Hélios, la Légende... (part 1)


1935, mi-Septembre

C'était un matin de début d'automne. L'air était doux, légèrement rafraîchi par un vent intermittent. Une lumière claire et douce inondait les bâtiments de la Ville Céleste, dissipant peu à peu les ombres qui y subsistaient encore.

Sur l'une des nombreuses places de la cité, un vieil homme assis sur un banc regardait paisiblement la ville s'animer autour de lui. Les passants commençaient à affluer dans les larges rues et un brouhaha naissant venait peu à peu remplacer le silence et le calme qui avaient régné jusque-là.

Le vieil homme promena son regard sur la place qui s'étendait devant lui, avec ses arbres frémissants, ses fontaines murmurantes et ses bassins sereins comme de grands miroirs qui reflétaient le ciel. Il y avait encore assez peu de monde, mais déjà, un groupe d'enfants s'était rassemblé pour jouer. Le vieil homme sourit avec affection. Difficile de déterminer exactement quelles étaient les règles. Le jeu semblait impliquer une balle en cuir et beaucoup de cris.

L'un des enfants retint son attention. Extérieurement, il ne semblait guère différent des autres, de taille moyenne, les cheveux noirs. Il ne devait pas avoir plus de six ans. Mais le vieil homme ne s'attachait guère aux apparences extérieures, et celui qui aurait voulu le juger d'après ce genre de critères aurait commis une lourde erreur. Il se dégageait de cet enfant une impression subtile, fascinante.

Une présence se matérialisa à ses côtés et le vieil homme tourna légèrement la tête.

_Te voilà, Endymion.

L'homme qui venait d'apparaître s'inclina devant lui. Il n'était pas d'une stature particulièrement impressionnante, même s'il se dégageait visiblement de lui l'impression d'un guerrier. Sa peau était très claire et ses cheveux d'un blanc laiteux qui faisait ressortir ses yeux vert émeraude. Son visage, souvent rêveur, n'exprimait pour l'instant que de la déférence.

_C'est bien l'enfant dont tu m'as parlé ? demanda le vieil homme en se retournant vers l'objet de son intérêt.

_Oui, seigneur, répondit Endymion d'une voix calme. Je l'ai remarqué hier, à cet endroit précis. J'ai le sentiment que…

Il se tut brusquement et ses yeux se plissèrent. Un silence subit était descendu sur la place tout entière et on n'entendait plus les feuilles frémir dans le vent ni les fontaines couler. Le vieil homme se pencha en avant, captivé. A une dizaine de mètres de lui, les enfants avaient cessé de jouer et formaient désormais un cercle fasciné autour de celui qui avait retenu son attention. Le jeune garçon avait fermé les yeux, comme plongé dans une sorte de rêverie abrupte. Devant lui, la balle flottait dans l'air, comme soutenue par une main invisible. Et tout autour… une lumière éthérée était en train de s'étendre dans l'espace.

Le jet des fontaines jaillit brusquement vers le ciel et les arbres se mirent à frémir furieusement comme sous l'effet d'un vent qui n'existait pas. L'air était parcouru d'une vibration intense, comme si un orage de calme était sur le point d'éclater. C'était une impression intense, à la fois forte et sereine, puissante sans être menaçante. Tout ceux qui se trouvaient là pour la ressentir s'étaient figés sur place et observaient, fascinés par le spectacle. Un tourbillon de vent vint balayer les feuilles qui étaient déjà tombées des arbres tandis que l'eau des bassins s'évaporait en une brume épaisse qui emplit l'air.

Puis tout s'arrêta. La balle tomba au sol, rebondissant quelques fois avant de s'arrêter. La lumière insubstantielle s'était dissipée. Les fontaines coulaient de nouveau comme auparavant et les bassins étaient pareils à l'habitude.

L'animation revint petit à petit sur la place tandis que le jeu reprenait : apparemment, ce ne devait pas être la première fois que les enfants assistaient à ce genre de démonstration. Le vieil homme les suivit un instant du regard, avant de tourner les yeux vers Endymion toujours immobile.

_Qu'est-ce que tu en penses ?

Endymion cilla, comme pris au dépourvu par la question.

_Il a un potentiel exceptionnel, dit-il finalement. Plus important, il sait déjà utiliser son cosmos, bien qu'il soit très jeune et qu'il n'ait reçu aucune formation. Je n'avais jamais vu cela auparavant.

_Moi si, répondit le vieil homme avec un sourire. Mais pas souvent. Certains enfants naissent, pour qui le sixième sens, celui du cosmos, est aussi éveillé que les cinq premiers. Utiliser le cosmos leur est aussi aisé que de bouger un muscle. Ils ont une conscience aiguë de la force qui se trouve en eux et autour d'eux. Le septième sens leur vient naturellement, dans les premières années de leur vie. Et, au-delà…

Il s'interrompit et parut réfléchir profondément.

_Je pense qu'il faudrait le former, seigneur, dit Endymion. Sa puissance est déjà considérable, mais il lui reste encore à savoir la maîtriser. Il a besoin de connaissances et de discipline.

Le vieil homme hocha pensivement la tête.

_Comment s'appelle-t'il ?

_Il se nomme Hélios.

_Amène-le moi, dit finalement Zeus, souverain des dieux et maître de la Ville Céleste.

Endymion s'en fut, revenant un instant après avec l'enfant. Zeus lui posa plusieurs questions, auxquelles l'enfant répondit sans crainte ni hésitation. Le maître des nuées n'était pas redouté par ses sujets, qui le révéraient pour son équité et non par crainte. Zeus lui parla de son potentiel, de la façon dont il pourrait le développer. Il lui parla de ses Chevaliers Divins à la puissance irrésistible. Finalement, une question fut posée :

_Acceptes-tu ?

Le jeune Hélios réfléchit un très bref instant avant de répondre :

_Oui.

* * *

1936, Novembre

La dimension de l'Arène était un monde déroutant. Ce qui s'y trouvait se réduisait à une très vaste plaine d'un brun-gris uniforme, sans le moindre relief ni la moindre végétation. Aucune vie ne s'y trouvait. Il n'y avait non plus aucune source de lumière apparente et pourtant il ne faisait pas particulièrement sombre.

C'était là que venaient les Chevaliers Divins de Zeus pour leur entraînement. Leur puissance dévastatrice était trop grande pour qu'ils la déploient sans risque où que ce soit. La seule solution était de venir ici, dans une dimension où il n'existait rien.

Hélios et Endymion se tenaient face à face au milieu de cette immensité de néant. Aucun des deux ne bougeait encore. Un peu à l'écart, Zeus les observait.

