Chapitre 7 : La Chambre Des Libations


Shun venait de poser sa Boîte de Pandore sur l’herbe de la petite presqu’île. Elle était maintenant ciselée d’Or et d’Argent, et le visage d’Andromède qu’elle arborait sur ses quatre faces latérales brillait d’un métal inconnu. Shun se sentait presque malade du voyage que lui et ses amis venaient d’accomplir en quelques fractions de seconde. Hyoga avait porté sa main à sa bouche pour réprimer un haut-le-cœur et Shiryu avait le souffle court. Saori tourna sa langue plusieurs fois dans sa bouche, l’air écoeuré. Hypnos se tenait devant le petit groupe, les cheveux balayés par le vent. Si son Surplis s’était entièrement régénéré, il n’y avait toujours aucune trace de son casque. Une vague vint se briser sur les écueils qui dormaient à quelques mètres en contrebas et une légion de petites gouttes d’eau de mer vint périr sur le Surplis du dieu qui commande au Sommeil. Les gouttelettes s’évaporèrent instantanément, comme si le Surplis d’Hypnos était chauffé à blanc. Il se retourna et regarda sa troupe de fortune, l’air amusé.

• Oh… Toutes mes excuses, Athéna. J’aurais dû vous prévenir que le voyage, même s’il allait être court, vous laisserait un goût… prononcé, s’amusa Hypnos sans s’en cacher.
• Ce goût… murmura Saori en regardant Hypnos.
• Oui… sourit Hypnos. Je puise la source de mon pouvoir de téléportation dans les limbes des courants du fleuve Léthé. C’est la force de ses courants qui nous a permis de voyager instantanément sur le plan astral. Ce voyage onirique a tendance à laisser un goût de sang dans la bouche. Vous m’en voyez désolé, expliqua Hypnos sans aucune sincérité.

Shun et Shiryu se regardèrent avec le même sentiment au fond des yeux. Le sentiment qu’ils n’avaient rien vu encore du vrai pouvoir d’Hypnos. Dans Elision déjà, Hypnos avait fait montre de plus de sagesse que son frère et aussi d’un plus grand pouvoir contenu. Shiryu se souvint que le Météore de Pégase qui frappa Hypnos et le prit de vitesse n’avait fait aucun dégât sur son Surplis, contrairement à celui de Thanatos qui avait été réduit en miettes. Il avait fallu une attaque combinée de la part de Hyoga et de la sienne pour qu’Hypnos morde la poussière… trop facilement. Saori, quant à elle, fixait avec défiance la Tour de Babel qui se dressait avec arrogance derrière Hypnos, à quelques centaines de mètres. Le Purgatoire se tenait au bout de la presqu’île qui semblait écrasée par tant de poids. Pourtant, il aurait pu se trouver ici depuis la nuit des temps… Saori ne s’était pas attendue à ça. La Tour de Babel n’avait rien d’une construction grandiose ou d’un palais divin.

C’était une pyramide de fortune mal construite par la main de l’homme à l’époque où il ne connaissait pas encore le langage. Les marches de l’escalier central qui montait jusqu’à mi-hauteur de la pyramide étaient toutes irrégulières, et pas une n’était faite de la même roche que celle qui la jouxtait. Les marches étaient effondrées par endroits et des gravats de différents calibres reposaient ça et là. La Tour devait faire environ cinquante mètres de hauteur, ce qui paraissait parfaitement dérisoire compte-tenu du mythe qui tournait autour de l’endroit. Le côté droit était presque écroulé, comme frappé par la foudre. En haut des marches, trônait une arche assez régulière qui semblait mener à l’intérieur de la structure. Aucune autre entrée, aucun garde et aucune aura. On aurait dit l’endroit parfaitement neutre. Hypnos leva les yeux vers l’arche de pierre et s’adressa aux Chevaliers et à la Princesse.

• A quoi vous attendiez-vous ? lança-t-il avec défi. A un palais d’Or et de cristal avec de grandes colonnes de marbre ? Je vous rappelle que ce sont les premiers hommes qui ont construit cette Tour afin de monter vers leurs dieux. Pas des architectes corinthiens de l’ère préchrétienne.

