Chapitre 1 : Renaissance


Il y a quelques heures encore, c'était un univers où régnaient paix et sérénité. Un monde où tout n'était que calme et beauté. Un lieu où respiraient bonheur et plaisirs. Empli de parfums, senteurs et couleurs chatoyantes. Un endroit magique où rien ne saurait venir troubler la quiétude d'une douce soirée d'été. Où tout semble conçu pour l'épanouissement des sens. Un havre de lumière, perdu au cœur de l'obscurité. Élision.

Il y a quelques heures.

Désormais l'atmosphère est toute autre. La terre tremble. Des éclairs zèbrent le ciel. Le sol s'entrouvre, pour laisser entrevoir un insondable gouffre de feu. Des vestiges y disparaissent, dans un océan de lave. Le tonnerre gronde. Toute vie semble disparue, comme aspirée par quelque force supérieure. Non, pas toute. A même l'herbe reposent deux corps inanimés, constellés de blessures. Une étrange étoile est dessinée sur leur front. L'un deux semble seulement dormir d'un sommeil réparateur. Mais c'est la mort, douce et terrible à la fois, qui a mis un terme définitif à leur existence. Et plus loin... Un vaste ensemble de temples se dressent, juchés sur un promontoire. De nombreux bâtiments de style grec antique, aux lourdes colonnes de marbre, s'étendent sur une impressionnante surface. C'est un lieu sacré où la plus effroyable des batailles vient d'avoir lieu. Au cœur de ce sanctuaire, et au pied d'une tour en ruines, cinq jeunes adolescents restent immobiles, contemplant par terre le reste ce qui fut un brave guerrier. Quatre d'entre eux ont leurs corps ensanglantés, écorchés, tailladés, balafrés de toutes parts. Un liquide rouge vif commence à s'échapper de leurs blessures, pour venir s'accumuler à leurs pieds en une mare écarlate. Les épreuves qu'ils viennent d'accomplir les ont vidés de toute énergie. L'angoisse d'une issue tragique qui leur paraît inéluctable se reflète dans leurs yeux, où peut se lire aussi la mélancolie d'une victoire bien amère. Toutes ces batailles, tous ces combats, auxquels ils ont consacré leur vie, leur semblent maintenant dérisoires face à la disparition de leur compagnon, frère, et ami. Tant de souvenirs et d'expériences partagées, réduits à néant par cette inévitable fatalité. Tant d'ennemis vaincus, de victimes accumulées, ne pourront un jour justifier cette perte. La jeune fille, elle, est accroupie, en proie au plus grand des désespoirs. Bien qu'investie de hautes responsabilités, elle se laisse aller au malheur, oubliant son devoir l'espace d'un douloureux instant, fugace sans doute, mais qui a l'air de durer une éternité.

Soudain, un destin change brutalement de direction, un chemin qui semblait tout tracé s'oriente en sens opposé. Une étincelle se rallume. Et un jeune homme passe de l'état de cadavre encore chaud à celui d'être humain bel et bien vivant, debout, comme si rien ne pouvait l'ébranler. Les regards de ses compagnons se font pleins de soulagement, confrontés à un miracle qu'ils n'attendaient plus. Mais le temps leur manque pour se réjouir de l'événement. Tandis qu'au coin de la pièce, un tourbillon se forme sous l'action d'une étrange aura émanant des mains de la jeune fille, le temple achève sa destruction, dans un fracas de marbre et de verre brisé. Tout un univers s'effondre sur eux, voulant visiblement les entraîner dans sa chute. Sans trop réfléchir, les désormais six rescapés se précipitent au sein de ce vortex, avant d'être entraînés par un tourbillon d'étoiles. C'est un kaléidoscope de couleurs qui les entoure, les pénètre, et les emporte vers une autre destinée.
Soudain, ils subissent un choc brutal, qui témoigne de leur arrivée à destination. Le doux flottement des étoiles autour d'eux laisse place à une atmosphère ensoleillée, et à la violence d'un sol brûlant. C'est péniblement qu'ils se relèvent, pour découvrir avec plaisir autour d'eux un endroit qu'ils ne connaissent que trop bien.
Une petite dizaine de personnes accourent vers eux, empressées de leur porter secours. Des mains se tendent, soutiennent les membres endoloris et emmènent ces héros à demi morts vers un réconfort mérité. La jeune fille, elle, se tient fièrement debout, un étrange sceptre enserré dans sa main droite. Pendant ce temps, deux personnes se retrouvent après des années de séparation. Sans savoir trop quoi se dire, elles se contentent de se regarder. Aucun mot n'est prononcé. Soudain, celui qui n'était qu'un cadavre quelques instants auparavant sent ses jambes se dérober sous lui, et sombre dans le néant.

