Chapitre 13 : Ragnarök


34 jours avant la prochaine Apocalypse

Champ de bataille dévasté


Au milieu du ciel éternellement bleu, les nuages commençaient à reprendre leur place. Les guerres pouvaient remuer ciel et terre, détruire, annihiler et massacrer, mais certaines choses resteraient toujours les mêmes.

Les ondes cosmiques continuaient de résonner au cœur de chaque atome des environs. Ce lieu avait enduré trop de choses. Le repos pouvait commencer et la renaissance débuter. Le souffle du vent emportait au loin les cendres de la bataille.

L'endroit semblait désert. On eut dit que personne ne désirait troubler le repos du convalescent. Beaucoup de sang avait coulé mais personne n'était mort.

Deux êtres égarés au cœur du désert voletaient tranquillement. La brise légère faisait flotter leurs cheveux dans la lumière matinale. Une fois encore, le chef des célestes et celui des déchus se rencontraient. Mais cette fois-ci serait la dernière, avant la fin.

" _ Les ombres qui voilaient notre passé ont disparu dans la lumière de la vérité, commença Michel.
_ Nous avons trouvé des réponses. Nous pouvons à présent envisager l'avenir avec clarté, répondit le séraphin.

Haussement de sourcils.

_ Aurais-tu finalement décidé d'épargner l'humanité ?

Lucifer eut un rire poli.

_ Non. Les récents évènements n'ont fait que me conforter dans ma foi. Nous savons à présent que tous les maux de cet univers sont dus aux humains. N'est-ce pas une raison valable de les condamner ?
_ De la même manière, je refuse qu'un être venu du futur juge nos actes futurs. De la même manière, je n'autorise pas que l'on juge les humains pour des crimes qui ne sont pas encore arrivés.

Le séraphin déchu souriait de toutes ses dents.

_ Mais nous savons tous deux que ma victoire est inéluctable. Il ne s'agit plus de notre pouvoir imprécis de prédiction ou de la prophétie d'un vieux fou mais bien d'un témoignage du futur.
_ Depuis quand un être raisonnable croit-il à ces sornettes ? Tu n'es pas ange à te laisser dicter ta destinée.
_ Exact. Ma victoire ne viendra pas parce qu'elle est écrite, mais bien parce que je vais l'écrire.

Michel détourna le regard.

_ La guerre est une aberration qui a vu le jour par erreur dans notre univers. Cela ne te trouble point ?
_Au contraire. Je suis plus déterminé que jamais à anéantir l'humanité. Tous nos anciens ennemis ont disparu dans les limbes du néant. Les anciennes divinités et leur avatar de malheur ont cessé d'exister. Nous avons vaincu la menace fantôme.

N'y aura-t-il pas toujours une menace fantôme ??
Qui peut affirmer qu'un jour nous n'aurons plus rien à craindre ? Tant que le mal existera, les innocents ne connaîtront jamais le repos.


Désormais, je n'ai plus à craindre l'intervention d'un ennemi masqué. Je peux consacrer toutes mes forces à détruire les humains. Le triomphe est proche.

_ …
_ Bientôt, tous les ennemis des anges auront été vaincus. La victoire sera totale et nous pourrons tous jouir d'une paix éternelle, déclama Lucifer.

La paix perpétuelle.
Le joyau de cet univers, le rêve inaccessible.


N'est-ce pas ce dont tu as toujours rêvé ?

Allons, donne-moi les sept clefs du paradis et je t'assure qu'il n'y aura jamais plus de bataille après l'Apocalypse.

La tentation.
J'ai toujours détesté la violence, mais puis-je accepter une paix érigée dans le sang ?


_ Lucifer, toi qui est considéré comme l'ange le plus beau et le plus intelligent de cet univers. Veux-tu répondre à une question ?
_ Je t'écoute.
_ Les anges sont-ils des êtres parfaits ?
_ Oui, certainement.
_ Et un être parfait est nécessairement libre ?
_ Cela s'entend. Nous sommes les seuls à savoir la manier avec sagesse.
_ Libres, nous avons constamment le choix entre différentes solutions. Chacun d'entre nous l'exprime à sa manière : Raphaël prend tout à la légère, l'ange gardien d'Alexer va bastonner son humain, certains déchus vont vivre avec les humains, Gabriel pense que la communication vient à bout de tout, les guerriers d'Azazel renoncent sciemment à leur liberté pour un programme…

Lucifer, tu as choisi de déchoir, de prendre la place de Dieu et de devenir l'Ennemi de l'Homme.