Cela faisait maintenant un an que Hélios avait débuté son entraînement. Il n'avait pas beaucoup changé depuis, jugea le maître des nuées. Extérieurement. Intérieurement, il avait subi une certaine évolution, qui n'en était sans doute pas à son terme. Le cosmos le baignait toujours autant qu'auparavant. De fait, Hélios semblait tout simplement incapable de ne pas le manifester. Une aura subtile le baignait en permanence, même pendant son sommeil. C'était comme si le pouvoir qui l'habitait était trop grand pour être contenu en entier par son être physique. Le changement véritable était que ce pouvoir était désormais plus contrôlé au lieu de se manifester à l'état brut, comme auparavant.

Le maître et le disciple se précipitèrent brusquement l'un sur l'autre. La vitesse était celle de la lumière, indiscernable même pour la plupart des chevaliers, mais les sens divins de Zeus n'avaient aucun mal à suivre leurs mouvements. Il vit Endymion porter un coup fulgurant et Hélios le bloquer de ses deux mains réunies avant de contre-attaquer. Endymion battit en retraite, s'entourant dans le même temps d'une multitude d'illusions. C'était sa spécialité, un talent que Hélios semblait apprendre avec une grande rapidité. Pour l'heure, cependant, il était encore assez nettement en-dessous du niveau de son maître. Incapable de discerner exactement où celui-ci se trouvait, il adopta une position défensive, prêt à n'importe quelle attaque.

Endymion reprit brusquement l'offensive. Une sphère translucide se matérialisa autour de son disciple pour l'emprisonner. Distrait par les illusions, Hélios n'eut pas le temps de réagir. La sphère se referma totalement sur lui, acquérant en un instant une solidité impossible à surpasser.

Hélios disparut. Surpris, Endymion faillit être pris au dépourvu lorsque son jeune disciple se rematérialisa dans son dos. Il réussit pourtant à parer le premier coup et un combat au corps-à-corps s'engagea.

Zeus était impressionné. Hélios avait une compréhension instinctive du cosmos, une compréhension qui lui permettait d'assimiler à une vitesse exceptionnelle tout ce que son maître avait pu lui enseigner. Même les manipulations dimensionnelles, pourtant l'une des disciplines les plus complexes, ne semblaient déjà plus avoir guère de secrets pour lui.

Le duel se poursuivait entre le maître et le disciple. Zeus avait conscience qu'Endymion ne donnait pas la totalité de sa force, pour ne pas risquer de blesser son jeune élève. Même ainsi, ce n'était pas un mince exploit que de lui tenir tête. Hélios avait un style de combat déroutant, plus encore considérant qu'il dépassait à peine la ceinture de son adversaire. On avait l'impression qu'il se laissait porter par la puissance qui était en lui, songea Zeus. Il avait déjà vu cela. Quelquefois.

Endymion se baissa brusquement et faucha les jambes de son jeune élève. Hélios tomba au sol, roulant sur le côté aussitôt pour se redresser en un mouvement fluide. Le poing d'Endymion fusa, crépitant d'énergie. Hélios bondit souplement par-dessus, joignant les mains dans le même temps. Zeus observa intensément tandis qu'une boule de lumière éclatante apparaissait entre ses paumes. Hélios l'abattit brutalement, mais ce n'était pas encore une technique qu'il maîtrisait réellement et Endymion n'eut aucune difficulté à l'éviter. L'impact creusa un large cratère dans le sol. Le nuage de poussière soulevé par la même occasion n'eut même pas le temps de se dissiper que les deux adversaires avaient repris leur corps-à-corps.

Zeus hocha pensivement la tête. La seule faiblesse véritable d'Hélios était qu'il manquait encore d'expérience. Une fois qu'Endymion aurait fini de l'entraîner, il ferait un guerrier exceptionnel. Peut-être même plus que cela. Cette compréhension du cosmos, Zeus l'avait déjà vue chez certains mortels à quelques occasions.

Tous étaient par la suite devenus des dieux.

* * *

1939, 4 Juin

La salle du trône de Zeus était une merveille de beauté, toute de marbre blanc rehaussé çà et là d'or et de tapisseries chamarrées. Debout au centre de la pièce, Hélios avait pourtant du mal à apprécier cette splendeur qui l'entourait tant son cœur battait fort.

Le trône subtilement orné était encore vide, mais de part et d'autre se tenaient les deux Chevaliers Divins de Zeus, revêtus de leurs armures resplendissantes. A droite se trouvait Endymion, son maître, une expression absente sur le visage, comme à l'habitude. Hélios savait pourtant que son maître se souçiait de lui beaucoup plus qu'il ne le montrait. Quelques jours auparavant seulement, il était venu lui dire que sa formation était achevée. Leurs niveaux étaient désormais équivalents, avait dit Endymion, et il n'avait plus rien à lui apprendre.

Hélios s'accrocha à cette pensée pour se rassurer. Son maître ne lui aurait pas dit une chose pareille si cela n'avait pas été vrai. Mais il ne pouvait s'empêcher de ressentir une appréhension irrépressible. Il avait conscience d'avoir fait des progrès immenses pendant son entraînement, mais était-il vraiment à la hauteur pour autant ? Sa force et la technique qu'il avait acquise étaient-elles suffisantes ? Il était incapable de réprimer le doute qui le rongeait.

Après tout, il n'avait jamais que neuf ans.

A la gauche du trône se tenait le deuxième Chevalier Divin, une jeune femme d'une vingtaine d'années, aux cheveux brun clair et au regard calme. Elle se nommait Harmonie et Hélios ne savait pas grand-chose à son sujet, en-dehors de ce qu'il pouvait lire dans son aura. Essentiellement une très grande sérénité.

Il lui avait fallu du temps pour réaliser que tous ceux qui l'entouraient -même son maître- ne disposaient pas de la même sensibilité que lui au cosmos et à ses nuances. Pour lui, n'importe quelle personne était autant une nébuleuse d'énergies plus ou moins vives qu'un être de chair et de sang. Endymion avait été impressionné de voir tout ce qu'il pouvait déduire d'une simple fluctuation de cosmos. Hélios n'estimait pas cela si admirable. Il en avait toujours été capable, aussi loin qu'il se souvienne.

Une vive lumière blanche apparut soudain juste devant le trône et les deux Chevaliers Divins s'inclinèrent simultanément. Hélios fit de même, mettant un genou à terre, tandis que Zeus apparaissait.

L'aspect extérieur du maître des nuées était particulièrement ancien. Sa peau était ridée et parcheminée. Ses cheveux, bien que toujours abondant, étaient d'un blanc neigeux. Ses mouvements, qui n'avaient rien d'hésitants, et l'éclat toujours vif de ses yeux sombres venaient quelque peu contredire cette première impression, mais il n'en paraissait pas moins avoir très largement dépassé la centaine d'années, ancien même pour un habitant de la Ville Céleste.

Hélios se redressa. Ce n'était pas cet homme terriblement âgé qu'il voyait devant lui, ou peut-être qu'il ne le distinguait que de façon périphérique. Chaque fois qu'il se retrouvait en présence de Zeus, la totalité de ses sens était submergé par l'impression de puissance qui se dégageait de lui, aussi aveuglante que la lumière du soleil et pourtant aussi sereine que le ciel immuable.

