Chapitre 1 : La Querelle des Frères


Le Soleil de Grèce était moins brûlant que celui de l'Égypte, cela ne faisait aucun doute, et il s'estimait heureux de ne point souffrir autant que les jours précédents des élévations de températures. Cela faisait plusieurs semaines qu'il était parti de son pays, proscrit par ceux qui l'avaient adulé, hai par ceux qui l'avaient vénéré, comme un mendiant allant de ville en ville pour tenter de trouver quelques onces de nourriture, ou d'eau. Jamais il ne pourrait se remettre d'un tel abaissement, jamais son caractère de génie et de dureté ne lui permettrait de se relever d'un tel affront. Comment avait-on osé lui faire cela, à lui, Seth... celui qui occupait autrefois la place de dieu suprême!
Il passa une main moite dans sa chevelure rousse... et quelle idée la nature avait-elle eu de lui donner pareille crinière, que tout son peuple comparait au pelage d'un âne. Son sourire moqueur traduit bien plus longuement toutes les paroles qu'il eusse pu prononcer.
Son "sa" était à présent épuisé, et aucun dieu, pour le régénérer, n'avait accepté de pratiquer sur lui l'imposition des mains qui lui aurait permis de retrouver son fluide vitale... que les Grecs appelaient... Cosmos... si il ne se trompait pas. C'était à cause de cette perte de puissance qu'il avait été contraint de se comporter comme un simple humain, comme l'une de ces créatures qui le rejetaient et auraient presque voulu le noyer dans les eaux veloutées du Nil. Mais il leur ferait payer l'affront qu'il avait du essuyer avec le peu de dignité qu'on lui avait laissé.
Seth s'était longtemps demandé comment faire, où aller alors que la Basse comme la Haute Égypte refusait à l'accueillir et naturellement, c'était vers l'autre Royaume qu'il avait du se tourner... vers l'immensité de la Grèce et de son panthéon divin.
Maintenant qu'il avançait en titubant sur un chemin rocailleux et qu'il était loin de la haine dévorante que son peuple nourrissait à son égard, il pouvait se rappeler tout à loisir son périple dans sa nation. Hormis la chaleur, la faim et la soif qui l'avaient tenaillé durant chacun de ses pas, c'était le tourbillon de ses pensées qui l'avait le plus affecté. Il s'était longtemps demandé quelle personne pourrait lui tendre la main... lui, un dieu... obligé de demander de l'aide! Une grimace écœurée vint gâter ses traits déjà trop fins, presque osseux.
Enfin, maintenant qu'il s'était résolu à ce choix difficile, il n'allait plus reculer, d'autant plus qu'il n'avait pas d'autres moyens.
Les dieux grecs... il les avaient un à un passés en revue, cherchant celui qui lui redorerait sa couronne contre paiement, cela allant de soi.
Athéna? Trop pieuse, trop juste, trop intelligente... elle était l'ennemie de tous les dieux maléfiques de son pays, celle contre qui chacun avait envie de se dresser et dont le caractère le rebutait totalement. Pourtant, ses Saints étaient reconnus dans le monde entier pour leur bravoure et leur force, mais jamais ils n'auraient mis leurs pouvoirs au service d'un coupable.
Apollon? Trop indifférent, trop lointain pour l'aider... et puis, ses Muses n'auraient jamais été disposes pour prêter leurs dons à quiconque d'autre que leur maître.
Artémis? Trop vindicative. Hermès? Trop joueur, trop amusé, trop enfant... Zeus? Autant se rendre pieds et poings liés à Osiris, cela revenait au-même. Hadès? Trop égocentrique, son pouvoir ne devait servir que lui. Poséidon? Trop hypocrite.
Un seul nom s'était alors imposé à son esprit éperdu de vengeance : Arès. Haineux, cruel, sanglant, violent, il était l'image même de la mort et des carnages. Ses Berserkers étaient les armées les plus dures, les plus résistantes que l'on pouvait trouver, et ne posaient jamais de questions, du moins, d'après ce qu'il avait entendu dire.
Seth s'arrêta brutalement, remarquant que le chemin qu'il suivait jusqu'alors se coupait sous ses pieds, pour laisser place à l'étendue bleutée de la mer... il parcourut le paysage qui l'entourait d'un regard circulaire, songeant qu'il était dorénavant proche de sa destination finale. Azura devant se trouver... hum... il étendit son index vers un point précis de l'horizon, désignant grâce à son instinct le lieu de haine où il devait se rendre.
Il s'agenouilla au bord de l'eau, en ridant d'un doigt aimant la surface et, dans l'instant qui suivit, une barque apparut. Il y grimpa prestement, songeant que ses pouvoirs divins n'étaient à présent réduits qu'à quelques tours de passe-passe ridicules. Frottant ses mains l'une contre l'autre durant quelques secondes, une rame y apparut ensuite comme par magie, étincelante d'or et de pierres précieuses. Seth esquissa un sourire en s'asseyant dans sa felouque, quelque peu dénaturée dans cette partie du monde... enfin, on ne trahissait pas ses origines.
Ses yeux d'un bleu délavé, qui juraient étrangement avec la douceur de l'océan, semblaient sourire alors qu'il évoluait sur le domaine de Poséidon. A peine avait-il besoin de toucher l'eau du bout de sa rame que son bateau avançait déjà. Il avait toujours éprouver un vif plaisir à se trouver ainsi, sur les rives du Nil, porté par le vent du crépuscule. Comme son pays lui manquait... il en éprouvait presque un déchirement viscéral alors qu'il revoyait les fastes de sa nation. Pourtant la même grandeur régnait en Grèce... mais il n'y avait pas retrouvé l'atmosphère atypique de l'Égypte, cette langueur torride qui régnait sur tout le pays, ces affrontements entre les différents prêtres qui servaient les dieux... cela ne lui faisait malgré tout pas nier les splendeurs du royaume de Zeus, et il comprit, alors même qu'il ne l'avait jamais rencontré, les désirs d'Arès, sa soif de conquérir cette partie du monde.