La liberté, la capacité de faire n'importe quoi, de mener sa vie comme on l'entend.

_ Tu as beau être l'archange de la guerre, tu peux choisir de devenir celui de la paix, comprit le chef des déchus.
_ Ce qu'il y a d'horrible dans cette liberté, qui est autant un don qu'une malédiction, c'est que le problème du choix s'offre à nous tous les jours, à chaque instant. On peut décider de changer complètement de vie du jour au lendemain sans raison.
_ Tu l'as compris, le problème c'est le choix : la paix ou la guerre ?

Michel regarda ses deux mains ouvertes devant lui, comme s'il pouvait lire dans les lignes la réponse.

_ Le Dieu créateur m'a créé pour être l'archange de la guerre. Mais il m'a aussi donné la possibilité d'abandonner ce poste. A chaque fois que le combat se présente, je sais que le problème du choix se renouvellera indéfiniment.

J'ai pris une décision.

Décision que j'ai prise maintes fois par le passé et que je décide de réactualiser : J'ai choisi d'être Michel, archange de la guerre !!

Je ne suis pas venu apporter la paix dans cet univers mais l'épée ! J'ai choisi de combattre le mal sous toutes ses formes à chaque fois qu'il pointera son nez, même si cette lutte est éternelle.

_ Tu n'acceptes pas l'idée d'une paix perpétuelle ?
_ Pfff…Lucifer ! La paix perpétuelle n'est qu'une utopie destinée aux naïfs. Tu crois pouvoir l'atteindre en remportant une guerre. Mais la vie ne se résume pas à un combat, elle est un combat. Il faut lutter chaque jour pour cette noble idée. Tel est le destin d'un immortel : combattre éternellement en ne songeant qu'à la victoire bien qu'elle soit temporaire.

Une bourrasque de vent fit passer quelques bribes de nuages entre les deux interlocuteurs.

_ Cela signifie-t-il que je vais devoir t'arracher les clefs par la force ?
_ Non. Je n'ai jamais spécifié que la lutte serait constituée de violence. Après tout, nous avons rédigé un traité, édicté par la raison, pour statuer sur le sort des humains.
_ Que j'ai respecté jusque là…
_ Tu auras les clés si tu parviens à montrer que la Justice est de ton côté. Mais si tu échoues, ou si l'un des tes soldats tente d'outrepasser la Loi, je n'aurais aucune hésitation à vous arrêter.
_ Ca me va. De toutes façons, ma victoire ne fait aucun doute.

Dépliant ses trois paires d'ailes, Lucifer s'envola dans la lumière virginale du matin. L'ange déchu fit quelques mètres avant d'enclencher la vitesse lumière et disparaître du ciel sous la forme d'une étoile filante. Michel resta seul dans les décombres d'un lieu dont les humains ignoraient tout.

_ Les humains aussi devraient savoir qu'une victoire ne suffit pas. Il faut sans cesse aller de l'avant. L'Histoire n'est jamais terminée… "


Carton surprise

Les Germains ne croyaient pas en l'éternité des dieux. Selon la légende, ces derniers étaient condamnés à des luttes incessantes contre des adversaires maléfiques. Pour conserver leur domination sur les démons, il leur fallait rester prêts à riposter. Mais en dépit de toutes leurs précautions et malgré leurs immenses pouvoirs, les Ases finiront par succomber sous les coups de l'ennemi. Et leur monde disparaîtra avec eux.

Ragnarök

C'est ainsi que la mythologie scandinave a baptisé cette vision apocalyptique.
Et j'ai le plaisir de vous annoncer que " le crépuscule des dieux " aura lieu aujourd'hui !!!


