Chapitre 19 : Deimos et Phobos ! Entre Peur et Déroute...


Saga

Nous étions au milieu d'un verger, il n'y avait guère d'autre mot pour décrire l'endroit où nous évoluions depuis maintenant plusieurs minutes. Derrière nous, les affrontements continuaient de faire rage, mais nous ne nous retournions pas, même aux sons de cris de souffrance de nos amis, des autres fidèles qui versaient leur sang pour une cause juste et durant une guerre injuste.
Je respirais profondément, alors que dans ce lieu de la monstrueuse île d'Azura, l'air paraissait plus pur que partout ailleurs. Il n'y avait pas cette aura de violence, de haine qui empoisonnait l'atmosphère comme dans les autres domaines, mais plutôt un sentiment de calme, d'aisance, de perfection... Un Élision terrestre, en somme, une sorte d'Eden plein de plénitude qui n'avait strictement rien à faire sur cette terre de douleur.
Des pommiers s'étendaient jusqu'à l'horizon, tandis que des fleurs des champs recouvraient le sol que je foulais, au côté de ma déesse. Nous courrions l'un et l'autre, sans plus même penser à nous regarder, alors que nous fixions le bout de cette immense plaine qui paraissait ne jamais devoir venir.
Des fruits superbes pendaient des arbres, des pommes si lisses, si jaunes qu'on les aurait cru d'Or, et semblaient vouloir attirer le visiteur miraculé, puisqu'il avait traversé tout le reste du domaine, par le croquant que l'on devinait en les observant juste. La verdure paraissait innée à cet endroit, comme si la pluie tombait assez abondamment pour nourrir la terre sans pour autant la noyer, et la douceur de l'air, imbibait d'indolence tous ceux qui se trouvaient là.
Tous sauf nous, pensais-je, alors que mes pieds touchaient à peine le sol et que je ne battais plus des cils, comme si mes yeux ne voulaient plus perdre une seule seconde de ce qui allait se passer. Mon regard accrochait avec intensité le bout du verger, et j'espérais, à chaque seconde, découvrir les reliefs d'un temple d'airain, d'une construction divine.
-Nous ne nous serions tout de même pas perdus! souffla Athéna alors qu'elle expirait en même temps qu'elle prononçait cette phrase.
-Non, répliquai-je en secouant la tête impérieusement, c'est impossible. Nous avons toujours continué tout droit et je ne connais que trop bien les illusions pour ne pas les déjouer ou tout du moins les repérer.
Les illusions... je pensais soudainement à Shaka, à son affrontement... à son cosmos qui s'était éteint. Ainsi, l'homme le plus proche des Dieux, l'être le plus sage que la terre eut à porter en son sein avait rencontré la mort à la fin de son chemin. La flamme de l'enfant de lumière du Zodiaque s'était éteinte, face à son immortel ennemi qu'il avait emporté en même temps que lui.
Je savais qu'à côté de moi, Athéna songeait à la même chose... et comment, dans ce cas, ne pas faire dériver ses pensées vers Aioros et Shun, qui avait courageusement fait face à deux Berserkers... pour ma part, je parvenais à fermer mon esprit à tous ces souvenirs, à toutes les douleurs que cela auraient pu éveiller en moi, et je me concentrais sur l'instant présent. Car tel était le pouvoir d'un chevalier d'Or, celui de ne penser qu'à sa cause et de faire abstraction de tout le reste sans défaillir, sans montrer le moindre signe de faiblesse.
Et puis, Saori nous avait appris quelque chose, au chevalier de la Vierge et à moi-même tandis que nous courrions vers le temple de Mara. Arès n'était pas seul.
Le déesse de la guerre se figea subitement dans sa course, en même temps que moi, et je plaçais, comme à mon habitude, un bras devant elle, comme pour la protéger... et je me sentais, à cet instant, plus chevalier que jamais, et ce, malgré tout ce que j'avais pu faire.
L'herbe devant à nous avait frémi, imperceptiblement, mais cela n'était pas passé inaperçu à nos yeux experts. Je m'étais arrêté, comme un félin guettant sa proie, et je surveillais maintenant tout ce qui nous entourait. Athéna, à mes côtés, releva une fraction de second son visage vers les cieux, comme pour regarder le soleil qui déclinait lentement vers l'horizon. C'était la fin. Bientôt du moins, car il nous restait les plus terrifiantes épreuves à franchir.
Les touffes vertes sur lesquelles nous marchions se remirent à trembler, et à l'horizon, deux formes s'avancèrent vers nous, deux êtres vêtus de longues toges blanches qui cachaient quelque chose de brillant comme du métal, comme une armure plutôt, ou comme une Kamui...
Saori ouvrit lentement les lèvres, comme si cette vision retenait toute son attention :
-Les voici, Saga, voici ceux dont je vous ai parlé. Que notre foi nous porte durant cette rencontre.
Et les deux hommes qu'elle venait d'évoquer marchaient à pas réguliers et lents, laissant ainsi leur excitation au combat grandir, doucement, afin de les rendre encore plus puissants que ce qu'ils n'étaient naturellement.
D'ici une centaine de mètres, nous serions face à face, et si Arès n'avait en effet jamais été seul, nous ne l'étions plus non plus puisqu'il nous envoyait ses meilleurs éléments pour nous tenir compagnie. Il ne s'agissait d'ailleurs plus même de Berserkers... mais de dieux.

Julian

Je pénétrais dans un temple que rien ne semblait avoir ébranlé... se pouvait-il qu'il y eut réellement une bataille en cet endroit? Le sol de mosaïque était intact, l'immense coupole de verre par laquelle passait les derniers rayons du soleil n'avait rien perdu de sa magnificence, tout comme les gigantesques escaliers de marbre qui se dressaient au centre de la pièce. La beauté de l'endroit me saisissait d'ailleurs, car il était étonnant de trouver sur Azura et parmi des cohortes de barbares un monument d'architecture aussi spectaculaire.
J'entendais mes pas résonnés contre le sol, et je resserrais mon trident dans ma main, par légendaire habitude probablement.
Je n'avais pas peur, j'étais un Dieu et c'était un sentiment -qu'hélas!- nous ne connaissions pas. Mais celle-ci nous aurait peut-être aidé, peut-être nous aurait-elle permis, au fil des guerres, de connaître la victoire face à Athéna, qui elle, avait peur. Son côté humain m'avait choqué, tandis qu'elle se trouvait dans le pilier central de mon Empire, et je ne m'étais alors pas rendu compte qu'il s'agissait en fait peut-être là de sa force. Et quelle force!
C'était bien Julian qui parlait là et non pas l'impétueux, l'intraitable Poséidon qui ne supportait guère de voir contrarier ses avis. D'ailleurs, depuis que j'étais sur Azura, si je me savais pourvu de la force du dieu des Mers, je devinais que si j'en venais à combattre, ce serait l'esprit du jeune homme qui réfléchirait calmement, sans se laisser emporter par le tumulte des émotions, pareils à des vagues déchaînées.
Je baissais les yeux sur le sol, et cessais soudainement tout mouvement.
Un homme était allongé, là, par terre, en armure d'Or. Son casque avait roulé à côté de lui, et ses immenses cheveux blonds étaient répandus autour de son corps comme autant de rayons d'or. Il y avait quelque chose de majestueux dans cet être, oui, quelque chose de divin alors qu'il ne l'était pas.
Bouddha... Shaka voulais-je dire!
Je me précipitais vers lui et m'agenouillais à ses côtés, comme je l'avais fait pour Aldébaran, à l'autre bout de l'île. Je saisissais prestement son poignée pour sentir son pouls sans parvenir à ressentir le plus infime battement. Une vague de sueurs m'envahit et je serrais les dents avec inquiétude.
Le chevalier de la Vierge serait-il mort? Oui... j'avais bien senti son cosmos disparaître et l'une de ses larmes de sagesse tomber sur l'île et amener une pluie purificatrice mais je n'avais guère voulu croire que l'homme le plus proche de dieu soit mort...
Il n'y avait aucune trace de sang sur lui, pas même une égratignure, et sa peau diaphane paraissait aussi lisse qu'à l'habitude. Pas une goutte de sueurs ne paraissait avoir mouillé son front et je me demandais ce qui avait bien pu se passer. Qui avait été son adversaire pour le terrasser ainsi, sans même qu'il ne combatte?
Je tressaillis avec violence, manquant de tomber en arrière mais me rattrapais de justesse au manche de mon trident qui crissa étrangement contre le sol. Un homme... un homme identique à Shaka se trouvait à côté, dans le même état, et surtout, dans un corps semblable, si l'on ne se fiait pas à la couleur de jais de ses cheveux. Des jumeaux? Non...
Je me penchais au-dessus de l'homme, et fronçais les sourcils avec un étonnement mêlé de scepticisme.
Enfin... je n'avais pas le temps de m'attarder davantage sur ma surprenante découverte et je me détournais du corps inerte de ce mystérieux personnage pour poser mon regard sur le Saint d'Athéna... dont les doigts tressaillirent!

