Chapitre 6 : Ou l'on pleure les morts et pense les blessures…


Une chambre isolée du palais d'Asgard, le 13 Novembre 2187

Une main posée sur le verre glacé de la fenêtre, celui qui se faisait appeler Merciless, contemplait, à perte de vue, les vastes landes enneigées cernant la forteresse de son seigneur. Non loin de lui, sur un large lit à baldaquins recouvert d'une lourde pelisse d'ours blanc, reposait cette inconnue pour laquelle il avait été prés de donner sa vie. Cela faisait maintenant trois jours et trois nuits qu'elle n'avait pas repris conscience, et le jeune homme commençait à craindre qu'elle ne le fasse jamais, le venin de l'Amphisbène ayant de par trop endommagé son corps fragile. Le guerrier divin avait vu tellement de gens mourir depuis sa naissance : son frère, sa mère, son père, et tout ces anonymes tombés durant des guerres de clans, disparus au fond d'une ruelle le sourire aux lèvres et l'arme à la main, trop heureux de donner leur vie pour leur patron bien aimé. Lui n'avait jamais été de ceux la, il préférait vivre comme un lâche que mourir ainsi. Il n'y avait rien de beau ou de lyrique dans la mort, elle avait toujours été sale et répugnante à ses yeux, et la ou d'autres voyaient de l'héroïsme, lui ne voyait que stupidité et fanatisme. Mais ses convictions avaient été ébranlées quand il avait croisé le regard de Volker avant qu'il ne s'effondre : il n'avait discerné aucune peur en lui, pire, il y avait même vu de la fierté, ce sentiment que Merciless n'avait que si peu connu. D'ou venait la force du guerrier d'Alpha, cette volonté inébranlable, cette foi entière et sans compromis ? Il était incapable de répondre à cette question, et ce ne serait certainement pas Volker, agonisant, qui la lui donnerait un jour…
Toutes ces questions l'avaient hanté pendant tout ce temps passé au chevet de la fille. Puis, sans même qu'il ne comprenne pourquoi, les larmes montèrent doucement à ses yeux, comme trop longtemps retenues, dissimulées sous ces paupières lourdes de souvenirs.

" Un homme aussi important que toi ne doit jamais se plaindre ", les paroles de son père retentirent cruellement à ses oreilles. L'honneur de la famille, la place du chef inébranlable et serein… Refoulant sa tristesse au plus profond de son âme meurtrie, il frappa le verre épais de son poing, se forçant à fixer un point de l'horizon brumeux, pour une fois de plus refouler ces sentiments trop nuisibles de par leur force. Aujourd'hui, une fois de plus, il devrait être fort, il ne servait plus un père mais un dieu, plus une famille mais une foi, et plus que tout, au lieu de cette obéissance aveugle caractérisant tout ceux qu'il avait connus, il avait ressenti durant cette bataille la valeur de l'amitié et de la dévotion. Tirant une cigarette tordue du paquet écrasé au fond de la poche de son jean, il l'amena lentement à ses lèvres, l'allumant d'une main presque tremblante…

Le feu dans la grande cheminée crépita, et en un éclair, l'inconnue réouvrit les yeux, le front constellé de gouttelettes luisantes de sueur. Elle demeura ainsi un long moment, observant le massif lustre de bois au dessus d'elle, avant de se redresser, retenant la fourrure afin de dissimuler sa nudité. Perdu dans ses pensées, Merciless ne remarqua pas immédiatement qu'elle venait de reprendre conscience, et elle put tout à loisir parcourir du regard ces traits délicats et pourtant si durs, semblant ceux d'une antique statue inexpressive.

" Ou sommes nous ? ", finit elle par demander d'une voix mal assurée.

Merciless avait rarement était aussi heureux, mais n'en laissa rien paraître, dissimulant ses yeux dans l'ombre de sa chevelure.

" Tu est enfin réveillée ? Nous sommes en un lieu un peu spécial, décalé, pourrais je dire.
- Cela ressemble au Sanctuaire d'une divinité, d'ailleurs, ce blason ici, représente les armoiries d'Odin. "

Le jeune homme sursauta, soudain effrayé, n'imaginant que difficilement les conséquences de son erreur si cette jeune femme s'était avérée être une ennemie de son maître.

" Personne parmi les mortels n'est censé connaître l'existence des Sanctuaires, qui est tu donc ! ? Tu n'est pas une simple jeune fille des rues ! "

Une moue désabusée apparu sur ses lèvres :

" T'ais je dit à un seul moment que cela était le cas ? A notre première rencontre déjà, je t'ais appris que les apparences peuvent être trompeuses il me semble… ".

