Chapitre 12 : Après la bataille…


Lyath ressortit de sa longue entrevue avec Poséidon, le visage légèrement gris. Appuyé contre un mur de l'antichambre, Denby l'attendait.

- Alors, demanda simplement le général Sirène en haussant un sourcil ?
- Sa Majesté a fini par accepter mon explication, répondit Lyath en déglutissant visiblement. Mais cela n'a pas été facile.
- Et bien, tu as tout de même fui le combat, observa Denby avec une nonchalance étudiée. En abandonnant le cadavre d'Harchissa derrière toi, qui plus est.
- Que voulais-tu que je fasse d'autre, explosa presque Lyath, relâchant finalement toute la frustration qu'il avait accumulée ?! Nous avons été confrontés à une force bien supérieure à ce que nous attendions ! Et avec la mort d'Harchissa, j'étais seul contre au moins quatre adversaires !
- Cela importe peu, fit Denby avec un geste de la main. Mais, maintenant que nous ne sommes plus que cinq et que les guerriers d'Athéna grandissent constamment en nombre et en puissance, il est devenu nécessaire d'agir très vite.
- Tu veux dire que nous allons monter une nouvelle offensive ?
- En fait, non. Au contraire. Après les victoires qu'ils ont remportées, nos adversaires doivent être portés à la présomption. Nous allons les piéger en les incitant à nous attaquer.
- Nous attaquer où ?

Denby sourit avec une sorte de délectation.

- Au pire endroit imaginable pour eux.

* * *

- J'suis fatiguée, j'en ai assez, réparer des armures, c'est casse-pied, pourquoi j'suis la seule à travailler, j'ai envie d'aller me reposer…

Momentanément à court de rimes, Jaelrina jeta un regard agacé à la surface constellée de fissures de l'armure du Dragon qu'elle était contrainte de réparer une fois de plus. Fort heureusement, elle n'était pas abîmée au point qu'il faille du sang pour lui rendre la vie, mais cela n'en restait pas moins un travail long et ennuyeux. Elle avait envie d'expérimenter avec les fragments de soleil qu'Athéna leur avait confiés, mais aucune occasion ne s'était présentée depuis la veille, jour de la bataille.

- Je suis sûre que les trois autres sont déjà occupés à construire de nouvelles armures d'or, grommela-t-elle avec humeur. J'aurai de la chance s'ils m'en laissent une ou deux sur les douze.

L'espace d'un instant, elle se prit à songer à ce qu'elle pourrait faire si elle avait l'occasion de réaliser une partie des armures d'or. Lorsqu'elle avait réalisé les écailles des généraux, il lui avait semblé qu'elle ne réussirait jamais à surpasser cet accomplissement. A présent, pourtant, elle fourmillait déjà d'idées quant à ce qu'elle pourrait…

- Jaelrina.

Brusquement tirée de sa rêverie, la Forgeronne du sud releva la tête.

- Oh, Janeel, comment…

Les mots moururent sur ses lèvres et, l'espace d'un instant, ce fut comme si tout l'air avait disparu de ses poumons.

Quand Jaelrina avait vu la princesse de Mycènes pour la première fois, elle n'avait pu s'empêcher de l'admirer. Janeel était encore jeune, mais elle était déjà d'une beauté et d'une dignité qui en imposait à ceux qui la voyait. Ses yeux ressemblaient à un ciel d'hiver sans nuages et les traits de son visage évoquaient la perfection d'une statue de marbre. Athéna exceptée, Jaelrina n'avait jamais rencontré une femme qui dégage une telle impression de sérénité.

Son visage magnifique était désormais défiguré par la cicatrice qu'avait laissée la lance divine d'Harchissa, en dépit de tous les efforts d'Alcyar pour la faire disparaître. La balafre d'un rouge agressif courait depuis la base de ses cheveux blonds jusqu'à sa lèvre supérieure, qu'elle déformait en une sorte de grimace.

- Pas la peine de me regarder comme ça, fit Janeel après un instant. Je sais de quoi j'ai l'air.

Jaelrina détourna précipitamment les yeux, mortellement embarrassée. Elle ne savait pas quoi dire.

- Je suis venue te demander un service, poursuivit Janeel de la même voix calme. Je voudrais que tu forges un objet pour moi. Quelque chose qui complètera mon armure.

* * *

Arathorn disposa ses outils à côté de lui. Les Forgerons se reposaient tous au moins en partie sur leurs pouvoirs télékinétiques quand ils effectuaient un travail quelconque, mais rarement de façon exclusive. Surtout pour une œuvre d'importance, ce qui était le cas cette fois-ci.

