Chapitre 1 : Nouvelle Main


Tokyo, 23 juillet 2010 23h45.

Le jeune chevalier s'approcha silencieusement. Il dissimulait son cosmos autant que possible, mais il pouvait tout de même être vu ou entendu, et devait faire attention.

Des pas. Au loin un homme s'approchait, sans doute un garde. Le chevalier bondit dans un arbre, ne faisant tomber aucune feuille au passage. Rien ne trahissait sa présence, et le garde, vêtu d'un costume noir digne des Men in Black (quel vieux film ringard !), passa sous lui sans le remarquer. Des qu'il eut disparu, le chevalier se laissa glisser sans un bruit près de la grande maison.

Arkhan remercia son armure. Grâce à sa couleur sombre, il était plus facile pour lui de se dissimuler. Le vert foncé était parfait pour se dissimuler dans la végétation. Mais après tout, c'était normal pour un insecte.

Il revit mentalement le plan. La chambre était au premier, sa cible devait sans doute y dormir. L'héritier Kido ne savait pas qu'il devait mourir.

Arkhan se demanda pourquoi on avait confié cette mission à un jeune guerrier à peine confirmé. C'était sa première mission, et elle n'était pas très agréable. L'assassinat d'un civil ne lui plaisait guère, même s'il s'agissait d'un danger pour les Dieux eux-mêmes. Mais il en avait reçu l'ordre, et ne pouvait le discuter.

Merde ! Encore du monde. Arkhan fit un saut et se tint en équilibre sur la mince bordure qui longeait le mur en guise de décoration, s'agrippant au mur comme il le pouvait. Il se tint immobile, accroché comme une araignée à la pierre, priant pour que ces hommes ne repèrent pas la tache plus sombre qu'il formait sur la paroi. Les gardes disparurent sans l'avoir vu et il poussa un léger soupir.

Ouf ! il devait faire attention, et non pas rêver ! Arkhan décida d'en finir. Il courut jusqu'au mur de l'aile ouest, et vit la fenêtre du premier qui était ouverte. Quelle erreur ! Cela n'en serait que plus facile pour lui.

Arkhan bondit à nouveau, entrant dans la chambre en écartant les rideaux qui bougeaient légèrement à cause de la mince brise. Il était vrai qu'il faisait chaud, et que ce petit courant d'air était fort agréable.

Arkhan s'approcha du lit à baldaquin. La moustiquaire était en place, et l'héritier Kido lui tournait le dos, les draps ramenés jusque sur sa nuque. Seule sa tignasse bouclée, brune, était visible. Sa respiration était régulière.

Le chevalier écarta le voile destiné à protéger le dormeur des insectes. Mais Arkhan était un trop gros insecte. Il leva sa main, la transformant en lame, la tenant perpendiculairement à son poignet. C'était ainsi que lui, la Mante Religieuse, avait appris à combattre, à tuer. Sa victime ne sentirait même pas la vie la quitter. Il se prépara à frapper.

Le dormeur eut un soupir et se retourna, écartant les draps. Arkhan cessa son mouvement. Mais... c'était une fille ! Elle devait avoir le même âge que lui, ou peut-être était elle à peine plus jeune. Arkhan eut un regard involontaire vers la poitrine de l'endormie, mais changea immédiatement la direction de son regard, sentant ses joues s'empourprer.

Il hésitait. Son éducation lui interdisait de faire du mal à une fille, qui plus est sans défense. Mais en même temps, il devait accomplir cette mission. Que faire ?



Il n'eut pas à répondre à cette question. Un bruit derrière lui le fit réagir. Il se dissimula immédiatement dans un recoin de la pièce, son cosmos éteint pour ne pas éveiller l'attention.

Un autre guerrier en armure entrait dans la chambre. En un instant, Arkhan l'observa de la tête aux pieds. Il devait avoir son âge, et portait une armure gris-bleue, présentant de nombreuses facettes et peu d'arrondis, comme si elle était taillée dans un bloc de minéral inconnu. Ses cheveux étaient châtains, plutôt clairs, et assez rebelles, comme les siens. Ses yeux étaient d'un bleu très clair, comme s'ils étaient de verre, et ses sourcils froncés montraient sa concentration pour éviter de faire du bruit. Il était de taille moyenne pour son âge, mais ses bras nus montraient une musculature développée, normale toutefois pour un combattant.

Le guerrier vint aussi près du lit, et souleva le voile. Il parut aussi hésiter devant la belle jeune fille, mais secoua la tête, leva son bras, et l'abattit.

Il ne termina pas son mouvement. Arkhan se précipita sur lui et stoppa net son attaque en bloquant sa main.

"Quoi !? Qui es-tu ?"
"Mon nom est Arkhan, je suis la Mante Religieuse, au service de Bouddha. Et toi, qui es-tu assassin ?"
"Eric, du Cristal. Aux ordres d'Odin. Tu protèges cette fille ?"

Arkhan hésita. Devait-il lui dire ? Après tout...

"Non, j'étais aussi venu pour la tuer. Mais tu m'as interrompu."
"Et tu m'as empêché ? Pourquoi ?"

"Qui êtes-vous ?"

Les deux guerriers se retournèrent en même temps. La jeune fille s'était réveillée en les entendant, et les regardait de ses yeux encore endormis. Arkhan fut surpris par ses yeux. Ils ne révélaient aucune méchanceté, aucune ruse. Juste l'innocence d'une jeune fille pure.

Mais alors, pourquoi la tuer ?

Eric fit un geste vers la jeune fille, prêt à frapper, mais s'arrêta immédiatement. Lui aussi ne se sentait plus capable de la supprimer. La jeune fille les regardait toujours, une expression de crainte mais aussi de curiosité, sur le visage.

"Je... je peux savoir ce que vous faites ici ?"

Arkhan hésita. Il pouvait encore rentrer pour dire qu'il avait échoué.

"Rien du tout. Au revoir."

Arkhan se retourna, mais continua de surveiller Eric du coin de l'oeil au cas où il se jetterait sur la jeune fille. Pour une raison inconnue, il sentait qu'elle aurait besoin de sa protection.

Eric hésita quelques instants de plus, regardant alternativement Arkhan et la jeune fille, puis il fit demi tour et se dirigea lui aussi vers la fenêtre. Mais la porte s'ouvrit violemment et deux garçons en armure entrèrent. Eux aussi ne devaient pas être plus âgés qu'Arkhan.

"Qui êtes vous ? Partez immédiatement !"

Eric s'avança vers eux.

"Je ne prends pas d'ordre de petits minables dans votre genre. Dégagez ou vous le regretterez."

Les deux garçons se regardèrent un instant, puis chacun se jeta sur un des intrus. Les guerriers se retrouvèrent tous dehors, bondissant par la fenêtre, et atterrissant sur la pelouse. La jeune fille les suivit jusqu'au balcon de sa chambre, comprenant que le combat était inévitable, l'orgueil de chaque combattant lui interdisant la fuite.



"Mon nom est Anton, et voici Krell. Nous sommes les Gémeaux."

Arkhan dévisagea Anton, puis son ami. Anton était plutôt mince, il avait des cheveux longs qui dépassaient de son casque. Krell était plus petit, mais plus musculeux, et ses cheveux courts coupés en brosse étaient visibles car il portait un casque léger, ne protégeant que le front et les joues. L'un comme l'autre portaient une armure présentant un visage sur la poitrine et des vêtements sombres. Leurs armures étaient semblables dans leur forme mais pas dans leur couleur, néanmoins, elles avaient une grande ressemblance. Anton avait dit qu'ils étaient "les Gémeaux". Voulait-il dire qu'ils partageaient le même signe, et que leur armure était double ?

"Je suis Arkhan, la Mante Religieuse."
"Et je suis Eric du Cristal."

"Vous faites une belle paire d'assassins, tous les deux. Mais vous ne toucherez pas à Mademoiselle Kido !"

Telle n'était plus l'intention de Arkhan. Il voulait tirer cette histoire au clair. Bouddha n'ordonnait jamais de meurtre d'innocents. La tache des Bonzes Guerriers était de chasser les démons, et la fille Kido n'en était pas un. Etait-ce un test de loyauté ?