Saga

Ils étaient à présent à quelques pas de nous, mais la lumière qui les entourait nous empêchait de distinguer exactement les traits de leurs visages. Une aura de noirceur les auréolait, et la lumière rougeâtre qui se dégageait d'eux me faisait songer au sang que j'avais vu dans les cuirasses. Pourtant, aucun de mes sens ne défaillaient, car j'étais prêt à aller jusqu'au bout. Depuis que j'avais mis le pied sur cette île, j'avais deviné que le pire m'attendait, comme une sorte d'instinct, mais cela m'était apparu comme justice car je voulais prouver à Athéna, une nouvelle fois, ma bonne fois envers elle. Car si je l'avais déjà fait en traversant, au soi-disant nom d'Hadès, les temples du Zodiaque, il me semblait que ce n'était pas encore suffisant, et que ma fidélité devait être éprouvée à nouveau, dans un affrontement où j'étais prêt à laisser mon existence que je lui dédiais.
Le verger entier était noyé dans la lumière, et Athéna et moi étions à présent entourés de nos cosmos, comme pour tenir dès le premier instant la mesure à leur puissance. Nous n'avions pas voulu nous avancer vers eux, songeant l'un et l'autre que c'était au mal de se diriger vers nous et qu'il est bien plus noble de ne pas bouger, surtout pas devant des personnages d'aussi basses pensées.
Puis, tout s'arrêta, et enfin, les centaines de pommiers qui nous entouraient reprirent leur teinte d'origine, les fleurs se remirent à danser dans leurs teintes pastels, et nos yeux à tout quatre mirent quelques instants à se ré-habituer à cette clarté moindre.
-Saga... par Zeus... on dirait Thanatos et Hypnos!
J'ouvris plus grand mes yeux, et les détaillais pendant une fraction de seconde. Je ne connaissais guère le dieu de la Mort, pas plus que celui du sommeil, mais faisais pleinement confiance au jugement de ma déesse.
Deux hommes, d'une taille impressionnante, un peu plus grand que moi, nous regardaient avec calme et sans bouger. Leurs nez étaient légèrement retroussés, leurs lèvres parfaitement dessinées se relevaient en un pli ironique, et leurs yeux en amande, pareils à ceux des nobles lévriers, étaient pour le premier de bronze, pour le second de cuivre. Leurs immenses cheveux tombaient jusqu'à leur taille, tous deux les ayant de même teintes métalliques que leurs yeux, cela faisant ressortir la pâleur de leur teint.
-Hypnos et Thanatos dit posément le premier homme, c'est cela même. Nous sommes leurs frères.
Saori se figea et retint son mouvement de recul naturel. Elle m'avait évoqué la façon dont Hypnos l'avait attrapé, tandis qu'elle agissait de son plein gré, pour la mettre dans l'urne d'Hadès, et je comprenais maintenant qu'elle éprouve une certaine réserve face à tous les membres de cette étrange famille...
-Je me présente, reprit le dieu. On m'appelle Phobos, et je suis le dieu de la Peur. Quant à lui, il s'agit de Deimos, divinité de la Déroute.
Ce dernier inclina légèrement la tête en baissant ses paupières, sûr de lui mais sans une once d'ironie.
-Athéna, continua Phobos, Arès vous attend dans son temple. Allez donc le rejoindre.
-Vous n'avez guère d'ordre à donner à une déesse tout dieux que vous fûtes, elle vous est supérieure, répliquai-je immédiatement, alors que je ne me sentais guère d'humeur à tolérer qu'ils commandent à Saori.
-Oh, oh! se défendit Phobos en riant et en mettant ses mains devant lui, ce n'est guère ce que nous voulions faire, messire Saga, nous ne sommes que les humbles messagers de notre maître. Et n'est-ce point de toute manière ce que désire cette dernière, rejoindre son meilleur ennemi depuis des millénaires?
Athéna échangea un regard avec moi. Je voyais de l'hésitation dans ses yeux, non pas par peur de se retrouver face à Arès, mais par frayeur de m'imaginer seul face à ces deux dieux.
-Saga, je ne puis te laisser ainsi...
-Princesse, ce n'est pas deux adversaires qui me feront reculer, articulais-je d'une voix parfaitement audible, car je n'avais nulle crainte de parler devant les deux dieux.
Deimos, l'homme aux cheveux de Bronze, regardait pensivement le verger et tendit une main pour tâter la qualité d'une des pommes, tandis que Phobos, celui aux cheveux de cuivre, souriait, écoutant avec attention notre conversation. J'avais du mal à croire que ces deux êtres, si tranquilles... et presque si normaux étaient des divinités au service du mal.
-De toute manière, intervint subitement le dieu de la peur, nous ne nous mettrons guère à deux contre un... un seul d'entre nous suffira bien amplement à un simple chevalier d'Or.
-Tais-toi, Phobos, tais-toi, répliqua son frère d'une voix glacée. C'est en sous-estimant ses adversaires que Thanatos a trouvé la mort.
C'était la première fois qu'il prononçait un mot, et je découvrais en lui une aura de distance et de mystère que je ne m'attendais pas à trouver chez un personnage tel que lui.
-Inutile de me le rappeler, Deim', je le sais aussi bien que toi.
Ils parlaient à présent entre eux, et Saori me regarda avec intensité, prenant dans ses petites mains une des miennes, et l'étreignit avec une force désespérée. Le temps nous était compté, et elle n'avait de toute manière guère le choix, les hommes comptaient sur nous, et elle devait vaincre Arès avant toute chose, car de la mort de ce dernier dépendait l'arrêt des souffrances humaines.
-Au revoir, Saga, je sais que nous nous retrouvons, et que ta foi guide tes gestes contre ces deux dieux.
Je baissais la tête en signe d'humble approbation et lui fit signe de s'éloigner, pour finalement la voir partir en courant. Ainsi, elle allait se retrouver, après que ces pas l'eut mené jusqu'au dernier temple, face au despotique et démesuré Dieu de la Guerre. Je priais de toute mon âme pour sa victoire et sa gloire, tout en me préparant à combattre, car si je voulais la rejoindre pour lui porter secours, je savais qu'il me faudrait avant marcher sur les dépouilles des deux frères qui s'opposaient à moi.
J'étais un chevalier d'Or, et je n'avais pas la fougue inconsciente des chevaliers de Bronze, qui songeaient pouvoir abattre de leur seule poigne un ennemi animé du Big Will, je n'étais pas non plus pourvu de la sotte assurance des chevaliers d'Argent, qui s'imaginaient supérieur durant leurs affrontements à tous les êtres existants, non, j'étais un Saint d'Or, et ma lucidité me servait d'arme, aussi tranchante que l'Excalibur de Shura. Comment un simple homme pouvait prétendre venir à bout seul de deux dieux? Je ne le savais, et pourtant, je me retrouvais acculé au problème.
Je ne perdais pourtant pas espoir, et comptais donner tout mon potentiel dans cette bataille, afin de les affaiblir jusqu'à l'arrivée du prochain chevalier, puis du suivant, et encore du suivant... car aucune mort n'était vaine, j'en étais assurée, pas même lorsque je m'étais suicidé face à Athéna, alors qu'elle remontait les marches menant au palais du pope que j'avais souillé de ma félonie. J'avais lavé une partie de mes fautes par ce simple geste de la main, et en suspendant mon souffle, j'avais permis au Sanctuaire de prendre une nouvelle respiration, de renaître dans une paix largement méritée.
Je hochais la tête avec confiance. Ma fidélité envers Athéna était à présent une certitude si puissante qu'elle formait autour de moi comme un bouclier de protection invisible.
-Eh bien, chevalier des Gémeaux... te sens-tu de taille à parer les attaques d'un Dieu? me demanda Phobos de sa voix rieuse.
Je souriais avec ironie, comme j'en avais l'habitude et en cette expression du visage qui me rapprochait tant de mon jumeau Kanon.
-Nous verrons bien...
-Tout de même, s'écria Phobos avec l'enthousiasme d'un enfant... n'as-tu pas peur ? Peur d'être seul face à nous et si seul...
-Il ne l'est plus maintenant!
Je me retournais en même temps que mes opposants.
Cette voix si sage, si calme, si reposante... Dohko de la Balance! Il s'avançait vers nous, grave et les yeux fixés sur les dieux qu'il venait de reconnaître, son trident, seul arme d'orichalque qui lui restait, à la main... la présence de ma triple chaînes dans ma main, à l'approche de son gardien, se fit plus violente, et une sorte de vibration me parcourut les doigts.
Dohko me salua d'un signe de tête bref et presque paternel et se glissa à mes côtés avec l'aisance d'un félin, un peu comme le tigre qui le représentait. Il avait donc réussi à traverser le temple de l'empereur, mais je ne pouvais m'empêcher de relever que la déesse de la Victoire n'était pas à ses côtés.
-Regardes Deimos, voilà un peu de compagnie pour toi... s'exclama Phobos avec bonne humeur.
Son frère sombre et lent, s'avança vers le Maître des Cinq Pics et échangea un regard amusé avec son jumeau, son complice depuis des millénaires.
-Deimos... cher ami et confident, aurais-tu l'obligeance de me rappeler la façon dont mon grand frère chéri Thanatos est mort face à Seiya?
-Mais par les météores de Pégase, seigneur Phobos... et pourrais-tu me rétorquer, avec le sourire je te prie, comment Hypnos s'est retrouvé dans l'au-delà?
-Oh... noble Deimos il me paraît bien me souvenir que Hyoga et Shiryu l'ont vaincu d'un coup violent et sec de cosmos.
Ils s'abîmèrent mutuellement dans de gracieuses révérences avant de se mettre à rire d'une même voix forte et claire, teintée d'une inquiétante malice.
Ils étaient étranges et je me tournais vers le chevalier de la Balance qui en faisait de même, nos yeux se croisèrent pour échanger notre même incompréhension vis à vis de ces deux dieux excentriques et haut en couleurs. Ils se moquaient de nous, cela ne faisait aucun doute, mais leur boutade, aussi cynique fut-elle, ne nous touchait guère... nous étions bien trop sur nos gardes pour nous permettre d'accorder la moindre attention à leurs paroles, tandis qu'au contraire, leurs gestes revêtaient d'une importance majeure.
Était-ce cela que la déroute, me demandai-je non sans un brin d'ironie... ces deux dieux à l'humour à fleur de peau pouvaient-ils être des adversaires aussi terrifiants qu'on les prétendait? Il n'y paraissait pas, mais je devinais que tout ce qu'ils exécutaient n'était qu'une mise en scène pour nous tromper, nous amener à ne plus rester sur nos gardes. Il fallait toujours se méfier de l'eau qui dormait, surtout lorsqu'il s'agissait d'une eau divine.
-Je prends Saga, déclara tout à coup Phobos en mettant une main sur son cœur tout en écartant tout grand son autre bras en riant alors que son frère imitait naturellement son geste en reculant d'un pas.
-Alors j'aurais le droit à Dohko.
Ils se remirent à rire, d'eux, de leur exubérance et sans doute beaucoup de nous. Je ployais légèrement les genoux car je sentais dans l'air les affres d'un combat qui va commencer. A côté de moi, le vieux maître n'esquissait pas le moindre geste, fronçant à peine les sourcils, il semblait être plongé dans une méditation instructive, et de rigueur. Je supposais, à juste titre, qu'en lui, ses forces se rassemblaient pour le moment venu.
-Tu t'occupes donc de venger Hypnos, déclara en riant Phobos, emporté par ses gestes théâtraux. Très bien, je peux donc te faire confiance, l'ami...
Celui-ci hocha la tête avec lenteur, retrouvant peu à peu cet air sombre qu'il ne quittait jamais et qui lui convenait finalement bien étant donné son physique ténébreux.
-Thanatos était mon frère favori, continua pensivement le dieu de la Peur. Et je ne sais pas si je suis à même de pardonner sa mort. Il me manque tant.
Et sur ces mots, il disparut. Suivi de près par Deimos.
Dohko et moi échangeâmes un regard de surprise, d'inquiétude, mais aussi et surtout de volonté. Tout commençait maintenant, c'était le début d'un affrontement entre dieux et hommes comme il y en avait souvent eu dans l'histoire de la chevalerie, et auquel nous allions participer pour la gloire d'Athéna, qui devait avancer jusque chez Arès, en admettant, évidemment, qu'elle n'y fut pas déjà. Mais quelque chose me disait en tous les cas que le combat entre eux n'avait pas commencé car aucun de leur cosmos ne montait en intensité.
-Grand Pope, dis-je soudainement, je vous souhaite bonne chance, et surtout bonne lutte.
-Toi aussi, mon ami Saga, et nous nous retrouverons quelque sera le lieu, qu'il s'agisse de ce verger ou des enfers.
-Par tous les Saints, cela ne fera jamais qu'un fois de plus dans ce lieu maudit, répliquai-je en serrant les dents avec ironie. Souhaitons que cela absolve enfin les crimes que j'ai commis.
-Ils t'ont déjà été pardonnés, chevalier des Gémeaux.
Dohko leva à cet instant sa main droite vers moi et de son pouce traça sur mon front la lettre alpha.
-Qu'était-ce? demandai-je avec sérieux.
-C'est ce que nous faisions, Sion et moi, avant un combat, pour nous porter chance. Nous dessinions à la poudre d'encens sur le front de l'autre la première lettre de l'alphabet grecque, car elle est la première lettre du nom d'Athéna. Cela nous a toujours amené à la victoire et j'espère qu'il en sera ainsi cette fois encore. C'est la plus grande marque d'amitié que j'eus jamais donné à quelqu'un, et si je la réservais autrefois à Sion, c'est maintenant à toi, Saga, que cette coutume est destinée.
Je fermais les yeux et goûtais pleinement aux paroles du chevalier de la Balance, de cet homme si sage qui venait de me toucher au cœur avec une humanité désarmante.
Je me sentais enfin moi-même, celui qui avait subi son entraînement, et non celui qui avait enfermé son frère au Cap Sounion avant de devenir fou. Et cela grâce au Grand Pope... jamais personne n'avait plus mérité cette place de dirigeant de la chevalerie que ce Saint, gardien de la septième maison du Zodiaque.
Je levais à mon tour ma main vers le front du Vieux-maître, et je dessinais comme il l'avait fait avant moi cette lettre bénite. Nous échangeâmes un regard de fraternité, de complicité avant de nous sourire.
-Courage, mon ami, dit enfin Dohko, avant de se décaler vers la gauche, tandis que je m'éloignais vers la droite.
Si nos adversaires avaient disparu, il fallait bien les chercher. Tout en évitant les pièges qu'ils pourraient nous tendre.