Sur ces mots, elle avisa de la pile de ses vêtements posés sur une chaise à quelques pas, puis rejeta d'un geste la couverture, nullement gênée par la présence du guerrier divin, qui continua de la fixer bouche bée un instant, avant de se retourner vivement vers la fenêtre.
L'inconnue fit quelques pas légers, grimaçant parfois en tenant un bandage fraîchement refait appliqués sur son épaule, et entreprit de passer maladroitement son pantalon et son T.shirt.

" Allons, pas de fausse pudeur, après tout, c'est toi qui m'a déshabillée non ?
- Co..comment le sait tu ? !
- Je n'en été pas encore certaine… ", ajouta t'elle simplement en lui jetant un regard amusé.

Merciless écrasa rageusement sa cigarette sur l'encadrement de pierre, et ne quitta plus l'étrangère des yeux, voyant désormais en elle, bien malgré lui, une ennemie potentielle. Sans se presser, elle s'approcha, puis s'assit sur la couche, bien en face de lui, son menton posé dans la paume de ses deux mains, ses longs cheveux d'or encadrant un visage quasi parfait.

" Bien, je pense que cette fois nous en sommes aux présentations, n'est ce pas ?
- Tout à fait…
- Je suis Thétis, la Néréide, émissaire du souverain des océans, Poséidon.
- Et mon nom est Merciless de Benetnasch, guerrier divin d'Eta, au service du seigneur Odin ".

La sirène lui lança un regard dubitatif.

" Merciless ? Quel drôle de nom… Cela m'étonnerait que tu t'appel réellement ainsi. Je ne t'ait pas menti, alors j'en attend au moins autant de toi, guerrier divin ".

Le jeune homme se figea, non, Merciless n'avait jamais été son nom, juste une image à donner, et une sécurité vis à vis des autorités. En fait, depuis plus de dix années, il n'en avait jamais employé d'autre… Soudain, ce fût comme s'il se rappelait enfin qu'il avait réellement eu une vie avant de rentrer au service de son père, cette existence sans soucis, passée comme une rafale de vent sur une lointaine falaise d'Islande. Sa réponse fût plus qu'une information, mais plutôt une sorte d'affirmation.

" Je m'appel Bragi. C'est ainsi que ma mère me nomma.
- Comme le dieu viking des arts ? Le poète d'Asgard ? Un bien drôle de nom pour un guerrier.
- Peut être n'ais je jamais été destiné à devenir un guerrier… ". Il soupira amèrement, détournant soudain son regard vers les flammes de l'âtre.
" Qui de nous l'a été… ", murmura Thétis pour elle même.

Quelques minutes plus tard, tous deux arpentaient les couloirs aux immenses voûtes de la citadelle, dont les épaisses portes de bois dissimulaient les quartiers des Einherjars, et parfois, de luxueuses chambres sans doute scellaient à jamais, ou jadis des êtres tels que Loki et Thor avaient séjournés.

" C'est magnifique ", lança la sirène, ne perdant pas une miette du spectacle de ces vieilles pierres récemment revenues à la vie. Merciless se contenta de lui lancer un sourire empli de mélancolie, remontant légèrement le col de son pull pourpre, comme indisposé par le froid.
" Cela doit être très différent des fonds marins… ", finit il par ajouter, s'arrêtant devant un portail de granite à double battant, entièrement gravé de scènes mythologiques, telles qu'Odin affrontant les géants, ou mettant en avant les elfes et les nains, créatures désormais d'un autre temps.

Saisissant un large anneau d'acier, le guerrier divin le laissa retomber trois fois sur son heurtoir, mettant un terme à l'omniprésent silence. Puis, au bout d'une minute d'attente environ, quelqu'un tira le battant vers lui de l'intérieur, déclenchant un véritable concert de crissements sourds. Krinn, arborant fièrement l'armure de Merak, les invita aussitôt à entrer.

" Ho, ta belle au bois dormant est réveillée Merciless ?
- Oui, mais j'espère que la tienne l'est aussi, car la jeune dame ici présente doit la rencontrer d'extrême urgence ".

Passant le seuil, les deux arrivants pénétrèrent dans les confortables appartements de la prêtresse. Ici, bien peu de murs apparents, mais plutôt de longues tapisseries finement ouvragées, de même que les nombreux et épais tapis recouvrant les dalles. Le mobilier, bien que fonctionnel, respirait du charme des châteaux d'autrefois, tout de bois et de tissus fins, aux couleurs ni voyantes, ni trop discrètes. Il se composait avant tout d'un large canapé et de deux fauteuils, encadrant une grande cheminée de marbre, et au centre de la salle, d'une massive table de chêne accompagnée d'une vingtaine de sièges. Au fond, devant une grande baie vitrée, se tenait une femme rousse de haute stature, portant les atours de la plus grande autorité après Odin en ces terres. Elle fit volte face dés leur entrée, dévoilant à la sirène un visage martial, dont l'un des yeux était bandé d'une pièce de cuir sombre. Son regard se posa aussitôt sur Thétis, et ses traits ne se durcirent que d'autant plus.