Azazel fit une boulette avec l'ordre de mission et le jeta en l'air. Un jet de cosmos ultra-précis détruisit toute trace du carton. Il se tourna alors vers ses hommes et leur dit très simplement :

" _ L'armée de la guerre s'occupe du Panthéon scandinave aujourd'hui. Je vous veux tous devant la porte dimensionnelle dans une heure. Batteries chargées, stocks de munition plein, armes opérationnels et un canal radio dégagé.
_ A vos ordres mon général, répondirent en cœur les dix démons guerriers. "


Temple de Zeus

Une espionne avançait silencieusement. Succube au service de Lucifer, elle était chargée d'espionner les faits et gestes du dieu des dieux. La démone s'était fabriqué une fausse identité pour s'introduire en Olympe mais ce n'était pas suffisant pour tout entendre.

La vieille technique qui consistait à espionner, caché dans l'ombre, était toujours aussi efficace. Dans l'immense bâtiment désert, personne ne risquait de la surprendre. Elle avançait, masquée par les ombres des immenses piliers du temple.

Ce matin, Zeus avait fait évacuer son domaine. Il voulait voir en privé ses trois chevaliers divins, et eux uniquement. Conséquemment, les serviteurs avaient tous levé le camp. Hormis quelques musiciennes le gigantesque édifice était vide.

L'espionne alla se placer à une distance convenable du somptueux trône du dieu du ciel. D'ici, elle entendait parfaitement la musique des harpes. Mais aucune trace de conversation. Les super guerriers de l'Olympe n'étaient pas encore arrivés et le dieu n'avait certainement pas envie de discuter avec des domestiques.

La succube s'assit par terre et attendit. Le bruit des cordes pincées n'était pas désagréable. Elle pouvait attendre un moment que les invités arrivent. L'espionne profita de ce bref moment de répit pour admirer la structure du temple. Des centaines de piliers, polis au point de s'y refléter, soutenaient une voûte immense planant à une centaine de mètres au-dessus du sol.

Le roi des dieux n'avaient pas vraiment cherché à réaliser une œuvre d'art. Il avait surtout bâti grand. Et grand, pour un type à l'ego démesuré c'est vraiment grand. Le bâtiment s'étalait sur plusieurs hectares et habituellement, grouillait de milliers de laquais.

La succube songea à la théorie du philosophe Hegel. Selon l'humain, l'énormité et le multiple étaient des expressions impuissantes de la liberté infinie chez les peuples primitifs. Mais bon, ici elle avait affaire à de l'art grec (censé être le successeur de l'art primitif dans cette théorie esthétique) et on retrouvait les mêmes choses. Conclusion : Hegel est un humain donc il dit n'importe quoi.

Les bruits de pas déterminés retentirent dans le hall du temple, démultipliés par les échos. Trois cosmos surpuissants approchaient à grande vitesse. La musique se fit plus hésitante. Rencontrer trois héros fait toujours beaucoup d'effet.

Le premier chevalier divin mit un genou à terre.

" _ Tchang, chevalier divin shaolin à votre service.

Le guerrier asiatique portait une longue queue de cheval finement nouée. Son corps, vieux de plusieurs milliers d'années, resté si jeune grâce au misopethamenos, respirait la souplesse et l'agilité. Sa kamui brillait de mille feux. A peine dissimulés entre les deux ailes dorsales, deux katanas majestueux attendaient de passer à l'action. Il ne fallait qu'une fraction de seconde pour dégainer les deux lames croisées et les faire passer à l'action.

Le guerrier n'était qu'un humain mais sa puissance était telle que les mythologies de la Terre le prenaient souvent pour un dieu. En Chine, on disait de lui qu'il était le créateur du kung-fu. Le petit paysan qui cultivait autrefois son riz portait le nom du dieu du tonnerre, du panthéon japonais : Raïden. Ces surnoms extravagants, mais loin d'être usurpés, prenaient tout leur sens quand on voyait le chevalier en action. Sur le champ de bataille, il était tel l'éclair de Zeus, rapide, puissant et mortel.

_ Samba, chevalier divin de la magie au rapport.

Le marabout africain croisa les mains respectueusement. Aussi âgé que son compère, il avait néanmoins perdu tous ses cheveux. Son armure divine, ayant reçu le sang de Zeus, illuminait les alentours comme celles de ses amis. Mais contrairement aux autres kamuis, la sienne n'avait pas une coloration uniforme. La partie droite évoquait un brasier endiablé. Les flammes rouges donnaient l'illusion du mouvement. A gauche, les arrêtes tranchantes symbolisaient l'élément contraire : la glace.

