Chapitre 8 : Mère et fils


Il y avait si longtemps… Je regardai mes mains, ou plus exactement les mains du mortel dont j'avais pris possession. Il y avait si longtemps. Je pensais sincèrement ne plus jamais me réincarner et voilà que par un miracle, je faisais ma réapparition sur cette planète maudite. Athéna… Il y avait près de dix mille ans que je sommeillais. En fait, j'avais commencé par choisir un corps, puis à la mort de celui-ci, un autre. Puis un autre. Puis encore un autre. Et ainsi pendant des millénaires. Mais jamais aucun d'entre eux n'avait réussi à déclencher la haine nécessaire pour permettre ma résurrection. Jusqu'à lui. Pourtant je ne savais absolument rien de lui. Je l'avais instinctivement choisi parce qu'il renfermait en lui les germes de la plus grande haine de son époque. Etant un dieu, je pouvais savoir en un instant qui était le corps que j'habitais. Et je le sus immédiatement. C'était un chevalier d'Athéna ! Je ne pus retenir un éclat de rire. Ainsi l'homme qui m'accueillait était un guerrier de ma plus grande rivale ! Quelle ironie ! J'allais pouvoir enfin vaincre cette déesse de pacotille avec le corps d'un de ses propres chevaliers…

Je regardai autour de moi. Je me trouvais dans une espèce de grotte où je pouvais sentir la présence d'un cosmos qui ne m'était pas inconnu mais qui m'échappait momentanément. Voyons, de qui pouvait-il bien s'agir ? Mais bien sûr ! Mon oncle Poséidon… Mais alors, me trouvais-je dans le Sanctuaire sous-marin ? Non, c'était impossible, les chevaliers d'Athéna l'avaient détruit. Mais alors où ? J'en étais là de mes réflexions quand une hache fut lancée vers moi avec violence.

***

- Arès ???

La voix d'Elias était mal assurée. Le chevalier du Lynx et ses deux compagnons se regardèrent et, instinctivement, commencèrent à reculer. Puis, saisi d'une impulsion subite, Tarkan se saisit de sa hache et la lança de toutes ses forces sur celui qui prétendait être la réincarnation du dieu de la Guerre. En effet, le chevalier de la Couronne Boréale était persuadé que le chevalier Phénix leur mentait, même s'il ne s'expliquait comment l'armure divine avait pu arriver ici. Mais à sa stupéfaction, son arme ne toucha pas son ennemi. Elle s'arrêta net devant lui avant de faire demi-tour et de revenir droit sur l'envoyeur qui eut toutes les peines du monde à l'éviter.

- Comment oses-tu lever la main sur un dieu ? Tu mériterais la mort pour un tel crime. A genoux devant un dieu !

Mus par une force irrésistible, les trois chevaliers de Vermeil tombèrent à genoux devant Ikki, ou plus exactement devant la réincarnation d'Arès.

- Misérables vers de terre, où sommes-nous ?
- Nous sommes sur l'Atlantide, ô Arès.
- Ah oui, c'est cela. Qui est la Grande Prêtresse ?
- Eileen.
- Bien, vous allez pouvoir m'aider.
- Comment ?
- Nous allons détruire l'Atlantide, fief d'Athéna. Ensuite, nous nous rendrons au Sanctuaire où nous mettrons le reste de ses légions en pièce. Mais d'abord, je vais faire appel à mes légions pour combattre.
- Vos légions ?
- Oui, mes fameux Bersekers !

Arès concentra son cosmos qui éclata en une aura d'une intensité démesurée.

- Entendez-moi, Bersekers ! Je suis Arès, votre maître tout-puissant ! Je vous ordonne d'apparaître devant moi à l'instant.
- Non !
- Qui a parlé ? Qui a osé me déranger ?

Elias, Tarkan et Solagar se regardèrent, surpris : aucun d'eux n'avait osé proférer le moindre son, pas plus que les dix hommes qui étaient toujours encapuchonnés derrière eux.

- Répondez ! Qui a parlé ?
- Personne, ô Arès.

Arès ne comprenait pas. Ces humains avaient trop peur pour pouvoir lui mentir. Mais alors qui ?

- C'est moi, Ikki, chevalier Phénix.
- Phénix ? Mais comment ? J'ai pourtant pris possession de ton corps !
- Peut-être, mais pas de mon âme. Mettons les choses au clair tout de suite, Arès. Je suis d'accord pour détruire Eileen et tout ce qu'elle représente. En revanche tu ne t'attaqueras pas à Athéna.
- Ah oui ? Et comment pourras-tu m'en empêcher ?
- Je sais contrôler ma haine.