_Approche, Hélios.

La voix était calme, bienveillante. Hélios s'avança jusqu'au trône, avant de s'incliner de nouveau juste devant le maître des nuées.

_Acceptes-tu de me jurer fidélité et de devenir l'un de mes Chevaliers Divins ?

Hélios réprima le frisson qui le saisit à cette question. En était-il seulement digne ? Qu'avait-il vraiment fait pour le mériter ? Mais ce n'était plus le moment pour ce genre de questions.

_J'accepte avec gratitude toute les responsabilités que vous accepterez de me confier et je vous jure fidélité jusqu'à ma mort.

C'était les mots qu'il avait préparé avant de venir. Ils lui semblaient un peu ridicules, maintenant, et pourtant ils n'exprimaient rien qui ne fut vrai.

_Lève-toi, Hélios, Chevalier Divin du Sud.

Le jeune garçon se redressa. Zeus lui souriait avec affection. Puis le dieu fit un geste et une armure ailée, à l'éclat d'or éblouissant, apparut devant lui.

_Je te remets ton armure, dit Zeus avec solennité, preuve que tu es désormais l'un de mes Chevaliers Divins. Tu peux la revêtir.

Hélios effleura du doigt la merveilleuse armure, osant à peine la toucher. Mais ce simple contact suffit pourtant à éveiller un écho. L'armure se brisa en ses multiples parties, qui vinrent recouvrir son corps en une fraction de seconde. La vague de puissance qui accompagna cet instant fit presque chanceler Hélios, mais il parvint pourtant à conserver son équilibre.

_Je vous remercie de la confiance que vous avez placé en moi, seigneur, dit-il en se retournant vers Zeus. Je ne vous décevrai pas.

Le maître des nuées sourit.

_J'en suis sûr.

* * *

1940, Janvier

_Le nombre de dimensions accessibles est virtuellement illimité. La plupart des humains n'en ont pas conscience, même s'ils sont par ailleurs éveillés au cosmos. Certains ont cependant le potentiel et la connaissance nécessaire pour se servir de ces autres dimensions. La démonstration la plus fréquente est le pouvoir de téléportation. Mais il est possible d'aller bien au-delà, du moins en théorie. La téléportation ne fait qu'ouvrir un passage sur une autre dimension durant une fraction de seconde. Avec les connaissances appropriées et un pouvoir important, un tel passage peut cependant être maintenu plus longtemps. Comprends-tu ?

_Oui, seigneur, répondit Hélios.

Le jeune Chevalier Divin se trouvait assis en tailleur au milieu de l'une des nombreuses salles d'entraînement du temple de Zeus, revêtu de son armure flamboyante. Juste devant lui, le maître des nuées le regardait avec intensité.

Il ne savait pas s'il avait raison de lui enseigner tout cela. Ce qu'il venait de dire était très simple, voire basique, mais la simple mise en application du concept n'avait jamais été véritablement maîtrisée par un mortel. Pourtant, peut-être qu'Hélios… Le jeune garçon montrait un potentiel si considérable que Zeus éprouvait le désir irraisonné de lui enseigner toutes ses connaissances sur le cosmos, de le guider sur le chemin d'une puissance toujours supérieure. Depuis qu'il était devenu Chevalier, quelques mois auparavant, le dieu avait même entrepris de lui enseigner en personne.

Hélios avait démontré une maîtrise stupéfiante de l'énergie destructrice et des pouvoirs mentaux. Mais son véritable point fort était la manipulation dimensionnelle. Endymion n'avait pas pu lui apprendre grand-chose à ce sujet, n'étant pas un expert en ce domaine, mais Hélios avait malgré tout développé des capacités remarquables. Zeus était convaincu qu'il avait la possibilité de créer de véritables failles dimensionnelles.

_A présent, montre-moi ce que tu es capable de faire.

Hélios hocha silencieusement la tête et entreprit de se concentrer. Son aura étincelante s'étendit, emplissant petit à petit la pièce. Zeus fronça les sourcils tandis que ses sens divins s'efforçaient de discerner les manipulations dimensionnelles du jeune Chevalier. Qu'essayait-il donc de faire ? Il ne concentrait pas toute son énergie sur un seul point de l'espace comme il l'aurait dû. Au contraire, il semblait diviser sa force. Mais dans quel but ?

Interloqué, Zeus vit une lumière aux reflets irréels envelopper l'une des quelques statues qui ornaient la salle. Une vibration parcourut l'espace comme un écho à peine audible. Puis la statue se détruisit. Elle ne se fracassa pas simplement en plusieurs morceaux. Elle se désintégra littéralement en un nuage de poussière immatérielle. Zeus retint sa respiration, stupéfait. La statue avait été en orichalque pur, virtuellement indestructible.

Il y eut un instant de silence tandis qu'Hélios rompait sa concentration et relevait les yeux vers son maître immobile.

Même moi, je l'ai donc sous-estimé, et à quel point !

Il fallut un instant au jeune Chevalier Divin pour réaliser l'expression étrange sur le visage de Zeus. Les yeux sombres du maître des nuées le fixaient avec une intensité surprenante.

_Seigneur ?

Zeus eut un sourire particulier.

_Hmm… fit-il avec une légère ironie. Es-tu bien certain de n'être qu'un mortel ?

Hélios haussa un sourcil, perplexe.

_Peu importe, fit Zeus avec un geste de la main. Mais je suis très impressionné. Cela fait longtemps que je n'ai pas été tellement impressionné, en fait. Ta puissance est réellement remarquable.

_Je vous remercie, seigneur, fit Hélios en s'inclinant.

_En fait, je suis vraiment curieux de voir jusqu'où va cette puissance, poursuivit Zeus. Est-ce que tu serais prêt à m'affronter personnellement pour que nous puissions en juger ?

Le jeune Chevalier Divin écarquilla les yeux, totalement pris au dépourvu. Mais Zeus ne plaisantait aucunement, son regard intense ne laissait aucune ambiguïté à ce sujet.

_Ce serait… un honneur, parvint finalement à dire Hélios.

_Parfait, dit Zeus en souriant.

Puis il tendit une main et la salle du palais qui les entourait disparut, s'estompant en l'espace d'une seconde dans une obscurité impénétrable. Une plaine apparut tout autour d'eux, grise et informe sous un ciel infiniment noir. Hélios reconnut aussitôt la dimension de l'Arène. Son maître l'y avait souvent amené pour son entraînement et il lui était arrivé d'y retourner tout seul depuis qu'il avait remporté son armure. C'était un endroit où il était possible de recourir à toute sa puissance sans aucune contrainte car il ne s'y trouvait rien qui risque d'être détruit. En-dehors, bien entendu, de ceux qui y venaient.

