Chapitre 13 : Destins multiples...


Les jumeaux en repos...

Julian Solo observait son fils, absorbé dans l'observation d'un insecte qui rampait à ses pieds. Sion était curieux de tout, plus curieux que sa sœur, fort occupée pour le moment à jouer nonchalamment les midinettes au soleil, sur une chaise longue installée près du bord de la piscine de la maison. Il était heureux que ses enfants aient accepté de venir vivre quelques jours avec lui, ici, dans la maison de famille d'où l'on voyait le Cap Sounion.
Si Sion n'avait aucune arrière pensée, Athena, elle, en avait une: elle voulait que son père se rende compte de la valeur de Thétis...peut-être lui plairait-elle...aussi feignait-elle de se désintéresser de tout, forçant même la dose jusqu'à se mettre en bikini, elle qui détestait dévoiler son corps.
Athena buvait de temps en temps un peu du verre de jus de fruit posé sur une console près de sa chaise longue...son père était horrifié en voyant les traces des cicatrices qu'elle avait sur tout le corps, mais il savait également qu'il ne pouvait rien y faire... il devait laisser ses enfants suivre leur destin.
Tranquillement installés chez leur père, les jumeaux ne manquaient cependant pas d'aller au sanctuaire sous-marin souvent pour y voir leur frère Triton, qui veillait là-bas sur la bonne marche logistique du royaume en l'absence de Sion. Il lui avait interdit de prendre du travail avec lui, alléguant qu'il avait besoin de se reposer après la bataille.
Alors Sion se reposait, nageant dans la piscine et se promenant torse nu dans la maison sous le regard parfois non équivoque des servantes. Ses cicatrices, stries blanches, ressortaient elles aussi sur sa peau couleur caramel bien cuit, plus uniforme que celle de sa sœur, invariablement vêtue de tuniques courtes lors de ses entraînements au Sanctuaire. Mais Athena n'en avait cure...
Fréquentant ses enfants au quotidien, Julian Solo pouvait ainsi mieux se rendre compte de la différence des caractères des deux jumeaux: Athena, gaie, impulsive, avait cependant une ténacité et un courage hors du commun, alors que Sion était plus réfléchi, plus calme et plus introverti. Leur ressemblance, si marquée lors de leur petite enfance, s'estompait quelque peu, bien que subsistât encore quelques traits.
Mais leur symbiose prénatale était encore présente, tous deux étaient liés télépathiquement comme au temps de leur vie intra-utérine, mais cette symbiose n'entravait en rien leur indépendance...


Le Sanctuaire...

Doko relisait pour la troisième fois la lettre qu'il venait de recevoir de Chine: c'était le faire-part de naissance de son frère, né quelques semaines plus tôt et envoyé avec une longue lettre par ses parents. Le bébé avait été prénommé Shaolan, prénom chinois classique que Doko devinait inspiré par sa mère. Il savait aussi qu'elle avait du mal à se faire au fait qu'il soit devenu à son tour chevalier du Dragon, mais il pensait que c'était parce qu'elle s'était fait beaucoup de souci pour son père lorsque celui-ci combattait, il y avait bien longtemps, et aussi parce qu'il était son premier enfant et qu'elle réagissait en mère...
Il marcha un moment, descendit tout le Sanctuaire, perdu dans ses pensées. Mû, assise devant sa Maison, l'interpella:

" Tu as l'air bien préoccupé...c'est la naissance de ton frère qui te travaille à ce point-là ? "

Doko sourit et dit:

" Oh non, je suis content...
-Tu te sens seul, alors ? tu as le cafard ?
-Il y a un peu de ça... "

Doko aimait bien Mû, qui l'appréciait également...il savait qu'elle pourrait le comprendre, étant une mère elle-même...