Arès resta interloqué. Comment un homme, choisi pour être sa réincarnation, pouvait-il contrôler sa haine ? Une fois encore, il concentra son cosmos pour appeler ses légions. Une fois encore, il sentit une force l'en empêcher, lui, un dieu ! Malgré sa fierté, il devait se rendre à l'évidence : il n'était pas seul maître à bord. Cela ne le réjouissait pas du tout, mais il devrait composer avec ce chevalier Phénix, au moins au début.

- Très bien, Phénix, je m'incline. Tu es encore trop présent pour que je puisse m'affranchir. Mais je ne suis pas pressé. Un moment viendra où tu seras aveuglé par ta haine et où je pourrai appeler mes Bersekers.

Arès n'entendit aucune réponse. Il se tourna alors vers les trois chevaliers de Vermeil qui étaient demeurés à genoux. " Bien, se dit-il, puisque je ne peux pas faire appel à mes propres guerriers, il va falloir que je m'appuie sur ces trois-là. Je sens une grande puissance chez eux. Après tout, ils pourront peut-être m'être de quelque utilité. "

***

Kanon ouvrit un œil. Il tenta péniblement de se relever avant de s'apercevoir que ses muscles refusaient de lui obéir. Il regarda autour de lui mais, à sa grande surprise, il était seul. Aucune trace de Shun ou de son frère.
Kanon tenta de se rappeler les événements récents mais il se heurta à un mur. Il lui était en effet impossible de se rappeler comment il avait atterri dans cet endroit. Finalement, au bout de quelques minutes, il se sentit suffisamment fort pour se lever.

C'est alors qu'il la vit.

La femme de son rêve. Elle était toujours assise sur son imposant fauteuil doré et son regard avait toujours cette même douceur, mêlée à une expression de tristesse. Il lui était toujours impossible de définir son âge. Elle ne paraissait pas très grande et avait de longs cheveux noirs qui lui arrivaient presque aux jambes. Très doucement, sans prononcer la moindre parole, elle leva un doigt et montra un endroit situé derrière Kanon. Ce dernier se retourna et se trouva nez à nez avec l'objet de sa quête : la seconde armure des Gémeaux se trouvait face à lui. Il sentait qu'elle l'appelait. Toutefois, quelque chose, au fond de lui, l'empêchait de s'en saisir.

- Tu sais déjà que cette armure est maudite, je suppose, fit une voix douce ?
- En effet. Mais ce ne sont pas ce genre de sornettes qui vont m'arrêter.
- Alors pourquoi ne t'en saisis-tu pas ?
- Je ne sais pas. Je n'y arrive pas.
- Je sais pourquoi.

Kanon se retourna vivement et regarda intensément son interlocutrice.

- Pourquoi ?
- Parce que cette armure pervertit les âmes. Et qu'il y a quelque chose au fond de toi qui refuse que cela arrive.
- Je refuse de croire à ces idioties, s'emporta Kanon ! Je vais prendre cette armure, un point c'est tout. Après tout, elle me revient de droit !
- Mais personne ne songe à contester ton droit sur cette armure, Kanon. Simplement, avant que tu ne la prennes, puis-je te raconter une histoire ?
- Encore ? Mais c'est une manie ! C'est à croire que tous les Atlantes vont me raconter leurs vies !

Il vit alors une larme perler sur le visage de la femme et se calma aussitôt.

- Je vous écoute.
- Je m'appelle Alana.

***

Les Atlantes ignoraient totalement les turpitudes de leur Grande Prêtresse et de ses chevaliers de Vermeil. D'ailleurs, pour être tout à fait franc, ils ne croyaient guère à l'existence de ces derniers. Bien sûr, les chevaliers sacrés d'Athéna existaient, les visiteurs en étaient la preuve vivante ; mais les chevaliers de Vermeil n'étaient qu'un joli conte destiné à endormir les plus jeunes en leur racontant de belles histoires. Pour les habitants de l'île, Eileen n'était rien d'autre qu'une femme dotée de pouvoirs télépathiques et de télékinésie plus développés que les leurs. Quant à imaginer que le Premier Prêtre puisse être un traître…