Zeus s'éloigna d'une dizaine de mètres avant de se retourner vers lui, le visage grave.

_Je ne chercherai pas à retenir ma puissance, lui dit-il d'une voix neutre, parce que ce serait méprisant de ma part. Ta puissance est exceptionnelle. Je veux pouvoir l'apprécier dans un véritable combat.

Hélios se tendit. Le maître des nuées avait adopté une sorte de garde et son cosmos déjà fantastique était en train de s'intensifier encore, jusqu'à presque brûler le regard. Son aura d'ordinaire infiniment calme était en train de se faire violente, presque agressive. De toute évidence, Zeus se préparait à attaquer.

Le jeune Chevalier Divin prit sa décision en l'espace d'un instant. Il était futile d'espérer l'emporter par une stratégie quelconque et plus futile encore de perdre du temps à tester son adversaire. Sa seule chance était de recourir à ce pouvoir qu'il venait juste d'entrevoir quelques instants auparavant. Qu'il était à peine sûr de pouvoir contrôler.

Hélios embrasa son cosmos à son tour. Il était puissant, exceptionnellement puissant, même s'il ne pouvait que pâlir en présence de celui de Zeus. Plus important encore que la puissance brute, la technique qu'il avait entrevue nécessitait une maîtrise totale. En une fraction de seconde, le jeune Chevalier Divin atteignit une concentration totale. Seulement alors, il tendit les mains devant lui.

En face de lui, Zeus avait matérialisé une gigantesque boule de foudre.

_Dimensional Explosion !

Hélios mit toute sa force et sa volonté dans l'attaque, atteignant à cet instant un niveau supérieur à tout ce qu'il avait jamais accompli.

Mais il n'eut même pas le temps de voir le résultat de son offensive. La boule de foudre crépitante le percuta de plein fouet, l'engloutissant instantanément dans une infinité de lumière blanche aveuglante. Hélios eut l'impression de s'entendre crier sous la pression terrible de la force divine, une force supérieure à tout ce qu'il avait jamais connu. Son propre cosmos ne lui assurait aucune protection et il n'était plus qu'une poupée emportée dans un tourbillon irrésistible.

Puis cela cessa. Hélios percuta brutalement le sol dur de l'Arène, couvert de son propre sang et à peine conscient. La douleur qui lui broyait le corps était horrible, plus grande que tout ce qu'il aurait pu imaginer. Il lui semblait que tout son corps avait été consciencieusement réduit en miettes. Sans son armure, lui vint la pensée, ce serait probablement le cas.

Indistinctement, comme de très loin, il vit Zeus s'approcher et se pencher sur lui, tendant une main pour l'effleurer. Et subitement, la douleur disparut, comme effacée de l'existence.

_Du calme, fit Zeus d'une voix apaisante, n'essaie pas de te relever encore. Je t'ai anesthésié et j'ai refermé tes plaies, mais tu as besoin de soins plus importants. Je vais te renvoyer vers la Ville Céleste où un guérisseur pourra s'occuper de toi.

Il se redressa et Hélios put voir que du sang s'écoulait d'une plaie à son front.

_C'était un beau combat, dit Zeus, qui paraissait s'éloigner de plus en plus. Jamais encore je n'avais rencontré un mortel capable de me blesser. Ton attaque est véritablement parfaite, je te félicite. Et, avec cette force, tu pourrais même devenir…

Le reste de ses mots se dissipa dans le néant tandis que le jeune Chevalier Divin perdait connaissance.


Zeus regarda un long instant le corps inerte de son Chevalier. Puis il fit un geste de la main et ouvrit un passage vers la Ville Céleste. Un instant plus tard, Hélios avait disparut.

Resté seul dans la dimension de l'Arène, Zeus se retourna pour observer les traces qu'avaient laissé leurs attaques respectives. Remarquable, vraiment. Mais même ces traces explicites ne laissaient pas apprécier à sa juste valeur la complexité extrême de l'attaque que venait d'employer contre lui un simple mortel.

Une vague de faiblesse subite déferla sur lui et il chancela légèrement. Tendant une main devant lui, il fit apparaître un trône de pierre massif au milieu du champ de bataille dévasté et s'y laissa presque tomber.

Un sourire difficile se dessina sur ses lèvres. Il avait beau concentrer tout son pouvoir depuis la fin du combat pour essayer de refermer les blessures que lui avait infligé l'attaque d'Hélios, cela ne semblait pas suffire tout à fait. La souffrance était considérable, même pour un dieu. Il allait lui falloir du temps avant d'être suffisamment remis pour retourner à son tour à la Ville Céleste.

Décidemment, il était en train de se faire trop vieux.

* * *

1941, Janvier

_Comment ?

Le ton de la déesse des mariages était incrédule.

_Je dis qu'il est temps pour nous de renoncer à nos corps actuels, répéta patiemment Zeus.

Héra fronça les sourcils. De l'extérieur, elle paraissait aussi terriblement âgée que son époux. Mais elle ne semblait pas résignée à accepter cette décision de renoncer à son existence actuelle.

_N'est-ce pas risqué de le faire maintenant ? demanda-t'elle avec insistance. Il y a trop peu de Chevaliers pour protéger la Ville Céleste. Ne pourrions-nous pas attendre que d'autres aient été formés ? Il nous faudra plus de vingt ans pour accéder à une nouvelle existence. Qui sait quels risques pourraient menacer la Ville pendant que nous ne serons pas là pour la protéger ?

_Mon corps a été blessé, admit Zeus, et il est trop âgé pour pouvoir se régénerer encore. Au mieux, il ne lui reste pas plus de quelques années d'existence. C'est insuffisant pour assurer une véritable relève de mes Chevaliers.

La surprise se lut clairement sur le visage d'Héra. Zeus blessé ? Comment cela pouvait-il être possible ?

_Dans ce cas, il existe une autre solution, reprit-elle pourtant, un peu à regret. Je peux demeurer derrière et attendre que tu aies accompli ta réincarnation pour mourir à mon tour.

_Tu tiens vraiment à exercer le pouvoir ici ? plaisanta Zeus, amusé

_Tu sais bien que ce n'est pas le cas ! riposta Héra avec agacement. Je ne veux simplement prendre aucun risque.

Zeus sourit avec affection.

_Je sais bien. Et je t'assure que la Ville Céleste ne risquera rien pendant notre absence. Je compte la laisser entre les mains de quelqu'un qui saura la protéger. Le plus puissant de mes Chevaliers, de très loin.

Héra haussa les sourcils, surprise. Elle ne connaissait pas vraiment la plupart des Chevaliers de Zeus et elle ne se souvenait pas que son époux ait jamais mentionné que l'un d'entre eux se distingue à ce point des autres.

_De qui s'agit-il ? demanda-t'elle avec curiosité.

_De lui, répondit Zeus en faisant un geste.