Mais ce n'était pas le moment d'y penser. Les deux Gémeaux concentraient leur cosmos.

"Eric, je crois qu'on va devoir se battre !"
"Je peux me les faire tout seul. Dégage, tu vas me gêner."
"Quoi ? De toutes façons, ça m'étonnerait qu'ils me laissent filer. Moi, je prends Anton."
"Comme tu veux. Je te réglerai ton compte après."

Arkhan fronça les sourcils. La situation devenait complexe. L'héritier Kido qu'il devait assassiner était une fille inoffensive. Un autre sanctuaire lui en voulait - Asgard, avait-il dit ? - et des chevaliers la protégeaient. Quatre combattants de trois camps différents sur la même pelouse, ça allait faire des dégâts.

Quelque chose clochait. Si Bouddha savait que Kido était protégée, pourquoi envoyer un jeune guerrier ? Et pourquoi Asgard avait fait la même erreur ? Cette situation était vraiment étrange.

Arkhan n'eut pas le temps de réfléchir davantage. Anton fonçait sur lui à la vitesse du son, son poing brillant sous l'effet du cosmos. Arkhan avait trop perdu de temps en réflexion, et eut à peine le temps de lever ses bras devant son visage pour encaisser l'impact.

"Simple Blast !" Le choc lui engourdit les deux bras, mais les dommages étaient minimes. Arkhan se laissa projeter en arrière, mais il se rétablit rapidement, et bondit vers son ennemi, qui venait de perdre l'effet de surprise.

"Kill ! Large Cut!"

Arkhan transforma son bras en faux, et fendit l'air devant Anton. Celui-ci se protégea le visage, mais Arkhan ne visait pas ce point. Une large coupure apparut sur l'abdomen d'Anton, qui se mit à saigner. Sous la douleur, le jeune chevalier tomba à genoux, et Arkhan courut vers lui, prêt à l'achever.

Il jeta un regard vers Eric, qui luttait difficilement contre Krell. L'air autour d'Eric brillait, comme s'il était composé de paillettes. Arkhan s'aperçut qu'il s'agissait de cristaux de glace qui flottaient autour de lui. Soudain Eric intensifia son cosmos, et un courant d'air froid émana de lui. Krell recula d'un pas devant cet afflux de puissance, mais il semblait chercher une faille dans la défense d'Eric plutôt qu'un moyen de fuir.

Arkhan leva involontairement les yeux vers le balcon où se trouvait Kido. La jeune fille se tenait toujours là, regardant avec des yeux effrayés. Arkhan saisit un mouvement non loin, et vit sur un toit adjacent une ombre qui se dirigeait vers elle. L'ombre s'immobilisa, réalisant qu'elle était repérée, puis fonça sur Kido.

Un autre tueur ? C'était vraiment la soirée ! Arkhan ne réfléchit même pas. Il fonça vers le balcon à deux fois la vitesse du son. Krell tenta de se jeter sur lui mais Eric intervint, profitant de cette diversion, et le projeta au sol. Arkhan arriva sur la jeune fille en même temps que le tueur de l'ombre. Il parvint à la repousser au moment où elle allait prendre un coup dans le dos, et il fit tomber son adversaire au sol, puis l'immobilisa en le plaquant contre le dallage du balcon, tenant son bras droit d'une main, et maintenant sa poitrine au sol de l'autre.

Il réalisa immédiatement. Sa main écrasait la poitrine d'une fille ! Les joues d'Arkhan s'empourprèrent malgré lui. Il sentait la rondeur du sein sous sa paume, et un instant, en fut profondément troublé. La jeune guerrière profita de cette hésitation pour se dégager et s'enfuir dans la nuit. Krell se jeta à sa poursuite, abandonnant Eric, qui ne comprenait plus la situation. Anton s'approcha de Kido, se plaçant entre elle et Arkhan, tenant sa blessure d'une main.

Arkhan regarda la jeune fille par dessus l'épaule du chevalier blessé.
"Mademoiselle, je crois que nous devrions parler, cette situation devient vraiment compliquée."

La jeune fille hocha la tête.



Tous étaient réunis dans le salon de la Fondation. Arkhan avait quitté son armure, qui reposait sous sa forme d'insecte géant, à coté de lui, pour montrer sa bonne foi. Mais Anton, Krell et Eric n'avaient pas quitté les leurs, et se regardaient mutuellement avec méfiance.

Ils avaient attendu que Krell revienne, et celui-ci était rentré moins d'une demi-heure après s'être lancé à la poursuite de l'inconnue. La jeune tueuse l'avait facilement semé. Pendant ce temps, Kotori Kido avait demandé à une jeune fille, Tomoko, de soigner la blessure de Anton. Tomoko vivait à la Fondation, elle était une amie de longue date de Kotori, avait expliqué la jeune fille.

Anton se remettrait rapidement. Arkhan n'avait pas utilisé toute sa force, car il avait inconsciemment senti qu'il ne devait pas tuer ces chevaliers. Mais Anton le regardait encore avec colère.

Arkhan décida de casser la lourde atmosphère qui pesait dans ce salon.

"Bien. Je commence. Mon nom est Arkhan, la Mante Religieuse, je suis un des sept Bonzes gardiens de Bouddha. J'ai reçu l'ordre ce matin d'éliminer un démon qui vivait à Tokyo, sous l'apparence de l'héritier Kido. Le rôle des Bonzes est de combattre les démons. J'ai été choisi pour cette mission, malgré le fait que je n'ai gagné mon armure que depuis deux semaines. En entrant dans la chambre de Mademoiselle Kido, j'ai réalisé que c'était une fille, et qu'elle n'avait rien d'un démon. D'où mon hésitation pour l'abattre. Je ne pense pas que je l'aurais fait. Voilà."

Kotori Kido le regarda en souriant.

"Merci, jeune bonze. Je ne crois pas en effet être l'incarnation d'un démon. Je crains que vous n'ayez été abusé."

"Ok." Eric prit la parole à son tour. Il était assis dans un sofa, les bras croisés mais prêt à se défendre si le besoin s'en faisait sentir. "Je suis Eric, le Guerrier Divin du Cristal, et je viens d'Asgard. On m'a demandé hier de vous tuer, et comme pour Arkhan, on ne m'avait pas dit que vous étiez une fille. Mais je n'aurais pas désobéi..."

Anton se leva. "Salaud ! Je vais..."

"Assis !" Arkhan fut impressionné par l'autorité de Kotori. Son regard n'était plus celui d'une frêle jeune fille, mais celui d'un chef incontesté. Il émanait d'elle une grandeur et une force incroyable...

Eric poursuivit, lui aussi troublé par la jeune fille. "On m'avait dit que bien que l'héritier Kido soit encore jeune, il était de connivence avec des organisations mafieuses qui avaient décidé d'infiltrer notre pays, Asgard, par une des filiales de la Fondation dans le nord de l'Europe. Alors... alors j'ai accepté la mission."

"Je n'ai pas non plus de connections mafieuses. Je ne sais pas qui a pu vous raconter ça. Vous aussi avez été trompé."
"Quelle preuve en avez vous ?" Eric regardait froidement la jeune fille.
"Vous voulez peut-être fouiller ma comptabilité, ou vérifier chacune des filières de la Fondation ? Je n'ai pas de preuve tangible à vous proposer, de ma non culpabilité. Mais observez bien la Fondation. Vous n'y trouverez que des activités légales, et souvent utiles à tous."

Eric baissa la tête. Le ton de Kotori l'avait remis à sa place et il se sentait honteux d'avoir osé l'accuser sans preuve.

Krell prit la parole. Arkhan réalisa alors qu'il n'avait rien dit depuis qu'il était entré dans la chambre de Kido avant le combat.

"Anton et moi sommes les deux chevaliers de bronze des Gémeaux. Nous venons du Sanctuaire d'Athéna, et avons été affectés à la protection de Kotori Kido, héritière de la Fondation depuis la disparition de ses parents. Nous sommes ici depuis un mois, avec un autre chevalier du Sanctuaire qui a lui aussi cette mission. Il rentrera sans doute bientôt."

Arkhan risqua une question.
"Pourquoi Athéna protège la Fondation ?"