Car quel être sur terre, ne reverrait de mettre à ses pieds pareilles grandeurs divines, nées de la foi des hommes?

Esculape

Bételgueuse, allongé dans l'herbe grasse du jardin des Hespérides, mâchonnait inlassablement un brin d'herbe qu'il venait de mettre dans sa bouche. Les bras croisés derrière sa tête, il regardait fixement le ciel limpide qui se dressait au-dessus de nous. Nous venions de finir notre entraînement de la matinée, et notre empereur, celui qui dirigeait le domaine où nous opérions, Narcisse autrement dit, nous avait laissé quartier libre jusqu'en début d'après-midi.
Je devais avouer que je n'étais pas fâché d'être sous la direction de Narcisse, car, et en dehors de la fascination qu'il exerçait sur moi, il était probablement le plus juste des dirigeants des commandants. En tous les cas, je remerciais Arès de ne pas m'avoir affecté sur le terrain d"Iphiclès, où Phaéton et Épiméthée suaient chaque jour -voire même chaque heure- sang et eau.
Je m'assis en tailleur, regardant les pommiers d'or qui s'étendaient tout autour de moi, murant la barrière de l'horizon de leurs branches pliant sous le poids des fruits. J'aimais assez cet endroit, le plus reposant de cet île, et également celui ou les fêtes suivants nos victoires se déroulaient. Il n'était pour moi synonyme que d'agréables souvenirs... point comme les marécages ou encore le cimetière ou une grande partie des échauffements se déroulaient.
Je jetais un bref coup d'œil à mon bras qui me chauffait, zébré d'une marque de fouet que Dédale m'avait asséné durant un affrontement. Empereur contre commandant... Arès avait demandé à ce que nous nous mesurions de cette façon outrageante à nos supérieurs afin que nous nous améliorions encore davantage, mais c'était uniquement plus brisés que jamais que nous étions ressortis de cette épreuve. Quant aux empereurs, dont les affrontements n'avaient été que des jeux d'enfant, ils avaient plus tardivement payé le prix de cette facilité en se trouvant confronté à Deimos et Phobos eux-mêmes. -Je sens quelque chose, déclara soudainement Bételgueuse prêt de moi, alors qu'il se relevait sur un coude avant de venir appuyer son menton dans sa main.
-Moi aussi, répliquai-je de ma voix dure. C'est comme si... quelqu'un venait.
Nous échangeâmes un regard entendu, nous relevant ensuite d'un même bond, moi sans doute plus rapide que lui, qui n'avait pas pour habitude de se presser.
-Quelqu'un se serait donc introduit sur Azura, chantonna à mes cotés mon compagnon dont le détachement permanent me pesait parfois trop lourdement.
De mon index posé sur ma bouche, je lui indiquai qu'il fallait à présent garder le silence car la puissance qui se dirigeait sur nous n'avait de cesse de grandir. Je savais pourtant qu'il était impossible de s'introduire impunément sur l'île d'Arès, à moins de valoir en payer le prix...
Un vent léger passa entre mes immenses cheveux d'un blond aussi éclatant que le soleil, me faisant à peine frémir, puis plus rien. Juste le souvenir de cette caresse de quelques secondes sur ma peau, qui m'avait rendu, pendant un bref laps de temps, la chaleur de cette journée plus supportable.
Je baissais mes paupières sur mon regard qui hésitait depuis toujours entre le bleu et le vert, me coupant de l'univers d'Azura pour tenter de partir à la recherche de cette présence que j'avais cru deviner. Jusqu'à présent, jamais mon sixième sens ne m'avait trahi, pas plus qu'il ne s'était joué de moi en me provoquant d'étranges instincts.
-Je ne sens plus rien, dit doucement Bételgueuse près de moi, avec la même légèreté qu'il aurait eu pour parler du temps qu'il faisait en mer.
Je serrais les dents avec mauvaise humeur, car mon compagnon commençait sincèrement à tendre un peu trop mes nerfs de nature assez fragiles.
-Moi non plus...
-Et bien, reprenons notre tranquille repos.
-A quoi penses-tu donc parfois! Penses-tu sincèrement que nous devons rester assis sans rien faire alors que nous venons de sentir quelqu'un s'introduire sur le domaine de notre maître?
-Puisqu'il a disparu... répliqua mollement le jeune homme aux cheveux bleuâtre qui me regardait fadement.
Je me détournais de lui avec rage, alors que ma peau un rien mate blanchissait sous l'effet de la colère que faisait monter en moi l'inactivité de ce commandant. Que n'aurais-je pas donner pour avoir Phaéton ou Argus auprès de moi à cet instant... ils m'auraient été d'une bien plus grande utilité.
-Tu sais, fit la voix de mon compagnon derrière moi, Esculape, tu as cette tendance qu'ont les gens à tout dramatiser. Une présence a traversé l'île... et alors, puisqu'elle a disparu, il se peut très bien qu'il s'agisse simplement du cosmos de Poséidon qui ait traversé la mer pour vérifier que son domaine ne subissait pas de dommage... et quand bien même il s'agirait d'une présence hostile, que craignons-nous? Ne sommes-nous tous pas prêts? Vraiment... cela n'a pas d'importance puisque le temps agit pour nous et finit toujours par nous apporter des solutions.
J'entendis un soupir, puis plus rien. Bétélgueuse devait être reparti dans ses pensées sans sens que personne ne comprenait et qui, si elles fascinaient au début de part leur royale indifférence, finissaient bien souvent, à mon instar, par énerver.