Le magicien était lui aussi considéré comme une divinité dans certains pays. En Afrique on l'appelait Héca, dieu de la magie capable de contrôler tous les éléments naturels. Le chevalier divin n'éprouvait pas le besoin d'être adulé par des foules en délire. Il préférait aider ses frères de sang, les humains, et surveillait la Terre de près.

_ Aristarké, chevalier divin du foyer pour protéger l'humanité.

Le troisième chevalier divin était une femme. Elle n'avait ni la beauté d'une déesse, ni la force destructive de ses compères mais constituait l'élément essentiel du trio invincible. Sa kamui blanche aux reflets rosés dégageait une atmosphère divine, d'une étonnante sérénité. L'armure gracieuse était composée de pièces fines, mais indestructibles, comme le délicat bouclier triangulaire qu'elle portait au bras gauche.

Ancienne vestale au service de la déesse du foyer, la légende de l'européenne se mêlait souvent à celle d'Athéna. Le surnom Pallas annonçait autant la virginité farouchement gardée que l'extrême combativité. Guérisseuse officielle du trio des chevaliers divins, elle possédait aussi le pouvoir d'invoquer le feu du foyer, privilège héritée de son ancienne déesse.

_ Qu'est-ce qui peut justifier le rassemblement des trois chevaliers divins de l'Olympe ? demanda Aristarké sans se soucier du protocole.

A la base ils n'étaient que des humains. De dures épreuves les avaient endurcis. La maîtrise du cosmos et l'acquisition d'armures forgées par Héphaïstos avaient fait d'eux des chevaliers cosmiques. Sans se soucier des contingences politiques ou des différences entre les peuples, ils avaient uni l'humanité sous une même bannière dans le combat contre les géants venus d'ailleurs. En intensifiant leur cosmos jusqu'à l'infini les trois légendes avaient fait naître trois armures aux pouvoirs inédits, qui leur avaient permis de vaincre.

La gigantomachie de l'Antiquité était loin aujourd'hui mais leurs pouvoirs demeuraient. Zeus était parvenu à les mettre à son service. Le dieu des dieux avait remercié ses anciens soldats pour former sa nouvelle garde suprême. Rien en ce bas monde ne pouvait inquiéter le trio ultime. Même Arès n'aurait pas osé les défier.

Néanmoins, les chevaliers divins refusaient de se laisser corrompre par la mentalité viciée de l'Olympe. Ils préféraient passer leur temps à méditer, à observer et à voyager. Leur rôle étant de contrer les panthéons, ou peuples extra-terrestres, susceptibles d'anéantir l'humanité ils surveillaient de près les évènements inhabituels.

_ Samba. Tu m'as averti récemment qu'un Monstre aux pouvoirs étonnants se déplaçait en toute liberté sur Terre, déclara le dieu des dieux.

Zeus savait pertinemment que l'attitude pragmatique était la seule à adopter avec son trio invincible.

_ C'est exact. J'étais inquiet car, vous le savez tous, les troupes d'Athéna ont été malmenées par les précédentes guerres saintes. Le Sanctuaire terrestre a autre chose à faire que de courir après une bestiole. J'ai donc pris sur moi d'aller arrêter la bête.
_ Et ?? s'impatienta Tchang.
_ Et je n'ai pas réussi à la trouver. La créature a creusé des tunnels qui descendent jusqu'au cœur de la planète. Je te laisse imaginer la surface à parcourir. Autant chercher une aiguille dans une botte de foin.
_ Si l'animal s'est éloigné de la Surface, les humains ne risquent plus rien. Pourquoi s'acharner dessus ? demanda Aristarké.
_ A mon avis, son cosmos est suffisant pour résister aux assauts d'un chevalier d'or. Si les chevaliers divins d'Athéna ne reviennent pas rapidement, personne ne pourra stopper le monstre.
_ Ce Monstre comme tu dis n'est que le premier signe de l'Apocalypse, annonça gravement Zeus. Il s'agit d'une créature monstrueuse que mon frère Hadès avait enchaîné dans les profondeurs du Tartare. La destruction du monde des morts a permis sa libération.
_ Comment ? réagit Tchang. Je croyais que tout avait été anéanti !!
_ C'était notre souhait mais la réalité est tout autre. Je crains que des menaces oubliées depuis les temps mythologiques ne ressurgissent pour menacer l'univers.
_ C'est la raison de notre venue, comprit Aristarké.
_ C'est juste. Je redoute que l'effondrement de l'Hadès n'ait permis à Lucifer et ses anges déchus d'échapper à leur geôle antique.