******


Onze corps étendus sur le sol. C'est la première chose que Mû parvint à distinguer dans la pénombre qui l'entourait. Tous ses compagnons étaient bien là.
Restait à définir plus exactement ce que désignait ce "là". Le jeune homme jeta un coup d'œil circulaire autour de lui, intrigué par un tel décor. Ou plutôt une telle absence de décor... L'endroit était vide de toute présence, ou construction qui pût témoigner d'un quelconque signe de vie. Aucun relief non plus, le sol, lisse et marron, restait désespérément plat. Impossible de définir sa nature. Une légère brume grise assombrissait l'atmosphère, et rendait difficile la description des lieux. Le chevalier d'or du Bélier leva les yeux en l'air. Cette fumée cachait également ce qui faisait office de ciel. Un coin reculé des Enfers, déserté des suppôts d'Hadès ? Mais en toute logique, ils auraient dû mourir en ouvrant un passage dans le Mur des Lamentations... Que se passait-il lorsque l'on mourait en se trouvant déjà au royaume des morts ? Mû était perplexe, et n'osait s'éloigner de peur de se perdre. La meilleure solution qui s'imposa à lui fut de réveiller les autres, et en premier lieu, celui qui passait pour l'érudit du groupe.

- Shaka ? Shaka ?

L'homme aux longs cheveux blonds, violemment secoué, fut contraint d'ouvrir les yeux et d'abandonner sa confortable position.

- Mû ? Où sommes-nous ?
- Je voulais te poser la même question, figure-toi.

Tandis que l'un faisait à son tour la découverte de ce mystérieux endroit, l'autre se chargea de ranimer tous ses compagnons.

- Depuis combien de temps sommes-nous ici ?
- Difficile à dire. J'ai repris conscience il y a quelques minutes, mais j'ignore la durée de notre...léthargie.
- En tous cas, nous ne sommes plus dans les Enfers. J'en ai longuement étudié la géographie, et je ne reconnais pas ce lieu. De plus, l'atmosphère est bien différente de celle du royaume d'Hadès. Mais ce qui m'intrigue le plus, c'est la provenance de la lumière. Je n'en vois aucune source. Pourtant, l'obscurité est loin d'être totale.

Les dix autres chevaliers d'or reprenaient leurs esprits, pour faire les mêmes surprenantes découvertes que leurs prédécesseurs. L'un d'eux eut un sursaut.

- Je crois avoir une petite idée.

Tous les regards se tournèrent vers le chevalier d'or du Cancer.

- La lumière vient de partout et nulle part, tout comme ces volutes de fumée. Il est possible que tout cela soit... imaginaire. Voire même spirituel. Peut-être que le décor qui nous entoure n'est qu'une illusion, créée par un illustre inconnu.
- Une illusion qui s'exercerait sur douze chevaliers d'or en même temps...j'ai du mal à y croire. Et si nous avions été téléportés dans une dimension parallèle ?
- A mon avis, nous ne sommes pas morts, au sens strict du terme. Nous avons visiblement quitté les Enfers. Mais apparemment, le monde des vivants, comme celui d'Hadès, nous est interdit.

Shaka eut un signe de tête affirmatif, tandis que les autres étaient partagés.

- Oui, c'est peut-être ça. Lorsque nous avons partiellement détruit ce fameux Mur, il peut s'être produit un "paradoxe" : nous ne serions ni tout à fait vivants, ni vraiment morts. J'imagine que nous nous trouverions alors en ce moment dans une sorte "d'entre-deux mondes", qui n'existait pas avant notre arrivée.

Désormais un brouhaha commençait à remplir le vide sonore de ce monde ; chaque chevalier donnait son opinion, il devenait difficile de se faire entendre. Les explications contradictoires fusaient de toutes parts.