Arès lui-même s'inquiétait de la personnalité de ce commandant qu'il n'arrivait pas à saisir. Il était pareil à de la fumée que l'on voyait sans jamais pouvoir l'attraper, et son don de télépathie, qui lui faisait traverser les esprits qui l'entouraient tels des voiles translucides, ne faisait que renforcer l'aura de mystère qui lui appartenait.
Je mordis ma lèvre inférieure jusqu'au sang sans même m'en apercevoir. Je préférais aller jusqu'au temple d'Arès, pour vérifier que tout allait bien... je savais où était mon devoir.
-Ou vas-tu? entendis-je derrière moi, alors que je m'éloignais à larges enjambées en direction du palais du dieu de la guerre.
Je répondis d'un geste violent de la main pour signifier à mon ami de ne s'occuper de rien, ce qu'il ne comptait, de toute manière, pas faire le moins du monde.

Arès

Je regardais ma salle au travers des pupilles transparentes de mes yeux... un sourire fendait mon visage aux traits réguliers alors que je posais une main majestueuse sur l'un des accoudoirs de mon trône.
Eris, assise à mes cotés, posa une main apaisante sur mon bras, avant de me regarder avec attention. Elle cherchait chez moi les émotions qui m'assaillaient, toujours dans ses teintes violentes que je ne savais pas maîtriser, et dont elle seule connaissait l'ampleur. La jeune fille aux lèvres prunes se pencha vers moi, avec sa gestuelle à la fois inquiétante et à fleur de peau pour laisser couler ses mots à mon oreille :
-L'as-tu senti toi aussi?
-Et comment aurais-je donc pu faire autrement?
Ses yeux de velours saphir se troublèrent et je pris rapidement ses doigts entre les miens pour la rassurer, et avant même que je ne m'en aperçoive, je serrais sa main, si pale qu'elle en était presque bleu, jusqu'à l'en briser. Elle n'émit pourtant pas le moindre gémissement, et me regarda sans ciller... elle ne connaissait que trop bien la folie de notre démente passion pour ne pas sentir la violence qui se mêlait à notre amour.
-Ne t'inquiète pas, ma déesse, ne t'inquiète pas... je suis à tes cotés.
Une étincelle traversa son regard et elle broya inconsciemment de la même manière ma main, alors que nos souffles se suspendaient et que nos pupilles se dilataient. J'allais me pencher sur ses lèvres pour en absorber et le goût et le sang, quand soudainement, la porte s'ouvrit doucement, s'entre-baillant à peine.
Je me levais dans toute mon impétuosité, alors qu'Eris gardait sa magnificence en restant patiemment assise. Pour ma part, je ne pouvais supporter l'idée que quelqu'un -même lui- ait osé s'introduire sur mon territoire sans même m'en avertir, et si la raison de sa venue n'était pas valable, j'allais l'égorger sans plus attendre avant de jeter sa dépouille aux appétits des Kères.
La légèreté du pas ne m'étonna pas, pas plus que l'animal au museau grêle et recourbé, aux oreilles levées et carrées et à la queue aussi raide et fourchue que pouvait l'être celle d'un animal typhonien.
-Qui viens-tu donc faire ici? tonnai-je alors que tout mon corps se raidissait sous la fureur qui le traversait avec la poigne fulgurante qui me caractérisait.
Le visiteur me regarda de ces yeux noirauds avant de se transformer, sous mon regard imperturbable, en le jeune homme à la peau pale et aux cheveux flamboyants que je connaissais, sinon de vue, du moins de réputation.
-Ainsi, tu savais que j'étais sur ton domaine? demanda-t-il avec calme.
-Et comment voulais-tu qu'il en soit autrement? Penses-tu donc pouvoir violer ma terre sans que je te surprenne?
-J'aurais pu te tuer. Tes Berserkers ne sont donc pas à la hauteur de leur réputation.
-Quelle arrogance! Quelle vanité! dis-je en frappant dans mes mains une seule et unique fois.
Sur ce simple signal, aussi banal qu'un battement de cils, quatre portes latérales s'ouvrirent, pour laisser place à mes armées. Mes empereurs, mes commandants, mes soldats, rayonnant de sang et de force, étaient à présent dans la salle du trône ou l'imprudent avait osé s'aventurer.
Celui-ci esquissa un sourire moqueur qui étira ses traits creusés par la faim et la fatigue, et éleva ses paumes aux cieux dans un mouvement d'une nette ironie.
-Et bien... ne pensez-vous pas être trop nombreux? Je suis seul...
-Il faut toujours se méfier de ce que l'on ne connaît pas, répliqua Eris, dont la voix suave et chaude m'était si familière.
Nous étions toujours prêts, c'était une leçon que je donnais au dieu égyptien dont je ne parvenais toujours pas à pardonner la prétention. D'un claquement de doigts, je donnais l'ordre à mes Berserkers de se retirer, me laissant seul avec ce farfadet que j'allais latter comme un vulgaire humain.
Je lui tournais le dos, peu soucieux de savoir si il allait tenter une attaque ou non car je sentais parfaitement que son "sa" était aussi épuisé que pouvait l'être un cosmos de Berserker à la fin de son existence. Et quand bien même son énergie aurait été à son paroxysme, j'aurais toujours été à même de le réduire en poussières.... qu'est-ce qu'un agneau pouvait faire à un loup? Seul un renard comme Athéna pouvait tout juste le blesser... j'esquissais un sourire en pensant à ma plus juste ennemie... comme elle me manquait depuis qu'elle était partie sur l'Olympe prendre conseil de son père quant à mon attitude. Et puis, il y avait bien longtemps que nous ne nous étions pas fait la guerre et notre sang commençait à bouillir à tous deux. Moi plus qu'elle, mais enfin... il allait falloir se contenter de son caractère tempéré, même si je rêvais d'une personnalité à ma mesure.