Shaina

Tant de cosmos disparus, comme autant de flammes de bougie qui se seraient éteintes. Je ne supportais plus de rester inactive, les bras ballant, alors que sur l'île d'Azura, les chevaliers menaient avec acharnement une lutte sanguinaire ou personne n'était pour l'instant vainqueur.
June serrait ses mains l'une contre l'autre avec inquiétude, alors que je devinais qu'elle dissimulait ses larmes de peur, même si elle ne portait plus son masque. J'aurais voulu la rassurer, mais je ne m'en sentais moi-même pas le courage, alors que depuis la mer, nous voyions des lumières rougeâtres et dorées se rencontrer sans cesse, s'affronter, exploser, puis disparaître. Ce spectacle terrifiant durait depuis le petit matin, toujours porteur de mauvaises augures car nous sentions les existences se dissiper au gré des vents au fur et à mesure que le soleil continuait sa course.
Marine posa une main rassurante sur l'épaule de June, comme j'aurais aimé pouvoir le faire si mes nerfs n'avaient pas été tendus comme les cordes d'un arc.
-Ils reviendront, je le sais, déclara-t-elle d'une voix apaisante sur laquelle j'aurais souhaité me concentrer.
Le chevalier du Caméléon hocha doucement la tête, comme pour que les paroles de Marine atteignent plus vivement son esprit engourdi par la panique, la douleur. Elle avait manqué de défaillir quand tout à l'heure, le cosmos de Shun s'était dissipé dans l'atmosphère en même qu'une aura de Berserker que nous ne connaissions pas.
Je me mordis la lèvre inférieure alors que j'avais retiré mon masque pour mieux observer les reflets de la mer, qui nous rapportait les explosions des cosmos. On aurait dit un feu d'artifice qui aurait miroité dans les flots de Poséidon.
Nous étions ici depuis que nous avions appris le départ de tous les Saints. Ils ne nous avaient pas même dit au revoir, partant avec leur discrétion coutumière et nous laissant le soin de découvrir leur insoutenable absence. En comprenant ce qui s'était passé, nous nous étions toutes trois précipitées vers la plus haute falaise que nous connaissions et qui se trouvaient face à la mer, pour observer, avec nos yeux de chevaliers d'argent, l'île d'Azura. Car pour un simple humain, cet îlot maléfique n'était pas visible... contrairement aux colonnes de lumière qui s'en élevaient parfois en touchant le ciel.
Je ne pouvais décrire mon état de fébrilité, pas plus que la fragilité de June... seule Marine paraissait toujours maîtresse d'elle-même, mesurée et sereine. Mais je devinais qu'en elle, brûlait la même peur de ne pas les voir revenir. Et plus particulièrement Seiya... ah, que n'aurais-je fait pour le tenir dans mes bras, à cet instant, tandis que nous devions nous contenter d'être simples spectatrices d'un si odieux spectacle!
-Regardez:! criai-je soudainement... vers le fond de l'île... ces quatre lumières qui viennent d'apparaître et se rencontrent!

Saga

-Par les météores de Phobos! entendis-je subitement hurler devant moi.
A pleine puissance, le coup se dirigeait vers moi, implacable, imparable, et me frappait de plein fouet avec la violence divine à laquelle je n'étais pas vraiment préparé.
Il me sembla que j'explosais en même temps que la nature environnante, que j'étais soulevé de terre en même temps que les morceaux du sol qui tourbillonnaient autour de mon corps, et le sang qui affluaient sur ma peau, la couvrant de son étrange chaleur se mêlait à mon cri de douleur, contenu par noblesse, car les chevaliers d'Or sont trop fières pour crier leur souffrance.
Ma peau paraissait trembler sous l'impact du coup, comme une fragile toile d'araignée dans le vent, et je retombais à terre, sur les rotules, dans un véritable bruit de fracas.
Était-ce cela que la force d'un dieu? Un coup dont on ne pouvait pas même se relever, car pour l'instant, il me semblait que bouger un seul doigts était un luxe que je ne pouvais pas m'offrir.
J'essayais de calmer mon cœur affolé, mes poumons calcinés... cela n'avait décidément rien à voir avec les météores de Pégase que Seiya avait envoyé sur moi alors que j'étais dans la salle du Grand Pope, en train de trahir Athéna et le serment que je lui avais juré en gagnant mon armure.
-C'était pour la mort de Thanatos, figures-toi... imagines qu'il est mort de cela, et savoures le fait que j'ai utilisé un centième de ma puissance pour ne pas te tuer immédiatement. Je voudrais avant m'exprimer sur un sujet qui me tient à cœur : le fait qu'un humain est atteint à l'existence d'un dieu...
Phobos, qui s'approchait de moi d'un pas presque dansant se mit à rire avec une ironie teintée d'une joie sauvage, que je ne savais pas à quoi assimiler... son humeur était-elle due à ma souffrance? A ce qui allait suivre? A son propre caractère? La divinité restait obscure.
-Te rends-tu compte qu'une larve humaine à porter la main sur un dieu... te rends-tu compte de l'affront? Vous le jugiez du mauvais côté, évidemment, mais qui êtes-vous, ami ver de terre, pour porter un jugement sur un dieu? Sur ces dieux qui vous ont crée, qui vous ont tout appris? Est-ce cela votre gratitude? Nous tuer alors que nous vous avons offert le don de la vie? Nous avons le droit de vie et de mort sur vous, ne l'oubliez jamais, et quand il nous vient à l'idée d'utiliser ce droit, vous venez nous combattre...
Phobos rit de nouveau. On avait l'impression que le sujet ne le touchait que de loin, alors qu'il parlait d'un air indifférent et malicieux. Il ressemblait à un enfant, à ce moment, et non pas à un être millénaire comme il l'était pourtant... ses yeux souriaient, comme l'ensemble de son visage d'ailleurs, et je finissais par trouver cela terrifiant. Comment pouvait-on s'amuser des guerres saintes? Comment pouvait-on rire durant un combat comme celui que nous vivions? Cette farce devenait macabre.
-Remarques, dit-il, en arrachant un brin d'herbe du sol avant de le mettre dans sa bouche pour en mâchonner le bout, c'est bien fait pour nous. Nous n'avions qu'à vous éliminer avant, ou alors, nous n'avions qu'à ne pas nous faire battre... Ah! Cette herbe finit par avoir un goût sucré.
Il cracha le brout saisi auparavant, regarda ses doigts teintés de vert quelques secondes avec humour et leva les yeux au ciel comme pour y chercher des réponses. Pour ma part, je me relevais doucement, sur l'équilibre précaire que m'offrait mes jambes, mais l'image d'Athéna incrustée dans mon esprit me forçait à me redresser, à ne pas manger cette terre sous laquelle on voulait me mettre, car plus encore qu'un combat à livrer, je me sentais sans cesse le besoin de faire mes preuves, malgré la confiance de ma déesse, de Dohko ou de mes frères, j'avais encore quelqu'un à convaincre de ma bonne foi : moi-même.
-Mais sais-tu quelle est la pire erreur des Dieux? Moi, je crois le deviner... je pense que c'est d'attendre trop longtemps pour achever son ennemi, ou alors, le faire de façon surfaite. C'est à dire, attends, attends deux secondes avant de te relever que je finisse au moins ma complainte...
Il posa une main sur ma tête pour me faire retomber à terre mais je me reculais vivement. Je refusais qu'il me touche même d'un cheveux.
-C'est toi qui vois... en tous les cas, ce que je voulais dire, c'est que les dieux vous envoient une attaque, ou une décharge de cosmos et vous laisse ensuite pour mort à terre... Ah! Que nenni! Vous avez la vie dure et vissée au corps, j'en suis convaincu, alors moi, après que mon adversaire soit à terre, j'ai décidé de lui arracher le cœur et de l'emmener avec moi, car si il se relève sans cette organe, je veux bien rendre ma kamui et me faire pastoureau!
Il éclata de rire avec une franche bonne humeur, et je finissais par trouver cet humour funeste. Cet homme était malsain, non pas de part son physique, mais à cause de sa manière de se comporter, de son rire, de ses gestes, de ses paroles, tout en lui suintait le danger, la laideur d'âme et me rebutait. Il portait en lui le germe du mal, cela me sautait aux yeux alors qu'il se redressait... quant à ces prévisions, elles ne me faisaient pas grand effet, car on m'en avait déjà tellement dit...
-Galaxian Explosion! hurlais-je tout à coup alors que le dieu de la peur commençait à s'approcher de moi, pour me toucher de nouveau.
Le coup parti ainsi, sans prévenir, comme le sien auparavant. J'étais ébranlé, et je me savais incapable de délivrer toute la puissance dont j'étais capable, mais ce que je ne devinais pas, c'était l'impact de cette attaque sur mon opposant.