Ce fut Kotori qui répondit.
"Mon père était un chevalier d'Athéna, et il était le fils de Mitsumasa Kido, le créateur de la Fondation Graad. Avant de... disparaître il y a onze ans..." Arkhan nota l'hésitation, douloureuse "...mon père avait offert à Athéna une part des moyens de la Fondation. Je suis encore aujourd'hui en contact avec quelques chevaliers, par les gens de la Fondation, mais depuis vingt ans, le Sanctuaire a cessé toute relation officielle avec nous. Néanmoins, j'ai reçu la visite de Krell et ses amis, il y a un mois, qui m'ont dit avoir la mission de me protéger. Jusque là, je n'avais jamais rencontré moi-même de chevalier, à part mon père."

Kotori avait la voix brisée en finissant sa phrase.

Arkhan comprenait bien la douleur de la jeune fille. Lui-même était orphelin, et n'avait jamais connu ses parents. Il lui semblait parfois voir des images d'un passé lointain, dans ses rêves torturés, mais jamais les visages ne devenaient nets, jamais il ne parvenait à se souvenir des traits de ses parents. La seule chose qu'il savait était qu'il était arrivé a l'âge de sept ans au monastère, et qu'il lui avait fallu dix ans pour gagner son armure. Hors du Tibet, il n'avait pas de famille.

Kotori se leva, l'air décidé.

"Bien. Chevaliers, je vous remercie de m'avoir accordé le bénéfice du doute. J'essaierai de contacter vos chefs pour savoir pourquoi ils m'en veulent. Votre mission est, je pense, terminée, mais si vous redoutez de rentrer chez vous, vous pouvez rester ici pour le moment."

Eric eut un hoquet de surprise.

"Comment ? Nous avons voulu vous tuer et vous nous invitez ici ?"

Kotori lui sourit, confirmant son offre d'un hochement de tête.

"Kotori Kido est toujours généreuse." dit Tomoko, d'une voix douce. "Mais ne la contrariez pas, et acceptez !" ajouta-t-elle en riant de l'expression de son amie.

Arkhan se glissa dans le lit avec délice. Quel confort, comparé à sa cellule de moine ! Le Manoir était si grand que chacun dormait dans une chambre différente, sauf Krell et Anton, qui avaient décidé de veiller sur le balcon et devant la porte de Kotori. Ces deux-là ne lui faisaient pas confiance - ils avaient un peu raison - mais Arkhan leur montrerait qu'il n'était plus un danger pour celle qu'ils devaient protéger.

Arkhan réfléchit encore un peu aux événements du soir. Cette affaire était louche, et il devait tirer ça au clair. Peut être que Kotori pourrait l'aider. En tout cas, lui, avait envie de rester là jusqu'au dénouement de cette histoire.

Arkhan s'endormit en souriant, l'image de Kotori et de son sourire dansant devant ses yeux.



Sanctuaire d'Athéna, Grèce. Deux jours avant.

"Mes respects, déesse Athéna."

"Bienvenue, Lama Kaah"

Athéna accueillit son invité avec tout le cérémonial nécessaire. Kaah était un homme de bien, mais il était très pointilleux sur les traditions. Le lama s'inclina légèrement en avant, tête baissée, mains jointes, en un salut typiquement bouddhiste. Debout à coté du trône, le Pope répondit au salut du Lama d'un hochement de tête respectueux.

"Bien, Lama Kaah, où en sommes-nous ?"
"Je crois que le jeune Arkhan est prêt. Il pourra partir dès que vous le demanderez."
"Pensez-vous qu'il fera ce que nous voulons ?"
"Oui. Je le connais bien, c'est mon disciple. Tout se déroulera comme prévu."
Athéna se tourna vers le Pope.

"Tout est prévu au cas où les choses ne se déroulent pas comme il le faudrait ?"

Le Pope répondit, sa voix sortant d'une façon mystérieuse de sous le masque sombre.
"Bien sûr, déesse. Deux guerriers seront placés non loin, prêts à intervenir. Tout se déroulera comme prévu."
"Parfait." Athéna se tourna vers le visiteur.

"Très bien, Lama Kaah. Vous pouvez ordonner la mission au jeune bonze. Cela devra avoir lieu demain. Asgard m'a confirmé hier que tout était prêt."

"Parfait. Plaise à Bouddha que tout se passe selon le plan."
"Je l'espère aussi. Vous transmettrez mes salutations à votre maître."

"Au revoir, déesse Athéna. Au revoir, Grand Pope."

Le Lama quitta la salle. Athéna gardait les yeux fixés sur la porte tout en parlant au Pope.

"J'espère que tout se passera bien. Je ne peux m'empêcher..."
"Il n'y a pas de crainte à avoir. Ces jeunes chevaliers sont parfaits. Et Kotori aussi. De toutes façons, nous rattraperons les dégâts s'il y en a."
"Je sais. Mais tout de même... Nous sommes à la veille de l'exécution d'un plan commencé il y a plus de vingt ans. Tous nos efforts seront vains si ils échouent."

"Ils n'échoueront pas. Nous n'avons pas le choix."



Tokyo Tower, 24 juillet 2010

"Eric, que penses-tu de Kotori ?"

Eric était perdu dans ses pensées quand Arkhan lui posa cette question. Tous les deux avaient décidé de visiter la Tour de Tokyo pour passer le temps, et surtout pour s'isoler de la constante surveillance de Krell et Anton. Mais Eric n'était pas d'humeur à discuter.

"J'en sais rien."

Arkhan lui jeta un regard plutôt étonné.

"Comment ça ? Tu n'as même pas d'opinion ?"
"Si bien sûr. Je veux pas en parler, c'est tout."
"Nous devrions en discuter quand même. Je te rappelle que nous avions l'ordre de la tuer, et elle est encore en vie. Nous avons désobéi, et je sais pas pour toi, mais chez moi, on ne rigole pas avec les ordres. Je risque la mort. Alors la question est : pourquoi ne pas l'avoir tuée ?"
"Elle me fait pas l'impression de quelqu'un qui veut menacer mon pays. Moi, c'est pour ça."
"Et moi, je sais qu'elle n'est pas le démon qu'on m'a indiqué. Donc deuxième question : pourquoi nous a-t-on menti ?"

Eric commençait à être agacé. Arkhan tentait de tout analyser froidement. Ce devait être à cause de sa formation de bonze. Eric préférait réagir aux situations suivant son humeur. Son maître l'avait plusieurs fois réprimandé pour son impulsivité, mais c'était son caractère, il n'y pouvait rien.

"Eric ? Si tu t'en fous, dis le moi."
"Oh pardon, je réfléchissais. Tu en es toujours à la deuxième question ?"
"Oui. Alors, ton avis ? Je pense qu'on a voulu nous tendre un piège. On nous appâte en nous racontant des horreurs sur Kotori, on nous charge de l'éliminer. Et on constate que ce n'est pas la peine. Mon maître m'a confié la mission lui-même. Il devait bien savoir que je ne la tuerais pas. Il voulait que je vienne ici, j'en suis sûr. Et que je la rencontre."
"C'est aussi mon maître qui m'a ordonné de la tuer. Il m'a pourtant toujours répété de ne pas m'en prendre aux innocents. Je crois qu'ils se sont foutus de nous."
"Non, c'était voulu. Soit pour tester notre intégrité morale, soit pour nous obliger à rester ici. Parce que je ne sais pas si je dois rentrer maintenant, au risque de me faire tuer. En plus, il y a cette fille."

"Laquelle ?"
"La tueuse, que j'ai empêchée d'agir. Pourquoi en veut-elle à Kotori elle aussi ? J'aimerais bien le savoir. Tout doit être lié."

Eric était agace par Arkhan, mais en même temps, il admirait sa faculté à analyser la situation. Ce n'était pas un tueur sanguinaire, c'était un guerrier qui réfléchissait avant d'agir. Quelque chose qu'il n'arrivait jamais à faire. Peut être devrait-il rester avec lui pour découvrir le fin mot de cette histoire. Après tout, on avait voulu le piéger.

Eric reporta son attention sur la ville qui s'étalait à ses pieds. C'était vrai, Tokyo était une belle ville.