L'air vibra et l'image d'un très jeune chevalier apparut devant eux. Héra le regarda avec incrédulité, si stupéfaite qu'elle ne sut pas immédiatement quoi dire.

_Mais ce n'est… ce n'est qu'un gamin ! dit-elle, retrouvant finalement l'usage de la parole. Tu ne peux pas être sérieux, Zeus ! Tu ne comptes pas vraiment confier le sort de la Ville Céleste aux mains d'un enfant qui ne doit pas avoir plus de dix ans !

_Il en a bientôt onze, répondit le maître des nuées, souriant comme s'il s'était attendu à cette réaction. L'âge importe peu. Il possède une puissance qu'aucun humain ne pourrait égaler, ni même une divinité mineure. Sous sa protection, la Ville Céleste n'aura rien à craindre.

Mais Héra fronça les sourcils, sceptique. Elle savait que son époux n'était guère porté sur l'exagération, mais l'image qui flottait devant elle attisait ses doutes. Ce n'était qu'un enfant, même pas encore parvenu à l'adolescence. Il avait l'air innocent, le contraire d'un guerrier. La déesse ne parvenait pas à voir en lui l'ombre d'un quelconque pouvoir. Et même s'il était vraiment doué, était-il seulement capable d'employer pleinement toutes ses ressources ? Improbable. Impossible, même, pour quelqu'un d'aussi jeune.

_Je veux le tester, dit-elle finalement. Qu'il prouve sa valeur dans un véritable combat. Et puisque tu dis qu'il est le plus puissant de tes Chevaliers, qu'il affronte donc les miens.

Zeus inclina la tête en signe d'accord.

_Comme tu le désireras.


Le lendemain, l'aube se leva sur une certaine agitation dans la Ville Céleste. La nouvelle des combats à venir s'était répandue comme une traînée de poudre et, à l'heure dite, une foule nombreuse se pressait sur le lieu où les Chevaliers devaient s'affronter.

Le vaste amphithéâtre de marbre blanc, situé à peu de distance du temple de Zeus, n'avait à vrai dire pas vocation à abriter ce genre d'affrontements. Les spectacles qui y étaient représentés déclinaient toutes les facettes de l'art, rivalisant constamment de splendeur et de beauté. Mais c'était aussi le lieu où se déroulaient les évènements qui concernaient la totalité de la Ville Céleste, ce qui était le cas ce jour-là.

La foule était dense, occupant la totalité des gradins sans laisser le moindre espace. Assis sur les trônes qui leur étaient réservés, Zeus et Héra présidaient aux combats qui allaient avoir lieu. Endymion et Harmonie se tenaient tous deux à la droite du maître des nuées.

Loin en contrebas, deux silhouettes se faisaient déjà face, attendant le signal qui leur indiquerait de commencer. Le cosmos de Zeus avait enveloppé la zone où allait avoir lieu les affrontements, protégeant les gradins et tous les spectateurs qui s'y trouvaient.

Hélios se sentait sereinement calme. Zeus lui avait expliqué les raisons de ces combats et il s'y sentait parfaitement prêt. La perspective de recourir à la violence contre quelqu'un qui n'était pas un ennemi ne lui plaisait pas véritablement, mais il en comprenait la nécessité.

Le jeune Chevalier Divin fixa son adversaire, ignorant totalement la foule immense qui l'entourait. Arcas était le plus jeune des Chevaliers d'Héra, n'ayant atteint que récemment ses dix-huit ans. Hélios n'eut besoin que d'un instant pour déterminer qu'il lui était largement inférieur. Pire encore, Arcas semblait véritablement gêné de devoir l'affronter, comme si la perspective d'affronter quelqu'un de tellement plus jeune l'embarrassait. C'était à peine s'il avait pris la peine de se mettre en garde. Cette attitude déconcertait un peu Hélios, qui avait du mal à comprendre qu'un Chevalier se fie à ce point aux apparences. Mais en fin de compte, cela ne faisait que rendre les choses plus simples.

Zeus donna le signal mental qui marquait le début de l'affrontement.

Le combat s'acheva presque avant d'avoir commencé. Hélios bondit sur son adversaire, qui fut beaucoup trop lent à réagir. Arcas reçut un choc brutal en pleine poitrine, que son armure n'amortit que partiellement. Etourdi l'espace d'un instant, il vit à peine Hélios se baisser et lui faucher les jambes d'un mouvement rapide. Tombant lourdement en arrière, le Chevalier d'Héra n'eut même pas le temps d'essayer de se relever qu'Hélios était déjà sur lui, main tendue, prêt à frapper.

_Je me rends, murmura Arcas.

Hélios hocha silencieusement la tête avant de l'aider à se relever. Dans les gradins, le murmure de la foule s'était changé en véritable vacarme à la vue de cette victoire si aisée. Avant le début du combat, bien peu de spectateurs s'étaient attendus à ce qu'un enfant, fut-il Chevalier, puisse tenir plus d'un instant face à un adversaire bien plus âgé et c'était le contraire qui venait de se produire !

Assis sur son trône, Zeus tourna vers son épouse un regard amusé. Mais Héra était déjà en train de suivre les préparations du combat suivant.

Arcas venait de quitter l'arène, honteux surtout d'avoir à ce point présumé du résultat du combat, et Niobé l'avait remplacé, allant se placer à son tour face au jeune Chevalier Divin. Agée seulement d'un an de plus qu'Arcas, la jeune femme aux cheveux noirs courts et bouclés n'était pas d'un niveau très supérieur. Mais elle était loin d'être stupide et ce qui venait de se passer ne lui avait pas échappé. Cette fois, lorsque le combat débuta, Hélios trouva face à lui un adversaire prêt.

La foule retint son souffle tandis que s'engageait un duel au corps à corps acharné. La vitesse des mouvements et des attaques était telle que seuls un très petit nombre - ceux qui en avaient la capacité - pouvait véritablement les suivre. Les autres ne voyaient que de silhouettes floues qui tourbillonnaient l'une autour de l'autre en une danse meurtrière.

Très droite sur son trône, Héra suivait chaque détail du combat avec attention. Au bout d'un instant, pourtant, elle tourna légèrement la tête vers celui qui se tenait à sa gauche, debout dans l'ombre.

_Qu'est-ce que tu en penses ? demanda-t'elle à mi-voix.

_Niobé va perdre, répondit l'autre sans la moindre trace d'hésitation. Cela n'a déjà duré si longtemps que parce que le Chevalier Divin n'emploie pas toute sa force.

Héra fronça légèrement les sourcils, surprise malgré elle.

_Il est donc tellement puissant que cela ? interrogea-t'elle.

_Je n'ai jamais eu l'occasion d'observer quelqu'un qui le soit autant. J'ai du mal à croire qu'un corps mortel puisse abriter une telle force.

Il y eut un silence prolongé. Dans l'arène, Niobé était en train de reculer face à l'offensive intensifiée d'Hélios.