Shiryu sentit la moutarde lui monter au nez.

• Cesse de nous regarder de haut, Hypnos ! Je te rappelle que nous t’avons déjà…

Le dieu du Sommeil lança un regard si perçant à Shiryu qu’il crut qu’il allait de nouveau perdre la vue. Il décida de jouer la carte de la ruse et de la diplomatie. Après tout, si Hypnos devait ne pas se révéler être un traître, il serait un allié de poids. Shiryu se corrigea.

• Hypnos… Aucun de nous n’est un dieu millénaire et ne possède la sagesse que tu aimes tant démontrer. Explique-nous plutôt à quoi nous devons nous attendre.

Hypnos parut fort satisfait de cette tirade rendant honneur à son statut et fit un signe de tête amusé et approbateur au Dragon.
• Bien… Vous n’avez en effet pas le temps de répondre à mes moqueries incessantes et j’en suis le premier désolé. Je disais donc que la Tour de Babel est un symbole. C’est pourquoi elle ne fait pas la hauteur du Mont Parnasse ou de l’Olympe. Son secret réside en fait dans la Chambre des Libations qui se trouve en son sein, en haut de cet escalier.
La Chambre des Libations ? demanda Saori. Comme celles qu’on répandait sur le sol au nom de Dionysos, avec du lait, du vin et autres alcools ?
• Exactement, Athéna. Les libations étaient des offrandes. On les offrait sous forme de liquides chers et rares aux dieux que l’on vénérait. Cela allait du lait donné par les chèvres rousses de Byblos, au vin élaboré avec des raisins de Corinthe nourris de soleil. Mais certaines libations étaient beaucoup plus primaires…

Hyoga s’avança.

• Tu veux dire… qu’on versait du sang pour satisfaire ses dieux ?
• Bien entendu… Arès en était très friand, par exemple. C’est bien de ce type de libations qu’il s’agit ici. Vous allez devoir verser votre premier sang de la journée, Chevaliers. Vous aussi, Athéna, dit Hypnos avec respect.
• Et toi, Hypnos ? s’empressa Shun.
• Bien entendu. Allons-y maintenant. Le temps presse.

Shun tourna la tête vers le village le plus proche. Il n’en connaissait pas le nom. Il pouvait juste voir un enchevêtrement incroyable de petites maisons blanches à la peinture écaillée, toutes construites les unes à côté des autres mais à des hauteurs différentes. Il remarqua un bon nombre de croix en granit sur le toit des églises comme des maisons. De loin, le petit village était presque aveuglant à cause du soleil qui frappait la peinture blanche et se réfléchissait sur les grilles, barreaux et escaliers en fer forgé poli par les dures pluies de l’hiver et par la corrosion saline.

• Ikki… songea-t-il à voix basse.
• Il viendra, affirma Hypnos. Très bientôt.

Shun faillit demander comment Hypnos le savait, mais s’en abstint de peur que Shiryu ne s’énerve à nouveau d’une remarque arrogante et moqueuse d’Hypnos. Hyoga semblait déterminé. Il arborait le même regard que lorsqu’il châtia Zélos dans le Château de Pandore. Shun n’avait aucune idée de ce que le Chevalier du Cygne avait bien pu faire durant ces vingt-sept jours, mais il avait la sensation que Hyoga était… différent. Marqué par la disparition de son Maître Camus et par celle de Seiya, il avait du s’imposer un entraînement impossible. La réflexion de Shun fut stoppée par une lumière divine.

