire naître en eux cette impression qui ressemble à de la peur. Les spectres vont vaincre, cela ne fait aucun doute. La Justice est - a été, et sera toujours - de leur côté. Cela est normal. Cependant, en cette journée de juin, parmi les plus tragiques, rien n'est normal.

- Golem.....

C'est une voix féminine qui se fait entendre. Sion hausse les sourcils, surpris. C'est un monde étriqué qui est le leur, un monde dans lequel les femmes n'ont encore qu'un rôle négligeable. Mais cependant, force lui est de constater les faits : c'est bel et bien une femme qui vient de parler, protégée par son surplis noir comme l'ébène. Immobile, elle murmure quelques paroles à son compagnon, le dénommé Golem. Des paroles qui n'intéressent en rien le chevalier du Bélier, lui qui connaît déjà l'issue de l'affrontement.

- Attaque, reprend la jeune femme. Une seule fois. Et de toutes tes forces. Je suivrai.
- Bien, Meryll, acquiesçe Golem en hochant une tête presque totalement masquée.

S'ensuit un silence qui est pour Golem aussi pesant que le serait un bloc de granite posé sur sa poitrine. Il prend une profonde et résolue inspiration. Vient un moment où il faut cesser de réfléchir. Et il bondit.

- Par la Tornade Rocheuse !

Plus de pensées, ni de paroles. Rien que la force, la puissance qui emplit chaque recoin de son corps. Ses mains se tendent, ses muscles se contractent. Et un déluge s'abat. Une formidable pluie de pierres, cailloux et morceaux de roche se forme, se condense et se focalise sur la cible, celui qui prétend défendre cette Maison. Le vent souffle, terrifiant de puissance. Les pierres se matérialisent ou s'extraient du sol comme par magie, et viennent se masser en un nuage compact qui continue d'assaillir l'infortuné chevalier du Bélier. Mais une fois de plus...

Sion n'a eu qu'à fermer les yeux. Aussitôt, devant lui une lueur est apparue, mystérieuse et fascinante. Elle marque clairement une limite, celle qui sépare l'échec de la réussite. A son seuil, la horde rocheuse, furieuse et hurlante, stoppe net sa progression. Les pierres demeurent suspendues dans les airs. Comme si elles hésitaient. Comme si elles attendaient les ordres. Une voix amusée s'élève.

- Quelle erreur, lance Sion avec emphase. En matière de télékinésie, n'est pas né celui qui me dépassera !

En réponse à ces paroles, les pierres se remettent en mouvement. Mais dans la direction opposée... auraient-elles subitement changé de maître ? Toujours est-il que c'est désormais sur le spectre du Golem que se rue à présent la masse hétéroclite de cailloux en tous genre. Au premier abord, celui-ci n'est pas exagérément inquiet. Il sait que la solidité de son surplis est à toute épreuve, et plus encore lorsqu'il s'agit de roche. Mais dès que les projectiles font mouche, il laisse échapper un hoquet de surprise. Sa protection cède rapidement, et se voit entamée de toutes parts, sous l'action de la multitude de cailloux qui s'abat sur elle. Quelques secondes passent, et tout est joué. Golem tombe en arrière, le surplis réduits en miettes, inutilisable. Le sang suinte des excavations faites dans le métal noir du surplis. Visiblement, Golem a eu son compte, lui aussi. Ainsi songe Sion, avant d'être, une fois de plus, brutalement interrompu.

- PAR LA CLARTE CELESTE !

C'est une explosion de lumière blanche qui survient aussitôt. Elle s'intensifie et se répand dans toute la pièce, obligeant le spectre à fermer les yeux. Le flash est bref, intense et éblouissant. La lumière ne s'estompe que très progressivement, laissant peu à peu la place à la semi-obscurité du Temple. Et Meryll ne cache pas sa satisfaction. En théorie, cette technique peut servir à éblouir l'adversaire afin de le rendre vulnérable. Mais poussée à l'extrême, elle donne la mort à la victime dans un éclat d'une blancheur aveuglante. Il va sans dire que c'est précisément ce que Meryll a prévu. Aussi est-elle passablement surprise lorsqu'elle ouvre les yeux.

Second flash, en réponse au premier.

Il est probable que Meryll n'a même pas le temps de comprendre ce qui est en train de lui arriver. Elle le subit, et c'est déjà largement suffisant. Au moment où elle a ouvert les yeux, croyant assister à la défaite de son adversaire, elle a subi de plein fouet sa propre technique. Comment est-ce possible ? Comment Sion a-t-il pu lui retourner son attaque ? Autant de questions dont elle ne connaîtra jamais les réponses. Meryll n'a aucune défense à opposer à son arcane. Aussi est-ce avec une certaine amertume qu'elle se résigne à accepter le destin qui est le sien. Et elle meurt, dans une souffrance qu'elle destinait à son ennemi. C'est une fin brève et tragique, celle d'une guerrière qui certainement tombera dans l'oubli. Comme s'il le comprenait, Sion murmure quelques mots, en guise d'oraison funèbre.