_Je souhaite que tu l'affrontes, dit finalement Héra.

L'autre ne répondit pas immédiatement, comme perdu dans ses pensées.

_Sa faiblesse est son manque d'expérience, dit-il après un temps. A voir sa technique, je peux dire qu'il n'a jamais eu l'occasion d'affronter un adversaire à sa mesure en un véritable combat. C'est quelque chose qu'il apprendra au fur et à mesure, comme chaque chevalier. Mais, si je l'affronte maintenant, je devrai véritablement essayer de le tuer. Il serait vain de vouloir le tester sans y mettre toutes mes forces. Et sa mort serait un gâchis démesuré. Je préfèrerais éviter de prendre un tel risque.

En contrebas, Niobé avait finalement eu recours à l'une de ses attaques les plus puissantes. Hélios avait bloqué l'impact de front, sans même reculer d'un pouce, avant de reprendre aussitôt son offensive. Il était clair que le combat ne durerait plus très longtemps.

_J'ai besoin d'être absolument sûre, dit finalement Héra. Trop de choses sont en jeu.

_Comme vous le désirerez.

Les acclamations de la foule éclatèrent lorsque Niobé finit par capituler devant les attaques toujours plus puissantes de son jeune adversaire. La technique dont faisait preuve l'enfant face à des Chevaliers presque deux fois plus âgés que lui et bien plus grands forçait l'admiration de tous. Reconnaissant sa défaite avec un mélange d'embarras et d'admiration, Niobé s'inclina profondément devant Hélios, qui lui rendit la pareille.

Les acclamations moururent assez rapidement pour être remplacées par des murmures respectueux au moment où le troisième et dernier Chevalier d'Héra paraissait à son tour, quittant l'ombre où il était resté jusque-là.

Toujours aux côtés de Zeus, Harmonie sentit Endymion se tendre imperceptiblement tandis que le dernier adversaire d'Hélios descendait les marches menant à l'arène.

_Tu crains qu'il ne parvienne pas à le battre ? demanda-t'elle à mi-voix.

_Je sais que je n'y arriverais probablement pas, répondit le Chevalier Divin sans détourner le regard. Hélios… je ne sais pas.

Les regards se tournaient sur le passage du plus âgé des Chevalier d'Héra, comme aimantés, et même Hélios qui l'attendait ne put s'empêcher de le fixer attentivement.

Lyncée ne passait pas inaperçu. Ses cheveux étaient d'un rouge enflammé qui incendiait son dos, tombant presque jusqu'à sa taille. Ses yeux bleus étaient de teintes légèrement différentes, mais tous deux d'une intensité pénétrante. Son visage mince était strié de nombreuses marques blanchâtres, cicatrices anciennes que même le pouvoir régénérant du cosmos n'était pas parvenu à faire disparaître totalement. Sa démarche était celle d'un prédateur. La violence émanait de lui comme une aura et pourtant elle était parfaitement maîtrisée, comme soumise au contrôle constant de sa volonté.

De tous les Chevaliers, Lyncée était celui qui suscitait le plus les rumeurs. Ce n'était certes pas au service d'Héra qu'il avait subi toutes ces blessures. Certains prétendaient qu'il avait autrefois été au service d'une divinité plus belliqueuse, qu'il avait quitté après s'être lassé du sang. Personne n'osait lui poser la question directement.

Ce que personne ne contestait, c'était qu'il était sans aucun doute le guerrier le plus expérimenté de toute la Ville Céleste.

Lyncée parvint à l'arène et alla se placer à quelques mètres d'Hélios. Son visage était totalement fermé. Face à lui, le jeune Chevalier Divin était légèrement déconcerté. Le cosmos de son nouvel adversaire était impossible à déchiffrer clairement, un mélange confus d'agressivité et de calme. Pourtant, il ne se sentait pas inquiet. Il venait après tout de remporter deux victoires sans avoir eu à utiliser plus d'une fraction de sa force.

Hélios s'inclina devant son adversaire avant de se mettre en garde. Lyncée lui répondit d'un hochement de tête.

Le combat débuta au signal de Zeus. Choisissant de prendre l'initiative, Hélios se précipita vers le Chevalier d'Héra. Son adversaire étant plus grand, il disposait d'une allonge supérieure. Le meilleur moyen de contrer cet avantage était de se rapprocher suffisamment pour qu'il devienne au contraire une gêne.

Lyncée esquiva, presque sans peine, et riposta immédiatement. Le coup fusa à la vitesse de la lumière, visant le visage. Mais les réflexes d'Hélios entrèrent aussitôt en action et il bloqua l'attaque avant que celle-ci ne puisse l'atteindre.

Par contre, le coup de genou qu'il reçut en plein ventre le prit totalement au dépourvu.

Hélios tituba légèrement en arrière sous l'impact, le souffle coupé. Il ne lui aurait fallu qu'un instant pour absorber le choc, mais son adversaire n'avait pas l'intention de le lui accorder. Bondissant souplement, Lyncée referma ses deux jambes autour du cou d'Hélios en un ciseau parfait, avant de le projeter violemment au sol. Réagissant cette fois immédiatement en dépit de la douleur, le jeune Chevalier Divin roula aussitôt sur le côté avant de se relever d'un mouvement rapide. Mais Lyncée semblait l'avoir totalement anticipé. Une pluie de coups vint déferler sur Hélios qui ne parvint à en bloquer qu'une petite partie et en encaissa brutalement la grande majorité. Finalement, alors qu'il s'efforçait d'interposer ses bras pour se protéger, une main lui agrippa brusquement le poignet et il fut projeté violemment.

Un silence stupéfait régnait dans les gradins au moment où le jeune Chevalier Divin alla s'écraser à une vingtaine de mètres, fissurant le sol de pierre sous l'impact. Le voir ainsi balayé alors qu'il avait paru invulnérable lors des deux premiers combats était stupéfiant.

Hélios se releva, essuyant d'un revers de main le sang qui perlait à sa bouche. Un sourire étrange était sur son visage en dépit de la douleur. C'était là le combat qu'il avait espéré, celui qui allait lui permettre de déterminer ce qu'il valait véritablement.

Lyncée courut vers lui, franchissant la distance qui les séparait en une fraction de seconde. Renonçant cette fois à bloquer de front, Hélios bondit au-dessus de la charge furieuse, cherchant à riposter dans le même temps. Lyncée lui attrapa le pied comme s'il n'avait été qu'une plume au vent et le projetant violemment de côté. Hélios se reçut d'une roulade, se redressant presque instantanément. Lyncée était déjà sur lui, mais, cette fois, il se trouvait prêt. Il bloqua l'attaque d'une main et riposta aussitôt, percutant le Chevalier d'Héra en pleine poitrine.