"Et moi, je dis qu'il faut s'en méfier !"

Anton ne voulait pas comprendre, et Kotori s'en désolait. Il était vrai que les deux guerriers pouvaient mentir, et attendre une occasion de s'en prendre à elle, mais ils avaient dit la vérité, elle le savait. Anton continuait de se méfier d'eux, et Krell aussi, copiant en cela son "jumeau". Mais Krell ne disait rien, comme d'habitude.

Cela ne faisait qu'un mois qu'ils étaient là, mais pourtant, Kotori avait bien cerné leurs personnalités. Anton était impulsif, et fier, voire tête brûlée. A l'inverse, Krell était calme et réfléchi. Mais en même temps, il en était presque froid. Krell parlait peu, laissant à son double le soin de le faire pour lui. Il semblait à Kotori que ces deux la étaient tellement habitués l'un à l'autre qu'ils pouvaient communiquer uniquement en lisant dans les yeux de l'autre. Elle enviait un peu ce lien, car elle n'avait ni frère ni soeur aussi proche.

Oh bien sûr il y avait Tomoko. Mais la jeune fille était aussi un mystère pour sa meilleur amie. Parfois Tomoko disparaissait complètement pendant des semaines, prétextant des visites à des parents, mais jamais elle ne parlait d'eux, et Kotori n'avait jamais pu voir ne serait ce qu'une photo de cette prétendue famille. Mais Tomoko pouvait bien avoir quelques petits secrets, elle aussi...

"Anton, voyons, tu dois essayer de voir les choses d'un oeil neuf. Oui, ils t'ont combattu et tu as été blessé. Mais ils ne sont plus dangereux. Je leur fais confiance maintenant, et je te demande d'en faire autant."

"Impossible. Mon job, c'est de vous protéger. Donc j'ouvre l'oeil en toutes circonstances."
"Mais il m'a sauvé de l'autre fille."

Kotori nota que Krell réagit à cette mention. Que s'était-il passe lors de cette poursuite ? Krell avait mis près de vingt minutes à revenir.

"C'est peut-être un coup monté avec une complice."
"Tu es désespérant."
"Désolé de m'inquiéter pour vous."

Krell se décida a parler.

"J'opte pour une solution intermédiaire. Qu'ils restent ici, d'accord, mais gardons un oeil sur eux. Même s'ils disent la vérité, quelqu'un leur a menti, et il faut découvrir qui et pourquoi."
"Bien raisonné." dit une voix à l'entrée. C'était Arkhan. Eric se tenait derrière lui.

"Tu nous espionnes ?" Anton se mettait à nouveau en colère.

"Non, je viens juste d'arriver. Ce que tu dis est juste, Krell. Quelqu'un a menti dans cette histoire. Que ce soit nous ou nos maîtres, c'est ce qu'il faut découvrir, n'est-ce pas ? J'accepte d'être surveillé. Cela suffira peut être à te prouver ma bonne foi, et me permettra de rester ici pour mener mon enquête. Qu'en pensez-vous, Kotori ?"
"Dis donc, sois respectueux avec elle !" Anton ne pouvait jamais se calmer.
"Anton, voyons ! J'accepte ta proposition, Arkhan." Kotori lui tendit sa main, et Arkhan la serra. Elle était douce...

Eric s'approcha.
"Ok, ça roule pour moi. Je sais pas pourquoi on s'est moqué de moi, et je veux le découvrir aussi. J'accepte qu'on me suive. Mais nous ne devons pas oublier qu'il y a encore l'autre fille dans cette histoire. Ne relâchons pas la protection de mademoiselle Kido."
"Notre ami Yann devrait rentrer demain, normalement. Les choses seront alors plus simples."

Demain, cinq guerriers seraient auprès d'elle. Kotori frémit. Cinq guerriers... Des souvenirs confus s'agitaient dans sa mémoire. Cinq... Elle se souvenait de quelque chose, une histoire qu'on lui avait raconté dans son enfance... mais laquelle ?



"Un cosmos !"

Eric se leva immédiatement, et revêtit son armure. Il sortit en un instant dans le couloir et se précipita vers la chambre de Kotori. Arkhan arriva en même temps que lui, revêtu de son armure, frottant ses yeux comme pour en chasser le sommeil.

Krell était déjà là, luttant contre la jeune femme venue plus tôt. Eric vit Kotori, qui sortait de son lit, où l'on tentait pour la deuxième fois de l'assassiner.

Eric dévisagea la jeune guerrière. Elle était grande, très mince, semblant faite de plus d'os que de chair. Néanmoins, elle luttait physiquement contre Krell, et semblait de taille à se mesurer à lui, qui paraissait pourtant plus trapu et musclé. Elle portait des cheveux bruns et courts, à la garçonne, qui encadraient un visage qui aurait pu être agréable sans cette expression de colère qu'elle gardait au fond des yeux. Eric frissonna. Ce regard lui donnait froid dans le dos.

Krell parvint à prendre le dessus et à la repousser sur le balcon, l'éloignant de Kotori. Eric s'avança, derrière lui, et s'adressa à la jeune fille.

"Tu es perdue, nous sommes plus nombreux. Tu ne peux t'échapper. Rends-toi et il ne te sera fait aucun mal."

La jeune fille lui sourit, d'un rictus ironique, puis cessa toute résistance. Krell s'approcha, toujours méfiant, et elle en profita pour le projeter par dessus elle. Ils tombèrent tous deux du balcon, sur la pelouse. Eric descendit les rejoindre, suivi de Arkhan, intimant l'ordre à Anton qui venait juste d'arriver, de veiller sur Kotori.

La jeune fille se dégagea, mais elle se retrouvait maintenant entourée par trois guerriers. Néanmoins, elle conservait un sourire de défi qui irritait Eric.

"Qui es-tu ?" demanda Arkhan. Il cherchait toujours des explications.
"Karen, le Phénix." Sa voix était comme elle, ni vraiment féminine, ni complètement masculine.
"Pourquoi ? Pourquoi attaquer Athéna ? Tu viens du Sanctuaire toi aussi !" Eric regarda Krell, qui connaissait donc cette armure. Eric reporta son attention sur l'armure, justement. Elle était bleue et blanche, et Karen portait un vêtement noir. Trois grands panaches de plumes bleues descendaient de son dos, rasant le sol. La première fois, elle était venue sans armure, vêtue seulement de sa combinaison sombre, pour se dissimuler la nuit. Mais elle était cette fois prête au combat et Eric sentait que ce ne serait pas un adversaire facile.

"Chevaliers" dit-elle, les regardant tour à tour "si vous ne voulez pas mourir, laissez-moi partir."
"Désolé" dit Arkhan "tu as trop de choses à nous raconter, d'abord."

Karen le regarda, puis intensifia son cosmos. Il brilla d'une lueur orange, flamboyante, et la température augmenta. En tant que guerrier des glaces, Eric était particulièrement sensible à ce type de changement.

Karen ramena ses bras contre son corps, tandis que son cosmos atteignait son apogée. Chacun des trois guerriers se demandait qui elle allait viser. Mais Karen lança son attaque dans le vide.

"Phenix Hoyoku Tensho !"

Un vent violent, brûlant, l'entoura soudain, et Eric comme les deux autres se trouvèrent pris dedans. Eric tenta de se protéger, mais la vague de chaleur était sur lui. Il ferma les yeux, protégea son visage de ses bras, mais soudain reçut un coup de pied dans l'estomac qui le projeta contre le mur du manoir. Eric ouvrit péniblement les yeux pour voir Arkhan et Krell tomber au sol, inconscients.

La force de cette fille était incroyable !

Karen s'approcha de lui, tandis qu'il se relevait difficilement. Il entendait Anton crier quelque chose, mais ne comprenait pas les mots. Karen attrapa son bras tandis qu'il tentait de donner un coup de poing vers elle.

"Désolée. Je n'ai rien contre toi, mais si tu la protèges, tu dois mourir."

Eric se sentait incapable de combattre. Il avait du mal à se tenir debout, ses abdominaux le faisaient terriblement souffrir. Sa dernière heure était-elle venue ?

"Et si tu t'en prenais à quelqu'un de ta force ?"