- Quel dommage... c'est une technique excellente, mais je disposais d'une défense plus excellente encore. Mon Crystal Wall t'a renvoyé ta propre attaque tout en me protégeant à la perfection. Oui, c'est dommage....

Le silence reprend ses droits dans la Maison du Bélier, déjà passablement endommagée par les quelques combats qui y ont eu lieu. Sion soupire en contemplant ses ennemis vaincus. S'ils n'ont pas encore rendu l'âme, ce n'est qu'une question de minutes. Mais le chevalier du Bélier est de ceux qui ont le goût du travail bien fait.

- STAR LIGHT EXTINCTION !

Il n'avait peut-être pas besoin de hurler ainsi le nom de sa technique. En murmurant ces trois mots, à voix basse, le résultat eût été identique. Mais cela lui a procuré un plaisir sans précédent, chose dont un chevalier d'or a rarement la chance de profiter. En tous cas, les corps de ses trois adversaires ont disparu, emportés à jamais dans le Royaume des Morts. Sion sourit, et goûte au calme revenu. Quand soudain...

*****

Un frisson de colère me parcourt la poitrine. Six. Ce chevalier vient d'exécuter six de mes compagnons. En quelques instants à peine. Je ne perdrai pas mon temps en lamentations ni en jérémiades. Je les connaissais trop peu pour ressentir la moindre tristesse à leur disparition, que leur faiblesse rendait d'ailleurs inéluctable. Cependant, ce Sion a attisé ma colère avec ses paroles prétentieuses et pleines de vanité. C'est un homme profondément imbu de lui-même qui se tient devant moi. Mais plus pour longtemps, j'en fais le serment. Chevalier du Bélier, je vais te faire ravaler ta fierté, et tu connaîtras à ton tour la douloureuse humiliation du vaincu.

*****

Sion ouvre deux yeux grands comme les boucliers de la Balance. Il est interloqué.

- Quoi ? Mais... comment as-tu pu arriver jusqu'ici sans que je m'en...

Sa phrase se termine dans un hoquet de douleur. Astarill a bondi vers lui comme une étoile filante, avant de s'évanouir dans le néant. C'est une violente douleur au flanc droit qui indique à Sion la position de son adversaire. Trois coups au ventre plient en deux le fier chevalier d'or du Bélier, avant qu'un simple revers de la main le projette contre le mur de sa propre Maison. Sion se relève et lance un regard fulminant de colère à celui qui vient de lui administrer une si sévère correction.

- Une chose à la fois, je te prie.

Les paroles sont prononcées avec une sécheresse évidente. Sion revêt son casque.

- Tu es Astarill, n'est-ce pas ? Je constate que mon petit stratagème ne t'a pas retenu très longtemps... Dans un sens, c'est plutôt une bonne nouvelle. Peut-être seras-tu un adversaire digne de ce nom, à la différence de ceux qui t'ont précédé.

A ces mots, Astarill est parcouru d'un frisson en songeant à ses six compagnons, tombés sous les coups du chevalier du Bélier. Mais il se ressaisit bien vite.

- Sion, tu es visiblement de ceux qui perdent des heures en longs discours. Ce n'est pas mon cas, j'aime autant t'en avertir tout de suite.

Comme pour appuyer ses paroles, Astarill prend l'offensive une nouvelle fois. Sans prendre la peine de se mettre en garde, Sion tend la main gauche en direction de l'assaillant. Dans un instant, c'est toute l'intensité de son Cosmos qui va s'abattre sur lui. Déjà une inquiétante lueur apparaît dans sa paume. Pourtant, il ne peut retenir un fronçement de sourcils, et se sent parcouru d'une vague prémonition, comme si un danger le guettait. Mû par une mystérieuse intuition, il baisse les yeux vers le sol. Et bondit en arrière, juste à temps pour échapper à un halo de lumière qui surgit à toute vitesse d'un étrange cercle apparu sur les dalles. Il comprend trop tard que ce n'est qu'une diversion. Avant qu'il ait pu faire un seul geste, il se voit solidement agrippé par la taille, incapable du moindre mouvement. Sion entend un murmure rageur à son oreille, et sent soudain la pression se relâcher. Il est libre. Aussitôt il plonge en avant et se retourne pour faire face à son ennemi.

- Il y a un instant, tu étais à ma merci, sans aucun moyen de te défendre. J'avais une occasion de te tuer facilement, je ne l'ai pas saisie. (Il marqua une pause) Je tenais surtout à te montrer que les spectres sont des hommes d'honneur.
- Et qu'est-ce que tu veux que ça me fasse ? répond Sion avec un agacement non dissimulé. Loyal ou pas, tu es et tu resteras mon ennemi. Alors cesse de perdre ton temps, et rappelle-moi plutôt ton nom.
- Astarill de la Mandragore de l'étoile Céleste de la Magie.
- Tes compagnons se sont révélés être de bien piètres combattants. Ce qui est d'ailleurs tout à fait conforme à l'idée que je me faisais des guerriers d'Hadès. Néanmoins... ce premier contact avec tes semblables m'a apporté de nouvelles informations.
- Tiens donc... lesquelles ?
- Vous, les spectres, n'avez aucune maîtrise du septième sens, voilà qui est évident. J'ai observé tes compagons et le Cosmos qui émanait d'eux. Pour la plupart, je leur attribuerais, au jugé, le niveau d'un chevalier d'argent, voire d'un chevalier de bronze. Quelques-uns ont l'air un peu plus dangereux, mais ils sont moins d'une dizaine. Dans ces conditions, votre entreprise est d'ores et déjà vouée à l'échec.