Hyoga venait d’ouvrir sa Boîte de Pandore. Un vent de poussière d’étoiles se déchaîna et l’Armure divine du Cygne apparut sur une herbe gelée dans un rayon de deux mètres. Elle fumait comme si sa température avait été en dessous de zéro et que le soleil de Grèce la caressait. Shun n’avait jamais vu l’Armure du Cygne faire cela auparavant. L’Armure ne bougeait pas d’un pouce et n’explosa pas pour venir couvrir le corps de son ami. Hyoga s’approcha de son Armure. Chaque pas fait dans le gel des deux mètres qui l’entouraient faisait un bruit de brûlure et une fumée blanche, comme si les pieds de Hyoga étaient chauffés à blanc. Il posa la main sur son Armure avec un sourire d’amitié et Shun jura avoir vu la tête du Cygne se relever imperceptiblement sous cette caresse.

Un éclair passa dans les yeux de Hyoga et l’Armure se déplia entièrement comme pour prendre son envol. Les ailes s’écartèrent et se déployèrent, le cou se déplia et le Cygne se cambra avant d’exploser en s’envolant vers le ciel. Les protections des mains, des bras et des avant-bras furent les premières à venir se poser sur le corps de Hyoga, vite suivies par celles des pieds, des jambes et des cuisses. Le torse, la jupe et les épaules suivirent, puis ce fut au tour du bouclier et du plastron. Le casque vint se positionner en même temps que les ailes se refermèrent dans le dos du Chevalier du Cygne, presque jusqu’à toucher le sol. Hyoga regarda ses amis, un sourire sincère et chaleureux sur son visage qui baignait dans les reflets dorés et argentés de son Armure divine.

• Allons-y, mes amis ! s’exclama-t-il.

Avant d’ouvrir sa Boîte de Pandore, Shiryu resta quelques secondes à se demander où Hyoga avait appris un tel contrôle de son Armure et développé une telle communion avec elle. Il porta instinctivement une main devant ses yeux lorsque Saori ouvrit sa boîte de bois précieux et que des éclairs bleutés en jaillirent. L’image suivante fut celle d’Athéna revêtue de son Armure divine. « Peut-être ne sommes-nous pas autorisés à la voir la revêtir… », songea Shiryu. Sa robe se dépliait jusqu’au sol où les bourgeons éclorent par centaines au contact de l’Or. Son bouclier solaire était impensablement grand et le Dragon remarqua que sa déesse ne portait pas son Sceptre divin. Sûrement reposait-il encore dans le corps d’Hadès afin de lui interdire tout retour à la vie. Il s’inquiéta qu’Athéna n’ait pas avec elle le symbole de sa puissance pour l’accompagner dans cette nouvelle Croisade, mais pensa qu’elle devait savoir ce qu’elle faisait.

Elle portait sur son visage le masque traditionnel des femmes Chevaliers, tout comme Marine ou Shina. Cela lui conférait une attitude de guerrière implacable. Il croisa le regard d’Hypnos, qui paraissait médusé par la scène de son ami revêtant l’Armure divine du Cygne, et pas du tout par l’Armure d’Athéna. Shiryu fut amusé de voir le dieu du Sommeil se retourner et courir en direction des marches de la Tour de Babel, après avoir été impressionné par un « simple » Chevalier de Bronze. Hypnos n’était peut-être pas aussi savant qu’il voulait bien le faire croire. Shiryu ne songea pas un seul instant qu’Hypnos avait compris d’où venait la symbiose du Cygne avec son Armure et que son étonnement n’en était pas un. C’était de la compréhension et de la crainte…

Hypnos fut le premier à poser le pied en haut des marches. Il s’arrêta net devant l’arche de pierre et se retourna avec cérémonie. Athéna et les quatre Chevaliers suivirent de près et s’immobilisèrent en demi-cercle quelques marches plus bas. Le dieu du Sommeil avait le soleil dans le dos et il était presque impossible de voir son visage. Les ailes qu’il portait sur son Surplis et qui rappelaient celles d’un paon majestueux, étaient repliées.

• Vous êtes prête, Athéna ? demanda-t-il. C’est le point de non-retour.

Saori ferma les yeux et hocha la tête. Les Chevaliers de Bronze, s’il était encore juste de les appeler ainsi, se regardèrent tour-à-tour et acquiescèrent d’une seule voix. Hypnos se retourna et rentra dans la pièce.