- Mais quelle conscience supérieure aurait créé un univers vide et stérile dans le seul but d'y envoyer une douzaine de "morts-vivants" ? Pourquoi ne pas nous faire mourir, tout simplement ?
- Mais la mort n'est que le passage d'un monde à un autre, n'est-ce pas ? Cet univers a pu apparaître tout seul, parce que nous sommes "morts" alors que nous nous trouvions déjà dans les Enfers.
- Si on veut vraiment comprendre, il faut revenir sur les derniers événements dont on peut se souvenir. On a consumé nos Cosmos au maximum, pour les concentrer dans la flèche d'Aioros, c'est bien ça ?
- Ensuite, il s'est produit une gigantesque explosion...
- Non, je ne crois pas. Ce que j'ai vu n'en avait pas l'air. De plus, j'ai eu le temps d'entrevoir le trou fait dans le Mur, et celui causé par une explosion aurait eu une forme bien différente.
- Il y a pourtant eu un retour d'énergie, qui s'est propagé partout, tu ne penses pas ? Même si nous n'y avons pas assisté, c'est probable, non ?
- Il s'est sans doute produit un déferlement de puissance, mais je ne crois pas qu'il nous ait atteints. D'ailleurs, si mes souvenirs sont bons, les armures n'ont pas été endommagées ?
- Je crois, mais c'est impossible à vérifier.
- A la limite, on dirait presque que nous avons fait brûler nos Cosmos au point de nous consumer nous-mêmes...
- Oui, c'est aussi l'impression que j'ai eue. Et ça ne signifie pas que nous soyons morts.
- Et pourquoi ça ?
- J'avais déjà vécu une situation similaire, fit Aldébaran. Peu avant le début de la lutte contre Poséidon, lorsque Sorrente était venu dans l'intention de prendre la vie des chevaliers, j'ai dû accroître ma Cosmo-énergie, jusqu'à me désintégrer ; mon corps a disparu, mais mon Cosmos était toujours là, formant une barrière infranchissable par le Général. Mais je n'étais pas mort, seulement...volatilisé.

Shaka, les yeux fermés, acquiesça et toutes les voix se turent pour écouter la pensée du sage chevalier d'or de la Vierge, réincarnation de Bouddha.

- Ca explique donc la raison pour laquelle nous sommes en vie. Mais alors, nous devrions toujours nous trouver à Giudecca, n'est-ce pas ? Mon hypothèse est que nous avons perdu conscience en nous désintégrant. Mais nous n'avons pas été transportés ailleurs. Nous venons de nous réveiller ici, cela signifie donc que Giudecca n'existe plus. En fait, à mon avis, les Enfers ont été en quelque sorte rayés de la carte. Cela signifierait donc que non seulement les chevaliers de bronze ont gagné le bataille, mais qu'ils sont parvenus à détruire le corps originel d'Hadès, ce qui a entraîné la disparition de son royaume, et son remplacement par un continent "vierge".

Cette hypothèse provoqua maints remous dans le groupe. Détruit, le corps originel de l'empereur des ténèbres ? Peu d'entre eux parvenaient à y croire.

- Non, ce serait trop énorme. Jamais une telle chose ne s'est produite au cours de l'histoire, c'est impossible. Cela provoquerait un grave déséquilibre dans le partage du monde entre les différents dieux. Ce serait un...un blasphème !
- C'est pourtant la seule explication. Elle donne aussi la raison de notre non-présence sur terre. Nous n'avons pas bougé du royaume des morts, c'est lui qui a été métamorphosé. Il est probable que nous ne sommes pas seuls ici...
- Si tu dis vrai, alors des milliers de malheureux errent dans ce monde vide et désert...
- Au lieu de subir mille tortures et châtiments atroces pour de soi-disant crimes qu'ils étaient forcés de commettre. La pseudo-justice d'Hadès et son monde de supplices ne valaient guère mieux, si tu veux mon avis.

Soudain, la voix railleuse et sarcastique d'Aphrodite s'éleva au-dessus des autres. Le chevalier d'or des Poissons, en effet, n'avait pas proféré un son depuis le commencement du débat.

- Maintenant qu'après des siècles de discussions passionnantes, vous avez enfin réussi à trouver une explication à peine satisfaisante à notre situation, peut-être peut-on envisager de poser la vraie question, la seule qui ne soit pas totalement dénuée d'importance : comment va-t-on revenir au Sanctuaire ?
- Si nous nous trouvons effectivement à l'emplacement des Enfers, alors il doit être possible de revenir en traversant les dimensions. Shaka, Saga, je pense qu'il y a moyen d'ouvrir une porte, en combinant nos forces. Un passage communiquant avec la terre, qui nous permettra de rentrer.
- Très juste, mais comment procéder ?
- Shaka et moi allons concentrer nos Cosmos pour créer une brèche dans cet univers. Nous pourrons ainsi former une sorte de vortex donnant sur une infinité de mondes différents. Quant à toi Mû, tu te chargeras d'orienter chacun d'entre nous en direction de notre terre. Je crois savoir que tu as de grands dons de télékinésie, ça ne devrait pas te poser de problème.
- Si j'étais seul, oui. Mais guider douze chevaliers sera autrement plus difficile. Vous devrez réussir à maintenir votre passage ouvert pendant plusieurs minutes, car chacun devra y aller séparément. Vous en serez capables ?
- A nous deux, je pense que oui. Dans ce cas allons-y.