Lucifer ?
Est-ce qu'il parle de l'entité maléfique de la Bible ?

Oui, qui sinon le prince des ténèbres pourrait inquiéter le dieu des dieux ?


_ Pardon maître, bredouilla Tchang, mais qui est Lucifer ?

La musique des harpes adopta un thème tragique. La voix de Zeus, grave et profonde, résonna dans le vide de son immense temple, ramenant les trois chevaliers divins des siècles en arrière bien avant leur naissance.

_ Il y a bien longtemps…avant les guerres saintes…avant la révolte des titans…avant la gigantomachie, les dieux durent affronter une menace terrifiante. Une guerre terrible, plus terrifiante que tout ce que vous pouvez imaginer, eut lieu. Elle se conclut par la destruction du Mont-Olympe.

Durant l'âge d'or, les dieux créèrent des hommes parfaits. Ces êtres étaient parfaits et dépourvus du moindre défaut. Leur beauté et leur intelligence n'avaient rien à voir avec celle des humains. Leur grâce égalait celle des elfes, leurs cœurs nous étaient inconnus.

Leur chef se nommait Lucifer. Il était l'astre du matin. Le plus beau, le plus puissant, le plus intelligent de tous les anges. Il se proclama l'égal de Dieu (moi). Cet imbécile avait pour habitude de se faire appeler Zeus par son épouse (laquelle portait le surnom d'Héra en retour). Pour punir cet acte arrogant, je fis périr son fils Céyx.

Le perfide Lucifer refusa de se soumettre à ma justice divine. Il déclencha une révolte et entraîna à sa suite tous les anges. Les êtres de lumière déchurent et devinrent des démons. En plus de ses 66 déchus, l'infâme réussit à rallier des hordes de monstres, preuve de son peu d'honneur.

Les dieux grecs s'allièrent pour mettre fin à cette insurrection. Les esprits des anges furent enfermés dans une urne consacrée qui fut elle-même emprisonnée dans les profondeurs du tartare.


Zeus s'interrompit. Il voyait bien que ses trois chevaliers ne croyaient pas un mot de son histoire. Tous ignoraient qu'à quelques pas à peine une succube mobilisait toute sa volonté pour s'empêcher de rire. L'histoire de Lucifer, astre du matin, était certainement poétique mais elle n'avait que peu de liens avec la vérité.

_ Sachez seulement que Lucifer et ses démons constituent une menace extrême qui exige le rassemblement des trois chevaliers divins. J'ordonne que vous mettiez en alerte les armées de l'Olympe. Il est possible que le déchu ait disparu dans l'anéantissement de l'Hadès mais je préfère me montrer prudent. La seule ambition de ce monstre est d'anéantir l'humanité. "


Asgard, dimension scandinave

Le Chapaï s'ouvrit sur une contrée gelée et désolée. Du portail dimensionnel jaillirent huit boules métalliques, d'un mètre de diamètre environ, à la grande surprise du dieu chargé de garder la porte.

Heimdall

Celui qui lance de clairs rayons, dieu de la lumière comptant au nombre des grands Ases. Beau, grand et fort, le guerrier aux dents d'or garde depuis toujours le grand pont Bifrost, qui communique entre les mondes. Il est le gardien de cette route, la sentinelle divine, qui avertit les Ases lors de l'approche des ennemis. Heimdall possède en plus d'une force herculéenne des sens hyper développés (comme dans la série " Sentinelle "). Il ne dort jamais et le son de sa corne peut se faire entendre à travers le monde entier.

Les huit intrus mécaniques se déplièrent, dévoilant des rangées d'artillerie lourde. Les démons guerriers ouvrirent le feu simultanément sur leur unique adversaire. Balles cosmiques et roquettes stellaires plurent en masse sur le pauvre Heimdall qui tomba rapidement sous les coups.

Les droïds de combat cessèrent le feu puis se mirent à scanner les environs.

" Rien à signaler " déclarèrent simultanément les huit.

Le vent glacé du cercle arctique soufflait sur les étendues neigeuses emportant avec lui des tourbillons de flocons.