" Veuillez nous laisser ", lança t'elle aux deux guerriers divins, qui s'exécutèrent sur le champ, rejoignant le couloir, Krinn refermant aussitôt la porte derrière lui.
" Je vous en prie, prenez place ", ajouta t'elle d'un ton sec à l'intention de la Néréide, désignant l'un des fauteuils du doigt, elle même s'installant dans le second, ne la quittant pas un seul instant du regard…
" Sachez avant toute chose que malgré le fait que vous n'ayez pas eu la décence de directement venir me rencontrer, et que vous bafouez toutes nos règles en vous présentant devant moi sans armure, je suis prête à vous écouter, espérant, vous le comprendrez, des réponses rapides à mes nombreuses questions ".

Cette entrée en matière si rapide, et le mécontentement nettement affiché de la prêtresse, décontenancèrent un instant Thétis, mais ce n'était pas la première fois qu'elle avait à traiter avec des personnes exigeantes aux usages figés, et c'est finalement très calmement qu'elle donna sa réponse.

" Bien, je vois que vous êtes une habituée de la télépathie sur vos gens…
- Quand cela est nécessaire uniquement.
- Quoi qu'il en soit, vous savez désormais qui je suis et le but de ma présence : vous proposer une alliance militaire avec mon maître. A présent que les Spectres s'en sont pris à vos soldats, il me semble évident que certains de nos intérêts ne peuvent que devenirs communs ".

La réaction de Brunhilde s'approcha de très peu de la pure indignation.

" Je vous rappelle que cette attaque avait lieu contre vous à l'origine, et ne vous cache pas que je vous suspecte fortement d'avoir montée cette rencontre de toutes pièces, afin de vous accorder notre soutient pour une hypothétique guerre contre Hadès ! Ais je besoin de vous dire que nous sommes les alliés de nos voisins de l'hémisphère sud, et que nous savons que Poséidon convoite depuis toujours l'ensemble des terres émergées ?
- Ne croyez pas la propagande des soit disant " Saints " d'Athéna. Si quelqu'un est à plaindre dans cette dernière guerre, c'est mon seigneur, enfermé dans une urne alors qu'il est un dieu ! N'oubliez pas également que les chevaliers d'or, les plus puissants du Sanctuaire d'Athènes, ont été punis par les Puissances en personne ! Cela n'est il pas une preuve suffisante à vos yeux de la trahison de son ordre ?
- Quelles preuves pouvez vous apporter de tout cela ? La précédente prêtresse, la princesse Flamme, était elle même incapable de raconter, ou même de se rappeler ces faits. Pourquoi Athéna et les siens auraient ils voulut nuire aux dieux ?
- Le pourquoi, nous l'ignorons, mais il vous suffirait de m'accompagner au Sanctuaire sous-marin pour voir de vos yeux cette maudite jarre, sur laquelle son sceau est toujours visible… ".

L'œil de Brunhilde s'assombrit à ces paroles, et elle commença à enrouler nerveusement l'une de ses mèches de cheveux, son regard perçant pesant lourdement sur Thétis, qui reprit :

" Si elle possède un tel pouvoir, rien ne l'empêcherait de se débarrasser de tout ceux qui la gênent, et ses 88 chevaliers auraient alors tôt fait d'arriver à vos portes pour réclamer votre domaine.
- Imaginons un instant que je vous croie, outre cette menace, que je ne considère pas comme avérée, quel intérêt aurait mon seigneur à vous protéger ?
- Nous savons que le souhait de votre maître fut autrefois de se rapprocher des Olympiens, ou tout du moins d'être reconnu comme l'un de leurs pairs. En plus de deux milles années, malgré vos différents traités, Athéna n'a jamais été capable de plaider en la faveur d'Odin auprès d'eux. L'empereur Poséidon, lui, est le frère de Zeus, sa parole aura bien plus de poids que celle d'une fille portée sur la rébellion…
- Bien, vous ne m'avez pas entièrement convaincue, mais vos arguments sont intéressants, j'en aviserait le seigneur Odin dés que possible. Toutefois, l'un des guerriers divins vous escortera jusqu'à votre Sanctuaire. Vous connaissez le nôtre, il n'y a nul raison que vous ne nous rendiez pas la pareille. Et cette condition est indiscutable ".