Les deux hommes se placèrent l'un en face de l'autre, le regard concentré. Puis deux exclamations retentirent simultanément, alors qu'ils tendaient leurs bras en direction d'un point imaginaire, situé à mi-chemin entre eux.

- Another Dimension !
- Par les Six Mondes de la Métempsycose !

Un tourbillon apparut un peu au-dessus du sol. Il prit de l'ampleur jusqu'à atteindre la taille d'un être humain. Une lueur bleutée s'en dégageait, qui hypnotisait le regard et laissait apparaître des profondeurs insondables.

- Allez-y maintenant !

Il y eut un court moment d'hésitation. Durant un infime laps de temps, on eût dit que les chevaliers n'avaient pas envie de quitter cet univers pourtant bien peu accueillant. Mais cela ne dura qu'un instant, et Aphrodite l'impatient se précipita au cœur du vortex, comme aspiré par l'énergie qui s'en dégageait. Quelques secondes s'écoulèrent, puis Mû fit signe que le prochain pouvait y aller. Tous les chevaliers se succédèrent ainsi, jusqu'à ce que Saga, Mû et Shaka soient les derniers. Le chevalier des Gémeaux se jeta alors dans le tourbillon, suivi par ses deux compagnons qui y pénétrèrent en même temps. Après une brève course dans un étrange tunnel lumineux, où ils étaient durement secoués en tous sens, ils atterrirent brutalement sur le marbre chaud d'un temple grec. Leurs prédécesseurs étaient déjà debout. Et le soleil était bien là.

Shaka se leva, et regarda autour de lui. Quelques chevaliers de bronzes s'approchaient d'eux, à toute vitesse. Il comprit que la bataille s'était terminée sur la victoire d'Athéna lorsqu'il aperçut Saori, revêtue de sa divine armure. Aux dures épreuves qui les avaient tous meurtris, succédèrent le soulagement et l'apaisement. Mais soudain, sourd aux exclamations de joie de leurs compagnons, les chevaliers de la Vierge et des Gémeaux se regardèrent, pensifs. L'explosion lointaine d'un Cosmos venait de les surprendre. Deux mots seulement furent prononcés par le gardien de la troisième maison du Zodiaque, en réponse à l'appel qu'il venait de ressentir.

- Mon frère...

Saga tendit les mains, et ferma les yeux. Pendant ce temps, Shaka tentait de localiser la trace de Kanon, perdu depuis des heures entre deux dimensions. Leurs compagnons les observaient, perplexes. Les combats n'étaient-ils donc pas finis ?
C'est à quelques mètres de là que se rouvrit le vortex, ouvrant le passage à un corps inconscient qui s'écrasa sur le sol, avant de se refermer aussitôt. Désormais, tous les chevaliers étaient de retour au Sanctuaire. La lutte contre l'empereur des ténèbres était bel et bien terminée.

******


Quelques jours plus tard, le Sanctuaire avait retrouvé sa quiétude et son calme, grâce au retour d'Athéna et de ses chevaliers, revenus des Enfers peu après la fin de l'Ultime Eclipse. Mais chacun comprenait le caractère exceptionnel de la bataille qui venait de s'achever. La mort d'Hadès avait nécessairement entraîné la destruction de son royaume, chose qui ne s'était jamais produite, même dans les temps les plus reculés de la mythologie. Aussi les véritables conséquences étaient-elles encore difficiles à imaginer. Selon certains, un tel bouleversement dans l'ordre établi signifiait la fin des épreuves, et la sécurité pour les humains. Pour d'autres, cela ne pouvait que provoquer un lourd châtiment infligé à Athéna, par les dieux de l'Olympe. Quant aux plus pessimistes, ils estimaient que l'univers ne résisterait pas à de telles transformations et finirait par sombrer dans le chaos. La déesse elle-même ne savait trop comment réagir face à une telle situation. Jamais l'avenir de la chevalerie n'avait été aussi incertain.