La salle dans laquelle pénétra Shun était toute petite. Quatre murs irréguliers, un plafond qui menaçait de s’écrouler à chaque seconde tellement il lui manquait de pierres, et deux vasques remplies d’une huile brûlante sur chaque côté. Au centre, un puits apparemment sans fond était encerclé par un petit muret de fortune construit avec divers types de roche. Shun s’approcha et constata que le puits était rempli d’une eau cristalline à la surface parfaite, presque à ras-bords. Shiryu le rejoignit et remarqua avec étonnement que l’huile qui brûlait dans les huit vasques en des flammes peu amicales, ne dégageait aucun bruit. D’ailleurs, il n’y avait d’autres bruits dans cette pièce mystérieuse que leurs pas. Le Dragon avança jusqu’à observer son reflet à la surface de l’eau claire et n’en trouva aucun. Shiryu entendit quelque chose goutter derrière lui et se retourna.

Hyoga s’était déjà ouvert l’intérieur de la main et un minuscule filet de sang se répandait sur le sol depuis la jambière gauche de son Armure du Cygne. Shiryu fut étonné par tant d’empressement et se retourna vers Hypnos pour essayer de lire sur son visage si son ami n’avait pas enfreint une quelconque règle sans le savoir. Il ne lut que du respect sur le visage du dieu et peut-être un peu d’inquiétude. Il fit signe à Hyoga de s’approcher et de tendre sa main au-dessus du puits. Celui-ci s’exécuta et le liquide rouge s’écoula en spirale vers le fond du puits, sans causer aucun mouvement à la surface de l’eau. Shun fit de même, suivi par Shiryu qui avait du mal à détacher son regard de Hyoga. Un imposant flux rouge descendait maintenant dans les abîmes insondables du puits. Hypnos sourit à Saori en s’ouvrant délicatement la main.

• Après vous, Athéna, lança-t-il avec défi, comme pour voir s’il s’adressait à l’enfant ou à la déesse.
• Je n’en ferais rien Hypnos. Tu es notre guide, lui répondit-elle avec malice.
• Très bien…

Hypnos avança sa main au-dessus du puits, joignant son sang à celui des Chevaliers. Saori s’ouvrit la main certainement plus profondément qu’elle ne l’aurait voulu, mais elle sous-estimait encore le tranchant du bout de ses doigts d’Or. Elle avança doucement sa main vers le puits, en face d’Hypnos, alors que celui-ci regardait Hyoga avec méfiance. Son sang se mêla à celui de ses amis, et en un éclair, elle tendit la main et attrapa celle d’Hypnos au-dessus de la spirale. Leur sang se mêlèrent et une lumière bleutée commença à irradier du fond du puits. Le visage d’Hypnos fut presque déformé par la surprise et la colère. La Princesse, elle, souriait avec défiance et arrogance derrière son masque.

• Espèce de sale petite… cracha-t-il.
• « Un sang pour un sang. Une vie pour une vie. De l’Hadès au Paradis, nous resterons à jamais unis », Hypnos, lui lança-t-elle au visage.
• Comment avez-vous… commença le dieu du Sommeil. Comment avez-vous pu me faire une chose pareille ! dit-il en hurlant sur Saori, essayant de retirer sa main sans succès alors que la lumière commençait à baigner toute la pièce.
La Promesse de Sang du Royaume d’Hadès ! lâcha-t-elle comme une révélation. Tu sais ce que cela signifie pour toi, Hypnos ? s’amusa presque la Princesse.

Hypnos était fou de rage. Il serrait les dents tellement fort que Hyoga les entendit grincer quand il arrêta la main d’Hypnos qui allait gifler Saori. Ils luttèrent quelques secondes, la main du dieu commençant à geler par couches successives dans un bruit de cristal brisé. Hyoga souriait d’une manière peu commune quand la lumière avala toute la pièce et qu’Hypnos n’eut le temps de dire qu’une chose qui sembla résonner dans l’éternité de leur chute.

• Athénaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaa…

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