Dohko

Les voix d'Aiolia et de Milo arrivant me raisonnèrent aux oreilles avec vigueur, alors que le vent amenait la rumeur de leurs pas se dirigeant droit sur moi. Mais je ne me retournais pas, tout ceci n'étant qu'illusion et mensonge... il m'en fallait plus si l'on voulait me faire tomber dans un tel piège. Je restais debout, de marbre, mon expression sérieuse et grave ne quittant pas mon visage tandis que je laissais le vide s'infiltrer dans mon esprit, le faire sien. Je clignais doucement des paupières tandis que je me maîtrisais parfaitement, malgré la plaie qui barrait mon front dans toute sa longueur, et dont le sang qui s'en échappait venait lentement s'égoutter sur mes lèvres.
Deimos m'avait attaqué, sans prévenir, sans parler, exactement de la manière dont je m'y étais attendu. C'était un dieu qui frappait vite, rapidement et avec force.
Il m'avait envoyé une décharge de cosmos qui m'avait fait reculer, mais non point tomber à cause d'un arbre contre lequel mon dos avait trouvé un appuie, et vacillé au point que j'avais cru tous mes os brisés. C'était ainsi qu'Hypnos était mort, j'avais cru le comprendre, et c'était ainsi qu'il désirait commencer à me blesser.
Ce dieu, au visage rembruni, ne me paraissait par ordinaire. J'avais étudié de nombreux traités l'évoquant, j'avais appris beaucoup en lisant les mémoires des anciens chevaliers, et il me semblait que Deimos était un cas à part parmi les divinités. Il n'était pas plus puissant que ses frères, mais plus renfermé, ce qui était extrêmement rare pour tous les êtres atteints par le Big Will, qui se manifestaient généralement dans des gestes théâtraux, ou avec une calme souverain. Le dieu de la déroute, lui, avait un beau visage, mais fermé comme celui d'un pantin de porcelaine, ses yeux de bronze étaient impénétrables, et son aura n'était qu'introversion. Son silence ne me gênait pas, personnellement, il m'aidait à concentrer ma puissance, à le sentir approcher, mais je le trouvais plus inquiétante qu'autre chose.
Un léger tressaillement de l'air me fit m'esquisser à toute à allure, alors que le vent avait à peine frôler le lobe de mon oreille, à juste titre car le dieu de la déroute apparaissait brutalement, comme dans un éclair, et fondait sur moi tel un aigle serrant sa proie.
Je bondissais sur le côté, me récupérant sur une main avant de retomber sur mes pieds avec rapidité, et cherchant de nouveau Deimos, à nouveau disparu. Quel était cet étrange jeu de cache-cache auquel il se livrait, non sans arrière-pensées? Déstabiliser son opposant devait être son principal objectif à en croire par sa tactique, mais aussi, et surtout, sa fonction.
-Vieux-Maître?
Je ne bougeais pas alors que la voix de Shunreï résonnait dans tout le verger, même si non loin de moi, Saga ne paraissait pas l'entendre alors qu'il se relevait de la terre dans laquelle il avait été plongé avec difficulté.
-A qui veux-tu faire croire qu'elle est ici? demandai-je avec calme.
-Non... Dohko, elle n'est pas ici... c'est moi qui me trouve avec elle.
Je me figeais soudainement. C'était impossible... il était sur Azura quelques secondes auparavant et maintenant, il se trouvait aux Cinq Pics.
-Vieux-Maître!
La voix était déchirante, comme un appel au secours et je pesais, dans ce cri la part de frayeur et de supplication qu'il contenait.
-Eh bien, Dohko... que préfères-tu? Que je la tue, ou que tu te tues de tes propres mains... c'est à toi de choisir.
Je fermais les yeux, me servant de mon sixième sens pour apercevoir la scène qui devait se dérouler devant les chutes de Rozan, lieu où celle que je considérais comme ma fille avait l'habitude de prier durant les guerres Saintes. Je voyais l'ombre, immense et sombre de Deimos derrière Shunreï que l'épouvante empêchait de bouger, de pleurer ou de me parler davantage. Je ne perdais pas mon calme, je n'en avais pas l'habitude.
-Tu la tueras de toute manière, répondis-je bien distinctement mais sans énervement alors que du sang remontait soudainement dans ma bouche, comme un dernier souvenir du premier coup qu'il m'avait porté et dont les séquelles n'étaient pas prêtes de se tarir.
-Dois-je comprendre que tu me donnes ton autorisation?
Son ton n'était pas ironique, ni gaie, ni lointain, mais simplement sans chaleur, sans rien d'humain. Je finissais d'ailleurs par m'interroger sur ce caractère qui n'avait rien de la race que je tentais de défendre et à laquelle pourtant tous les dieux ressemblaient plus ou moins.
Je ne réfléchissais plus, et je ne fléchissais d'ailleurs pas non plus. On me proposait de me tuer ou de laisser tuer Shunreï, mais je n'avais de toute façon pas le choix, elle allait mourir d'une manière ou d'une autre car je n'étais pas assez inconscient, assez inexpérimenté pour ne pas deviner qu'il lui ôterait l'existence une fois mon corps inerte coulé à terre. J'étais objectif et impartial, car je devais aussi rester en vie, pour défendre les millions de personnes qui comptaient sur ma victoire sans le savoir. Je n'étais pourtant pas dénuer de sentiment et intérieurement, je sentais toute la tendresse que j'éprouvais pour cette enfant trembler et frémir de rage... mais que pouvais-je faire d'autre?
-Eh bien Deimos... à quoi bon te servir d'elle comme otage? Qu'est-ce que cela peut-il t'apporter?
-Ta déroute, ou le début de celle-ci.
Je ne manifestais pas la moindre réaction et au moment où j'entendis un cri sourd, étouffé par le glas de la mort, une seule goutte de sueur perla sur mon front, comme une larme que je n'avais pas le droit de verser de par ma qualité de chevalier d'Or. J'étais lucide et je comprenais que Shunreï était morte, autant par ma faute que par celle de Deimos, parce qu'il l'avait attaqué, parce que j'avais été incapable, impuissant à la défendre. Était-ce donc cela le prix de ma connaissance? Le fait de me côtoyer avait coûter blessures, sang et peurs à Shiryu et la vie à sa douce fiancée.
Je clignais brièvement les yeux sachant que la défense d'Athéna n'avait pas de valeur, et qu'il me fallait immédiatement songer de nouveau à l'affrontement que je devais livrer. J'avais l'habitude de faire abstraction de moi, cela ne m'effrayait pas, m'était pratiquement coutume car elle m'évitait de laisser mes sentiments altérer mon combat.
Il n'en avait pas été comme cela, des années auparavant, alors que je voyais, aux côtés de Sion, tous nos compagnons mourir dans la guerre contre Hadès.
Un froid et imperceptible courant agita à peine mes cheveux et cette fois-ci, plutôt que de m'esquisser, je me retournais dans un élan vengeur et fougueux comme je n'en avais pas eu depuis des années :
-Par les Cent Dragons Suprêmes de Rozan!