C'est dans ce climat de doute et de remise en question que l'on jugea opportun d'organiser une grande réunion des chevaliers, afin de décider des objectifs nouveaux du Sanctuaire. Il s'agissait de donner un rôle précis à chaque chevalier, pour échapper aux maux qu'entraîneraient un désœuvrement forcé. L'arène parut la plus propice à un tel rassemblement, qui eut lieu exactement trois semaines après la fin de la guerre, lorsque les chevaliers furent suffisamment en forme pour y assister. Mais à la vérité, en cette fin de matinée, seuls Jabu et tous ceux qui n'étaient pas allés dans les Enfers semblaient réellement bien portants. Les autres conservaient encore de nombreuses blessures depuis la bataille, et demeuraient assez affaiblis malgré le repos.

C'était près de vingt-cinq chevaliers qui se trouvaient là, éparpillés autour de leur déesse dont ils écoutaient attentivement les paroles. Leurs visages reflétaient la tension qui régnait en ces lieux, et l'attente des décisions divines. Athéna commença par récapituler la situation, bien que chacun ne la connût que trop bien : une petite poignée de chevaliers rescapés, dont une infime partie seulement étaient véritablement valides, plusieurs ennemis potentiels, et la menace d'éventuelles représailles des autres Dieux de l'Olympe. Le constat n'était guère brillant, mais Saori gardait confiance en la puissance du Sanctuaire. Il était jusqu'à présent toujours parvenu à résister aux épreuves, il n'y avait aucune raison pour que cela change. Et la déesse n'était pas du genre à succomber dans l'adversité. Après quoi elle proposa diverses tâches aux chevaliers, qui devaient permettre au Sanctuaire de retrouver toute sa force. Aucun ne manifestait la moindre surprise : alors qu'en temps normal, beaucoup auraient considéré que les guerres saintes étaient terminées, la mort surprenante d'Hadès laissait la porte ouverte à toutes les hypothèses. Face à un avenir si peu prévisible, Athéna ne pouvait en aucun cas se permettre de déclarer un retour à la normale. Il était en effet toujours impossible de savoir quel genre de dangers les menaçaient encore. Peut-être rien, d'ailleurs. Mais le risque était trop grand. La Chevalerie affaiblie devait accroître sa puissance.
La répartition des tâches fut brève et facile. Seuls six chevaliers, parmi ceux qui n'avaient pas directement participé à la lutte contre le dieu des morts, furent affectés à des missions à l'extérieur, tandis que les rescapés des Enfers demeuraient cantonnés dans l'enceinte du Sanctuaire, car jugés encore trop faibles pour en sortir. Après quelques minutes de discussions et concertations, Athéna prit, à partir de tout ce qui avait été dit, quelques décisions et résolutions destinées à améliorer la situation en vue des tragiques événements que beaucoup pressentaient. Jamais une telle réunion ne s'était déroulée avec autant d'effervescence ; chacun semblait plus que concerné par les problèmes de la déesse, aussi les ordres purent-ils être pris rapidement.

Ainsi, on chargea Ichi et Jabu de partir à la recherche de plusieurs armures dont on avait perdu la trace depuis des siècles, pour les ramener en lieu sûr. Il y en avait en effet un certain nombre, qui avait disparu au cours des générations précédentes, les unes enfouies avec leur dernier propriétaire au fin fond d'un glacier de l'Antarctique, les autres tout simplement égarées. Il était hors de question de laisser des armures vacantes en liberté, à la portée de quiconque voulant s'en emparer. Il s'agissait donc essentiellement de les localiser, et de les rapporter à leur lieu d'origine. Les deux chevaliers de bronze partirent sans plus attendre en direction du Pôle Sud, première étape de leur voyage.

Geki et Ban, eux, eurent pour mission de se mettre en quête d'éventuels membres de l'ordre ne résidant pas au Sanctuaire, afin de les y rapatrier, en prévision d'une éventuelle attaque. Bien que très puissants, les quelques combattants restants n'étaient pas assez nombreux pour résister à un assaut de grande envergure, c'est pourquoi l'on devait mettre la main sur tout allié possible.
Nachi et Marine reçurent comme ordre d'enquêter avec soin sur les événements survenus dans les Enfers, pour tenter de trouver une explication définitive aux étranges phénomènes survenus. Pour ce faire, ils furent d'une part mandatés par le Grand Pope Doko pour se rendre auprès de tous les autres ordres de guerriers, dans le but de récolter quelques informations au sujet de la récente transformation du royaume des morts. Peut-être que certains Sanctuaires mineurs auraient eu vent de quelques rumeurs à ce propos. Il ne fallait en tous cas sous-estimer aucune piste. Et d'autre part, le chevalier d'or de la Vierge se porta volontaire pour les accompagner au cœur de cette obscure contrée, dans l'espoir d'en percer le mystère, dont dépendait peut-être toute leur destinée.