" Tu dois te sentir bien seul depuis que Camus a regagné le palais de ses parents pour quelques temps... "

Alors Mû réfléchit un instant et dit:

" Si la déesse n'a pas besoin de toi dans l'immédiat, pourquoi ne te rendrais-tu pas en Chine, voir ta famille ?
-Je dois assurer ma mission...
-Je sais, mais c'est calme en ce moment, la leçon d'Arès a porté ses fruits...et puis nous sommes là, nous, nous pouvons assurer sa protection... "

Doko retrouva le sourire et remonta tout le Sanctuaire pour aller le demander à la déesse. Mû sourit elle aussi: cet enfant lui rappelait si fort son père ! mais elle devait aussi convenir qu'il lui rappelait aussi ses jumeaux, qui se trouvaient chez leur père...après tout, lui aussi avait le droit de les connaître, alors elle lui avait donné son accord pour qu'il les aie quelques semaines...Sion lui avait dit qu'il se reposait et qu'il était ravi, c'était l'essentiel...


Blue Graad...

Camus du Cygne, assis près de la grande cheminée de la salle principale du palais, observait les flammes sans dire un mot. Derrière lui, son frère cadet Isaak faisait ses devoirs, comme lui venait de terminer les siens...sa réussite à son épreuve d'armure ne lui faisait pas oublier qu'un jour il succèderait à son père, et que son éducation devait continuer, coûte que coûte, afin de faire de lui un parfait souverain...il avait toujours admiré son père qui, malgré le fait qu'il règnât sur un demi-million de personnes, était toujours resté très simple, mettant le noble et le pauvre au même niveau et leur accordant la même justice. Il avait toujours cherché à rendre service à son peuple déjà défavorisé par le climat infernal de neige et de glace qui régnait là, et lui avait enseigné dès sa petite enfance qu'il ne devait jamais léser personne de son peuple de quelque façon que ce soit.
Camus comprenait bien tous ces principes, et se jura de les mettre en application. Il pensait que ses pouvoirs de chevalier d'Athena ne faisaient pas de lui un homme au dessus des autres, mais au service des autres.
Alors entra dans la pièce sa mère, Natassia, dans un léger froissement de soie...elle se dirigea vers lui:

" Ton père t'appelle dans son bureau, Camus... "

Et elle lui sourit, histoire de lui faire comprendre que c'était quelque chose de positif. Depuis qu'il était rentré du Sanctuaire pour quelques semaines, elle avait montré qu'elle était contente qu'il soit là mais qu'elle le considérait désormais comme un adolescent, voire un homme, et qu'elle était fière de lui.
Camus se leva donc, sourit à son petit frère et se dirigea vers le bureau de son père, non loin de là. Quand il était plus jeune, il aimait s'y trouver pendant que son père travaillait, et celui-ci le lui autorisait parfois. Il frappa doucement à la lourde porte de chêne, et la voix de son père lui signifia d'entrer. Camus poussa la grand porte, et la referma doucement...Il resta devant la porte et demanda:

" Vous avez demandé à me voir, père ? "

Il devait maintenant vouvoyer ses parents, parce qu'il avait plus de dix ans et qu'il était l'aîné.
Hyoga, qui travaillait devant son grand bureau de chêne marqueté et sculpté, lui sourit et lui fit signe d'approcher.

" Ne fais pas cette tête, tu n'as rien fait, je voulais juste te dire que tu pourras participer aux audiences avec moi demain...c'est ton rôle en tant que prince héritier, et tu es assez grand maintenant pour me seconder... "

Camus hocha juste la tête, acceptant la décision de son père, pour lequel il avait le plus grand respect. Hyoga dit alors sur un ton plus affable:

" Assieds-toi avec moi ici, et partage mon thé... "

Camus obéit, et s'assit en face de son père. Un serviteur entra pour leur servir le thé. Hyoga demanda à son fils aîné:

" Quand comptes-tu repartir pour Athènes ?
-Je ne sais pas...dans une semaine ou deux je pense...je voudrais aussi aller à Asgard, mais je ne sais pas si j'aurai le temps...
-Sinon tu iras plus tard... "