Saga

-Alors, Saga, toujours aussi en forme?
Phobos éclata de son rire franc et sincère que j'avais appris à haïr. Tout mon corps était enfoncé dans la terre et je goûtais à cette dernière bien plus que je ne l'aurais voulu. Je sentais mon corps broyé, mes os brisés, mes muscles déchirés et seule ma foi restait intact des souffrances que l'on me faisait subir.
J'avais attaqué Phobos mais rien n'y avait fait, il était intouchable, inapprochable. Je découvrais là une divinité dans toute sa superbe, dans toute sa puissance, et je savais ma force si éloignée qu'il m'était impossible de trouver la moindre parade... je cherchais au fond de moi des ressources que je n'avais plus, des réserves dans lesquelles il n'y avait rien à puiser.
Le talon de sa Kamui s'abattit sur mon visage, le giflant avec force dans un bruit de métal et je me cognais la tête contre le sol, l'enfonçant un peu plus dans cette terre que je maudissais.
Je sentais sur mon front la marque d'Athéna, celle que Dohko avait esquissé avant que nous nous lancions dans cette terrifiante entreprise, et je relevais le buste dans l'endroit où il était enfoncé. Du sang inondait tout mon corps, mais je ne pliais pas. J'étais le plus résistant des chevaliers, et parvenais toujours à me relever, inépuisable... car le seuil de la douleur une fois franchi, de l'épuisement une fois dépassé, plus rien n'était capable de m'atteindre.
-Tu te relèves encore... mais c'est impossible... articula avec une emphase moqueuse Phobos. Moi, je l'aime bien cette réplique...
Il rit de nouveau avec bonne humeur.
-Enfin, je connais bien les chevaliers d'Athéna, et je sais que vous mettez toujours des journées, que dis-je, des semaines entières à mourir et que je suis là au moins jusqu'à demain minuit. Remarques, noble Sire, après avoir sommeillé dans une urne pendant des siècles, une petite attente ne peut guère user la santé.
Son ironie amusée finissait sincèrement par m'exaspérer, et je ne supportais que très difficilement l'arrogance, plus particulièrement chez mes ennemis.
-Mais, oui, Phobos, je me relève car ce n'est pas tes rires sarcastiques qui me pousseront à rester genoux en terre. Je fais ce dont tu ne serais pas capable, toi qui ne serais pas à même de résister à une seule attaque d'un dieu qui te serait supérieur, tel Poséidon ou encore Athéna. Tu te ris, tu t'ébaudis en me voyant brasser du vent car tu m'échappes facilement, mais tu manques tant d'honneur que tu ne te rends pas compte de l'aspect déloyal de ce combat. Tu es dieu, je suis homme, et je préfère ma condition à la tienne, car il n'est pas plus grand devoir que de servir une déesse de justice, une icône de paix.
Le dieu de la Peur arqua l'un de ses sourcils avec singularité, et me toisa des pieds à la tête avant de s'esclaffer :
-Déloyal? Et pourquoi? Croyais-tu que j'utilisais ma puissance divine? Si tel est le cas, tu es dans l'erreur, j'essayais d'abaisser le plus possible mon niveau au tien, mais je vois que j'y suis imparfaitement arrivé... et puis, tu commences à me fatiguer, et j'ai envie d'aller cueillir l'une des belles pommes de ce verger.
Ce fut à mon tour de rire à sa manière, car je ne perdais pas ma superbe malgré le sang qui barrait mon front, qui s'égouttait de mes lèvres, qui veinait tout me corps. Je n'avais pas à me montrer humble devant un être aussi lâche et la noblesse était, à mon sens, la première qualité d'un chevalier d'Or car elle impliquait d'être bon devant les faibles, justes devant les crimes, orgueilleux devant les vaniteux, simples devant les honneurs... tout ceci, tout ces mots faisaient partis du serment de chevalerie que nous faisions le jour où l'on nous remettait notre armure.
Je m'en souvenais... mais tant de jours avaient coulé depuis ce moment... j'avais même eu l'impression de vivre deux autres vies depuis mon enfance envolé. J'avais été Grand Pope, avant d'être le chevalier des Gémeaux, et c'était ma deuxième existence que je jouais actuellement face au redoutable Phobos.
-J'ai décidé que l'on ne traînerait plus...
Il plaqua ses mains devant lui alors que des déplacements d'air se faisaient tout autour, que la terre vacillait légèrement sous mes pas, et je m'inclinais légèrement en arrière, près à riposter de toutes mes forces. Un dieu... celui-ci plus particulièrement, était invincible pour un homme, mais je devais pourtant trouver son point faible... peut-être son frère? Qui pouvait le dire? En attendant, il fallait trouver une parade rapide, et si possible excellente!
-Intimate Terror!
-Galaxian Explosion!
Le paysage vola autour de nous, comme si il se décrochait du sol, des arbres s'arrachèrent, leurs racines se dénouant sous la force de mon coup. La poussière m'aveuglait, alors qu'étrangement, je ne ressentais aucune douleur. Pourtant, je savais qu'il m'avait porté une attaque, et que je n'étais pas encore mort... avais-je été capable de me défendre correctement face à son coup? Cela m'étonnait bien...
Le bruit cessa soudainement, et je rouvris les yeux, cherchant instinctivement du regard mon opposant, que j'espérais avoir enfin blessé.
Un vent vint faire danser le sable qui se trouvait sous mes pieds et j'entendais au loin des cris d'enfants qui appelaient, qui riaient et s'exclamaient.
Je restais immobile, cherchant la solution à cet étrange déplacement dont je n'étais pas le coupable. Dans quel tréfonds de l'esprit de Phobos me trouvais-je? Quand allait-il apparaître?
-Ca va, Saga?
Je sursautais et me retournais avec vivacité, alors que je constatais que mon armure n'était plus là, que je portais une simple tenue comme avant mon départ pour Azura.
Aioros se tenait près de moi, m'observant avec cette flamme amicale qui brûlait depuis toujours au fond de ses yeux.
-Tu n'as pas l'air bien... tu es même blanc comme neige, n'est-ce pas Shura?
Le chevalier du Capricorne hocha fièrement la tête, sans pour autant prononcer le moindre mot. Il émanait de lui cette puissance orgueilleuse que j'avais toujours aimé, cette aura si différente de la chaleureuse force du Sagittaire.
-Mais que faites-vous là mes amis? m'exclamais-je alors que mes yeux devaient luire de bonheur tandis que je revoyais ceux que j'avais cru ne jamais devoir retrouver en mettant un pied sur la terre d'Arès.
-Nous faisions un tour pour voir comment vont les disciples, si ils se sortent bien des exercices que Fomalhaut leur a donné puisque leurs maîtres officiels sont actuellement en mission.
Aioros me souriait avec bonne humeur, Shura restait silencieux.
-Fomalhaut? Ah... oui... je me souviens.
Je fermais les yeux. Non. Phobos n'avait pas fait ça... il n'avait tout de même pas oser me transporter dans mon passé pour me faire revivre ces scènes de terreur qui me hantaient encore maintenant.
J'entendis des cris, ceux de jeunes garçons qui se chamaillaient pour quelque chose et vis deux enfants s'approcher en courant du chevalier du Sagittaire et de son ami. C'est en les identifiant que je réalisais l'ampleur du drame que le dieu de la peur avait engendré. Il s'agissait de Milo et Aiolia, alors qu'ils n'étaient encore que des gamins.

Dohko

Deimos m'avait foudroyé de deux attaques successives, avant de m'envoyer la déroute suprême, comme il l'avait lui-même qualifié. Il m'avait dit, avant de déployer cette force inconnue, qu'il s'agissait d'une technique mise au point avec son jumeau, et je ne manquais pas de le croire alors que je voyais Sion s'approcher de moi, le visage en sang.
Tout autour de moi, de nous s'écroulait dans un épouvantable bruit de fracas. Je savais où je me trouvais mais ne voulais pas l'admettre car je vivais actuellement le moment le plus lourd de toute ma vie, celui là-même que mes 250 années n'avait jamais réussi à effacer de ma mémoire.
-Nous sommes les deux seuls survivants! hurla le chevalier du Bélier pour que sa voix me parvienne dans les méandres de fracas qui nous entourait.
Il était à côté de moi et cherchait quelqu'un du regard, quelqu'un que je savais être Athéna, et dont je connaissais déjà, et pour mon plus grand malheur, le sort. Un son d'apocalypse me monta aux oreilles, avivant ce souvenir, rouvrant cette plaie de ma mémoire que j'avais à peine réussi à fermer malgré ma sagesse et ma sérénité si longuement acquises.
-Elle est là-bas! cria-t-il en saisissant mon bras et alors qu'il désignait de l'index une forme vêtue de sa Kamui, ensanglantée et inerte.
Un fracas digne du ciel rencontrant la terre résonna, couvrit les paroles que j'aurais voulu prononcer, les mots d'horreur qui venaient à ma bouche et je me précipitais avec mon frère de toujours vers cette jeune fille dont j'étais tombé amoureux, et qui était la déesse de la guerre.
Je tombais à genoux, sur la terre d'ébène que devenait Élision, devant ce corps mince et presque mort, et la prit contre moi. Son cœur ne battait plus qu'à peine, et pourtant, ce bruit si faible parvenait à se faire entendre dans les méandres de la destruction, l'écroulement d'une puissance que les Saints étaient parvenus à ébranler au point de vaincre.
Sion se tenait debout, derrière nous, alors que je serrais celle à qui j'avais tout donné, mon esprit, mon cœur, et ma vie entière.
-Écoutez, écoutez, chevaliers, il me reste encore certains mots à prononcer avant de m'en aller... pour des centaines d'années.
Malgré la douleur, malgré le sang et la terreur, sa voix était calme, majestueuse, et personne, à cet instant et depuis la création du monde, semblait à mes yeux plus représentatif de la véritable nature divine.
Je pleurais, sans m'en rendre compte, mais des larmes coulaient sur mon visage, le noyant dans mon chagrin. Derrière moi, Sion faisait de même car si notre déesse s'en allait, s'était aussi la jeune fille qui nous quittait, celle dont nous avions fait notre amie la plus chère, celle qui riait avec nous des folies de Sion, qui me parlait latin et grec ancien pour me faire plaisir, celle dont finalement, nous étions, l'un et l'autre et sans même s'en apercevoir, tombés éperdument amoureux.
Il y avait eu de la rivalité entre nous, mais notre indestructible amitié nous avait toujours fait outre-passé les élans de nos cœurs à tous deux. Mais maintenant, que restait-il de ce dernier été que nous avions traversé le sourire aux lèvres, songeant que nous avions la vie devant nous, hormis la destruction de tous nos compagnons, la douleur de la perte, et les blessures de nos âmes? Elle... pour quelques secondes.
Elle nous parlait mais je n'écoutais qu'à peine, alors que mes pleurs déchiraient ma poitrine tandis que Sion cachait ses yeux pour tenter de dissimuler ses larmes qui le maculaient. Oui... il serait Grand Pope comme elle le lui demandait... Oui... je surveillerai la tour des étoiles maléfiques... Oui... nos vies dureraient aussi longtemps qu'elle le désirerait car elle souhaitait nous revoir, nous retrouver quand elle reviendrait sur terre. Nous lui accordions l'un et l'autre tout ce qu'elle désirait, tout ce qu'elle voulait car elle allait mourir, et peut-être aussi car nous n'avions jamais su lui dire non.
Et puis... ses yeux se fermèrent, lentement, mais pour l'éternité. Elle nous sourit une dernière fois, avec cette douceur amusée qui la caractérisait aussi bien que la fougue dont elle avait toujours fait preuve. Elle voulut dire quelque chose, une dernière phrase qu'elle souhaitait nous dédier à tous deux, mais les mots moururent sur ses lèvres, en même temps que son souffle se suspendit, et sa tête tomba gracieusement sur le côté.
Autour de nous, la fin des temps semblait être venu alors que l'écroulement était dévastateur, emportait tout sur son passage et si nous ne nous levions pas dans les secondes qui suivaient, nous allions nous aussi être engloutis dans cette marée de terre et de ciel qui déferlait sur les enfers.
Mais nous ne bougions pas car nous l'avions perdu, et une partie de nous, la meilleure, s'en était allée avec elle.
Sion poussa un hurlement de douleur qui se perdit dans les méandres du chaos qui nous poursuivait et je caressais une dernière fois et du bout des doigts, ce visage aux traits parfaits que j'avais tant aimé.
Il fallait maintenant nous enfuir.