Lyncée chancela légèrement sous l'impact avant de se dégager d'un bond. Hélios suivit aussitôt, déterminé à ne pas laisser passer son bref avantage. Une nuée de coups vint s'abattre sur le Chevalier d'Héra, qui parvint cependant à en esquiver ou à en bloquer la quasi-totalité. Contraint malgré tout à la défensive, Lyncée dût battre en retraite progressivement. Un coup lui avait effleuré le front et un filet écarlate coulait à présent le long de son visage.

Mais cet avantage ne pouvait durer très longtemps. Alors qu'il continuait de bloquer avec ses deux bras, la jambe droite de Lyncée partit brusquement, percutant Hélios en pleine tête et faisant voler son casque. Etourdi par le choc, le jeune Chevalier Divin eut pourtant le réflexe de bloquer l'attaque suivante et de reculer précipitamment pour pouvoir se reprendre.

Dans les gradins, tous ceux qui étaient à même de suivre le déroulement de ce combat le faisaient avec une attention absolue, fascinés par le duel des deux guerriers exceptionnels. Les attaques et les ripostes s'échangeaient à une vitesse toujours constantes et les blessures commençaient à apparaître de chaque côté. Aucune n'était encore suffisamment sérieuse pour gêner l'un ou l'autre.

L'opposition des styles était aisément discernable. Elle était étrangement contraire à ce qu'on aurait pu attendre en voyant les deux adversaires, dont l'un arrivait à peine à la poitrine de l'autre. Hélios utilisait en permanence sa puissance hors du commun, donnant au moindre de ses coups une force considérable. Face à lui, Lyncée donnait libre cours à son agilité et à ses techniques. Si l'expérience considérable des combats que possédait le Chevalier d'Héra avait semblé lui assurer le dessus au début, ce n'était déjà plus le cas. Hélios apprenait avec une vitesse qui défiait l'imagination, assimilant au fur et à mesure toutes les techniques auxquelles son adversaire avait recours, voire les retournant contre lui.

Brusquement, après un échange de coups violents qui les avait laissé tous deux couverts de sang, Lyncée bondit en arrière. Il tendit les deux mains devant lui et une énergie rayonnante vint affluer le long de ses bras. Une boule de lumière et de ténêbres mêlées se matérialisa entre ses paumes opposées.

Face à lui, pressentant l'emploi par son adversaire de l'une de ses techniques secrètes, Hélios avait choisi de faire de même, croisant les bras devant lui et concentrant son cosmos titanesque.

_Chaotic Desintegrate !

_Galaxian Explosion !

Les deux vagues d'énergie destructrice se percutèrent de plein fouet, pulvérisant le sol dallé et faisant trembler les gradins de marbre. L'impact souleva un énorme nuage de poussière qui dissimula brièvement les deux adversaires au regard des spectateurs. Mais aucun des deux n'attendit même d'avoir pleinement récupéré l'énergie dépensée avant de se jeter de nouveau sur l'autre avec la même résolution qu'auparavant.

Le duel se poursuivit encore longtemps, sous les regards fascinés de la foule qui était là. Près d'une heure s'était déjà écoulé depuis le début du combat lorsqu'Hélios commença de nouveau à avoir le dessous. Jusque-là, il avait tenu tête à Lyncée, rendant coup pour coup et parvenant même à plusieurs reprises à prendre l'avantage. Mais à présent ses coups étaient en train de se faire plus lents, plus difficiles. Il ne contre-attaquait plus systématiquement après être parvenu à bloquer une attaque et le rythme de ses déplacements diminuait inexorablement. Son cosmos brûlait toujours avec la même intensité, mais son corps trop jeune ne parvenait tout simplement plus à suivre.

Sentant la faiblesse de son adversaire, Lyncée intensifia ses propres coups, se concentrant tout entier sur l'offensive. Lui-même ne se trouvait pas encore fatigué, bien au contraire. Hélios fut contraint de battre en retraite devant la violence de l'assaut, mais ne parvint pas à totalement l'éviter. Un coup de poing brutal le percuta en plein ventre et un autre manqua de très peu sa tête exposée. Exténué, se sentant à peine capable de faire encore un geste pour se défendre, le jeune Chevalier Divin fit deux pas en arrière, bien insuffisants pour se mettre à l'abri. Mais pour une fois, Lyncée ne suivit pas.

_Abandonne, lui lança le Chevalier d'Héra en accrochant son regard de ses yeux dissemblables. Tu as déjà démontré ta valeur. Je n'ai jamais eu à livrer un combat si difficile et je ne vais l'emporter que parce que tu n'as pas encore l'endurance nécessaire. D'ici quelques années seulement, tu seras suffisamment fort pour me battre aisément. Alors abandonne ! Il n'y a aucun déshonneur et je ne souhaite pas te blesser si je n'y suis pas obligé.

Hélios sourit, malgré la douleur et l'épuisement qui menaçaient de lui faire perdre connaissance d'un instant à l'autre.

_Je m'en voudrais éternellement de ne pas mener ce combat à son terme, répondit-il tout en essuyant le sang qui lui coulait sur le front. Et il me reste encore quelque chose à te montrer.

_Fort bien, répondit Lyncée, le visage totalement dépourvu d'expression. Dans ce cas, je vais moi aussi te montrer mon arcane le plus secret.

Puis ses poings se crispèrent et son aura explosa avec une violence terrible. Ses yeux brûlaient désormais d'une lueur terrible de sauvagerie et un vent surgit de nulle part était venu l'entourer, faisant voler les débris qui gisaient à leurs pieds. Une noirceur indicible le recouvrit progressivement, le masquant presque totalement aux yeux des spectateurs.

Face à lui, Hélios avait fermé les yeux pour se concentrer. Il se sentait faible, terriblement faible. Mais son cosmos était intact et c'était tout ce dont il avait besoin pour porter une ultime attaque. Juste une. Qu'elle réussisse ou qu'elle échoue, il aurait alors donné tout ce qui était en lui face à cet adversaire de valeur.

Hélios rouvrit les yeux.

_Dimensional…

_Forbidden !!!

Une vague de ténêbres impénétrables partit de la main tendue de Lyncée pour s'abattre sur Hélios. Pris au dépourvu, le jeune Chevalier Divin se prépara à endurer le choc. Au lieu de cela, il se retrouva subitement plongé dans un univers de froid infini. L'obscurité recouvrit ses yeux tandis que le gel s'infiltrait en lui, le glaçant jusqu'aux os en l'espace d'un instant. Incapable de réagir, réalisant que son armure ne le protégeait pas, Hélios sentit le peu de force et de chaleur qui lui restait encore s'échapper de son corps.

Haletant péniblement après l'effort qu'il venait de fournir, Lyncée regarda avec étonnement le jeune garçon toujours debout devant lui. Il était figé, totalement immobile, une main dressée en l'air comme s'il avait été sur le point d'annoncer quelque chose. Son état de faiblesse l'avait trop ralenti, en fin de compte, l'empêchant de déclencher son attaque à temps.