Sur ce, elle se leva de nouveau, se déplaçant vers une porte au fond de la salle, bien moins richement décorée que la précédente. Thétis se leva pour la suivre, mais une seule expression de la Walkyrie lui suffit pour comprendre qu'elle en avait déjà bien assez vu. Toutefois, avant de disparaître, Brunhilde se retourna une dernière fois, fixant la Néréide, portant étrangement sa main vers son orbite dissimulé derrière son écrin de cuir.

- Vous emmènerez Merciless avec vous en votre domaine. Cela vous donnera peut être l'occasion de le remercier de vous avoir sauvée la vie…
- Vous savez, il n'était pas le seul à se battre ce soir la.
- Oui, mais il fût le seul à vous veiller nuit et jour depuis prés d'une semaine, allant même jusqu'à vous offrir son Gaefa, son essence divine, afin de chasser le poison de vos veines. C'est le genre de choses qu'une femme ne peut oublier… Cependant, sachez que je n'approuve pas que de tels sentiments puissent lier l'un de mes guerriers à une personne d'un autre ordre, et que si à un moment ou un autre, j'ai l'impression que vous le manipulez, de quelques manière que ce soit, tout accord sera aussitôt brisé. Et je sait que mon seigneur sera du même avis que moi sur cette question.
- Bien, je comprend.
- Bon retour Néréide, vous serez avisée sous peu de la décision d'Odin. "

Ayant dit ces mots, la prêtresse disparu derrière le panneau de bois, pour ne pas reparaître…

A l'extérieur, Merciless et son homologue blond aux cheveux épars, discutaient des récents évènements. Volker était toujours à l'hôpital de Bluegrad, coincé entre la vie et la mort, et Otto n'avait pas bougé de son chevet, se sentant responsable de la blessure infligée à son ami. Urho avait disparu peu après le combat, rempli de honte devant son incapacité à se battre. Aux dernière nouvelles, il aurait repris un entraînement plus difficile encore, dans une région désertique proche du pôle, ou Ludwig avait été envoyé pour le retrouver. Quant aux deux frères, ils étaient restés pour défendre la citadelle, tout comme Krinn qui n'en sortait quasiment jamais, s'assurant en permanence de la sécurité de Brunhilde.
Ils étaient encore en pleine discussion quand Thétis se planta devant eux, visiblement troublée par ce qui venait de se dire à l'intérieur.

" Alors ? ", demanda le guerrier divin de Benetnash.
" Alors, tout s'est bien passé, mais tu va devoir m'accompagner jusqu'à mon Sanctuaire, au cas ou les Spectres reviendraient.
- Moi, un guerrier divin, au Sanctuaire sous marin ?
- Et alors, ce n'est peut être pas assez bien pour toi ?
- Ce n'est pas ça, mais…
- Il n'y a pas de mais Bragi, c'est un ordre de la grande prêtresse ! "
Krinn pouffa de rire : " Bragi ? "
Merciless serra les dents : " Oui, Bragi, c'est mon nom… "
Son camarade se reprit, ajoutant " C'est juste qu'entre Merciless et ça, c'est un sacré changement tu avouera.
- Oui, et bien n'en parle à personne, mon nom doit rester Merciless pour les autres, tu m'a bien compris ?
- Hé bien, je ne comprends pas vraiment pourquoi, mais si tu y tiens, je ferais attention.
- Oui, j'y tient énormément, c'est bien plus important que tu ne peut l'imaginer ".

Thétis fit quelques pas dans le couloir, faisant mine de partir.

" Dépêche toi Bragi, je dois encore récupérer mes écailles, et une longue route nous attend ".

Saluant rapidement son ami, le jeune homme emboîta le pas à la sirène, et ils quittèrent ensembles, par le pont d'arc-en-ciel, ce qui fût autrefois la demeure des dieux. Puis, à la sortie du domaine sacré, et bien qu'aucune parole ne furent échangées, leur regards se croisèrent comme pour la première fois, et une pensée commune s'imposa à eux : Si seulement tu savait réellement ce que je suis…

***

Le Sanctuaire d'Athéna, 15 Novembre 2187

Kelden avait très envie d'une cigarette, commençant à tapoter nerveusement le bois brut de la table improvisée, tandis que Tamara remplissait une nouvelle fois sa tasse de thé au jasmin.

" Tu est certaine que je ne peut pas fumer ici ? Je t'assure que ta jungle n'a rien à craindre.
- Chevalier de la Balance, je te l'ait déjà dit, personne n'allume une de ces horribles cigarettes dans ma maison ".