Arathorn examina tour à tour les trois objets qui se trouvaient devant lui. D'abord, son armure du Capricorne. Ou plutôt, ce qui en restait, c'est-à-dire pas grand-chose. Les attaques répétées d'Harchissa l'avaient presque totalement détruite et il ne demeurait plus que quelques morceaux encore vaguement identifiables.

Ensuite venaient les deux morceaux d'Excalibur. De façon surprenante, bien que l'arme divine ait été brisée, elle dégageait encore la même aura de puissance à peine contenue. Elle n'en demeurait pas moins inutilisable sous sa forme actuelle, mais Arathorn se demandait s'il n'y avait pas une autre solution à ce problème.

Enfin venait l'un des fragments de soleil que leur avait laissé Athéna. L'objet exerçait une véritable fascination sur Arathorn. Il était de taille réduite, pas plus gros qu'un poing d'enfant, de forme vaguement sphérique, et il s'en dégageait une lumière d'une intensité telle qu'il était difficile de le regarder en face. Malgré cela, il n'était pas particulièrement chaud au toucher. Une légère pulsation en émanait rythmiquement, comme s'il s'était agi d'un être vivant.

Arathorn prit une profonde inspiration, puis, ramassant ses outils, entreprit de se mettre à l'œuvre.

* * *

- Félicitations pour la bataille d'hier, vous vous en êtes remarquablement bien tirés.

Fahiel et Tolset sourirent à l'unisson, mi-embarrassés, mi-ravis. Ce n'était pas si souvent que leur maître distribuait ainsi des compliments.

Ils se trouvaient tous les trois en lisière du camp, encore revêtus de leurs armures qu'ils n'avaient quittées que pour dormir l'espace de quelques heures cette nuit. C'était désormais le début de l'après-midi et la journée s'annonçait plutôt belle. Il ne pleuvait plus que par intermittence.

- Est-ce que nous allons retourner à Athènes, maître Lon, interrogea Fahiel ?

Lon secoua la tête négativement.

- La victoire d'hier a eu un prix. La plupart des autres chevaliers sont blessés, certains grièvement, et leurs armures sont généralement brisées. Si plusieurs généraux attaquaient ici de nouveau, ils ne rencontreraient pas beaucoup d'opposition. Il nous faut rester pour parer à une telle éventualité.

Leur présence ne changerait probablement pas grand-chose si Poséidon décidait d'engager contre eux ses cinq généraux restants, mais Lon n'exprima pas ces craintes à voix hautes.

- Et pour l'entraînement des novices qui sont restés à Athènes, interrogea Tolset?

Lon haussa les épaules, sachant que ce problème n'était plus entre ses mains pour le moment.

- Erèbe, Nyx et Myrtès devront s'en occuper.

* * *


- Allez, un peu plus d'énergie, bon sang ! Ou alors, retourne jouer avec tes poupées !

Erèbe écarquilla les yeux, légèrement inquiet. Il était assis légèrement à l'écart, en train de regarder l'entraînement. Sa sœur était en train d'enseigner à Kadiya, la jeune novice aux cheveux blonds-roux. Si "enseigner" était vraiment le bon terme. Découvrir qu'elle possédait des pouvoirs exceptionnels avait enchanté Nyx, mais ne l'avait pas exactement rendue plus facile à vivre. Elle n'avait pas fait de difficultés pour s'occuper des novices moins avancés qu'eux, mais elle n'y mettait pas beaucoup de délicatesse non plus.

L'entraînement se déroulait dans une partie isolée de l'Acropole d'Athènes. Après quelques accidents malencontreux, Lon avait mesuré les dégâts que pouvaient causer des novices dotés d'un grand potentiel qu'ils ne savaient pas contrôler et il avait décidé de ne pas prendre de risques excessifs. La grande majorité des habitants d'Athènes se tenait fort heureusement à l'écart de l'endroit.

Erèbe cligna des yeux. Kadiya venait de mordre la poussière pour la cinquième ou sixième fois. Ce n'était pas comme si on lui laissait beaucoup de chances. Loin de lui donner l'occasion de démontrer ses capacités, Nyx se déplaçait en permanence à sa vitesse maximale, que la novice aux cheveux flamboyants était bien incapable d'égaler ou même de percevoir. Nyx ne retenait pas vraiment la violence de ses coups, non plus…

Kadiya était en train de se relever une nouvelle fois. Son visage était maculé de poussière et un peu de sang coulait d'une coupure au-dessus de son œil gauche. Elle respirait profondément, visiblement à la limite de sa résistance physique. Lentement, elle se remit en garde. C'était à peine si elle semblait capable de faire un pas en avant sans tomber. Face à elle, Nyx la toisait d'un air moqueur.

- Déjà fatiguée ? Allez, fais un effort, essaie de m'attaquer au moins une fois !