Eric ne parvenait pas à reconnaître la voix. Etait-ce Anton ? Karen se retourna, et Eric vit le guerrier qui se tenait là.

"Qui es-tu, démon ?" demanda Karen.

"Kassim, chevalier de Bronze du Sagittaire."

Eric se laissa glisser au sol, tandis que Karen le relâchait. Les renforts étaient arrivés.



Ile de la Reine Morte, 22 juillet 2010

L'homme s'avança vers Karen, et elle le regarda, moitié de crainte, moitié de respect. Son maître.

"Karen, j'ai une mission pour toi, de la part du Sanctuaire et d'Athéna. Tu dois te rendre au Japon pour éliminer quelqu'un."

"Un meurtre ? Cela est peu habituel de la part d'Athéna. Enfin, d'après ce que tu m'as raconté."
"Athéna n'ordonne pas la mort de civils de bon coeur. Mais l'héritière de la Fondation Kido est possédée par un esprit malin, et Athéna a peur que cet esprit devienne un jour trop puissant."
"Alors pourquoi moi ? Ne suis-je pas trop faible ? Et trop inexpérimentée ?"
"Disons qu'il s'agit aussi d'un test, pour vérifier tes capacités et ta loyauté. Le Phénix a toujours dû montrer sa force. Tu sais que dans le temps, cette île était habitée par les Chevaliers noirs. L'influence maléfique..."

Karen coupa la parole à son maître. Elle le regarda fixement. Le regard bleu de l'homme ne cillait pas, et les sourcils froncés, la cicatrice sur l'arcade sourcilière lui donnaient un air autoritaire.

"Je sais tout cela, tu me l'as déjà raconté plusieurs fois. Ikki, j'ai appris toutes tes techniques, j'ai suivi ton entraînement pour devenir le Phénix, et prendre ta place. J'ai appris la Haine, et j'ai appris la Compassion. Cela tu me l'as enseigné pour que je sois forte. Et je crois l'être. Mais..."
"Mais ?"
"Mais pourquoi doit-on tester ma loyauté ? Je croyais que tu avais prouvé que le Phénix était loyal. Je suis ta fille, et ton disciple, et si Athéna a confiance en toi, elle devrait..."

Ikki l'arrêta d'un geste.

"Karen, les ordres sont formels. Tu dois partir au Japon pour accomplir ta mission. Que tu juges inacceptable d'être testée, c'est ton droit. Mais tu dois suivre les ordres. Quels qu'ils soient. Tu es un chevalier maintenant, et tu dois honorer ton serment de fidélité."

Karen baissa la tête. Elle se sentait honteuse d'avoir osé argumenter sur les ordres d'Athéna.

"Karen, une dernière chose. Il y a un mois, Athéna a envoyé des chevaliers pour surveiller Kotori Kido. Ces chevaliers n'ont plus donné signe de vie depuis. Athéna soupçonne Kido de les avoir corrompus, voire tués. Si tu devais les rencontrer, il te faudra peut être les combattre. Si tel est le cas, tu ne dois pas hésiter à les tuer, car ils seront alors sans doute déjà condamnés. Comprends-tu ?"
"Oui, Ikki."

Ikki quitta son air grave. Karen lui retourna son sourire. Comme elle aimait que son père lui sourie ! Quand il faisait cela, son visage n'exprimait plus qu'un amour infini pour elle, sa fille, et elle savait combien précieux était chacun de ses gestes d'affection.

"Bien. Maintenant, passons à table, j'ai faim. Tu partiras demain."
"Oui, papa." Elle sourit intérieurement à ce mot qui lui avait échappé. Ikki n'aimait pas qu'elle l'appelle ainsi en public, et la plupart du temps, elle l'appelait Ikki plutôt que 'maître'. Mais quand il souriait, elle redevenait petite fille, et les mots tendres lui échappaient.

Ikki grogna. "Cesse tes gamineries et viens."

Karen épluchait des carottes tout en pensant à sa mission. Elle devait tuer un innocent, dont le seul crime était d'être la victime d'un démon. Mais Athéna avait raison, elle ne devait pas permettre qu'une crise comme celle déclenchée par Saga se reproduise. Trop d'hommes étaient morts parce que le Pope à l'époque n'avait pas vu le mal qui rongeait le chevalier d'or des Gémeaux.

Elle termina son épluchage et tendit les légumes à son père. Oui, elle accomplirait cette mission, aussi pénible qu'elle soit. Pour le bien du Sanctuaire.



Karen observa le chevalier du Sagittaire. Il était grand, presque une tête de plus qu'elle alors qu'il devait avoir un ou deux ans de moins qu'elle, et qu'elle était déjà très grande pour son âge. Sa peau était noire comme l'ébène, et deux yeux noirs sur fond blanc la fixaient effrontément. Kassim était musculeux, mais pas lourdaud. C'était un athlète parfait.

Son armure était blanche, avec des liserais bleus au bord des épaulières, et ses vêtements étaient blancs, eux aussi, faisant ressortir la couleur de sa peau. Seul son coeur était protégé, sur sa poitrine, mais cela avait peu d'importance. Karen sentait que le chevalier était en garde, malgré sa posture nonchalante. Il était prêt à réagir au moindre mouvement. Karen vit l'excroissance dans le dos du guerrier. Un carquois, d'ou dépassaient l'empennage brillant de flèches entièrement métalliques. Mais où était l'arc ?

"T'es plutôt mignonne !" fit le guerrier sombre.

Karen rougit malgré elle. C'était bien la première fois qu'un adversaire lui disait cela ! Habituellement, ses cheveux courts et ses manières décourageaient les garçons. Non ! Ce n'était pas le moment de penser à cela.

"Toi aussi, t'es pas mal. Mais je préfère les beaux blondinets. T'es un peu trop sombre à mon goût, petit black."

Karen insista sur le dernier mot. Comme prévu, le guerrier se mit en colère.

"Qu'est ce que t'as ? Toi aussi tu penses qu'un noir peut pas devenir chevalier ?" Il s'énervait tout seul, maintenant. C'était trop facile. "Je vais te montrer, salope !"

Il fonça vers elle, pratiquement tête baissée. Elle l'évita facilement, et se retrouva derrière lui. Elle lui décocha un coup de pied dans les reins mais il parvint à l'esquiver d'une torsion de son corps souple comme un félin.

Karen posa pied au sol puis bondit immédiatement vers lui. Il était déstabilisé, et elle lui porta un coup, le projetant à plusieurs mètres. Il s'écrasa au sol, et se releva lentement, tandis qu'elle fonçait pour l'achever.

Mais Kassim se releva brutalement, plus vif qu'avant, et soudain son poing se mit à luire. Le cosmos !

"Bronze Arrows !" Des traits lumineux jaillirent de son poing, et Karen dut faire des zigzags en reculant pour les éviter. Quand Kassim arrêta son attaque, Karen avait reculé de dix mètres, et était à bout de souffle. Quel adversaire !

"Bravo, poupée. Tu l'as échappée belle. Tu es presque tombée dans mon piège."
"Je vois. Tu as endormi ma méfiance en te jetant sur moi comme si tu étais fou de rage. Et tu as échappé à mon propre piège. Tu es très fort."
"Merci, mais tu te débrouilles pas mal non plus. Mais là, tu as perdu. Regarde à tes pieds."

Karen baissa les yeux, et vit que tout autour d'elle des flèches de bronze étaient plantées dans le sol. Soudain Kassim augmenta son cosmos, et le sol sous les pieds de Karen se mit à vibrer. Karen voulut s'enfuir, quitter le cercle où se concentrait le cosmos, mais il était déjà trop tard. Une explosion surgit de dessous elle, et elle fut projetée dans les airs en hurlant.

Karen s'écrasa au sol comme un pantin désarticulé. Kassim s'approcha, et s'agenouilla près d'elle.

"Désolé, fillette. Avant de mourir, dis-moi, qui t'a envoyée."
"Le Sanctuaire, bien sûr.... Je devais..." elle eut un hoquet de douleur "je devais tuer Kido... C'est... un dé...mon..."

Karen avait le souffle court. Kassim savait qu'elle n'en avait plus pour longtemps. Et Karen le savait aussi.