La vie continuait donc paisiblement sur l'Atlantide. Les habitants de l'unique cité, qui s'appelait Kardas, vaquaient à leurs occupations. Personne ne travaillait sur l'Atlantide, du moins au sens où nous l'entendons. La plupart des Atlantes étaient des agriculteurs et échangeaient leurs produits trois fois par semaine, lors du marché. Les plus instruits d'entre eux se dévouaient au Temple. Il était difficile de savoir avec exactitude combien de personnes vivaient sur l'île. Sans doute guère plus de quelques centaines. Un couple âgé traversait la place principale quand un grondement sourd se fit entendre. Instinctivement, les têtes se levèrent vers le ciel. Celui-ci, bleu azur quelques secondes auparavant, était devenu noir. Des éclairs se mirent à zébrer le ciel. Ils étaient si lumineux que tout le monde était obligé de fermer les yeux. La pluie se mit finalement à tomber, de manière si violente qu'au bout de quelques secondes, il ne restait plus personne dans les rues. Plus personne, si ce n'est un homme qui était allongé par terre. Le vieux couple se regarda. L'homme se trouvait précisément à l'endroit où eux-mêmes étaient juste avant que la pluie ne se mette à tomber. Ses vêtements étaient déchirés de partout. Couché sur le dos, il était impossible de distinguer son visage. Néanmoins, la couleur de ses cheveux ne laissait guère planer de doutes sur son identité : personne sur l'île, mis à part Eileen, n'avait de cheveux bleus. Il était donc évident qu'il s'agissait de l'un des visiteurs. Le vieil homme se tourna alors vers sa femme :

- Il faut qu'il se réchauffe. S'il reste ainsi, il va attraper une pneumonie, chevalier ou pas.
- Oui, tu as raison. Mais il est inconscient et nous ne pourrons jamais le transporter.
- Je vais vous aider.

L'homme qui venait de parler était très grand et de carrure imposante. Toutefois, derrière une apparence rude, on pouvait aisément discerner une âme bonne et pure.

- Merci, Minéos.
- Où habitez-vous ?
- A deux pas, juste derrière la grande bâtisse qui est là.

Minéos se dirigea vers le corps qu'il saisit délicatement et sans effort. Il suivit en silence le couple qui tentait de se protéger tant bien que mal de la pluie torrentielle qui continuait à tomber. Une fois arrivés, Minéos posa le corps du blessé devant la cheminée et dit :

- Aurez-vous du bois en suffisance ?
- Pour nous, certainement. Mais je crains que notre invité n'en ait besoin de beaucoup plus.
- C'est bien, je vais vous en chercher. Je serais de retour dans une demi-heure.

Minéos parti, la vieille femme apporta une couverture qu'elle posa sur son invité. Son mari alluma le feu.

- Je me demande ce qui a bien pu lui arriver. Qu'en penses-tu, Karin ?
- Je ne sais pas, Manias. Mais ce qui est sûr, c'est qu'il a beaucoup souffert.

Le bois crépitait. Les flammes dansaient vers le ciel lorsque l'on frappa à la porte. Minéos entra, portant de faire du feu pour les dix prochains jours. La force herculéenne dont il semblait disposer était impressionnante. Ils restèrent tous trois à contempler le blessé pendant plusieurs heures sans échanger plus de trois mots. Karin avait préparé de la soupe qu'ils mangèrent assis, près de la cheminée.

- Allez vous reposer, fit finalement Minéos. Je le veillerai.
- Mais c'est que… Il est chez nous, nous avons une responsabilité envers lui.
- Ne vous inquiétez pas. Vous avez besoin de repos, vous aussi.

Le vieux couple, Minéos resta seul devant la cheminée. Ses yeux semblaient perdus dans le vide. Pourtant on sentait aisément qu'en réalité, il veillait parfaitement. Vers le milieu de la nuit, l'homme commença à bouger. Au bout de quelques tentatives, il parvint à ouvrir les yeux.

- Où… Où suis-je ?
- Tu es en sécurité, chevalier des Gémeaux. Ne t'inquiètes pas, tu as juste besoin de repos.

Saga referma les yeux et se rendormit.

***

Eileen s'éveilla. Elle qui pensait connaître toute l'île se trouvait dans un endroit qu'elle n'avait jamais vu auparavant. Elle se leva et fit quelques pas. La pièce était carrée. Il ne semblait y avoir aucune issue de quelque sorte.
Tout à coup, elle entendit une sorte de gémissement. Elle se retourna et vit Shun qui semblait cauchemarder. " Ainsi voici mon fils cadet, se dit-elle. Je n'aurais jamais pensé que je pourrai le revoir un jour… Il est si beau. "
Shun ouvrit les yeux. Il vit Eileen qui le contemplait. Son regard était empreint d'une grande douceur qui contrastait singulièrement avec l'habituel éclat de ses yeux.