La surface du portail dimensionnel se troubla. Deux nouvelles silhouettes émergèrent du néant. Celles-ci évoquaient plus les lourdes armures inconfortables du Moyen-Âge humain. Protections intégrales, on ne percevait la présence de leurs occupants qu'à travers les flammèches ou les fumerolles qui s'échappaient des jointures.

" Ici…, tout va bien " annonça la voix métallique d'une armure hantée.

Immédiatement après cette déclaration, une horde de monstres en furie déferla sur l'Asgard. La porte dimensionnelle vomissait des torrents de créatures, plus horribles les unes que les autres : lions aux crocs effrayants, manticores chimériques, diablotins diaboliques, basilics au regard meurtrier, araignées aux pattes velues, loups-garous hurlants, hydres polycéphales, zombies décomposés, trucs gluants indescriptibles, créatures voraces, venimeuses ou moches, mais toujours meurtrières.

Ignorant les démons guerriers, les hordes de monstres déferlèrent sur l'étendue vierge, flaque rouge s'étalant dans la neige comme le sang qui n'allait pas tarder à couler. La meute hurlante se déploya. Les ailes membraneuses battaient pour lutter contre la bise glaciale tandis que des centaines de pattes griffues martelaient cette poussière cristalline. La poudreuse se dispersait au passage des créatures.

Les démons guerriers observaient la scène neutres. Pour eux ces messagers de l'Apocalypse ne constituaient qu'une étape ordinaire de leur plan. Les deux sergents appréciaient la justesse de l'opération pour sa seule efficacité.

_ Samaël a fait du bon travail, déclara Shaïtan, l'armure hantée aux flammes guerrières.
_ Un excellent travail. Son usine de clonage remplit ses objectifs à merveille, répondit Yog.
_ Notre généticien de génie est probablement un acteur majeur dans la victoire des déchus déclara une voix venue du vortex.

Un cosmos terrifiant se fit ressentir avant même que l'être n'apparaisse. La porte dimensionnelle frémit. Le général apparut en un instant avec sa nouvelle tenue de combat flamboyante. Son surplis amélioré irradiait une lumière obscure aveuglante. Contrastant avec la noirceur de l'armure, la cosmo-énergie titanesque créait une atmosphère orangée, semblable au ciel d'un incendie.

Le seigneur de la guerre bouillait. A l'image de son aura, il était un incendie majestueux prêt à tout carboniser sur son passage. La neige fondait tout autour du démon, bien que ce dernier affichât un visage glacial.

_ Démons guerriers, je vous ordonne de rester ici et de garder le portail dimensionnel.
_ Oui mon général, répondirent simultanément ses subordonnés.

Contester un ordre ne faisait plus partie de leur programmation.

_ Il paraît que le Wallalha regorge de guerriers humains capables de maîtriser le cosmos. Les monstres vont probablement les éliminer comme les simples villageois mais je préfèrerais qu'aucun n'en réchappe. Pour ma part, je vais me charger d'éliminer tous les dieux de ce Panthéon.
_ Seul ? réagit Shaïtan.
_ Ne t'inquiète pas. Mon entraînement est terminé, j'ai retrouvé ma véritable puissance. Personne ici n'est en mesure de me tenir tête.
_ Désirez-vous transmettre l'ultimatum ou vous préparer à l'assaut ? demanda Yog.
_ Les deux.

Le cosmos orangé explosa. L'incendie lumineux devint un brasier infernal qui fit changer le ciel. La neige se liquéfiait à des kilomètres à la ronde. Azazel transmit un message sur toutes les fréquences télépathiques pour que tous entendent.

Habitants de l'Asgard !!!
Je suis Azazel, seigneur de la guerre au service de monseigneur Lucifer. Moi et mes troupes sommes là pour purifier cette dimension. Si vous avez un peu de mémoire, une idée de qui nous sommes ou ne serait-ce qu'un instinct de survie vous pouvez vous rendre.
Personnellement je n'aime pas le gaspillage, aussi suis-je prêt à épargner tous ceux qui se joindront à nous. Dieux, humains ou chevaliers, qui que vous soyez, il suffit de penser très fort que vous vous rendez. Vous serez téléportés hors de l'aire de combat.
Vous avez trente secondes !!

Le démon se tourna vers ses subordonnés.