"Kotori n'est pas un démon, tu as été trompée. Je regrette de t'avoir tuée."

Kassim leva les yeux vers Kotori Kido qui venait les rejoindre. La jeune fille s'agenouilla aussi près de la mourante, et prit sa main dans les siennes.

"Je suis désolée... vraiment désolée..." Kotori avait les yeux pleins de larmes. Karen se demanda pourquoi la jeune fille pleurait pour elle, qui avait voulu la tuer. Elle voulut le lui demander mais ne put prononcer un mot.

Karen eut un dernier hoquet et se crispa. Puis elle se détendit, ses yeux fixes. Kassim passa une main sur son visage, lui fermant les paupières, puis se releva. Kotori, toujours assise dans l'herbe, regarda les chevaliers qui s'approchaient d'elle. Elle essuya ses larmes, puis se releva.

"Cette jeune fille est la première victime d'une nouvelle guerre. Le Sanctuaire, Asgard, et les moines du Tibet ont envoyé des tueurs pour m'éliminer, alors que le même Sanctuaire avait envoyé des chevaliers pour me protéger. Quelques chose s'est passé là-bas, un événement a retourné Athéna contre la Fondation. Nous serons tous en danger tant que nous n'aurons pas découvert quoi. Eric, Arkhan, voulez vous rester près de moi jusqu'à ce que nous ayons trouvé ?"

Les deux chevaliers acquiescèrent d'un hochement de tête.

Kotori Kido regarda une dernière fois Karen, le Phénix. Elle avait donné sa vie pour sa déesse, mais avait permis qu'aujourd'hui, cinq chevaliers se réunissent autour de l'héritière Kido. Les deux Gémeaux, le Sagittaire, la Mante, et le Cristal.

Cinq chevaliers, comme dans les légendes.



Asgard, mai 1990.

"Athéna, enfin vous voila !"

"Bonjour Hilda !" Saori fit un grand sourire à la prêtresse d'Odin. Hilda avait beaucoup changé, et était désormais une femme sensuelle, aux formes généreuses. Elle n'avait rien perdu de sa dignité, mais elle semblait maintenant moins froide, moins hautaine. Saori savait quel changement dans sa vie avait produit cet effet.

Seiya et Hyoga suivirent Saori et Hilda qui discutaient, tout en rejoignant la salle du Trône. Aucun des deux chevaliers ne dit mot, anticipant la discussion qui suivrait bientôt entre les deux femmes. L'heure était grave.

Hilda s'assit dans son trône, et invita ses amis à prendre place sur des fauteuils amenés là pour l'occasion. Seiya n'aimait pas cette situation. Hilda les regardait de haut, les trois ou quatre marches qui menaient au trône faisait une différence notable de hauteur, et malgré son sourire, la prêtresse d'Odin dominait ses invités en son palais.

"Eh bien Athéna, que me vaut votre visite ? Quand j'ai reçu votre lettre, je ne m'attendais pas à ce que vous soyez ensuite si longue à venir."

Saori devint grave.

"Des empêchements de dernière minute. Rien de grave, comparé à ce qui nous attend."

Hilda perdit son sourire, et fronça les sourcils. Cette entrée en matière avait capté toute son attention. Saori poursuivit.

"Nos espions ont détecté des mouvements ennemis en Amérique du Sud. La Fondation épluche en ce moment toutes les archives pour trouver trace d'un sanctuaire possible dans cette région mais rien n'apparaît. Malgré tout le Cosmos s'agite, et je crains une nouvelle bataille."

"Je... Je n'arrive pas à voir le rôle d'Asgard dans cette histoire."

Seiya prit la parole.

"C'est très simple, Hilda. Actuellement, personne n'est en mesure de protéger Asgard."
"Mais... pourtant..."
"Non, même lui est trop faible. Aussi nous étions venus vous demander de mettre Balmung et l'armure d'Odin en sécurité au Sanctuaire. Un tel artefact ne doit pas tomber aux mains de l'ennemi."
Saori reprit. "Nous supposons que vous ne voudrez pas quitter Asgard, mais pourtant, nous ne pouvons vous protéger. Mais au moins, pour l'armure..."

Hilda sourit, en se levant.

"Oui, bien sûr. Vous avez raison, Balmung est trop importante. Je vais demander à ce qu'on vous amène l'armure et l'épée. Emportez les aujourd'hui. Je souhaite de tout coeur que rien de grave ne se prépare..."

Saori lui rendit un sourire forcé. "Je le souhaite aussi, Hilda. Mais..."



Tokyo, 25 juillet 2010

Arkhan se tenait debout face à la pierre tombale. Karen avait été une victime, elle avait été trompée comme lui et Eric, mais elle n'avait pas su comprendre son erreur à temps. Quel gâchis ! Elle ne méritait pas de mourir. Arkhan dit une dernière prière pour le salut de son âme et revint vers la Fondation.

Quand il entra dans le salon, il trouva Kotori en grande discussion avec un homme d'âge mur, vêtu d'un costume noir très classique, et complètement chauve. Arkhan parvint à saisir le mot 'épée' dans la conversation. A son entrée, Kotori s'interrompit, et intrigué, l'homme se retourna vers lui.

"Ah, Arkhan ! Tu tombes bien. Je voudrais te présenter mon tuteur, qui m'a élevée depuis que mon père est mort. Voici Tokumaru Tatsumi."

Tatsumi lui tendit la main et Arkhan la serra. Inconsciemment, il jaugea immédiatement l'homme à la seule force exercée par sa main. Ce n'était pas un chevalier, ni un homme de pouvoir.

"Mademoiselle Kotori m'a raconté comment vous étiez arrivé ici. Je suis ravi que vous ayez cessé toute velléité contre elle."
"Moi aussi. L'assassinat n'est vraiment pas mon activité préférée."

Arkhan dévisagea l'homme. Les rides commençaient à marquer son front, et la commissure de ses lèvres, et Arkhan lui donnait entre cinquante et soixante ans. Mais une lueur de malice au fond des yeux l'intriguait. Arkhan sentait qu'il dissimulait quelque chose.

"Je suis désolé, je vous ai dérangés en pleine discussion..." Arkhan voulait se retirer, pour tenter d'en découvrir davantage par la suite.

"Non, ce n'est pas grave. Nous continuerons cette conversation plus tard, n'est ce pas, Tatsumi ?"
"Bien, Mademoiselle."

Tatsumi sortit, laissant les deux adolescents seuls.

Arkhan se tourna vers Kotori et croisa son regard. La jeune fille aussi dissimulait. Il en était sûr. Il savait toujours quand les gens lui mentaient et c'était la première fois qu'il découvrait cette lueur de mensonge sur le visage de Kotori. Il en fut chagriné, car il la prenait pour une personne intègre. Néanmoins, elle ne lui faisait peut être pas tout à fait confiance, encore ?



"Eric, je peux te parler ?"

Eric se retourna en entendant la voix de Kassim. Eric n'appréciait pas trop le grand guerrier, le trouvant trop arrogant. Mais il devait reconnaître qu'il savait se battre. Néanmoins, il n'aurait pas dû porter un coup fatal à Karen, elle aurait pu leur en apprendre davantage sur les motivations d'Athéna.

"Que veux-tu ?"
"Te parler de Karen."

Eric fut surpris l'espace d'une seconde. Pourquoi voulait-il en parler avec lui ? Eric lui fit signe de le suivre et sortit dans les jardins, s'éloignant suffisamment pour ne pas être entendu.

"De quoi veux tu parler exactement ?"
"Je ne suis pas dupe. Si hier soir je ne suis pas intervenu immédiatement, c'est parce que je pensais que tu te débarrasserais d'elle."
"Tu nous as vu nous battre et tu n'as rien fait ?"
"Tu aurais fait pareil. Juste pour mesurer la puissance des adversaires en présence."
"T'es vraiment un salaud ! Elle a failli nous tuer !"
"C'est pour ça que je suis entré en scène. Qu'est ce que tu crois ? Que j'allais me battre pour le plaisir ? Que j'allais vous aider, vous étiez déjà à trois contre une !"

Eric baissa la tête, un peu honteux de s'être fait battre par une fille alors qu'ils auraient dû la maîtriser facilement.