Le jeune homme en armure dorée passa une main dans ses cheveux bruns, qui avaient dut être récemment coupés très courts, mais qui semblaient avoir fortement repoussés depuis, lui donnant un air un peu négligé, au même titre que sa barbe d'au moins trois ou quatre jours. D'une vision rapide, il engloba ensuite le décor luxuriant autour de lui : des lianes et des arbres poussaient entre les dalles de pierre, supportant d'énormes fleurs de milles couleurs et senteurs différentes. Ca et là, il pouvait parfois ressentir entre les feuilles la présence d'un animal, ou entendre le champ perçant d'un oiseau de passage. Ils étaient tous deux assis sur des sièges non pas fabriqués en bois, mais ayant épousée naturellement la forme désirée par le chevalier des Poissons. La table elle même ressemblait plus à un tronc qu'a un véritable meuble. Il n'avait jamais compris comment elle pouvait vivre au sein d'un tel environnement, tenant plus du temple en ruine que d'une véritable maison. Il ne tenta toutefois pas de discuter, et se contenta de porter le thé brûlant à ses lèvres, faute de mieux.

" Bon, de quoi parlions nous ? " reprit Tamara, " Ha oui, de la notion de Justice ".
- Oui, je disait donc, que la Justice ne peut qu'être la même pour tous, sinon elle perdrait inévitablement toute raison d'être.
- Toutefois, c'est également en faire une loi inhumaine que de l'appliquer ainsi. Chaque créature vivante, chaque esprit, a une façon différente de voir le monde, et donc, bien et mal sont impossibles à définirs de façon stricte. Créer une règle et dire d'elle qu'elle est inévitablement ce qui est bon, c'est se fourvoyer, et être prêt à endosser un jour le rôle de tyran ou de fanatique.
- Je comprend ton point de vue, mais ne peut le partager. Je suis censé être le garant de la Justice d'Athéna, et pourtant, je ne cesse de me demander ou est le bon droit, ou est la sagesse. Dois je par exemple laisser certains de nos pairs se comporter comme ils le font, au risque de les voir un jour transgresser nos règles ? Mais en tentant de les arrêter, ne vais je pas moi même aller contre leur propre volonté, leur propre liberté ? Surtout que la plupart d'entre eux le font au nom de notre mission sacrée. Cela serait là aussi une forme d'injustice…
- Dis m'en plus, qui est en faute à tes yeux ?

Kelden hésita un peu, fixant le masque doré dissimulant les sentiments de Tamara, puis décida de lui faire totalement confiance en exposant clairement ses griefs.

" Hé bien, je pense avant tout au chevalier du Scorpion. Il passe bien trop de temps à arpenter le Sanctuaire comme un charognard, rôdant autour des ruines et des sépultures des chevaliers du passé. Je ne sait pas ce qu'il cherche, mais j'ai chaque jour de plus en plus l'impression que son aura se transforme, que son cosmos est souillé par quelques chose d'inexplicable, d'attirant et de répugnant à la fois…
- Quentin est un érudit Kelden, une sorte d'historien, il ne cherche qu'a reconstituer l'histoire de notre ordre, est ce un crime ?
- Cela devrait en être un. Il est inutile de remuer toutes ces vieilles histoires. Nos prédécesseurs étaient des traîtres, peu importe les circonstances et le pourquoi. Ils ont trahis les dieux, et cette statue au centre de la place nous le prouve mieux que n'importe quel livre ou fait historique. A présent, quand je m'approche de l'aire d'entraînement ou il travail avec ses élèves, j'ai l'impression d'être un étranger, d'être regardé de haut par des chevaliers d'argent, et même de bronze ! Parfois j'ai vraiment l'impression qu'ils ne sont pas des nôtres, qu'ils font parti de SON ordre.
- Hum, et tu est certain que tes griefs n'ont rien à voir avec le fait qu'il se rapproche peu à peu de Katarina ? ".

La franchise de Tamara frappa directement Kelden au cœur. Bien sur qu'il lui en voulait pour cela, et même si le chevalier du Scorpion n'était pas la cause de leur rupture, le Saint de la Balance acceptait mal de les voir se promener et s'entraîner ensembles…

" Absolument pas, je trouve simplement qu'il a une mauvaise influence sur elle. Parfois, j'ai le sentiment que cet étrange cosmos que je ressent en lui déteint sur tout ceux qu'il fréquente, et en particulier sur le chevalier du Cancer ".

Le masque se baissa un peu, tandis que Tamara posait sa main sur la théière.