_ J'espère qu'ils savent ce qu'est une seconde.
_ Je capte beaucoup de réponses, réagit numéro 3.
_ Excellent. Shaïtan, toi et tes quatre démons allez vous occuper des transfuges. Tu les téléportes dans une aire dégagée. Vous les interrogez pour jauger leur sincérité. Exécute les faux transfuges.
_ Affirmatif.

Azazel fit quelques pas sur l'étendue, calcinée par les simples émanations de son cosmos. Il joignit ses mains au-dessus de sa tête et fit grimper son énergie en flèche. Une aura meta-divine emplit toute l'atmosphère, chaque particule ne pouvait s'empêcher de vibrer au contact de ce cosmos flamboyant.

_ Tssk ! Sans ce maudit traité j'aurais pulvérisé une ville pour l'exemple. Je vais me contenter d'un coup de semonce anodin.

Le démon dirigea ses mains jointes vers un point désert du ciel.

" L'EXECUTION DU CREPUSCULE "

Une colonne de flammes, langue de feu d'un dragon gigantesque fusa subitement en direction de la voûte céleste et perfora cette dernière. Dans cette dimension artificielle, le ciel n'était qu'un artifice bâti par les dieux. Les innombrables flammèches démoniaques projetées à la vitesse de la lumière n'avaient eu aucun mal à venir à bout du simulacre de firmament. Le brasier se propagea rapidement et la coupole divine ne fut bientôt plus qu'un horizon éternellement ravagé par les flammes.

C'était là, la véritable puissance d'Azazel, seigneur de la guerre. Pour lui " embraser la ciel " n'était pas une vaine expression.

_ Après l'étape de fine psychologie on passe aux choses sérieuses.

Acquisition des cibles.

Les informations, collectées par les capteurs de ses démons guerriers, se mirent à défiler sur les lentilles électroniques du général. Toute personne possédant un cosmos divin ou étant capable d'utiliser le septième sens constituait pour le seigneur de la guerre un adversaire digne d'intérêt. Azazel recensa une trentaine de divinités et une centaine de chevaliers.

Le seigneur de la guerre intensifia son cosmos au maximum. Son aura prenait l'allure d'une immense créature constituée de flammes et de ténèbres. Les autres déchus s'éloignèrent prudemment.

_ Le compte à rebours est terminé.

Azazel se changea en éclair. Le messager de l'Apocalypse traversa la dimension en tous sens, répandant la mort avec une efficacité diabolique.

23 secondes plus tard, tous ses adversaires étaient tombés.

******

Au coin du feu, les gardes racontaient aux jeunes les légendes du sanctuaire. Grâce à ces récits, les actes héroïques des chevaliers de l'ancien temps avaient traversé les siècles pour venir motiver les nouvelles générations. Les histoires déformées par plusieurs générations de conteurs finissaient par donner des mythes homériques. Hercule, le fils de Zeus, n'était au départ qu'un chevalier d'argent doté d'une force et d'un courage incomparables.

Les apprentis et les jeunes gardes écoutaient attentivement toutes ces fables, rêvant de se retrouver aux côtés de ces héros de légende qui d'un coup de poing entrouvraient la terre et qui, d'un coup de pied, pouvaient fendre le ciel.

Ce soir-là, les vieux chargés de la narration décidèrent de leur raconter la récente guerre sainte contre Hadès. L'ayant vécu personnellement, ils en avaient une connaissance plus vivante que la plupart des histoires venues du fond des âges. Les gardes étaient les yeux et les oreilles du Sanctuaire, partout et nulle part à la fois, ils n'avaient pas manqué un seul détail de l'affaire.

_ Le vieux maître avait raison. Il avait deviné que les spectres tenteraient de profiter de la guerre sainte contre Poséidon. Le grand pope pensait qu'en envoyant les cinq jeunes chevaliers de bronze, il pourrait déclencher une contre-attaque surprise contre les spectres.

*****

Le jour allait bientôt se lever sur l'hôpital de la fondation Graad. Les médecins se contentaient de veiller sur le sommeil de leurs patients. Les facultés de récupération des demi-dieux étaient telles que plus personne ne s'inquiétait de leur sort. Même le chevalier de Pégase était revenu à la vie. Complètement increvable !!