La pression des doigts fermes d'Eris me fit relever la tête et je constatais d'un bref coup d'œil que l'importun égyptien était toujours présent, debout devant moi, un sourire ironique éclairant sa face si pale qu'elle me faisait penser à la lune.
-Et que me veux-tu donc pour oser me déranger sur mon île?
Le fait d'avoir songé à la déesse de la guerre avait un peu refroidi mon ardeur quant à transformer ce dieu en la prochaine victime qui ne ferait qu'augmenter ma collection.
-Et bien, Arès, je suis ici pour demander ton appui.
-On peut dire que cela a le mérite d'être direct, répliquai-je, sarcastique.
-Je n'ai pas l'habitude de perdre mon temps. Je pensais qu'il en allait de même pour toi.
Je haussais mes sourcils en un arc ironique, autant par habitude que pour l'inciter à continuer. Je me demandais d'ailleurs si il était même digne de ma parole et si il méritait réellement que je m'intéressas à lui et son histoire. La déesse de la Discorde, qui devait ressentir mon ennui face à ce dernier, caressa de sa main mon bras, autant par geste de simple affection que pour me demander de ne pas perdre mon inexistante patience.
-Je viens d'Égypte, Arès, et l'on m'appelle Seth, l'esprit malin.
-Que Narcisse aimerait... murmurais-je à l'oreille de ma maîtresse dans un bruissement de voix. En voilà un deuxième...
Seth esquissa un sourire, peut-être pour lui, peut-être parce qu'il m'avait entendu, je n'en avais que faire, seules mes pensées comptaient.
-Et voici mon histoire...

La fête battait son plein alors qu'Osiris venait de se lever, et remerciait d'un sourire les invités venus se réjouir auprès de lui. La nuit n'était qu'en son milieu et les festivités, dirigées par la gracieuse Bast allaient encore s'étendre sur de longues heures, peut-être même traversés plusieurs journées. Et pourquoi en aurait-il été autrement alors que les royaumes de Basse comme de Haute Égypte étaient si prospères... les dieux pouvaient donc s'unir à ce bonheur qui, depuis quelques années, ne connaissait pas la faille des guerres ou la lézarde des famines. Bien-sur, le malheur existait, comme partout, car la vie buttait sur la mort ou la haine, mais il ne s'agissait pas de cela en ce jour, et seul la joie avait sa place parmi le panthéon divin. Ce n'était pas si souvent.
Nekhbet, la protectrice de la Haute Égypte, et son amie Bouto, qui veillait depuis bien longtemps sur la partie Basse du pays, regardaient de leurs yeux étirés vers la tempe, leur maître Osiris s'absenter de la fête pour prendre un bref repos. Cela lui ressemblait tant qu'elles ne s'en inquiétaient pas. Elles avaient trop travaillé à ses cotés, connaissaient trop bien cette manière mélancolique de réfléchir sans cesse à chaque évènement pour se vexer de ce prompt départ. Il reviendrait plus tardivement, lorsqu'il le désirerait, et tous seraient encore là pour l'accueillir car c'était par sa bienveillance que régnait un tel bonheur sur le pays éternel.
Osiris, effleura du bout de ses doigts mates les cheveux bruns d'Isis, son épouse, pour lui signifier qu'il allait se retirer dans ses appartements.
-Ou vas-tu? murmura-t-elle de sa voix douce et chaude.
-Réfléchir quelques instants, mais ne t'inquiètes pas, tu peux rester ici et continuer de rire près de tous nos amis. Ton visage et ton sourire ne feront qu'un peu plus illuminé la beauté de cette fête, puisque tu as l'art de chasser l'ombre.
Isis sourit doucement au compliment de son mari avant de baiser humblement cette main qu'elle chérissait tant. Il était l'être pour qui elle aurait tout donné, même sa vie si illa lui avait demandé, car mieux valait être morte que de le voir malheureux ou simplement désenchanté.
-Prends soin de toi, ma tendre Isis.
Et sur ces quelques mots, il partit, s'éloignant en direction d'un des longs et obscurs couloirs du temple.
Éclairé par seulement quelques torches, Osiris avait besoin de ses mains pour y évoluer à tâtons, mais la peur ne le gagnait pas, car ce n'était que sentiment de lâcheté, et il avait pour habitude d'être accompagné par cette paix qu'il souhaitait plus que tout pour son peuple... et qu'il avait d'ailleurs réussi à leur offrir. Mais pour combien de temps, telle était l'interrogation qui le tiraillait depuis la fin de l'après-midi, alors que le vin avait commencé à couler à flots? Allait-il pouvoir conserver bien longtemps ce règne de la plaisance et du bonheur alors même que ceux que l'on appelait les Conjurés s'organisaient de plus en plus?
Le dieu des Dieux s'assit lentement sur son trône, alors que de sombres pensées commençaient à le gagner. Il ne pouvait pas évoquer la menace d'une révolte à son épouse Isis, car malgré sa force et son pouvoir de magicienne, l'angoisse l'aurait rongé avec trop d'avidité et son vœu le plus chère était de la préserver. Alors, si sa plus fidèle amie ne pouvait être l'oreille de ses confessions, qui allait-il choisir? Neit peut-être, la déesse de la Sagesse? Mais était-ce la bonne solution que d'oser dévoiler ce qu'il savait alors même qu'il connaissait l'identité de celui qui dirigeait les Conjurés?
Une pulsation, à peine audible se fit entendre de la salle des offrandes, conjointe à celle où il se trouvait. Incertain de sa propre audition, il releva brusquement son visage régulier qu'il avait incliné en signe de réflexion avant de se relever à demi du trône où il siégeait.