" Ho, le thé est froid, veut tu que je le fasse réchauffer un peu ?
- Non, ce n'est vraiment pas la peine, je n'en reprendrait pas.
- Tu as bien tord. Il possède des vertus apaisantes que je te conseilleraient volontiers…
- Et puis il n'y a pas que Quentin, Izandrha des Gémeaux est un véritable mur, derrière lequel personne n'a jamais put ne serait ce que jeter un œil. Même ses élèves avouent ne pas réellement la connaître ou la comprendre. Quant à Armand de la Vierge, il a rejeter tous ceux que l'on a tenter de lui faire former au bout d'un mois à peine…
- Tiens, tu as enfin réussi à retirer la tête de tigre de ton casque ? ", lança Tamara, cherchant à contourner la discussion, étant peu encline à discuter des problèmes de chacun, mais bien décidée à aller les rencontrer elle même le moment venu.
" Oui, Lo a réussi hier soir. Il n'y avait rien à faire, elle se régénérait continuellement, et je n'avait vraiment plus envi de porter le symbole d'un hérétique. Le chevalier du Bélier a du même coup également réussi à " soigner " la corne manquante de l'armure de Kharkov. D'ailleurs… "

Kelden fut coupé dans sa phrase quant un gros corbeau noir atterrit au centre de la table, renversant son thé. Le Saint des Poissons le saisi d'une main experte, plongeant son regard dans le sien, exerçant de par la même le fantastique contrôle qu'elle possédait sur la vie. Quant elle ouvrit de nouveau la bouche, sa voix était emprunte d'une grande tristesse.

" Je viens de recevoir de bien mauvaises nouvelles de nos émissaires à Cuba. Les troubles n'étaient pas le fait de chevaliers renégats comme nous le pensions, mais de Berserkers d'Arès… Mon élève, le chevalier du Corbeau, à été gravement blessé, et l'un de nos jeunes Saints de bronze est mort…
- Comment ! Les Berserkers ! Il faut de suite en avertir le grand pope ! "

Sans plus de discussions, tous deux se levèrent, quittant en hâte la maison des Poissons pour le palais d'Athéna…

Quant Johan, chevalier de la Licorne, avait été convié par le chef de la garde à une réunion officielle au palais, il s'en était réjoui à sa juste valeur, pensant, à raison d'ailleurs, qu'une tâche spéciale allait lui être confiée, une tâche qui lui permettrait de prouver à tous qu'il était le plus fidèle et le plus puissant des chevaliers de bronze.
Il avait adoré traverser fièrement les douze maisons, montant ces marches sacrées une à une, regardant de haut les divers lieux d'entraînement ou ses " anciens " pairs poursuivaient leur apprentissage, puis avait retenu son souffle, tremblant de fierté, en poussant les portes du temple ou le grand pope l'attendait, lui, qui une heure auparavant n'était guère plus que l'équivalent d'un simple soldat.
A présent cependant, Johan aurait donné n'importe quoi pour se trouver ailleurs, et non au centre de cette immense salle, un genou au sol, tandis que le chef suprême de son ordre, après sa déesse, leur parlait d'Arès, des Berserkers et de Cuba. Il avait visiblement était décidé qu'un groupe d'assaut devait se rendre sur place, c'est à dire, un Saint d'or, deux d'argent et quatre de bronze. Kelden, chevalier d'or de la Balance, s'était aussitôt porté volontaire, ainsi que Vassili, le chevalier d'argent d'Héraclès, ce qui était bien compréhensible quand l'on sait qu'il était le maître d'Ugo de la Tortue. En ce moment même, cet homme solide comme un roc, à la peau noire et au crâne rasé, était lui aussi prosterné au pied de leur chef spirituel, des larmes coulant sur un visage que la vie semblait avoir profondément marqué. Ses autres compagnons d'infortune se nommaient Aristide du Bouvier et Guiseppe du Fourneau. Le premier devait avoir tout juste 15 ans, aux cheveux bleus sombres mi-longs, et semblant aussi décontenancé d'être là que l'était Johan. Son visage, malgré qu'il tente vainement de le cacher, trahissait de plus en plus sa peur à la fin de chaque minute d'explications, lui faisant parfois ouvrir les yeux plus grand encore que la bonne centaine qui recouvraient son armure. L'autre, environ 16 ans, aux longs cheveux noirs, et au visage aussi typé que son accent Italien, avait l'air plus excité qu'effrayé, tripotant frénétiquement les gantelets de son armure de métal rouge et jaune. Toutefois, le Saint de la Licorne ne pouvait s'empêcher de douter de ses compétences, surtout au vu des cicatrices récentes de brûlures sur ses doigts…

" …et donc, bien que je déplore de ne pouvoir envoyer des chevaliers plus expérimentés afin de ne pas nuire à la sécurité du Sanctuaire, je vous souhaite à tous bonne chance. Qu'Athéna veille sur vous… ".