Camus avait encore changé, se disait Hyoga en regardant son fils aîné. Ses cheveux, autrefois blonds comme les blés comme ceux de son père, se teintaient maintenant de quelques mèches d'un blond presque beige, de la couleur des cheveux de sa mère et de son oncle. Une nouvelle gravité empreignait ses traits, mais souvent une brume de tristesse embuait ses yeux bleu clair...Camus était heureux, mais Hyoga savait aussi qu'il se cherchait beaucoup, réfléchissant sur lui-même, sur sa place en ce monde et sur sa mission ainsi que sur ses réelles capacités de chevalier. Oh, bien sûr, il connaissait ses obligations, mais il ne fallait pas oublier qu'il n'avait encore qu'onze ans...la déesse avait abordé cela dans la lettre qu'elle lui avait envoyé juste avant que son fils ne revienne, Camus était puissant mais, pour son développement normal, elle estimait nécessaire qu'il ne grandisse pas trop vite. C'est pour cela qu'elle avait autorisé son retour dans sa famille pour quelque temps, afin qu'il puisse s'équilibrer. L'enfant but calmement sa tasse de lait, puis son père lui dit:

" Je crois que ta mère t'attend pour te faire essayer ta nouvelle tunique de cérémonie, tu as tellement grandi qu'il t'en faut une neuve... "

Camus hocha la tête et sortit de la pièce, laissant son père seul avec ses réflexions.


Le Sanctuaire…

Les deux Shaka, assis devant la maison de la Vierge, étaient en position de méditation sous le soleil infernal du début d'après-midi. La carnation dorée de l'enfant faisait écho à la peau blanche de son maître, mais le vêtement bouddhique porté par l'un et par l'autre, de couleur jaune et rouge, était identique.
Pendant plus d'un an, Shaka l'apprenti était resté dans un temple près de Benarès, temple dont son maître était le propriétaire et le fondateur. Il n'en sortait jamais, dormait peu et se nourrissait encore moins, c'était le chemin du Nirvana selon son maître, qui le faisait méditer beaucoup. Au début, il avait cru devenir fou, ayant des hallucinations souvent, mais il avait eu la force de s'y habituer, et tout cela lui était devenu une habitude à présent. Il avait lu la vie de Bouddha dans de vieux livres en Sanscrit, dont il avait eu à apprendre l'alphabet et la syntaxe, mais il ne le regrettait pas, il avait toujours été curieux d'apprendre, au grand étonnement de son père, qui n'avait jamais vraiment attaché d'importance à la culture. Il n'avait pas revu sa famille depuis bien longtemps, mais il devinait que tout allait bien, son instinct surdéveloppé le lui disait.
Depuis peu, il se sentait un peu plus seul, ses cousins ayant rejoint leurs familles…il n'osait pas demander la même chose pour lui-même, sachant de toute façon que son maître sûrement refuserait.
Un peu plus tard, Shaka se releva, et regarda son élève dans les yeux…la couleur bleu clair de ses yeux dérangeante parfois, perça l'enfant jusqu'au fond de l'âme.

" Shaka, tu vas faire tes bagages... "

Docile, l'élève se leva mais n'osa pas demander pour quelle destination, sûrement le temple...Shaka le retint et lui dit:

" Je te renvoie chez tes parents pour quelques temps...tu as besoin de repos, et tu progresses assez bien pour que ce petit congé n'influe pas sur ton entraînement... "

Le tout dit sur un ton suffisamment formel pour que l'enfant ne s'aperçoive pas qu'il s'inquiétait pour lui...il l'aimait beaucoup, comme s'il eût été son propre fils, ce qui ne se pouvait car, entrant au monastère alors qu'il n'était qu'un enfant, il avait fait voeu de laisser les choses terrestres...
Il précisa cependant:

" Je vais venir avec toi, je dois parler à ton père... "

L'enfant s'inclina, et, une fois en dehors de la pièce, laissa éclater sa joie...mais Shaka connaissait suffisamment bien son disciple-filleul pour savoir que cela lui faisait infiniment plaisir. Sa famille lui manquait, et à presque dix ans, il en avait encore besoin. Il devait s'endurcir, mais Shaka estimait qu'être chevalier d'or ne nécessitait pas une coupure totale avec sa famille, surtout quand son père pouvait encore lui apporter beaucoup de choses...depuis maintenant un certain nombre d'années qu'ils se connaissaient, Ikki et lui, malgré leurs différences évidentes, partageaient une calme et franche amitié. Tout naturellement, à la naissance de son fils, Ikki avait demandé à son ami d'être son parrain, et Shaka avait accepté. Au moment même où il s'était penché sur le berceau de son homonyme qui venait à peine de naître, il avait su que cet enfant lui succèderait dans son office. En tant qu'être le plus proche de Dieu, il savait souvent des choses qu'il était le seul à savoir, et cela était pour lui une certitude absolue, qui s'était vérifiée lorsque l'enfant avait commencé à développer des aptitudes particulières, vers l'âge de quatre ans.
Pour l'instant, Shaka, avec ses grands yeux bleus et ses cheveux bleu foncé, progressait bien, et, en dépit d'une apparence malingre quand il était plus petit, s'était plutôt étoffé ces temps derniers malgré le jeûne auquel il était soumis au temple. Il grandissait assez régulièrement, sans à-coups, mais avait parfois des attitudes rebelles qui rappelaient le comportement de son père en son jeune temps. Mais il avait toutefois un caractère plus placide, qu'il avait hérité de sa mère...Shaka l'apprenti chevalier d'or de la Vierge avait déjà une certaine empathie avec le monde qui l'entourait, il pouvait rester des heures assis dehors, en totale communion avec la Nature, c'était son don personnel, celui qu'il n'avait pas appris auprès de son maître, tous les chevaliers d'or ou futurs chevaliers d'or en avaient un...


Les Cinq Pics...

Doko, perplexe, était penché au dessus du berceau de son petit frère qui commencait à pleurnicher. Ne sachant quoi faire, il appela sa mère:

" Maman ! je crois bien que Shaolan va pleurer... "

Shunrei, étendant du linge au dehors, lui cria:

" Prends-le pour qu'il patiente avant son biberon... "

Maladroitement, le cramponnant, Doko prit son frère dans ses bras. Il le tint à bout de bras devant lui, ne sachant que faire...Shaolan hurla de plus belle, faisant arriver leur mère qui précisa gentiment à son fils aîné:

" Ne le tiens pas comme ça, tiens-le contre toi, qu'il se sente aimé et en sécurité auprès de son grand frère...vas-y, n'aie pas peur... "

Doko serra Shaolan contre lui, et le bébé se calma pendant que sa mère préparait son biberon. Il plongea ses yeux au fond de ceux de son frère aîné, et tous deux se regardèrent pendant un long moment...
Depuis qu'il était rentré du Sanctuaire, Doko aidait souvent sa mère, mais la perspective de s'occuper de son petit frère lui faisait dresser les cheveux sur la tête...il avait l'air si fragile qu'il avait peur de le casser...Shunrei ne se moquait pas de lui, au contraire, elle l'encourageait autant qu'elle pouvait à surmonter sa peur le plus souvent possible, en lui montrant comment faire...Doko sut ses efforts récompensés quand son petit frère lui sourit. Doko resta les yeux écarquillés, et sourit timidement à Shaolan, qui gazouilla de contentement.
Il s'assit, et soutint le bébé devant lui, en lui soutenant bien la tête, comme il avait vu sa mère le faire. Shunrei arriva et lui tendit le biberon:

" A toi l'honneur... "