Saga

J'avançais dans un couloir noir, obscur, je touchais le masque que je portais sur le visage, pour que l'on ne me reconnaisse pas. De toute manière, j'avais pris garde que cette partie du palais du Pope ne soit surveillée par personne et que moi seul puisse y accéder. Je constatais que mes ordres avaient été bien exécutés tandis que je remontais le corridor au sol inégale et seulement éclairé par des torches que je faisais allumer en fin de soirée, ne permettant qu'à un seul garde de pénétrer dans cet endroit. On devait se demander ce qui se trouvait dans ce lieu plus surveillé qu'une geôle, mais je n'en avais que faire. Qui parlerait mourrait, tel était la loi de mon règne.
Le bruit de mes pas sur les dalles résonnait à peine, ma démarche étant trop feutrée pour se faire entendre, et seul mon souffle contre le métal du masque d'un bleu acier me dérangeait, obstruait ce silence auquel j'aspirais pour me concentrer.
J'allais tuer cette enfant, cette petite fille à peine revenue sur terre car je la savais capable d'entacher ce règne que j'avais si soigneusement, si lentement élaboré, le tissant avec le soin d'une brodeuse... Par Zeus... j'allais accomplir ma destinée ce soir là, alors que la nuit enveloppait le Sanctuaire et que personne ne se doutait de ce qui se passait.
Le danger de la situation m'avait effleuré, à plusieurs instants, mais n'avait pas été un lien assez fort pour museler mon projet que je considérais comme l'avènement de ma suprématie. Tous les chevaliers dormaient, dans le Domaine Sacré, songeant tous agir et vivre dans l'intérêt d'Athéna, de ce bébé fraîchement réincarné dont j'allais tranché la vie d'un coup net et précis de cette dague que je tenais entre mes doigts.
Non! Non! Ne fais pas ça... fou que tu es de t'en prendre à la fille d'un dieu... du dieu des Dieux... tu n'es rien, rien de plus qu'un aliéné qui ne cherche qu'à détruire le bien pour faire régner un mal qui ne pourra durer toujours.
Maudite voix! Tais-toi... tais-toi donc! Tu ne sais pas ce que tu dis, tu ne comprends ce que je veux faire et tu n'as de toute manière que peu ton mot à dire. Je suis ton maître et tu plieras, comme toujours, je serai plus puissant que toi, misérable, ta volonté n'est pas plus solide qu'un fétu de paille comparé à la mienne.
Peut-être... peut-être que tu as raison, mais il existera toujours quelqu'un pour te soustraire au poste que tu usurpes honteusement, outrageusement...
Alors il n'est pas encore né...
Qu'en sais-tu ?Tu penses dirige la situation actuellement, mais connais-tu chaque être de ce monde? Ne penses-tu pas qu'une âme pure a éclos dans le but de venir à bout de toi? La tyrannie ne peut pas rester longtemps au pouvoir, les hommes l'ont assez prouvé pour au moins te faire douter.
Eh bien... nous verrons le moment venu, mais pour l'instant, laisses-moi accomplir l'acte de cet homme de fer et de sang que tu es devenu.
Non! Non! Ne fais pas ça, arrêtes-toi, ne franchis pas la frontière de l'irréparable! Tu seras maudit, nous serrons maudits si tu fais cela, et le Sanctuaire avec nous! Noooooon!
La voix venait de se taire et je respirais de nouveau mieux. L'imbécile, il cherchait à faire vaciller une volonté réputée plus inflexible que le métal des Kamui... je poussais la porte sans hésiter, elle grinça...

Dohko

Je devais me ressaisir! J'étais le chevalier de la Balance... je combattais Deimos qui se trouvait sur Azura tandis qu'il se jouait de moi, me faisant revivre mon plus grand moment de déroute... cet instant où j'avais perdu celle que je chérissais, où ma vie et celle de Sion étaient plus menacées que jamais!
Nos cosmos nous entouraient maintenant, alors que nous nous apprêtions à fuir les enfers par nos propres moyens. Cette énergie qui nous entourait était suffisante pour nous faire rejoindre le Sanctuaire, dorénavant entièrement désert, mais aussi peut-être, pour me faire sortir de l'illusion macabre qui se propageait autour de moi, à la folle vitesse de la terrifiante rumeur de destruction qui résonnait dans ce paysage de fin des temps.
-Écoutes-moi, Sion, écoutes-moi! criai-je, faisant fi de ma voix calme et sereine dont je bénéficiais d'ordinaire.
-Nous n'avons pas le temps, mon frère, il faut se dépêcher!
-Je ne suis pas celui que tu crois!
-Tu deviens fou!
-Non! Non... même la douleur ne peut pas me faire perdre la raison, et tu le sais. Je suis en train de me battre sur Azura, contre Deimos, le dieu de la Déroute, et il faut que tu m'aides à le rejoindre.
Sion fronça les sourcils avec énervement mais aussi et surtout suspicion. Il avait peur de mourir, tout comme moi, et paraissait douter de mes paroles.
-Tais-toi, le chagrin t'atteint, mais reprends-toi... nous allons périr ici si tu ne te secoues pas!
Il me prit par l'épaule avec sa force habituelle, cette puissance que je n'avais pas oublié malgré les années passées et c'est ce qui me fit frémir. Cependant, je n'avais pas le droit de me laisser aller à ma mémoire comme je l'avais fait précédemment. Il était de mon devoir de lutter, de vaincre, et pour cela, il devait saisir la gravité de la situation.
-Sion! Prêtes moi ton cosmos pour me faire revenir sur Azura, c'est une question de vie ou de mort!
-Mais Athéna est morte, Dohko! Morte! hurla-t-il avec rage.
L'écroulement des enfers se rapprochait à toute allure, de plus en plus menaçant, de plus en plus terrifiant.
Je giflais Sion qui resta quelques secondes sans rétorquer. La rumeur de destruction couvrit notre silence totalement, et j'avais presque du mal à entendre les battements de mon cœur.
-Tu n'es pas face à Arès, et nous allons mourir! hurla à nouveau mon ami. Je t'emmènerai de gré ou de force, Dohko, tu le sais! Nous ne sommes plus que deux et je ne te perdrai pas.
-Il en va de Saori, la prochaine réincarnation d'Athéna, et de tous les futurs chevaliers qui la serviront et que tu ne connaîtras pas. Tu seras Grand Pope pendant près de 250 ans, tu formeras le prochain chevalier du Bélier, Mu, tu mourra assassiné par Saga, le chevalier des Gémeaux qui usurpera ta place pour gouverner le monde mais dont les ambitions seront freinées par de jeunes chevaliers de Bronze. Tu reviendras d'entre les morts pour aider la prochaine Athéna et lui permettra de recréer sa Kamui dont toi seul connais le secret de fabrication, et pour cela, tu te feras passer pour un traître. Nous nous affronterons au pied des Douze Maisons! Tel est ton avenir, Sion, tel est-il.
Le chevalier du Bélier me regarda avec inquiétude.
Plus que quelques mètres et nous allions mourir... engloutis par Élision, le paradis des Dieux devenu Enfer des Hommes.
-Vite! hurlai-je. Vite!
-Je te crois, et quitte à mourir, je te suivrai. En tous les cas, nos destins sont liés... à la vie à la mort!
Il me tendit à sa main et je la serrais.
-A la vie, à la mort! répétais-je alors que nos deux cosmos nous entouraient.
Les pierres, les milliers de tonnes de pierres, de l'airain des temples, du marbre des colonnes, étaient maintenant sur nous, cherchaient à nous ensevelir dans un bruit de tourmente infernale, de puissance apocalyptique, mais dans un flot de lumière divine, nous disparûmes en même temps.
Du passé où l'on m'avait envoyé je retournais dans le présent... mais Sion? Qu'allait-il devenir?

Ils approchaient tous, en boitant, en s'appuyant sur le bras d'un ami retrouvé, en tentant de rassembler leurs forces, leurs esprits, mais ils venaient tous pour l'instant final où ils devraient tout donner.
Le paysage défilait toujours sous leurs yeux, la terre roulait sous leurs pas, mais ils ne prêtaient plus qu'attention à l'horizon. Ils savaient tous, à leur manière inconsistante dictée par leur sixième sens, qu'un affrontement terrifiant se livrait, qu'une bataille sans merci avait commencé il y avait de cela bientôt une heure... et ils supposaient que l'on aurait besoin des maigres forces qu'ils leur restaient.
C'était des Dieux qui se trouvaient dans ce verger où ils posaient, l'un après l'autre, à quelques minutes d'intervalles, le pied, et même si ils n'étaient que des hommes, cette barrière n'avait plus d'importance : ils avaient tant souffert, tant enduré qu'ils n'étaient plus à cela près, plus à une plaie, une souffrance près... surtout lorsqu'il était question de leur idéal.
Ils se voyaient arriver, se regardaient, s'empêchaient d'hurler leur joie de se retrouver après tant d'heures de séparation, après tant de combats et de cosmos dissipé, pour ne pas se faire remarquer, pour se camoufler jusqu'au dernier moment des dieux de la peur et de la déroute... mais leurs sourires ne trompaient, ces onze hommes, ces quatre jeunes garçons, étaient animé d'une joie sauvage et passionnée de retrouver leurs compagnons qu'ils avaient cru ne plus jamais retrouver.
On regardait celui qu'on avait cru voir disparaître à jamais... on se demandait comment il avait fait pour s'en sortir alors qu'il était tombé au début de la bataille d'Azura, on cherchait du regard son meilleur ami, celui avec qui on avait traversé les Douze Maisons du Zodiaque, on se demandait où était son frère aîné, où son frère cadet, on cherchait à savoir qui était cet inconnu aux cheveux verts qui accompagnait un chevalier... et tout cela dans le silence le plus complet, le plus absolu, car ils faisaient passé leur fougueux bonheur après leur lourde, leur épuisante, leur harassante mission.
On murmurait à peine, mais les yeux brillaient, on esquissait un signe, mais l'expression ne trompait pas... maintenant, ils étaient ensemble, et leur force, leur amitié avivée par toutes ces luttes était invincible. A jamais.