Il marque une courte pause. Le temps pour lui de reprendre son souffle, tout en observant son auditoire. Astarill vient de froncer les sourcils. Il réclame davantage de précisions.

- Mais encore ?...
- Votre faiblesse, reprend Sion avec mépris. Hadès sait que nous, chevaliers d'or, formons l'élite de la chevalerie. Et pour nous affronter, il nous envoie... quoi ? Une trentaine de petits soldats, dont la majorité n'ont pas le dixième de notre puissance ! Cela peut signifier deux choses. Ou bien il s'agit effectivement là de l'élite des spectres, auquel cas elle me pousse davantage au rire qu'à l'inquiétude. Ou bien Hadès a mêlé dans son expédition combattants minables et guerriers de valeur, dans le but probable de sacrifier les premiers pour permettre aux seconds de triompher. Je pencherais plutôt pour la deuxième solution... Mais aucun espoir ne t'est permis. Dans un cas comme dans l'autre, vous avez déjà perdu, conclut Sion en souriant avec confiance.
- Quelle arrogance... mais je me vois forcé de reconnaître en toi une certaine intelligence. Chevalier du Bélier, peut-être as-tu raison. Peut-être Hadès a-t-il réellement choisi de sacrifier une poignée d'hommes pour qu'une seconde poignée, plus réduite encore que la première, parvienne à l'objectif. Mais sache une chose. Je m'en contrefiche, à un point que tu ne peux pas encore imaginer. Je suis un spectre, affilié à une étoile Céleste. Un exécutant. Et je me satisfais pleinement de mon destin d'exécutant. Si le sage et divin Hadès a mis en place une telle stratégie, ce n'est ni mon rôle ni mon désir de remettre ce choix en question. Quant à déterminer si cette tactique est judicieuse ou non... j'avoue que pour cela, j'ai davantage confiance en mon divin Maître qu'en un serviteur d'Athéna. Cependant, je crains que tu ne sois déjà plus de ce monde lorsque l'Histoire me donnera raison.

Sion va répliquer avec impétuosité, mais Astarill l'en empêche.

- Assez bavardé. En garde !

Et le spectre disparaît, dans un claquement de tonnerre.

*****

La Maison du Grand Pope. Le calme qui règne ici contraste radicalement avec la tension et l'agitation du Temple du Bélier. Tout est lent, doux et paisible. Comme si l'on ignorait la gravité des événements qui se déroulent au-dehors.

Pourtant, si un observateur attentif prenait la peine d'étudier les deux hommes qui se tiennent dans la pièce, sans doute capterait-il la concentration qui émane de chacun d'eux. L'un d'eux se tient en retrait, derrière une colonne. Du trône, on ne distingue rien de son apparence. Tout au plus peut-on voir qu'il a la tête baissée, comme en méditation. C'est l'étrange visiteur, qui a fait irruption dans le treizième Temple l'avant-veille au soir, causant d'abord la stupeur chez l'occupant des lieux, avant de lui révéler des faits de la plus haute importance. Mais cet inconnu demeure dans l'ombre immobile. Il attend son heure.

Un soupir de satisfaction. Celui qu'on appelle "Grand Pope" avec un respect mêlé de crainte, assis sur un fauteuil doré, semble lui aussi extrêmement concentré. Malgré son grand éloignement, il a assisté à toute la scène qui vient de se dérouler dans la Maison du Bélier. De l'arrivée des assaillants jusqu'aux paroles d'Astarill. Tel est le pouvoir du Pope, représentant suprême de la Confrérie des chevaliers. Et il sourit. Il a appris des informations d'un intérêt évident.

- Sion, commence-t-il dans un murmure, vient de mettre le doigt sur un détail qui n'en est pas un. Il va falloir agir en conséquence...

Le Grand Pope Alresha sourit. Il a désormais en main de nouvelles cartes dont il va immédiatement faire usage. Voilà donc la stratégie imaginée par le maître du Royaume des Morts... Très bien. La réponse ne se fera pas attendre. Une Guerre Sainte peut, par certains aspects, évoquer une partie d'échecs. Une fois qu'on a percé à jour les ambitions de l'adversaire, on agit en conséquence. Pour se défendre, autant que pour attaquer. Alresha prend une profonde inspiration. Le moment est venu d'utiliser une pièce maîtresse de son jeu, afin de mettre en échec les troupes d'Hadès.

Sa tête se redresse soudain et sa voix retentit, puissante et autoritaire, mais sans sécheresse inutile.

- Gardes ! Que l'on convoque immédiatement ici le chevalier de la Balance !

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Cette fiction est copyright Clément Baudot.
Les personnages de Saint Seiya sont copyright Masami Kurumada.