Il sentait... il le sentait... quelque chose... la mort... la Mort était dans cette pièce... non, pas encore, mais tout près de lui. Il ferma ses yeux couleur d'ébène alors que des mèches de ses cheveux lisses et de jais tombèrent devant son visage. Il leva avec mesure sa main droite, tâtant cet air malsain et empesé qu'il l'entourait brutalement. Tout n'était plus qu'étrange langueur du crépuscule... du sien ou de celui de son règne?
Il rouvrit ses yeux et avança lentement vers la porte dérobée qui menait à la salle des offrandes. Le mal était proche de lui et s'infiltrait par chacun des pores de sa peau comme le vent le faisait parfois alors qu'il déambulait pensivement près des bords du Nil. Mais cela n'avait rien de la douce tiédeur qu'il évoquait soudainement, non, cela ressemblait plus à un engourdissement de ses membres sans pour autant que ses mouvements perdent de leur acuité.
Doucement, en imposant ses paumes à quelques centimètres de la porte, il parvint à l'ouvrir par l'un de ses procédés magiques qu'Isis avait l'habitude de faire instaurer pour plus de sécurité. Cela signifiait-il qu'il se rendait à la mort de son plein gré? Non... si il se dirigeait de son pas lent et rassurant vers le gouffre qu'il songeait deviner, c'était autant par courage que pour le revoir, que pour s'assurer de ce que les rumeurs prétendaient...
De toute sa haute stature, que l'on jugeait dans tout le pays plus robuste que celle de tous les hommes, il pénétra dans une vaste salle, aussi froide que le silence qui y régnait. Mais il savait... il savait que...
Il s'avança lentement, remontant vers l'autel où abondance de fruits et vins avaient été déposés en son honneur, en même temps que riches métaux et des étoffes dont son épouse pourrait se parer à sa guise. Ses prêtres étaient fervents, il avait une confiance absolue en eux, mais ce n'était pas eux qu'il songeait à cet instant, mais au regard d'émeraude de son épouse.
Et avant même que cela n'arrive, il sut...
Dans un bruit sourd et emplissant toute la pièce, une aveuglante lumière jaillit dans son dos, le frappant de plein fouet entre ses puissantes épaules. La douleur se répandit comme le sang qui coulait de sa blessure, et Osiris s'arc-bouta en avant, ployant sous le choc sans pour autant plier genoux à terre. Alors qu'il goûtait amèrement à sa souffrance, une autre vague de clarté vint s'abattre sur lui, mais s'y préparant, une barrière de "sa" venait de se former autour de lui.
-Montre-toi, ordonna-t-il.
Une dague, projetée de sa gauche et teintée d'une macabre magie, vint déchirer le voile qu'il avait su créer. D'une main experte, il arrêta pourtant l'objet maudit désireux de le déchirer de sa lame empoisonnée. A toute allure, Osiris créa entre ses mains une boule d'énergie d'un beige côtoyant l'or, attendant la prochaine attaque pour pouvoir riposter.
Ils étaient plusieurs, car il sentait des "sa" se dresser partout autour de lui... des ombres se découpèrent brutalement de la semi-obscurité qui régnait dans la salle, à cause des immenses colonnes aux chapiteaux sculptés, l'encadrant comme un animal pris au piège. Il ne cilla pourtant pas en découvrant que ses individus étaient cinq, formant ainsi une étrange étoile tout redoutée des magiciens. Un silence, plus épais que les lourdes capuches qui voilaient les visages des assaillants se tissa pendant quelques secondes autour d'eux. Osiris sentait ses vêtements de fêtes aux couleurs éclatantes du bronze et de l'or se tacher de son sang, mais il ne faisait pas attention à cette chaleur morbide qui se répandait sur sa peau, se fixant uniquement sur la silhouette qui lui faisait face.
-Montre-toi, ose te dévoiler, déclara l'époux d'Isis de sa voix forte et limpide dont la majesté avait fait plier plus d'un homme.
Une main pale et fine prit doucement la capuche noirâtre qui cachait ses traits, et l'abaissa avec mesure, comme pour faire savourer à son pire ennemi la douleur de cet instant, infiniment plus cruel que le coup qu'il avait pu recevoir auparavant.
-Seth... murmura Osiris. Mon frère.
Ce dernier, au teint d'une pâleur maladive qui le rendait falot, ne bougea pas, regardant de ses yeux ironiques et dénués de pitié cet aîné qu'il n'avait su aimer.
-Mon frère, répéta-t-il avec une haine qui lui emplissait la bouche. Si je puis toujours t'appeler ainsi.
Osiris fixa son regard scrutateur et serein sur lui. Était-il possible qu'il se soit trouvé en face de celui qu'il avait connu enfant, avec qui il avait couru entre les mêmes colonnes de ce temple, jouant à se poursuivre, sans savoir qu'un jour, ce jeu prendrait une autre forme? Était-ce bien cet homme diaphane et frêle à la chevelure flamboyante qui avait autrefois ri des mêmes plaisanteries, avait partagé avec lui la même coupe de vin? Était-ce bien le même sang qui coulait dans leurs veines?
-Je me trouve donc en face des Conjurés...
-Et de leur maître.
-C'était donc vrai.
La phrase était tombée, non pas avec fatalisme, mais avec une mélancolie qui se mélangeait à la nostalgie.
-Tu m'as trahi.
-Comment cela, Osiris, je t'ai trahi? Ne crois-tu pas que tu inverses quelque peu les rôles? Ne crois-tu pas que le plus bafoué de nous deux... c'est moi?!
La voix de Seth ne s'élevait pas, mais devenait plus tendue, plus dure, plus aiguë alors qu'il regardait avec mépris son aîné. Ainsi, il niait à présent les faits, la vérité... car avant qu'Osiris ne soit porté aux nues par ses prêtres, il avait lui-même été le maître de la Haute Égypte, le peuple l'ayant aimé avec la ferveur qu'ils tournaient maintenant vers son frère.