Saga

J'étais au-dessus du berceau, et j'observais une demi seconde cette enfant si frêle et innocente qui représentait pourtant la pire menace qui pouvait planer sur le Sanctuaire que j'étais en train de dominer d'une main de fer cachée dans le velours... si bien-sûr je prenais la peine de dissimuler.
Comment expliquerai-je la mort de ce petit être? Mais je ne dirai rien, je me garderai bien de desserrer les lèvres et je ferai croire à son existence, chaque jour je prendrais soin de disparaître dans le Temple d'Athéna où je ferai semblant de m'entretenir avec elle, et je ferai savoir aux chevaliers qu'elle ne désirait voir et parler qu'au Grand Pope, moi en l'occurrence. C'était possible d'une déesse... tout était possible lorsqu'il était question de ces êtres touchés par le Big Will et de toute manière, personne n'oserait remettre en cause une parole aussi sacrée que la mienne.
Ainsi, tel était mon plan, conçu si facilement, si simplement que je m'en effrayais presque. Mon inventivité ne connaissait pas la moindre limite lorsque je voyais le pouvoir, la suprématie qui m'attendait si je ressortais vainqueur des luttes que je devais mener en secret. Comme ce soir par exemple.
Il faudrait se méfier des chevaliers d'Or, ils étaient les plus dangereux, les plus à même de comprendre la vérité, mais ils n'étaient encore que des enfants, et le moment venu, je me doutais qu'ils ne se piqueraient guère de l'envie de m'accuser de traîtrise.
C'était le moment où jamais...
Arrêtes! Arrêtes!
Pas lui... pas maintenant... il allait me gêner.
Je levais le bras lentement, indéfiniment me sembla-t-il, ma dague pointue et acérée entre les doigts. J'avais maintenant l'arme tendue au-dessus du berceau...
Non! Plus jamais cela... plus jamais! Plus jamais! Plus jamais!
Le vide... le vide s'emparait de mon esprit... je devenais fou... j'étais... j'étais Saga, le chevalier des Gémeaux, celui qui servait Athéna durant la guerre d'Azura, je n'avais plus de dédoublement de personnalité, je n'étais plus un ennemi de la justice.
Pourtant, quelque chose, une force invisible continuait de pousser ma main vers cette enfant que j'aimais de tout mon être, mais je tentais de me débattre.
Non, cela ne se passerait plus jamais de cette façon. Phobos ne vaincrait pas.
Je brandis la dague, mais ce fut vers ma poitrine que je l'avançais avec une violence infinie.

Le temple d'Arès se dressait, plus impressionnant que tout ce qu'elle avait vu jusque là, plus majestueux et surtout, plus terrifiant qu'elle ne l'avait imaginé. Les immenses colonnes d'une blancheur immaculée s'élevaient vers le ciel comme pour en soutenir la voûte, les marches étaient si hautes qu'on les aurait dit fait pour un géant, et l'entrée, découpée dans la pierre avec une finesse et une délicatesse proche de celle d'Héphaïstos s'accordait parfaitement avec ce monument de démesure. Il ressemblait finalement assez à celui qui l'occupait.
Saori serra la statuette de son armure dans sa main. Maintenant, il était temps pour elle de la revêtir car la guerre, qui jusque là s'était déroulée sans son aide, allait devenir son combat, elle allait finir la bataille pour ces hommes qui lui avaient tout donné et qui se retrouvaient en ce moment dans le verger où elle avait laissé Saga.
Elle esquissa un triste sourire alors que, déjà, des larmes brillaient dans ses yeux sombres. Un souffle de vent vint faire danser ses cheveux pendant une fraction de seconde qui lui parut éternelle.
Elle ne reviendrait pas, elle le savait. Quelque part, en elle, cette certitude était née, doucement, insensiblement, elle s'était incrustée dans son esprit alors qu'elle traversait les domaines, et maintenant, elle devinait que jamais elle ne verrait ce couché de soleil dont ses chevaliers avaient tant rêvé? Mais eux-mêmes, le verraient-ils jamais?
Elle respira profondément, cherchant à reprendre pieds dans ses pensées. Deimos et Phobos les attendaient de pieds fermes, et leurs pouvoirs divins, bien au-dessus de ceux de ses guerriers, leur accordaient une suprématie indéniable sur l'affrontement. Mais elle savait aussi ce dont était capable tous ces hommes réunis.
Une brusque montée de nostalgie l'envahit, alors qu'elle faisait défiler mentalement tous les visages de ceux qui l'avaient servi, plus fidèlement que jamais. Du froid Mu en passant par le rusé Aphrodite, du courageux Seiya jusqu'à l'indomptable Ikki, elle les avait aimés comme on aime des amis, mais comme seule une déesse était à même de chérir. Elle les avait protégés de son cosmos, elle les avait guidés imperceptiblement dans leur retour des enfers, et maintenant, elle leur disait adieu.
Saori caressa pensivement sa kamui, encore à l'état de simple poupée de métal. Elle n'aurait pas vécu très longtemps, seulement quinze ans, mais elle ne regrettait rien. Elle avait eu la chance, inestimable, de rencontrer des êtres à la droiture, à la beauté d'âme, hors du commun. Elle avait côtoyé des hommes qui méritaient de porter ce nom, et en qui elle avait eu entière confiance. Et dire que tout cela avait commencé des années auparavant, quand Seiya était enfin rentré de son entraînement de Grèce.
Tant de mois avaient passé, tant d'années où ils avaient couru des dangers insurmontables, et dont ils étaient pourtant tous sortis victorieux, orgueilleux... il en serait peut-être encore de même face à Arès.
Maintenant, il était tant pour elle de s'engouffrer dans ce palais. Peut-être pour quelques heures, peut-être pour l'éternité.

Deimos et Phobos échangèrent un regard complice. Quand ils se détournèrent l'un de l'autre, leurs yeux sans pupilles se mirent à refléter les hommes qui se trouvaient devant eux, debout malgré leur état catastrophique.
Les chevaliers d'Athéna au complet... même Saga et Dohko étaient parvenus à revenir de l'attaque dans laquelle ils les avaient envoyés tour à tour. Ils avaient réussi à surmonter la part la plus terrifiante qui existait en eux, où la plus déroutante et ils étaient réapparus, hébétés, mais bel et bien en vie parmi leurs frères qui n'avaient eu qu'une demi-seconde pour découvrir que leurs deux amis étaient encore en vie. D'ailleurs, avaient-ils remarqué qu'une troisième personne était revenue sur terre? Une personne morte depuis des années qui était maintenant aussi vivante qu'eux...
Les deux dieux, pour leur part, n'avait pas manqué de remarquer cet être à la force légendaire et au courage mythique qui était revenu... enfin, paraissait-il. De leur point de vue, cette foule les aurait peut-être inquiété, quoi que, si ils avaient tous été au sommet de leur force, mais ils n'étaient plus que de vagues fantômes de ceux qu'ils avaient été en arrivant sur l'île d'Azura. Si les Berserkers étaient pour l'essentiel morts, au moins avaient-ils accompli leur tâche avec une certaine réussite, les dieux n'avaient maintenant plus besoin que de les effleurer d'un pouce pour qu'ils s'écroulent dans la terre du verger.
Pourtant, leurs yeux, brillants et sauvages, paraissaient encore vivre dans ces corps qu'ils ne contrôlaient que de moitié, et c'était bien cela qui poussait Deimos à la prudence, là où Phobos ne cessait de s'amuser. Mais derrière ses éclats de rire, le dieu de la déroute devinait chez son frère une envie de venger Thanatos qui dévorait tous ses autres sentiments. Ces deux-là s'étaient aimé bien plus que comme des frères, leur amitié ne cédant jamais durant les siècles de séparation, où l'un vivait en enfer, et l'autre sur Azura.
Deimos se prit à sourire, au travers du voile obscur de son humeur. Il avait été jaloux de leur entente, et surtout, du fait qu'il ne pouvait guère obtenir la même relation avec le détaché et flegmatique Hypnos, si lointain de tout qu'il en devenait inabordable. Il avait bien essayé de s'y attacher un peu plus, mais les liens du sang n'y avaient rien fait, et il s'était toujours senti à l'écart de ses trois frères. Mais le temps avait passé, et maintenant, plus rien de tout cela n'avait d'importance. Il n'avait en tête que la destruction des chevaliers, et le retour des Dieux sur terre, pour un nouvel âge d'Or... sans hommes.
-Et bien, Écho, nous aurais-tu trahi? demanda Deimos avec gravité.
La jeune fille lui jeta un regard de feu et parut esquisser un pas en avant quand le bras de Milo la retint. Elle tourna son beau visage vers lui avec colère mais en découvrant ses yeux impassibles et froids, elle se ravisa.
-Tu dois vivre pour Dédale, ne l'oublies pas.
-Et toi, Fomalhaut, l'ami Poisson, déclara Phobos de son ton railleur, ne veux-tu donc plus de te joindre à nous?
-Il n'en est en effet plus question.
-Tu ne serais pas mort si tu étais resté dans notre camp... continua-t-il.
-Mieux vaut mourir en juste qu'au service des dieux quand ils reviendront sur terre. Sur Azura, les Berserkers pensaient permettre à l'Olympe de revenir sur la terre, mais une fois votre projet réalisé, vous n'auriez fait que les utiliser comme des esclaves. Ils ont mieux fait de finir sous les coups des Saints.
Les jumeaux haussèrent les épaules d'un même mouvement, parfaitement coordonné, presque symétrique. Maintenant, ils en avaient assez, et d'une seule attaque, commune, ils allaient les supprimer... ces mouches volaient depuis trop longtemps sur les terres du dieu de la guerre.
-Intimate Fear!
-Final Derute!
Leurs cris disparurent dans l'onde de choc qui suivit. Immense et rouge, une sorte de disque gigantesque, dont les deux jumeaux étaient le centre, se mit à s'étendre dans le verger, annihilant tout sur son passage.
-Ikki! hurla Shun alors qu'il effleurait, dans ce qu'il croyait être son dernier geste, les doigts de son aîné.
-Aiolia!
-Milo!
-Seiya!
-Camus!
Tous les noms résonnaient, toutes les voix hurlaient en même temps le dernier nom qu'elles voulait prononcer, le dernier mot qu'elles désiraient dédier à la personne qu'elles avaient le plus aimées. Ces sons étaient ceux de l'apocalypse, non pas ceux de la mort, mais de la destruction la plus absolue, et plus encore que l'horreur, c'était le désespoir qui jaillissaient de ces gorges.
Ce n'était plus qu'une marée d'êtres, ce n'était plus que des mains qui tentaient de s'accrocher n'importe où, des doigts qui cherchaient vainement un appuie, des regards aveuglés dont les pupilles délavés tentaient de retrouver n'importe quoi dans cette tornade de lumière. Du sang s'écoulaient dans les vents gigantesques que les deux cosmos divins soulevaient, des cris résonnaient, des bouts de métal, d'armures se dispersaient au gré du pouvoir qui déferlait comme un tourbillon sur eux.
Tout n'était que peur, déroute, fin absolue et inévitable d'un combat qui avait commencé sous de terrifiants auspices.
Au milieu de ce ballet d'horreur, Deimos et Phobos constataient, avec une arrogance issue de leur ichor, ce qu'ils avaient eux-mêmes engendrés. Thanatos et Hypnos étaient vengés alors qu'ils observaient, sereins et ironiques, la vie s'arrêter autour d'eux. Pour leur part, rien ne les atteignait, ils étaient debout, l'œil vif et heureux de découvrir leur suprématie, ils espéraient d'ailleurs qu'Arès, d'où il était, se réjouissait du spectacle qu'ils lui offraient. Que la bataille était chose agréable... quand on la gagnait bien évidemment.
Tout à coup, la lumière rougeâtre, pareille à des flots de sang, se transforma en vagues bleues, non pas aussi puissantes, mais mille fois supérieures... que... que se passait-il?
Le dieu de la déroute saisit le bras de son frère alors qu'à leur tour, leur vue se brouillait... quel était donc cette force qu'il n'avait pas déclenché et qui se resserrait sur eux? Les cris avaient cessé, les gémissements de douleur aussi... une coulée de sueurs glissa le long de leur dos alors que le disque qu'ils avaient propagé autour d'eux se refermait inexorablement sur eux, comme un piège infernal qui s'était retourné contre ses inventeurs.
Maintenant... oui... ce n'était plus le cri des Saints qui résonnaient, mais celui des dieux... mais eux, en songeant rendre leur dernier souffle, n'avaient pas de dernier nom à crier, du moins pas celui d'un vivant, car c'était leurs frères défunts dans le royaume d'Hadès, qu'ils appelèrent.
Une explosion de couleur d'océan, des rafales d'une blancheur rappelant l'écume, et ensuite, le silence, la quiétude qu'inspirait la mer, tout cela en quelques secondes.
Poséidon se tenait, debout et majestueux, suprême dans sa stature qui paraissait être devenue gigantesque... il n'était plus un homme, mais un dieu d'envergure supérieure à tout ce que l'on pouvait connaître.