- Pourquoi me regardez-vous ainsi ?
- Tu n'as pas encore compris ?
- Compris quoi ?
- Je suis ta mère, Shun.

Il le savait. Il l'avait toujours su. Dès le moment où ses yeux s'étaient posés sur Eileen, il avait su…

Eileen lui raconta alors son histoire. Ses rencontres avec Kido et ce qu'il en advint. Elle éprouva beaucoup de difficultés à lui avouer qu'elle avait du l'abandonner. Sa surprise fut donc gigantesque quand Shun se précipita dans ses bras pour devenir, l'espace d'un moment, le petit garçon de onze ans qu'il était. Bouleversée, Eileen ne put retenir ses larmes. Pour la première fois de sa vie, la Grande Prêtresse de l'Atlantide, vaillante chevalier de Vermeil de Cassiopée, pleura. Au bout de plusieurs minutes, Shun se dégagea doucement et regarda sa mère en face.

- C'est une révélation qui risque de déplaire à Ikki, tu sais ? Nous sommes si différents, lui et moi...
- Je sais, Shun. Et toi, tu m'en veux ?
- Moi ? Non, je comprends ce que tu as pu ressentir. On t'a forcé à agir contre ton gré. C'est que je fais depuis mon enfance. Me battre contre mon gré. Mais Ikki… Je crains que cela ne le mette dans une rage noire.
- Malheureusement, c'est déjà fait.
- Comment le sais-tu ?
- Je le sens. Ce qu'il nous est arrivé pendant que nous discutions… N'as-tu rien remarqué ?
- Maintenant que tu le dis… Il m'a semblé… Oui, il m'a semblé que la cosmo-énergie d'Ikki augmentait terriblement. Mais en même temps, il m'a semblé qu'elle s'atténuait, pour laisser place un Cosmos bien différent, beaucoup plus agressif, comme si mon frère changeait brusquement de personnalité.
- Alors, c'est ce que je craignais.
- Quoi ?
- Tu sais que ton père était la réincarnation mortelle de Zeus.
- Oui.
- Et bien, avant que ton frère ne naisse, il m'a avoué qu'il y avait une possibilité pour qu'il porte en lui l'âme d'un de ses fils.
- Lequel, demanda un Shun haletant ?
- Arès.
- Arès ?!!!
- En me disant cela, il me disait qu'il faudrait qu'Ikki s'enfonce dans la haine d'une manière si violente qu'il réveille le Dieu de la Guerre.
- Mais je ne comprends pas. Lorsqu'il a appris que Kido était son père, il a sombré dans la haine. Pourtant, Arès ne s'est pas réveillé !
- Apprendre que sa mère l'avait délibérément abandonné a sans doute été encore plus douloureux pour lui, répondit Eileen avec un pâle sourire aux lèvres.
- Mais tu étais forcée de le faire !!!!
- Sois certain que les Dissidents ne lui ont pas présenté la chose sous cet angle.
- Mais alors, ça veut dire…
- Oui. Les Dissidents ont à présent un dieu pour allié.

***

La pluie avait cessé de tomber. Les nuages se dissipaient et le soleil faisait une timide réapparition dans le ciel. Saga se réveilla et s'étira. Il vit tout de suite l'homme qui l'avait veillé toute la nuit. Il se rappela alors que cet homme savait qui il était.

- Dis-moi… Qui es-tu ? Comment sais-tu que je suis le chevalier des Gémeaux ?
- Je sais beaucoup de choses, Saga… Ou Kanon, je dois admettre que vous différencier n'est pas aisé.
- Je suis Saga. Mais d'ailleurs, où sont mon frère et Shun ?
- Je ne sais pas, Saga. Nous t'avons trouvé gisant sur le sol, tes vêtements déchirés et le sang coulant de ton bras droit. Un couple âgé t'a recueilli chez eux et je t'ai veillé cette nuit.
- Qui es-tu ?
- J'ai pour nom Minéos. Je suis le cousin de Mû et j'aurais du être le chevalier de la Couronne Boréale…

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Cette fiction est copyright Emmanuel Axelrad et Clément Baudot.
Les personnages de Saint Seiya sont copyright Masami Kurumada.