Chapitre 1 : Souvenirs


La pièce était grande, mais elle dégageait une sensation d'intimité qui frappait tous les visiteurs. Tout était luxueux, du sol de marbre clair aux tableaux qui ornaient les murs. Toutes les toiles étaient signées de noms prestigieux, et les différents bibelots qui garnissaient les meubles l'auraient été aussi si les peintres n'avaient été les seuls artistes à signer leur œuvre. Le luxe de la pièce se retrouvait d'ailleurs dans la maison toute entière, si bien qu'aucune compagnie n'avait accepté de l'assurer contre les incendies. Le vol, elles étaient toutes d'accord, mais pas l'incendie. La collection privée du maître de maison était unanimement considérée comme la plus prestigieuse de la galaxie, et elle ne s'étendait pas qu'à ce seul bâtiment. Dans chacun des systèmes solaires habités de la Voie Lactée, une demeure aussi luxueuse attendait le passage de son maître. Cela n'arrivait parfois que tous les dix ans…

Un homme était assis dans un des divans de cuir brun, le visage grave. Même dans cette position, on ne pouvait se tromper sur sa taille. Il était grand, au moins deux mètres, et son corps semblait fait d'acier. Les muscles, même au repos, saillaient et l'ensemble dégageait une impression de puissance phénoménale. Ses yeux étaient d'or, et ses cheveux du brun sombre de la terre. La plaque de bronze sur la grille qui bloquait l'accès à la propriété portait le nom de Damon Slade. C'était le sien, un nom qu'il portait maintenant depuis près de dix mille ans. Depuis qu'il était devenu, sur cette même planète, citoyen de la toute jeune nation des Etats-Unis d'Amérique. Avant cela, le Japon, et avant la France du Moyen-Age, et avant cela Rome et encore avant en Grèce antique. Et avant? D'autres endroits, d'autres planètes. Ce n'était pas un homme en fin de compte. Jamais un homme n'aurait pu vivre si longtemps. Son père l'avait appelé Gallaan. Les terriens l'avaient appelés Ngarth, quand du plus profond de leurs cavernes ils l'invoquaient, puis Hermès, Mercure, Thor ou d'autres noms encore. Mais dans aucun de leurs panthéons ils ne lui avaient donné sa vraie place. Ce temps était fini depuis longtemps, et cela l'avait soulagé. Les hommes en étaient venu à adorer d'autres dieux. Mais il ne s'était jamais senti un dieu, pas plus qu'il ne s'était senti humain. Jamais il n'avait connu la joie du mariage ni celle d'avoir un enfant. Difficile de trouver une compagne prête à s'engager avec quelqu'un pour l'éternité… Les aventures, il connaissait. Voler de déception en déception lui était familier, et il y avait toujours un moment où il lui fallait avouer qu'il était immortel. Aucune femme n'avait accepter de le rejoindre sur son interminable route vers le bonheur.

Tout avait commencé quand son père, le prince d'une planète perdue dans la galaxie d'Andromède, à plus de deux cent millions d'années-lumière de la Terre, s'était mis en tête d'avoir un enfant. Et tout aboutissait à cet instant présent, cet instant ou il ressentait cruellement la solitude de ces huit milliards d'années de vie. Huit milliards d'années de combats et de luttes, au cours desquelles il avait perdu son père, son frère jumeau, un nombre incalculable de femmes qu'il aimait et d'hommes qu'il estimait. Huit milliards d'années au cours desquelles il s'était battu, et encore battu.

Et tout ça pour quoi, se demanda-t-il? Un empire financier de vingt trillions de crédits.

- Non, lui souffla avec violence une voix à l'intérieur, une voix qu'il savait être celle de son père. Non, pour un empire de deux billions d'êtres humains, qui vivent libres grâce à toi. Deux billions d'êtres humains, qui s'ils ne t'adorent plus, te sont quand même redevables, comme l'ont été toutes les générations avant celle-ci.

Oui, son père avait raison. Il s'était battu pour délivrer cette galaxie du joug de son frère et de tous ceux qui la menaçaient.

Et il allait encore devoir se battre. Un combat de plus à ajouter à sa longue note de frais que personne ne lui rembourserait jamais.

- Après tout, cette galaxie, je l'ai créé, même si je ne le voulais pas, dit-il tout haut.

Et cela aussi était vrai. Le souvenir était encore aussi net que si le drame s'était passé quelques mois auparavant. Il revoyait avec une effroyable clarté sa mère livide, penchée sur le corps sans vie de son père, et dans le coin de la pièce, tremblant de rage, son frère. Son frère jumeau, les mains souillées par le même sang qui s'écoulait lentement de la blessure mortelle qu'il avait infligée à celui qui leur avait donné le jour.

Damon ne ressentait plus de colère ni de haine envers son frère, maintenant. Assez de temps s'était écoulé pour enfouir dans l'oubli ces sentiments si vieux. Il n'en voulait plus qu'à un seul homme.

Un homme, non, un immortel, comme lui… Khan. Son deuxième père, en quelque sorte.

Celui par qui tout avait commencé, et celui par qui tout allait finir

Ce maudit Khan qui avait réussi à trouver un moyen de se libérer de sa prison dimensionnelle, un chemin qui le conduisait directement dans cette galaxie, sur la planète Terre, le berceau de la civilisation galactique.

Damon sourit. Il lui serait impossible de réunir son ancienne armée, ses généraux avaient passé trop de temps à se chamailler entre eux. Il n'allait pouvoir compter que sur ses propres hommes, ses Elémentaux en tête. Peut-être sur Arès et sur Hadès, s'ils étaient dans un bon jour. Et sur son frère…

- Les deux frères ennemis vont combattre côte à côte pour la première fois. Je me réjouis de voir ce que ça va donner.

Il se leva et se dirigea vers la porte qui donnait sur son bureau. Il était temps, pour la première fois depuis une cinquantaine d'années, de battre le rappel des troupes.

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Cette fiction est copyright Thomas Goffin.
Les personnages de Saint Seiya sont copyright Masami Kurumada.