"Eric, tu es plus puissant qu'elle ne l'était. Pourquoi n'avoir pas déployé ton cosmos ? TOUT ton cosmos ?"
"Cela m'est interdit. Mon maître m'a toujours dit de n'utiliser que la puissance nécessaire, sans tenter de surpasser largement mon adversaire."
"C'est stupide ! Si tu pouvais la vaincre, tu aurais dû le faire !"
"C... C'était juste une fille ! Je pouvais pas utiliser toute ma puissance juste pour une fille !"
"Et tu t'es laissé battre. Et moi, j'ai dû te remplacer, et elle en est morte. Si tu avais utilisé toute ta force, tu aurais pu la maîtriser, et elle serait en vie. C'est toi qui l'as tuée, en refusant de la combattre. J'ai fait ce que j'ai pu, mais je ne pouvais pas la sauver. Retiens bien ceci : Karen est morte par ta faute."

Ceci dit, Kassim s'éloigna, laissant Eric sous le choc debout près des grands arbres.



Anton regard son compagnon.

"Krell, tu crois... tu crois qu'on peut leur faire confiance ?"
"Tu veux dire, Eric et Arkhan ?"
"Oui. Que penses-tu d'eux ?"
"Ils sont avec nous, maintenant."
"Mais... Et si c'était un piège ? Pour mieux tuer Kotori ?"
"Hier, Eric t'a demandé de rester près de Kotori. S'il t'avait dit 'il faut aider Krell', qu'aurais-tu fait ?"
"Je serais venu t'aider."
"En laissant Kotori ?"
"Je... euh..."
"S'il avait voulu la tuer, c'est ce qu'il aurait dit. Tu aurais laissé Kotori sans protection, et elle serait morte. Mais il t'a dit de la protéger. Il n'en veut plus à sa vie, crois moi."
"Tu en es sûr ? J'ai toujours du mal à lui faire complètement confiance."
"Je ne te demande pas de leur confier ta vie. Mais juste de ne plus les soupçonner en ce qui concerne Kotori."
"Tu dois avoir raison."

Anton se tut, se demandant ce qu'il devait faire. Présenter des excuses ? C'était hors de question, il avait sa fierté !

Krell posa sa main sur son épaule. "Allez, frérot, te complique pas la vie, et laisse faire les choses."



Anton sourit. Cela faisait bien longtemps que Krell ne l'avait plus appelé 'frérot'. Lorsqu'ils étaient plus jeunes, c'était pour eux une façon de partager cette fraternité qu'ils ne possédaient pas vraiment. Mais en grandissant, leur entraînement devint plus difficile, et ils oublièrent beaucoup de ces petits signes qui les rapprochaient, tout en conservant une complicité hors du commun. Ils étaient les Gémeaux.

Anton se souvenait. Lorsqu'il était arrivé au Sanctuaire, il n'était encore qu'un gamin, et il avait été parqué, comme du bétail, avec d'autres enfants - une dizaine, pas plus - qui venaient aussi d'arriver. Cette horrible situation n'avait pas duré plus d'une journée, mais il en avait profondément voulu aux gens du Sanctuaire pour cela. Par la suite, il avait appris qu'une bataille avait eu lieu ce jour là et que les chevaliers n'avaient pas eu le temps de s'occuper des nouveaux arrivants, mais Anton gardait toujours vivace le souvenir de cette journée, au milieu d'enfants qui pour la plupart restaient assis, moroses et silencieux, dans cette horrible petite pièce surchauffée par le soleil de l'été.

Et la porte s'était ouverte, un garde se tenait à l'entrée, un papier à la main, appelant les enfants à la suite les uns des autres. Les maîtres venaient chercher leurs disciples. Le garde avait dit son nom, et Anton s'était levé, et était sorti. Un homme se tenait devant lui, le regardant de toute sa hauteur. Il tournait le dos au soleil, et sa silhouette semblait floue dans la lumière aveuglante. Un autre enfant s'avança, regardant vers l'homme lui aussi. C'était Krell. L'homme parla.

"Je suis votre maître. C'est moi qui vais faire de vous des chevaliers. Venez avec moi."

L'homme leur tourna le dos, son armure brillait de milles feux dans la lueur du soleil, et il les guida jusqu'à une petite maison, où ils commencèrent sans plus attendre leur formation. A la fin de la journée, fourbu, Anton se tourna dans son lit vers son compagnon d'infortune.

"Je sais même pas ton nom. Moi c'est Anton."
"Krell."
"Krell... Tu crois qu'on survivra à ça tous les jours ?"
"J'sais pas. Si oui, tant mieux."
"Et si non ?"
"On sera morts et on s'en moquera bien."

Anton s'était recouché, et avait dormi instantanément.

Ils avaient survécu. Ils étaient chevaliers, maintenant. Mais ils étaient plus que cela. Ils étaient frères, par leurs armures.



27 juillet 2010, Baie de Tokyo.

Le jeune homme regarda la ville, installé à la proue du cargo. Quelle cité gigantesque ! Les immeubles étaient si hauts qu'ils semblaient toucher les nuages, et la ville s'étalait à perte de vue. Le garçon fut fasciné par cette vision, mais en même temps plaignait le sort des gens qui habitaient là, et qui ne connaissaient pas la beauté de la nature sauvage.

"Tu es arrivé à destination, mon garçon !" lui dit en espagnol le capitaine du rafiot, lorsqu'il s'approcha de la passerelle afin de débarquer. "Et si tu veux rentrer au pays, tu sais où et quand me retrouver."

"Je reviendrai. J'ai quelque chose à faire ici, mais cela ne durera pas. Mais si je ne suis pas là à temps, ne m'attendez pas."
"Pas de risque, mon garçon ! Je prendrais pas le risque de perdre ma cargaison juste pour un gamin !"

Le jeune homme sourit. Sous ses dehors bourrus, le capitaine était un brave homme. Il avait accepté de l'embarquer sans le faire payer, avec comme seule compensation une participation aux travaux du bord. Sa condition de chevalier aurait dû le mettre au dessus de ces basses besognes, mais il n'avait pas l'orgueil assez grand pour refuser, et il avait jugé que son voyage valait bien qu'il paye de sa personne. Après tout, il n'était pas encore assez fort pour traverser l'océan d'un bond comme son maître.

Le garçon descendit du bateau, son sac sur l'épaule, et s'éloigna du bateau. Il entendit le capitaine lui crier depuis le bastingage "Fais gaffe, fiston, c'est pas ton village ici !". Il lui sourit, lui faisant un signe de la main, et se dirigea vers les docks.

Son regard changea, devenant plus sévère. Maintenant, sa mission commençait. Et de lui dépendait la vie de tous ceux du Temple. Il devait faire très attention, mais devait aussi se dépêcher. Si Quetzalcoatl n'avait pas Balmung avec lui lorsque les ennemis attaqueraient, il serait sûrement vaincu. Après tout, le dieu n'était encore qu'un enfant de huit ans.

Le garçon quitta le secteur des docks, et se dirigea vers le centre ville. Il devait trouver où Balmung était dissimulée, et peut être pourrait-il trouver des renseignements en ville.



Trois heures plus tard, assis à un café, il se demandait par où commencer ses recherches. Deux jeunes filles, assises à une table voisine, le regardaient en discutant à voix basse. Le garçon poussa un soupir, décidément, les filles étaient toutes les mêmes, quel que soit le pays.

Il était vrai que son allure était des plus étranges. Non dans sa tenue, mais sa personne elle-même. Il portait, comme à son habitude, un jean noir et un tee-shirt vert qui moulait son torse musclé, une tenue discrète dans tous les pays du monde, et dans laquelle il se trouvait à l'aise. Avec ses épaules larges et sa grande taille, il faisait penser à un nageur professionnel, et il avait assez de succès auprès des filles de son âge.