Shina choisit de ne pas quitter Athènes, c'est pourquoi on lui confia la formation de l'ancien disciple d'Argol, un certain Rigel, prétendant à l'armure d'Orion. Le jeune garçon avait quasiment achevé son enseignement, et semblait promis à un brillant avenir en tant que chevalier de bronze. Quelques semaines suffiraient sans doute pour le préparer à son épreuve initiatique, qui ferait de lui un défenseur d'Athéna.

Quant aux rescapés de la bataille, certains avaient entrepris ou continué, comme le chevalier d'Ophiucus, la formation de disciples en vue de préparer le Sanctuaire à une probable nouvelle guerre sainte. Ce fut notamment le cas de beaucoup de chevaliers d'or, sans doute désireux d'échapper à une inactivité qu'ils ne supportaient pas. Quelques-uns demeuraient encore sans occupation, notamment Saga et Kanon.

En tous cas, chacun avait repris la garde de sa maison, à l'exception de Doko qui, en tant que Grand Pope, délaissait la demeure de la Balance au profit du treizième temple du zodiaque.

Mais les cinq chevaliers divins, eux, étaient condamnés à une oisiveté qui ne leur plaisait guère. Athéna avait formellement refusé qu'ils prennent des élèves, avant d'avoir tout à fait récupéré leurs forces. Pourtant, leur forme physique s'améliorait de jour en jour, si bien que deux ou trois semaines seraient amplement suffisantes pour qu'ils soient pleinement rétablis. Mais Seiya, qui avait toujours été considéré comme le plus agité du groupe, passait désormais des heures entières en compagnie de Seika, comme pour rattraper le temps perdu, au point que, malgré sa santé presque parfaite, on ne le voyait pour ainsi dire jamais s'entraîner. C'est comme si toute combativité avait disparu en lui, il ne manifestait plus le moindre désir de lutter contre des adversaires à sa taille. Shiryu, quant à lui, avait pu conserver la vue à son retour des Enfers, et partageait son temps entre Shunrei, venue le rejoindre des Cinq Pics, et de dures séances d'exercices, afin de retrouver toute sa vigueur. Hyoga était d'abord parti en Sibérie, comme vers un lieu de pèlerinage, puis au royaume d'Asgard pour rendre visite à Hilda et Freya, tout cela malgré les mises en garde d'Athéna au sujet de sa forme encore défaillante. Revenu au Sanctuaire, il se consacrait maintenant, semblait-il, à l'élaboration d'une nouvelle attaque, en prévision de probables combats futurs.

Shun, à l'instar du chevalier Pégase, n'avait plus revêtu son armure divine depuis la bataille, et n'était visiblement pas pressé de la porter à nouveau. Quelque peu affaibli, il passait le plus clair de son temps à fouiner à la bibliothèque, dans l'espoir de découvrir des renseignements au sujet du statut actuel de la Chevalerie. Il espérait notamment dénicher la description d'une situation similaire en fouillant dans les annales officielles, persuadé que là se trouvait la clé des événements futurs. Enfin, Ikki, se morfondait comme à son habitude. Accoutumé aux luttes féroces et aux combats sanglants, une telle inactivité lui pesait davantage qu'aux autres. De plus, sa solitude le poussait à ruminer sans cesse des idées noires, dans lesquelles apparaissaient de lointaines et douloureuses visions du passé. Son frère s'inquiétait pour lui, mais son attitude ne changeait pas pour autant. Il passait l'essentiel de son temps isolé dans un recoin méconnu du Sanctuaire, le regard nostalgique, observant les heures s'écouler. Shun pressentait l'amertume de son frère, et devinait que celui-ci ne tarderait plus à partir en quête de nouvelles batailles, afin d'échapper aux souvenirs qui le hantaient. Mais, impuissant il ne pouvait lutter contre la mélancolie d'Ikki, et devait se contenter d'assister, non sans peine, à la profonde dépression dans laquelle il menaçait de s'enfoncer.

Il commençait à comprendre avec effroi qu'en suivant ce chemin, le chevalier Phénix se rapprochait dangereusement de la folie. Si aucun important événement extérieur ne survenait dans les prochains jours, le pire était à craindre.

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Cette fiction est copyright Emmanuel Axelrad et Clément Baudot.
Les personnages de Saint Seiya sont copyright Masami Kurumada.