Devinant ses pensées, ce dernier, reprit la parole :
-Tu sais pourquoi ils m'ont choisi pour être le dieu des Dieux à ta place... je ne t'ai pas volé ton rôle, et mes prêtres n'ont pas combattu les tiens vainement ou par caprice d'ambition. Tu étais injustice, tu étais traître et vil... notre mère Nout ne te reconnaissait plus même. Le despotisme te dévorait, et il a fallu intervenir avant que le royaume ne soit consumé par la haine et la rivalité que tu y faisais naître.
-Tais-toi, tais-toi! siffla Seth alors que ses yeux brillaient de colère. Ne parle pas de ce que tu ne connais pas. J'étais avide du pouvoir, et je ne m'en cache pas, j'étais amoureux de ce que m'apportait mon règne, mais je n'étais pas injuste, tu te trompes. J'aimais ma fonction, j'aimais mon peuple...
-Non, le coupa Osiris, tu aimais qu'il t'adore, tu aimais son regard sur toi, son adulation, mais tu n'aimais pas leur soucis, leurs peurs et leurs amours. Tu aimais les Égyptiens pour ce qu'ils pouvaient te donner, et non pour ce que tu pouvais leur apporter. Et tu t'es étouffé de toi-même, comme un feu de paille mouillé.
-Je t'interdis de me parler ainsi, frère de lait... mais plus de sang! cracha Seth alors qu'il élevait les mains en l'air et qu'entre ses doigts, se formait la même boule de "sa" que tenait toujours calmement son frère. Le pouvoir sera renversé.
Les quatre Conjurés n'eurent pas besoin de regarder leur maître pour imiter son mouvement et Osiris, que la panique n'envahissait pas, se demanda pendant une fraction de secondes qui se dissimulaient sous ces capuches.
-C'est dans le néant, murmura Seth, que naîtra ma victoire, et dans le sang, que recommencera mon règne.
La lumière envahit lentement la pièce, se répandant sur chaque objet, sur chaque silhouette, et bientôt, la salle entière ne fut plus qu'un océan de clarté. Osiris songea brusquement que c'était dans ce rayonnement qu'il allait rejoindre le royaume des morts si jamais il ne savait contrôler les attaques qu'on lui enverrait, et cette pensée l'apaisa plus encore qu'il ne l'était déjà.
-Prépares-toi à rejoindre tes prêtres déjà disparus! hurla Seth.
Et alors que l'étoile du mal allait envoyé son attaque, acte de magie suprême, la porte dérobée par laquelle Osiris était précédemment entrée s'ouvrit avec brutalité, livrant passage à deux personnes.
-Osiris! cria Isis alors qu'elle se tournait vers l'homme qui l'accompagnait.
Celui-ci, de haute stature, les yeux vert d'eau étirés vers la tempe et ses lourds cheveux raides relevés en un chignon bleu ciel d'où s'échappait deux longues mèches en dégradé, dut plisser les yeux pour apercevoir le dieu des Dieux dans le flot de clarté qui l'aveuglait presque totalement.
-Imbéciles! hurla-t-il... que voulez-vous le vaincre avec votre magie alors que je suis le dieu exorciste!
Un éclair bleuté fendit la lumière laiteuse que le mal avait fait naître, et toute l'énergie se perdit dans la pièce, l'électrisant simplement pendant quelques secondes. Puis le noir revint, et les yeux de tous mirent quelques secondes à s'adapter à cette nouvelle obscurité.
Les cinq conjurés avaient tout juste eut le temps de se rassembler pour faire face aux trois dieux bénéfiques qui s'élevaient maintenant contre eux.
-Khonsou... maudit sois-tu... mais le prix que tu devras payer ne sera pas moins élevé que celui d'Osiris, murmura une voix inconnue, aux cotés de Seth.
Isis posa sa fine main sur le bras de son mari, avant de regarder le frère de ce dernier.
-Ainsi, tu le trahiras jusqu'au bout. Tu nous trahiras jusqu'au bout.
-Jusqu'au bout? Mais tu n'as encore rien vu, belle Isis.
-Et que vas-tu donc faire, répliqua Khonsou avec ironie, avec tes cinq acolytes alors qu'il nous suffit d'un cri pour rameuter à nous tous les dieux qui sont de notre coté! Au fait, toi, là, celui qui m'a maudit, aurais-tu au moins l'obligeance de me montrer ton visage ou devrais-je me contenter de ta voix nasillarde?
Un bref ricanement fut la seule réponse donnée à la requête. Khonsou haussa les épaules sans se dépareiller... ces traits qu'on lui dissimulait par lâcheté, il finirait bien par les voir au cours de l'affrontement qui s'apprêtait à se dérouler en ces murs. Car il ne doutait pas que les Conjurés allaient tenter l'inadmissible... ils avaient atteint ce stade de démence et de haine ou plus rien n'a d'importance, et donc, ou plus rien ne semble impossible.
Les deux camps s'opposèrent du regard pendant quelques instants, pour laisser monter et éclore les sentiments qui germaient en eux depuis peut-être des années. Isis sentait le mal imbiber ce lieu sacré dans lequel elle se rendait parfois pour retrouver son mari, dont les réflexions l'amenaient souvent vers ce temple, cette salle ou ceux de son peuple venaient lui rendre hommage.