Erèbe leva les yeux au ciel. Sa sœur exagérait vraiment un peu. Il valait mieux qu'il intervienne maintenant pour arrêter cet entraînement, avant qu'elle n'assomme Kadiya juste pour le plaisir.

- Attends un peu.

Erèbe se figea brusquement, alors qu'il avait été sur le point de se lever. Myrtès était juste à côté de lui. Il ne l'avait pas entendu arriver.

- Pourquoi ça ?

Il se sentait légèrement mal à l'aise en présence du jeune aveugle. Non pas que Myrtès soit plus puissant que lui ou Nyx, il n'en était rien. Mais Erèbe avait toujours l'impression désagréable que le jeune homme pouvait lire son esprit comme un manuscrit.

- Je sais que la méthode de ta sœur ne te plaît pas vraiment, fit Myrtès avec ce qui ressemblait presque à un sourire, mais elle est plus efficace qu'il n'y paraît. Nous trois avons accédé à nos pouvoirs de façon presque aisée, comme s'ils avaient toujours fait partie de nous. Mais ce n'est pas le cas pour les autres novices qui se trouvent ici. Pour eux, la meilleure chance de progresser est de repousser constamment leurs limites.

Il inclina légèrement la tête, comme songeur.

- Du reste, j'ai l'impression que ta sœur pourrait avoir une surprise dans les instants qui viennent.

Erèbe se retourna vers la scène de l'entraînement, perplexe. Kadiya haletait toujours aussi fort, comme si elle ne parvenait pas à inspirer suffisamment d'air. Ses poings étaient crispés mais elle ne faisait toujours pas le moindre mouvement. Se tenant à quelques mètres seulement, Nyx n'avait même pas adopté un semblant de garde défensive. Fronçant les sourcils, Erèbe se demanda de quoi parlait Myrtès lorsque…

Les yeux de Kadiya se mirent à flamboyer d'une lumière verte et une aura rougeoyante se matérialisa autour d'elle comme un brasier. Nyx la vit, mais ne réagit pas assez rapidement.

- Inferno !

Kadiya leva une main et une nuée de comètes incandescentes en partit avec un sifflement strident. Nyx bondit sur le côté juste à temps pour esquiver l'attaque, mais sans succès. Les traînées enflammées changèrent brutalement de direction et revinrent vers elle avec une vitesse encore accrue. Renonçant à se dérober de nouveau, Nyx tendit les mains devant elle et concentra son cosmos. Avec un fracas assourdissant, les comètes vinrent s'écraser devant elle, les unes après les autres. Aucune ne franchit sa garde.

Lorsque l'attaque eut finalement prit fin, Kadiya se laissa presque tomber au sol, visiblement incapable de plus poursuivre le combat. Nyx ne semblait pas du même avis, mais Erèbe se hâta de s'interposer, cette fois.

- Je crois que ça ira pour cette fois-ci, fit-il avec un sourire forcé. C'était impressionnant, hein, Nyx ?

Sa sœur le toisa un instant avant de porter ses deux mains écarlates à son visage pour souffler dessus.

- Très, fit-elle avec mauvaise humeur.

* * *

Antar veillait ses deux fils dans la petite tente où lui-même avait reposé inconscient, seulement quelques jours auparavant. Son esprit était un chaos d'émotions contradictoires.

Il était fier de ses enfants, incroyablement fier. Mais il avait peur pour eux, aussi. Il avait assisté au combat de la veille en simple spectateur, incapable d'intervenir. Il avait vu la force qu'avaient acquis ses enfants en si peu de temps. Mais il avait aussi vu la puissance des généraux, plusieurs fois supérieure.

Antar baissa les yeux sur Tolivar et Laramil qui reposaient côte à côte, inconscients. Lorsqu'il avait vu les terribles blessures qu'ils avaient reçus, il avait été certain qu'ils ne passeraient pas la nuit. Mais apparemment, en devenant des chevaliers, ils avaient aussi acquis une résistance hors du commun. C'était ce qu'Alcyar lui avait expliqué pendant les longues heures qu'il avait passé à les maintenir en vie. Heureusement pour eux tous, le Forgeron de l'Est disposait de pouvoirs de guérison remarquables.

Il n'avait cependant rien pu faire pour effacer la blessure de Janeel.

Antar s'assombrit en repensant à sa fille. Elle avait tellement ressemblé à sa mère. Et maintenant…

Mais là non plus, il ne pouvait rien faire qu'espérer.

* * *

- Alors, où en es-tu de ton armure, interrogea Sauron ?
- Je l'ai presque achevée, répondit Alcyar en buvant une petite gorgée de vin. Je pense qu'elle sera prête d'ici à ce soir.