Et voilà, nous allons partir, quelques mots d'encouragement pour les gens envoyés à la mort, et c'est fini. Ma première mission, mon premier vrai combat, et on m'envoi m'écraser contre des Berserkers pour ouvrir la voie à des chevaliers plus puissants. Chienne de vie, moi qui pensait enfin pouvoir aller jouer au héros, c'est raté...

***

Sanctuaire d'Hadès, Date indéterminée

Magnus, Spectre de l'étoile céleste de la Noblesse, l'un des trois juges des enfers, posa un regard empli de crainte sur le surplis vide au plastron éventré, reposant sur le trône d'ossements au fond de la salle la plus colossale de tout Judeca. Il n'aimait pas être ici, et par dessus tout, il n'aimait pas annoncer de mauvaises nouvelles à ce qui restait de son seigneur. Néanmoins, le choix n'était pas sien, car il était le seul à encore pouvoir communiquer avec lui, de par ses pouvoirs supérieurs sur l'esprit…
Les flammes des braseros de crânes renvoyèrent un éclat mordoré sur l'acier glacé, comme l'humain entrait en communication avec sa Puissance.

" Magnus, ou est ce corps que je t'ait demandé ? Pourquoi ne me l'a tu pas amené ?
- Nous avons subi un fâcheux contretemps seigneur, et il n'est pas encore en notre possession.
- Et quelle forme avait ce " fâcheux contretemps ", humain ? ".

Sur ce dernier mot, littéralement hurlé dans son esprit, le juge en vint à tenir son crâne douloureux tandis qu'il y résonnait, toujours plus fort. C'était pareil à chaque fois, la ou être le seul à pouvoir écouter la parole de son dieu aurait dut être un honneur, il s'avérait toujours, au final, que cela s'apparentait bien plus à une torture sans cesse renouvelée.

" Des sbires d'Odin seigneur, ils ont empêchés nos hommes de s'emparer de notre monnaie d'échange.
- Maudit soit ce seigneur d'Asgard, ce dieu parvenu, que vient il faire dans notre affaire ?
- Il semblerait que votre frère ait demandé son soutient maître, ou qu'en tout cas une personne de son ordre soit venu en aide à notre cible.
- Poséidon est tombé bien bas en demandant l'aide de ce chien viking… Mais il attendra son heure, nous ne devons pas diviser nos forces. Reprenez l'entraînement pour le moment, nous attendrons que mon ami Arès nous envoie plus d'âmes et réduise les troupes de nos ennemis, et frapperont quand le moment sera plus propice.
- Qu'il en soit ainsi seigneur ".

Mais Hadès n'écoutait déjà plus, plongé de nouveau dans ses rêves de grandeur autrefois brisés, et qu'il comptait bien ressusciter sous peu…

Le Spectre du Griffon remit son casque, et après un majestueux mouvement de cape, fit volte face et sortit du temple. La faible lumière des enfers agressa un instant ses yeux fatigués, mais il fit quelques pas sur le parvis de marbre, laissant son regard errer de par les prisons en contrebas, écoutant au loin les hurlements éternels des damnés, heureusement étouffés par la distance. Seuls les Spectres de basse classe vivaient prés d'eux, dans ce tourbillon de souffrance permanente qu'était le Sanctuaire d'Hadès.

" Alors, quels sont les ordres ? "

Adossé à un pilier, le porteur d'un surplis aux ailes décharnées, ses cheveux d'un noir d'encre, ondulés, retombants sur de frêles épaules, tourna son visage émacié au nez un peu trop long et aux yeux de loup, vers Magnus.

" Rien Wolfgang, rien de nouveau, les plans restent les mêmes ".

Le Spectre lui lança un regard soupçonneux.

" Le maître n'a rien dit au sujet de la mort de cinq des nôtres, et de la désertion d'un sixième ? Le dieu des enfers me semble soudain bien compatissant…
- Il déplore évidemment leur perte, mais n'a rien ajouté sur le sujet.
- Ou alors tu ne le lui a pas dit… "

Le yeux de Magnus s'enflammèrent littéralement de colère, renforçant d'autant plus un visage qui aurait put être celui d'un authentique vétéran.

" Redit cela, Wolfgang de la Vouivre, et je jure de te faire ravaler tes paroles par la force de mon poing. ".

L'autre juge ne se démonta pas le moins du monde, et ajouta :

" A moins bien sur que cette armure ne soit tout bonnement qu'un morceau de métal froid, ou seul ton esprit voudrait voir la survivance d'une âme…
- Comment ose tu ! ".

Une écrasante aura violacée veinée de noire entoura en un instant le juge, sa silhouette s'y découpant comme un véritable monstre de cauchemar, mais son interlocuteur se contenta de rire.