Mais ce qui faisait rire ainsi ses voisines était le tatouage représentant le serpent ailé stylisé qu'il avait sur la joue gauche. Ce tatouage rituel, il le portait avec fierté au sein du temple, car il signifiait qu'il faisait partie des guerriers qui protégeaient Viracocha, l'incarnation de Quetzalcoatl, mais il devait reconnaître que ce n'était pas très discret en dehors du temple. Heureusement, il portait des cheveux assez longs qui retombaient de chaque coté de son visage, masquant parfois le tatouage. Quand il était au temple, il les ramassaient en arrière, les rassemblant en natte, mais il avait préféré ici les laisser libres. Mais ce n'était pas suffisant pour dissimuler cette curieuse marque.

Les deux filles se levèrent et vinrent s'asseoir à sa table. Elles portaient toutes deux un costume identique, ressemblant à de petits marins, sans doute l'uniforme de leur lycée. L'une était blonde - blonde ? au Japon ? - et l'autre, plus typée asiatique, avait des cheveux noirs de jais. Lui-même était brun, comme l'était son père.

"Salut ! Moi c'est Cindy, et ma copine s'appelle Kaori. On t'a jamais vu par ici, pourtant on vient souvent. T'es lycéen ?" fit la blonde, arborant un grand sourire. Sans doute une étrangère.
"Non." Le garçon n'aimait pas parler japonais. Il ne le parlait pas très bien d'ailleurs.
"Tu t'appelles comment ? Tu sais, ici, il est impoli de ne pas se présenter."

Elle avait raison. Pour ne pas trop attirer l'attention, il devait se fondre dans le décor. Comme dans la jungle.

"Rodrigo. Je m'appelle Rodrigo."
"Lo-du-li-go ?" fit la brune, avec un fort accent japonais.
"Rodrigo. Mais tout le monde m'appelle Rody. C'est plus facile."
"Lodi. T'es plutôt mignon, Lodi."

Rody se sentit rougir, et au sourire des deux filles, sut que cela se voyait. Il canalisa doucement le pouvoir, et ferma une part de son esprit. Il en ouvrit une autre, libérant le fauve, qui devint attentif à tout. Les filles pouvaient dire ce qu'elles voulaient, un jaguar ne rougissait pas. Et lui était désormais réceptif à tout ce qui se passait autour de lui.

"Dis donc, t'es pas très drôle, comme garçon, Rody." fit la blonde.
"Désolé." fit-il laconiquement.
"Que fais tu au Japon ?" demanda l'autre, cherchant à rattraper son erreur.
"Je cherches quelqu'un."
"Qui ça ?"
"La personne la plus riche du Japon."

Seule un riche milliardaire avait pu engager assez de moyens pour dérober Balmung à Athéna. Puisque Quetzalcoatl n'avait pas senti la puissance de Balmung aux mains de divinités qu'il connaissait, l'épée ne pouvait être que chez un mortel, ou alors un dieu inconnu ? Mais le Voyant avait dit que l'épée était au Japon, dans la ville aux mille lumières.

Les deux filles se regardèrent, interdites. Puis la brune Kaori reprit.
"Je ne connais qu'une seule personne qui soit milliardaire, c'est Mademoiselle Kido."
"Qui est-ce ?" demanda Rody, ses sens désormais tous en éveil.
"C'est sa Fondation qui finance l'école privée où nous sommes. La Fondation est très riche, et Mlle Kido en est la présidente. On dit qu'elle n'a que dix-sept ans mais qu'elle fait partie des trois plus grands fortunes du Japon. Mais je connais pas les deux autres."

Kido ? Ca c'était intéressant.

"Vous savez où elle habite, les filles ?"
"Hummm..." La blonde Cindy fit mine de réfléchir puis se penchant vers l'oreille de Rody, lui susurra "je pense que oui, mais il te faudra payer pour le savoir... payer de ta personne... dans dix minutes dans les toilettes pour dames, au fond du café ?"

Malgré le Jaguar en lui, Rody s'empourpra. Mais regardant Cindy, il vit qu'elle était plus que sérieuse. La jeune fille délurée quitta la table, et se dirigea vers les toilettes où elle disparut.

Vingt minutes plus tard, elle en ressortit, furieuse, pour trouver Kaori assise à la même place.
"Mais où il est parti ? Il s'est dégonflé ?"
"Je..." Kaori hésitait. "Il m'a demandé si je savais, moi, et je... je lui ai donné l'adresse du lycée."
"Quoi ? Mais moi je voulais... je voulais..." regardant autour d'elle, Cindy vit que la moitié des personnes présentes la regardaient tandis qu'elle criait, debout au milieu du café. Elle s'assit, rouge de honte. "T'es folle de lui avoir donné pour rien, c'était un coup extra, ce mec !" fit-elle à voix basse.

Kaori rougit. "Je... Enfin, pour me remercier, il... il m'a embrassée... enfin, sur la joue seulement, mais..." Kaori enfouit son visage entre ses mains, rouge de honte. Cindy fit la tête. Décidément, ces japonaises étaient toujours aussi timides.



Rody marchait vite. Maintenant qu'il avait l'adresse de la Fondation, il devait vérifier si Balmung s'y trouvait. Si tel était le cas, et si la surveillance était limitée, il s'en emparerait. Si la garde était plus importante, il rentrerait au Mexique et reviendrait avec des renforts. Mais il espérait bien mener cette mission à son terme sans aide, ce qui lui permettrait de prétendre à une armure plus puissante.

Rody toucha involontairement la statuette dans sa poche. Oh ! il aimait son armure, il se sentait bien avec le Jaguar, mais après tout, il était normal de vouloir posséder de plus puissants pouvoirs. Il flatta la statue, la sortant de son jean, lui parlant mentalement tandis qu'il se dirigeait vers le Manoir.

De l'énergie ! Rody s'arrêta, libérant le Jaguar en lui, ressentant le picotement à la base de sa nuque lorsque les sens animaux se réveillèrent entièrement, décuplant sa perception. Il sentait son odeur, c'était un homme, jeune. Il possédait un pouvoir sensiblement égal au sien, et se dirigeait vers lui. Rody ne savait pas complètement dissimuler sa présence, c'était là encore un point sur lequel il faudrait qu'il travaille.

Derrière ! Rody se retourna. Au milieu de la rue déserte apparut soudain, comme surgissant de nulle part un garçon de son âge, vêtu d'une armure verte. Il le regardait étrangement, sans méchanceté au fond des yeux. Mais malgré tout, il mettait sa mission en péril.

"Qui es-tu ?" fit le guerrier.
"Moi ?" fit innocemment Rody. "Je me promène."
"A une heure du matin dans une rue déserte d'un quartier résidentiel, loin de tout monument ? Tu trouveras mieux la prochaine fois, j'espère."
"Ok. Et toi qui es-tu ?"
"Arkhan de la Mante. Je protège Kotori Kido. Je suppose que toi aussi tu lui en veux ?"
"Pas du tout. Ta maîtresse est peut être une voleuse, et je dois essayer de le prouver. Mon nom est Rody, le Jaguar. Tu n'es pas du Sanctuaire d'Athéna, n'est ce pas ?"
"Non. Au service de Bouddha. Et toi ?"
"Quetzalcoatl. Je crois qu'on a fait le tour des civilités, non ? Je suis désolé, mais tu me gènes dans ma mission."
"Et moi je ne peux te laisser entrer à la Fondation seul. Je crois qu'on va se battre."
"Tu peux attendre une seconde ? Je mets mon armure."

Arkhan hocha gravement la tête. Rody effleura la statuette, déployant son énergie. Le bois sculpté se mit a bouger comme s'il était vivant, puis à grandir, se séparant en diverses parties qui vinrent recouvrir le corps de Rody. L'armure brillait maintenant de reflets métalliques, mais elle n'était pas aussi rigide qu'elle en avait l'air. Rody sentit la pulsation de l'armure autour de lui, la sensation de chaleur tandis que l'armure vivante le couvrait.

"Impressionnant. Je n'avais jamais vu ça." dit Arkhan.
"Assez parlé !" La Fureur du Jaguar commençait à envahir l'esprit de Rody. Il lui tardait d'en découdre. "En garde !"

Les deux guerriers foncèrent l'un vers l'autre.

Chapitre précédent - Retour au sommaire - Chapitre suivant

www.saintseiya.com
Cette fiction est copyright Patrick Huart.
Les personnages de Saint Seiya sont copyright Masami Kurumada.