L'équipe de nettoyage de la nuit avait terminé son travail depuis un moment et les couloirs restaient désespérément déserts. On entendait que le bourdonnement des néons qui illuminaient les allées de leur lumière blafarde. Dans une salle, quatre jeunes hommes dormaient paisiblement. Le processus de guérison les obligeait à se maintenir en transe en attendant de pouvoir se remettre debout.

****

Le conteur fit une pause. La lueur d'espoir qui l'animait au début s'était éteinte, annonçant la fin tragique du récit.

_ On pensait que son plan était excellent, on pensait avoir une chance, jusqu'à ce que quelqu'un fasse tout planter !!
_ D'anciens chevaliers d'Athéna sont revenus à la vie et se sont battus au nom d'Hadès, expliqua un autre garde chargé de veiller sur le cimetière.
_ Cinq gardes tués sur le coup !! s'emporta un jeune garde, secouru de justesse par le chevalier de bronze du loup.
_ Quand les spectres ont traversé le sanctuaire, ça n'a pas été une bataille, ça a été un massacre.

Le silence se fit. Tout le monde savait dans quel état se trouvait le sanctuaire à l'heure actuelle. Les chevaliers avaient pratiquement tous disparu. Certaines maisons, qui dataient de l'Antiquité, avaient été réduites en gravats. Même les jardins respectifs du virgo saint et de l'aquarius saint avaient fini en cendres. Athéna était allée jusqu'à se sacrifier pour défaire Hadès et sa résurrection tenait du miracle.

***

Un des couloirs déserts menait à la salle d'observation principale de l'hôpital. Entièrement informatisée, la salle était surveillée en permanence par des caméras et des dizaines de capteurs, eux-mêmes sous le contrôle d'un super ordinateur. Ici, le silence était régulièrement rompu par des " bips " incessants qui témoignaient du souffle de vie qui animaient encore les deux patients.

Shina avait passé toute la nuit à veiller Seiya. La guerrière de l'Ophicius venait régulièrement au Japon pour constater les améliorations. Bien que le corps de Pégase soit toujours plongé dans un profond coma, la jeune femme sentait bien que son esprit était revenu parmi eux sur terre. Les bandages et les plâtres qui recouvraient la totalité du corps de Seiya annonçaient une convalescence encore assez longue mais cela importait peu. Hadès mort, il ne restait plus aucune menace.

**

Parmi les jeunes apprentis, personne n'osait élever la parole. Hadès était bien le plus terrible adversaire d'Athéna. Sa simple évocation en faisait frémir plus d'un. Même les plus arrogants qui crachaient sur son nom sous le soleil de midi n'osaient plus faire la moindre réflexion une fois la nuit tombée, comme si l'âme d'Hadès se cachait encore quelque part parmi les ombres.

Un des apprentis osa pourtant élever la voix. Comment le sanctuaire avait-il pu subir autant de pertes ? Nous avions un grand pope d'une grande sagesse et des chevaliers d'or aux pouvoirs gigantesques protégés par des armures indestructibles ? Comment se pouvait-il que certains saints aient osé employer l'Athéna exclamation, l'attaque interdite ? Pourquoi Athéna avait-elle ordonné qu'on lui amène les prisonniers ? Ne disait-on pas que le chevalier de la vierge était l'homme le plus proche de Dieu, alors pourquoi mourir dans son jardin ? Il subsistait encore des parts d'ombre dans le récit.

_ C'était un accident ? Ou un plan subtil ?
_ Personne ne sait, répondit le conteur qui avait déjà songé à ce détail dérangeant.
_ Quelqu'un sait, coupa son collègue.
_ Qui ?
_ Après la guerre sainte, on a attendu le retour des survivants, poursuivit le vieux conteur.
_ Et vous en avez vu ?
_ Only one.

*

A quelques mètres du lit de Seiya, on avait allongé le chevalier d'or inconnu. Plongé dans une transe de guérison, il dormait paisiblement sans penser à l'avenir. On lui avait retiré la majorité des plâtres, signe que ses os avaient récupéré. Ses cheveux argentés étaient peignés tous les jours par une infirmière, qui trouvait son visage particulièrement beau. La seule chose qui l'intriguait c'était ce signe sur son front : une étoile.

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Les personnages de Saint Seiya sont copyright Masami Kurumada.