Puis les yeux d'Hélios s'embrasèrent d'une lumière intense et Lyncée ne put s'empêcher de reculer en le voyant achever son mouvement.

_…Explosion !!!

Des fissures dimensionnelles apparurent le long du corps de Lyncée, déchirant l'espace et enflammant l'air de couleurs impossibles. Le Chevalier d'Héra n'eut pas le temps d'esquisser un geste avant qu'une énergie destructrice immense ne l'enveloppe et ne le fasse disparaître à la vue de la foule amassée dans les gradins.

L'explosion qui s'ensuivit aurait certainement détruit une bonne moitié de l'amphithéâtre, n'avait été la protection de Zeus. La lumière aveuglante de la déflagration força les spectateurs à se protéger les yeux et le bruit assourdissant qui l'accompagna se répercuta dans toute la Ville Céleste, faisant trembler le sol comme le prélude à un séisme.

Lorsqu'il fut possible de regarder de nouveau, les spectateurs virent que Lyncée gisait sur le sol de l'arène dévastée, couvert de sang au point d'en être à peine reconnaissable. Son armure avait été fracassée comme du cristal.

Les murmures de la foule s'élevèrent en un vacarme de stupéfaction, mais déjà Héra s'était téléportée aux côtés de son Chevalier et avait posé ses mains sur sa poitrine, puisant dans son pouvoir de guérison pour retenir le dernier souffle de vie qui se trouvait encore en lui.

Toujours debout là où il avait déclenché son attaque, Hélios n'avait plus qu'à peine conscience de ce qui l'entourait. Les sons déferlaient sur lui comme autant de vagues brutales et toutes les couleurs s'étaient mêlées en une mosaïque floue devant ses yeux.

Ce fut presque avec soulagement qu'il se permit enfin de sombrer dans l'inconscience.

* * *

1941, Juin

Presque à la limite de la Ville Céleste se trouvait un temple dans lequel personne n'entrait jamais. Tout de marbre blanc, il avait une forme circulaire, bordée de rangées de colonnes. Au sommet du dôme qui le coiffait brûlaient en permanence deux flammes dans des vasques de pierre, qu'il était presque possible de distinguer depuis l'autre côté de la cité. Le silence planait sur l'endroit comme un manteau épais que rien ne venait jamais troubler.

Ce jour-là, cependant, quatre silhouettes avaient gravi les escaliers menant à l'intérieur du temple et y avaient pénétré. Les habitants qui s'étaient trouvés là à ce moment les avaient suivi du regard avec un mélange de tristesse et de résignation, sachant ce que cela signifiait. Aucun n'avait même essayé de leur parler.

L'intérieur du temple se limitait à une unique salle, vaste et presque totalement vide. Des lampes accrochées aux murs brûlaient d'un éclat doré, baignant d'une douce lumière les moindres recoins du lieu. Deux lits de marbre blanc se trouvaient côte à côte au centre de la salle.

Parvenu devant l'un d'entre eux, Zeus se retourna vers celui qui l'avait accompagné jusque-là.

_Voici venu le moment de nous quitter, dit-il en souriant à son jeune Chevalier.

Hélios essaya de sourire en retour, mais sans y parvenir vraiment. Ses yeux étaient embués et son cœur lui paraissait aussi lourd que s'il avait été fait de plomb.

_Je… Vous allez me manquer, seigneur.

_Je ne serai pas absent éternellement, répondit Zeus en s'efforçant de le réconforter. Me réincarner prendra peut-être une vingtaine d'années, mais je finirai par revenir.

_Cela va me paraître très long, seigneur, lui dit son Chevalier, qui avait eu onze ans voilà quelques jours. Et je ne sais pas comment je m'en sortirai sans vos conseils.

_Je suis certain que tu t'en tireras à la perfection, dit Zeus en posant une main ancienne sur son épaule. Ne t'inquiète donc pas. En tant que chef de mes Chevaliers, tu auras un certain nombre de responsabilités, mais il te restera du temps pour grandir encore et te perfectionner. Et quand nous nous reverrons enfin, tu seras peut-être prêt à franchir une nouvelle étape de ta progression. Mais nous en reparlerons à ce moment-là.

Le maître des nuées retira la cape sombre qu'il avait portée pour faire le chemin entre son temple et celui-ci et la tendit à Hélios, qui la prit avec un peu de surprise. Le toucher était doucement soyeux sous ses doigts.

_Un souvenir, lui dit Zeus, et aussi un moyen de passer inaperçu quand tu auras à te rendre dans le monde des hommes. Elle est encore un peu grande pour toi pour le moment, mais tu devrais t'y accommoder. Au revoir, Hélios.

_Au revoir, seigneur, lui répondit son Chevalier Divin, dont les joues étaient désormais maculées de larmes.

A quelques mètres seulement de là, Héra se tenait également à côté du lit qui lui était destiné. Un pas en arrière se tenait Lyncée, silencieux. Il avait tenu à être celui qui l'accompagnerait, bien que sa guérison ne se soit véritablement achevée que récemment. Il portait encore les traces des terribles blessures qu'il avait subies, des traces qui mettraient longtemps à s'atténuer.

Après un moment d'hésitation assez long, Héra finit par se retourner vers son Chevalier. Le visage de Lyncée n'exprimait rien, non plus que ses yeux dissemblables.

_Je te confie la charge de mes Chevaliers pendant toute mon absence, lui dit-elle finalement. Occupe-toi d'Arcas et de Niobé, aide-les à atteindre leur niveau maximal et songe également à te choisir un successeur quand… quand il sera temps.

_Je n'y manquerai pas, répondit Lyncée en s'inclinant légèrement. Lorsque vous reviendrez, j'ai l'intention que vous trouviez à votre disposition des Chevaliers plus puissants encore que ceux que vous aurez laissés.

Héra le regarda un long instant en silence.

_Je suis désolée, finit-elle par dire.

_Vous n'avez pas de raison de l'être, ma déesse, répondit-il d'une voix calme. En vérité, c'était là le plus beau combat de mon existence et je vous suis reconnaissant de m'en avoir donné l'opportunité.

Héra parut vouloir dire encore quelque chose, puis se détourna pour se rapprocher de son lit de marbre. La voix douce de son chevalier lui parvint encore un instant.

_Adieu, ma déesse.

Les deux divinités s'étendirent sur leurs couches de pierre sous le regard des mortels qui se trouvaient là et une lumière vint recouvrir leurs corps, qui ne provenait d'aucune lampe. Elle était douce et légère, infiniment pure. Intense, et pourtant elle ne brûlait pas les yeux, n'aveuglait pas. Et lorsqu'elle se dissipa finalement, les deux lits de marbre étaient de nouveau vides.

A l'extérieur, au sommet du temple circulaire, les deux flammes venaient de s'éteindre.

Fin de la première partie

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Cette fiction est copyright David Judenne.
Les personnages de Saint Seiya sont copyright Masami Kurumada.