Elle songeait, en détaillant le visage de Seth, son frère, à sa sœur, Nephtys, épouse du maître des Conjurés, qu'elle n'arrivait elle-même plus guère à aimer. Ou se trouvait-elle en ce moment, cette dernière, se cachait-elle sous l'un des vêtements qui couvraient les Conjurés, ou se dissimulait-elle chez Seth... elle les maudissait tous les deux, malgré son calme et sa douceur ordinaire, elle ne se sentait pas à même de pardonner ce que celle qu'elle considérait comme une jumelle lui avait fait. Elle ferma les yeux avec dégoût et s'accrocha plus fortement au bras de son mari... de ce mari que Nephtys avait envoûté pour l'amener sur sa couche et pour qu'il lui fasse un enfant sous l'emprise d'un charme. Et que s'était-il passé après cela, après qu'elle fut parvenue à obtenir ce qu'elle voulait? Elle n'avait rien trouvé de mieux que d'abandonner le fruit de cet adultère inconscient et c'était maintenant à elle, Isis, d'élever le petit Anubis, resté sans mère. Pourtant, et malgré la situation dans laquelle il avait été conçu, elle ne pouvait nier qu'elle se sentait lier à cet enfant... et comme pourrait-il en être autrement alors qu'il était le fruit de son mari et le dernier souvenir de sa sœur qui l'avait trahi?
-Retirez-vous, cria Osiris, retirez-vous avant que je ne vous frappe de ma colère. Je vous donne la chance de vous enfuir et de ne point chercher à découvrir vos identités afin que mon courroux éternel ne vous poursuive pas. Quant à toi, Seth, je ne veux pas te tuer, car tu restes malgré tout ce que tu pourras me faire, mon frère. Pourtant, je ne peux plus te voir, à moins que tu ne comprennes un jour la cruauté de tes actes, et je te demande de quitter le Royaume d'Égypte.
-Tu me chasses de cette patrie qui est mienne, ricana Seth alors qu'il passait une main tremblante dans sa chevelure rousse. Mais d'ou peux-tu prendre ce droit?
-De mon rôle, mon frère, de ce rôle que tu n'as pas su tenir mais dont tu comprendras, selon mon souhait, un jour la lourdeur. Sois raisonnable, Seth, tu ne peux pas me tuer entre ses murs, pas sous les regards des autres dieux, et tu le sais... tu dois donc partir puisque je t'en laisse la chance.
-Et comment comptes-tu m'y contraindre?
Osiris soupira alors que ses yeux sombres se troublèrent.
-Je devrais faire arrêter un décret contre toi, ordonnant que l'on te chasse de tout endroit ou l'on te verra.
-Et comment des hommes pourront me chasser, moi, un dieu... ce dieu qu'ils vénéraient autrefois! hurla Seth dans un éclat de rire haineux alors que ses frêles épaules se mirent à trembler sous l'effet de la rage.
Osiris baissa les yeux à terre pendant une fraction de secondes. Il sentait sur son bras la main de sa belle Isis, sa chaleur apaisante, tout comme le "sa" de Khonsou, sa force vibrante et impatiente, le réconfortait. Il devait faire ce qu'il n'avait jamais voulu, jamais souhaité, mais son rôle le contraignait à agir de cette façon... à chasser son frère et à...
Il éleva lentement les paumes de ses mains vers son cadet, les yeux emplis de ce dégoût tourné vers lui-même et ce qu'il exécutait. Puis, sa voix, forte et posée, s'éleva en une litanie de paroles magiques connues de lui seul, car personne d'autre n'était à même de les utiliser.
En comprenant ce qui se passait, le dieu exorciste eut un mouvement de recul... était-il possible que son maître eut été jusque là?
Les mains d'Osiris se mirent brutalement à rayonner d'une couleur laiteuse et dorée, et tout l'air fut envahi par la douceur de la paix et de la puissance sereine qui se dégageait du dieu des Dieux. Des filets d'or s'échappaient de ses doigts pour couler vers son frère, qui n'avait plus même la force de se débattre alors que son "sa" s'échappait doucement de son corps pour venir rejoindre celui qu'il avait voulu tuer. C'était impossible... on lui retirait son énergie divine... c'était...
Il coula bientôt à terre, inconscient.


-Et que s'est-il passé ensuite? demanda Arès, soudainement passionné comme pouvait l'être un enfant face à un conte qu'il n'a jamais entendu.
Seth sourit, plus assuré que jamais, car il n'avait jamais douté échouer dans l'entreprise d'attirer l'attention du dieu de la guerre. Comment voyait-il exactement ce dernier d'ailleurs? Invincible, comme le décrivait la légende, brutale, violent, sanguinaire, fou... même si quelque chose en lui restait désespérément humain, car toutes ces émotions sans commis mesure qui l'assaillaient sans cesse n'avait rien de la majestueuse divinité des êtres atteints par le Big Will... ce que l'on appelait le Noun en Égypte.
-Ce qui s'est passé, continua-t-il, écoute le bien, Arès...

La chaleur du soleil caressait sa peau tout en l'irritant, sans même que ce fusse perceptible, à cause de sa blancheur maladive. Seth se releva brusquement, d'un mouvement de défense naturel, avant de se rendre compte qu'il était seul... seul dans un temple qu'il connaissait bien. Il parcourut du regard les alentours, cherchant à mettre un nom sur ce lieu ou Osiris avait du le déposer.
Son visage se crispa au souvenir de son "sa" s'échappant de son corps sans qu'il eut rien fait pour l'arrêter. Il avait été vaincu par son frère, humilié devant les autres Conjurés qui ne voudraient peut-être plus même le servir, et ne pouvait à présent plus rien faire d'autre que de fuir ce pays dont il bénissaitpourtant la terre.
Il se releva difficilement, tentant de tenir sur ses jambes qui refusèrent pendant plusieurs minutes de le porter. Il devait apprivoiser son corps dépourvu de pouvoirs divins, hormis quelques étincelles, et qu'il avait l'impression de ne plus connaître.