" Aller, frappe moi, prouve moi que j'ai raison, que tu ne craint la colère de personne ! "

Magnus, étonné de s'être si facilement emporté, se ravisa alors, baissant ses doigts déjà pointés vers son " collègue", et reprenant sa route vers son temple, concluant sans même se retourner :

" Je ne ferait pas ton jeu Wolfgang, mais j'avertirais sa seigneurie du fait que tu le croit mort. Nous verrons envers qui il aura été de par trop magnanime ".

Laissant son confrère seul avec ses incertitudes, un petit sourire aux lèvres, il poursuivi son chemin, bien décidé à rejoindre sa luxueuse demeure au plus vite, afin d'y profiter de tous les plaisirs auxquels un être d'exception tel que lui avait naturellement accès. C'est donc plus ennuyé que surpris qu'il découvrit que quelqu'un l'y attendait…
Il s'agissait d'une femme de haute stature, aux longs cheveux verts, et au visage si charmant qu'il regretta presque qu'elle ne fasse pas partie des âmes damnées avec lesquelles il avait l'habitude de s'amuser. Toutefois, l'expression de haine tirant ses traits lui fit aussitôt comprendre qu'elle n'était point la dans un tel but. Son sombre surplis portait de larges ailes de chauve souris, et son casque cornu ne gâchait en rien sa maléfique beauté, à son côté, pendait un fouet luisant, visiblement plus tranchant que la lame d'une épée. Dés qu'elle vit le juge, elle avança droit vers lui, d'un pas ferme, posant un genou à terre à quelques centimètres de ses jambes.

" Maître, mon nom est Ahzra du Balrog, de l'étoile céleste de l'excellence.
- Je te connaît, j'ai entendu grand bien de toi et de ton zèle à remplir ta tâche. Quelle est la cause de ta présence en ces lieux ? Ne sait tu pas que cet endroit t'es interdit ?
- Je le sait maître, et je vous demande de me pardonner, j'ai une requête de la plus haute importance à vous soumettre. Je voudrais l'autorisation de me rendre à la surface.
- A la surface ? Et pourquoi donc veut tu t'y rendre ? Ne pense tu pas que la place d'un Spectre tel que toi soit ici, à entraîner nos plus jeunes recrues ?
- Maître, permettez moi d'insister, je DOIS m'y rendre… ".

Quant elle dit ces mots, Magnus sentit une chose étrange dans le cosmos de sa subordonnée. Une sorte de menace voilée, et une puissance qu'il jugea anormale pour une guerrière de son rang. Des pouvoirs, qui, en vérité, auraient peut être même put rivaliser avec les siens… Cependant, il fit comme si de rien n'était.

" Explique toi, Spectre.
- Je veut venger l'honneur de notre seigneur, bafoué par les guerriers d'Odin, et achever le travail que les incompétents qui me précédèrent ont été incapables de mener à bien.
- C'est donc ta foi, et ton ambition, qui te guident dans cette affaire ?
- Juste ma foi seigneur, je ne demande aucun remerciement pour cela. Laissez moi y aller, et je vous jure sur mon honneur que vous ne serez pas déçu ".

Le juge croisa les bras et réfléchit un instant en la fixant. Il n'était pas dupe, quelques chose d'autre poussait la femme à aller achever ce travail. Mais après tout, il s'en moquait, Hadès ne lui en voudrait pas plus de toutes façons, et si elle réussissait, il oublierait bien vite la perte de cinq spectres sommes toute d'importance minime.

" Bien, je t'y autorise, mais sache que si tu échoue, inutile de revenir, je nierais t'avoir accordé cette faveur. Nous sommes bien d'accords ?
- Oui, je comprends seigneur, il en sera donc ainsi.
- Et, une dernière chose, j'espère qu'il n'y a rien de personnel la dedans, n'oublie pas que les Spectres ne sont pas de stupides humains soumis aux sentiments. Hadès verrait d'un bien mauvais œil ce genre de pratiques indignes.
- N'ayez crainte seigneur, je n'agis que pour la gloire de notre ordre… ".

Sur ce, elle se releva, et s'engagea sur la route menant à la grande arche d'entrée des enfers, laissant le juge à ses diverses " occupations ". Et dans la tête d'Ahzra, tandis qu'elle franchissait en courant l'antique portique, tournait une unique pensée : Gasparo, mon amour, toi qui m'a appris à vivre, je vais te remercier à présent, en répandant la mort en ton nom…

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Cette fiction est copyright Guillaume Monteil.
Les personnages de Saint Seiya sont copyright Masami Kurumada.