Les deux Forgerons étaient assis aussi confortablement que la situation le permettait dans l'une des tentes que l'on avait mis à leur disposition. Tous deux avaient eu une nuit brève et une matinée exténuante. C'était la première occasion qu'ils avaient de se reposer depuis de nombreuses heures.

Une table était dressée entre eux, où se trouvait une nourriture frugale et un peu de vin. Une servante, qui leur avait été envoyée par Antar lui-même, faisait le service dans un silence discret.

- Que penses-tu de notre situation, demanda finalement Alcyar, qui avait entamé un morceau de pain de seigle ?

Le Forgeron du Nord haussa les épaules. Il n'avait subi que quelques blessures légères lors de son combat contre Lyath de Scylla. La douleur avait été insignifiante par rapport à l'épuisement intense qui l'avait saisi dès la fin du combat. L'énergie qu'il avait dépensée lors de ses attaques avait été proprement démesurée, voire excessive. Encore maintenant, il se sentait un peu affaibli et ses pensées n'étaient pas aussi claires qu'à l'ordinaire.

- Elle est mitigée, répondit-il, s'efforçant de mettre de l'ordre dans son esprit. Nous avons battu un deuxième général et sans doute semé le doute dans l'esprit de Poséidon. Nous disposons également d'atouts très puissants sous la forme des armures d'or. Mais tout n'est pas positif. D'abord, je doute que Poséidon goûte beaucoup notre résistance continue. Il ne peut pas nous envoyer tous ses guerriers sous peine de voir son empire déjà s'effondrer, mais il ne se privera pas d'avoir recours aux cinq généraux qui lui restent.

Sauron s'interrompit le temps de vider son verre.

- Pour avoir affronté l'un des généraux, j'ai une idée assez précise sur leur niveau, reprit-il presque aussitôt. Je pense qu'un chevalier porteur d'une armure d'or aurait de bonnes chances face à l'un d'entre eux. Ceci dit, il est probable que ce Lyath n'était pas le plus puissant d'entre eux. Et il n'en reste pas moins que nous n'avons pas cinq armures d'or pour le moment. Si on additionne la mienne, celle que tu vas achever et celle à laquelle Arathorn doit être en train de travailler, cela ne fait que trois. Un peu juste.

Alcyar hocha la tête, l'air sombre.

- Le problème est que nous n'avons plus suffisamment de matières premières pour forger encore un grand nombre d'armures, dit-il. Les armures d'or surtout nécessitent une grande quantité d'orichalque. Il ne nous en reste plus guère. Considérant les réparations que nous aurons encore à faire, je dirais que nous en avons suffisamment pour réaliser deux armures d'or. Peut-être trois, mais j'en doute.

Sauron fit la grimace.

- Voilà qui n'arrange pas nos affaires, admit-il. Est-ce que tu as une idée ?
- Peut-être, répondit Alcyar après un temps de réflexion. Mais ce serait risqué. Nous n'avons pas la possibilité de joindre les autres membres de notre peuple et, même si c'était possible, ils ne disposent pas de réserves qui soient à la fois importantes et rapidement disponibles. Par contre… Jaelrina m'a beaucoup parlé des réserves considérables de matières premières que possède Poséidon. De l'orichalque, du gammanium, de la poussière d'étoile, tout ce qu'il nous faudrait pour construire encore un grand nombre d'armures.
- Reste juste à les obtenir, ironisa Sauron. Comme il ne nous les laissera probablement pas gratuitement, cela signifierait monter un raid contre l'une de ses places fortes. Une confrontation ne tournera pas à notre avantage si tôt, Alcyar.
- Nous n'avons plus beaucoup de temps, répondit Alcyar avec ce qui s'apparentait à de la lassitude. Les jours qui passent renforcent la position de Poséidon, pas la nôtre. Privés de nouvelles armures, nous sommes condamnés à courte échéance. Nous ne pouvons pas nous permettre de temporiser encore très longtemps.

Sauron ne répondit pas, également conscient de la gravité de la situation, et le reste du repas se déroula en silence.

Après avoir débarrassé le peu de vaisselle et remis en ordre l'intérieur de la tente, la servante s'éclipsa. Les patrouilles d'adolescents en armes étaient fréquentes aux alentours du camp mais elle n'eut aucune difficulté à les éviter sans se faire repérer. Parvenue finalement à la forêt clairsemée qui se trouvait à proximité, elle s'arrêta et s'assura que personne ne l'avait suivie. Satisfaite, elle entreprit de se concentrer pour reprendre enfin sa véritable forme.

Le général Heldo des Lyumnades s'autorisa un sourire. Cela avait été vraiment facile. Denby serait content des nouvelles qu'il lui apportait.

Le piège était prêt à être tendu.

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Cette fiction est copyright Emmanuel Axelrad et Romain Baudry.
Les personnages de Saint Seiya sont copyright Masami Kurumada.