Seth se dirigea lentement vers la sortie, cherchant à apercevoir l'indice qui lui expliquerait ce qui lui était arrivé. Il sortit hors du temple inondé de soleil, et se tourna vers l'entrée de ce dernier, y levant un regard teinté d'amertume et de surprise. Des mots s'inscrivaient au-dessus de la porte et il put y lire : "Je suis tout ce qui a été, qui est et qui sera. Nul mortel n'a pu lever jusqu'ici le voile qui me couvre."
Le frère d'Osiris esquissa un sourire funeste et frappa violemment dans l'une des marches qui menaient au temple de Neit, la déesse guerrière et tisserande dont l'esprit logique n'était plus à prouver. Ainsi, il se trouvait à Sais, probablement car son aîné avait voulu qu'il se réveille dans un lieu sain et sensé qui pourrait peut-être lui faire reprendre ses esprits... mais contrairement à tout ce que l'on pensait, il n'était pas fou, il ne voulait que se faire justice, et il allait le leur montrer.
Et c'est en s'enfuyant sans un soleil de midi de son pays, qu'il décida d'organiser la guerre des Conjurés.


-Alors, Arès, te sens-tu le cœur de m'aider? demanda avec une lourde ironie Seth.
-Tu sais bien que je n'ai pas de cœur, répliqua lentement le dieu de la guerre en rendant son sourire à son visiteur.
Avait-il envie d'aider ce freluquet falot et pourtant au regard si rusé? Il ne savait pas vraiment, même si sa cause finissait par l'intriguer. Et Osiris était-il véritablement aussi puissant que le prétendait son cadet? Était-il vraiment à même de supprimer du corps d'un dieu son énergie? Il avait du mal à y croire, même si Seth semblait dire la vérité.
-Et quel intérêt aurais-je donc à te porter secours? interrogea Arès dont les yeux transparents brûlaient déjà d'un désir de violence.
-Pourquoi, Arès? Car je te proposerai ensuite une alliance entre l'Égypte et toi... une alliance qui pourrait bien te servir durant l'un des affrontements saints que tu connaîtras face à Athéna. Qu'en dis-tu? -Ce n'est pas suffisant. Je n'ai besoin de personne pour vaincre mon ennemie.
-Sans vouloir t'offenser, c'est sans doute pour cela que tu as échoué jusqu'à présent.
Arès se précipita hors de son trône, et d'une enjambée, saisit Seth pour le col de son vêtement aussi blanchâtre que sa peau. Front contre front, il s'apprêtait à tuer celui qui était venu lui demander de l'aide quand une idée fit jour en lui.
-Et comment pourrions-nous être assuré que tu ne nous mens pas, Seth? hurla soudainement Arès alors qu'il propulsait son invité contre le sol.
Le dieu égyptien, après avoir émit un râlement, se releva rapidement, en faisant fi de la douleur qui s'étirait dans toute sa jambe. Une fois de nouveau sur ses pieds, il salua gracieusement son bourreau de l'instant, et, sans se dépareiller pour ce moment ou la mort l'avait frôlé du bout des doigts, reprit le fil de son discours, sans pour autant perdre de vue qu'Arès était un loup trop affamé pour ne pas être dangereux.
-Et bien, je ne puis que jurer sur votre Styx, gardienne des promesses depuis qu'elle a aidé Zeus durant la guerre contre le Titans, n'est-ce pas?
-Exact, murmura Eris. Mais si tu trahis cette promesse, n'oublie pas que c'est la mort qui t'attend.
-Soit, je la braverai donc.
Le dieu de la guerre observa son ironique interlocuteur qui avait un peu trop tendance à le prendre pour un sot. Que ne savait-il pas que sous sa violence à fleur de peau existait l'un des esprits les plus malsains portés par tous les panthéons divins? Oui... Seth avait le défaut de prendre ceux qui l'entouraient pour des imbéciles, sans doute car il était lui-même doté d'un cerveau sans faille, mais c'était à ses torts, car sans même s'en rendre compte, il demandait pour allier le plus dangereux des prédateurs.
Arès esquissa un bref sourire, songeant que le dieu égyptien n'avait que peu l'expérience des divinités grecques. Comme il était amusant de le voir se prendre pour celui qui posait les pièges... enfin, il ne le détromperait qu'en cas de besoin.
Le protecteur des guerres fit quelques pas dans sa salle, paraissant s'éloigner en même temps que ses pensées de tout ce qui l'environnait. On lui proposait de se battre en un autre nom que le sien, et même si il n'était pas dans son habitude de porter secours à ceux qui lui tendait la main, il ne pouvait s'empêcher de laisser monter en lui une certaine excitation pour l'exotisme de l'aventure qu'on lui proposait. De plus, il allait agir pour l'esprit du mal, qu'il incarnait depuis maintenant bien longtemps, et il ne niait point que ces batailles seraient le meilleur entraînement imaginable pour ses troupes qui rencontreraient d'ici quelques temps les Saints et leur maîtresse dans les plaines d'Ilion.
Et puis... la cause du sang pour le sang ne lui suffisait-elle déjà pas assez?
Il éclata d'un rire presque gutturale, basculant sa tête en arrière avant de s'adresser, dans tout le faste de son caractère à l'émissaire de cette contrée lointaine ou il allait partir :
-Et bien c'est dit, Seth, nous t'aiderons, moi et mes Berserkers... il ne te suffit plus que de jurer.
Les yeux du frère d'Osiris se mirent à briller, alors que de sa voix sardonique, il obéissait à Arès :
-Par le Styx, je fais le serment de t'aider à ton tour quand le besoin s'en fera sentir.

Chapitre précédent - Retour au sommaire

www.saintseiya.com
Cette fiction est copyright Caroline Mongas.
Les personnages de Saint Seiya sont copyright Masami Kurumada.