Julian

Les chevaliers étaient chancelants, mais encore, et avec peine, debout. Il fallait croire que j'arrivais au bon moment. De l'horizon, j'avais vu une rafale de lumière se propager comme un ouragan, et j'avais immédiatement compris ce qui s'était produit. C'était bien là une oeuvre divine qui se dévoilait à moi, et mes jambes, à cet instant, étaient devenues mes ailes pour me porter au secours de ces hommes, qui après s'être longtemps, si longuement battus, allaient périr à bout de souffle, à bout de force. C'était crime que de laisser faire cela, et je m'étais élevé contre cet acte meurtrier.
La puissance qui se dégageait était moins grande que la mienne, et avec toute la force sauvage et universelle qui habitait un dieu d'essence supérieur, l'un des douze maîtres de l'Olympe, j'avais inversé la fureur du coup qui était porté. Le bleu avait noyé le rouge, comme si la force des océans que je dirigeais c'était déversé d'un seul coup sur les opposants d'Athéna et de ses serviteurs. Maintenant le calme revenu, je découvrais Deimos et Phobos, vacillant et la peau écorchée à vif, qui se soutenaient l'un l'autre pour parvenir à tenir debout.
Je jetais un bref regard autour de moi. Je venais de les sauver, mais ne pouvais à présent plus rien pour eux. Je cherchais instinctivement les yeux du Grand Pope... et rencontrais ceux de... de...
Sion du Bélier!
Grand et athlétique, ses yeux violets étaient aussi violents et passionnés. Mais comment se faisait-il? Comment un mort? Un mort en vie?
Non... je n'avais pas le temps d'en dire plus à cet homme que je verrais peut-être, si Zeus le voulait et je n'en doutais pas, que le camp d'Athéna gagne.
-Je vous suis venu en aide, déclarai-je d'une voix monocorde que je ne reconnaissais pas car elle appartenait à Poséidon. Il me faut maintenant m'éloigner de vous pour rejoindre celle que vous protégez.
-Nous vaincrons, fit la voix grave de Sion.
Jamais je n'avais entendu une telle certitude, une telle assurance qui émanait de simples mots. C'était la confiance même qui paraissait s'être réincarnée sous les traits du Grand Pope.
Les chevaliers se figèrent, mais je n'eus pas le temps d'en voir plus car déjà, je m'éloignais à vive allure vers ma destinée.

-Maître... murmura Mu, incrédule.
Il échangea un regard avec Aphrodite qu'il distinguait à peine à cause du sang qui obscurcissait sa vue.
-Comment est-ce possible!
-Sion... Sion...
La voix de Saga parut se briser en milliers de morceaux alors que Kanon l'observait derrière ses yeux de félin.
-C'est impossible! fit Aioros en s'avançant d'un pas tremblant.
-Trêve de mots! ordonna Sion de ce ton sans appel qui avait fait de lui le plus juste, le plus redouté, et le plus aimé des Grands Popes de la déesse de la guerre.
Le silence se fit autour de lui, mais l'émotion, malgré cette ordre, ne mourrait pas. Les yeux se mouillaient imperceptiblement, mais plus une syllabe ne serait prononcée, par respect, par habitude d'obéir à un être si fière, si droit.
Sion se tourna vers Dohko, le visage grave, même si, au fond de ses yeux, dansait la flamme de l'amitié.
-C'est le moment où jamais pour les tuer.
-Trop tard! s'exclama Phobos d'une voix enrouée. Il aurait fallu en profiter lorsque Poséidon était là... il était le seul à pouvoir nous vaincre et il a eut tort de vous faire confiance.
Deimos, à ses côtés, paraissait moins serein mais beaucoup plus colérique.
-Votre châtiment sera à la mesure de notre humiliation.
Les deux jumeaux adoptèrent des positions parfaitement symétriques. Côte à côte, le bras droit de l'un, le gauche de l'autre, étaient tendus et rejoignaient la paume de leur frère. Leur autre main était élevée en l'air, comme si ils s'apprêtaient à appeler à eux quelque puissance céleste.
-N'ayez pas peur, dit calmement Dohko. Nous ne sommes qu'un.
Sion hocha la tête.
-Chevaliers, faites confiance à votre point étoilé, ressentez en vous la force de vos constellations protectrices. Dans les cieux, elles sont là depuis des millions d'années, et elles vous veillent aujourd'hui encore. Allez chercher, au fond de votre être, cette puissance qu'elles ont fait naître en vous et soyez aussi pur qu'au premier jour. L'univers est dans votre âme, dévoilez-le, maintenant où jamais.
Seiya eut un hochement de tête alors que son entraînement lui revenait à l'esprit... et il fut le premier à fermer les yeux pour chercher au fond de lui ce que Sion lui demandait.
-Touchez-vous, chevaliers, déclara Dohko, formons un seul et même être.
-Un seul et même Ciel! déclara Sion. Un seul et même ciel.
Le noir envahit tout ce qui se trouvait autour d'eux alors que Deimos et Phobos faisaient naître entre eux une couleur de sang plus farouche que jamais. Au travers du voile de sang qu'ils étaient en train de créé, des étoiles commençaient à apparaître, formant lentement des constellations, comme si les cieux s'étaient retrouvés sur terre. Les Saints commençaient à s'unir et de cette communion sacrée renaissait l'univers.
Le rouge s'étendait... la lumière des étoiles aussi. Un vent violent s'élevait, l'apaisement de l'infini se propageait. Ils étaient à force égale, et celle la justice ferait la différence. Bientôt, les étoiles furent toutes là... et d'autres constellations que celles qui protégeaient chaque guerrier apparaissaient... n'était-ce pas, près de Pégase, celle de l'Aigle qui se dessinait, ou bien, près de Camus, celle d'Ophicius?
Tous les chevaliers qui se trouvaient sur Azura, et dans le monde entier, s'unissaient dans le recomposition des étoiles qui dansaient et brillaient de plus en plus violemment, de plus en plus intensément.
-Between Fear and Derute!
-Holy Unification!
Explosion de rouge, explosion d'étoiles... le ciel se peignait de sang et de douleur, mais pas un cri ne fut lâcher.

Les corps de Deimos et Phobos retombèrent à terre, inertes et sans vies, alors que ceux des chevaliers avaient quitté Azura. Le verger entier avait été détruit, et il ne restait que de la terre humide de sueurs et de souffrances pour témoigner de l'existence du jardin des Hespérides.
Mais où étaient les chevaliers?
Où étaient passés ces hommes disparus parmi leur constellation comme des étoiles filantes?

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Cette fiction est copyright Caroline Mongas.
Les personnages de Saint Seiya sont copyright Masami Kurumada.