Le regard paniqué de son fils aîné l'amusa, mais elle lui mit d'autorité le biberon dans la main en disant:

" Prends-le contre toi, appuie-le bien contre l'intérieur de ton bras et donne-lui...voilà... "

Shaolan prit la tétine et commença à vider méthodiquement le lait que contenait le biberon. Finalement, Doko trouvait ça plutôt facile de nourrir son petit frère et de s'en occuper, et aussi gratifiant. En tant que fils aîné, il savait que c'était sa mission que d'aider sa mère et considérait cela comme un devoir.
Shunrei observait la scène, le sourire aux lèvres. Cela lui rappelait la première fois que Shiryu avait nourri Doko, il y avait bien longtemps, avec la même gaucherie touchante. Maintenant, son fils aîné avait douze ans, et possédait une force incommensurable en lui ainsi qu'une mission sacrée. Doko était aussi réfléchi que son père, et possédait une tempérance dont faisaient preuve peu d'enfants de son âge. Elle savait qu'il aimait beaucoup cette région de Chine où il était né, et dont il tirait sa force intérieure. Il n'était encore qu'un adolescent, mais, comme Shiryu l'avait fait autrefois, il combattrait jusqu'au bout pour ses valeurs, ses idéaux et ses proches...qui touche à une écaille du Dragon s'expose à sa colère, DeathMask pouvait en attester...
Doko était encore très jeune, mais il comprenait très bien le monde qui l'entourait...Il portait sur le monde un regard neuf et usé à la fois, tentait de comprendre tous les mécanismes qui le régissaient. Tout enfant déjà, il posait souvent des questions, et son père le prenait dans ses bras, lui expliquait calmement, tendrement...mais ce qui l'avait toujours fasciné le plus était la cascade qui coulait devant la maison, cette pluie d'étoiles intemporelle qui était là depuis des millions d'années et qui serait encore là bien après lui. Il aimait rester assis devant elle, et la regarder pendant des heures, voyant à chaque fois autre chose dans les reflets changeants de l'eau en mouvement. L'eau est l'élément du Dragon, cela il l'avait appris de son maître, elle serait à jamais son amie et son alliée...


Rebellion...

Asgard...


Camus du Verseau regardait sans vraiment la voir la neige qui tombait...il était venu rejoindre son disciple ici afin de poursuivre encore un peu certains aspects de son entraînement qu'il estimait avoir moins développés que les autres, mais son élève faisait preuve d'une singulière mauvaise volonté. Il passait son temps avec son cousin Hagen dans sa grotte d'entraînement, et refusait catégoriquement de faire quoi que ce soit ordonné par Camus.
Cette fois, Camus du Verseau savait qu'utiliser la force ne serait absolument pas la solution, aussi attendait-il que son élève revienne à de meilleurs sentiments. Il avait eu très peur quand l'enfant avait failli mourir d'une surcharge de pouvoir, il ne voulait pas avoir à revivre une situation pareille. Sous ses dehors très rudes, il admettait que l'enfant lui était aussi cher que s'il eût été le sien, mais il combattait cette idée dès qu'elle lui venait à l'esprit. Pourtant, il avait confiance en son élève, connaissant ses qualités intrinsèques qui feraient de lui à terme un des meilleurs chevaliers du Sanctuaire. Il avait juste encore besoin de se chercher un peu, pensait-il.
Mais il ne vit pas que son élève était sur le point de retomber en crise. Pourtant, Hilda, elle, reconnut ces signes sur son neveu, qui était en train de se refermer comme une huître...Pendant des heures, l'adolescent de onze ans marchait dans la neige, dans le blizzard, tentant de réfléchir, de donner un sens à son existence sur cette Terre. Le semblant d'équilibre retrouvé auprès de sa famille venait de s'envoler en fumée, laissant la place à un profond désarroi. Camus ne savait plus quoi faire...à la grande tristesse de son cousin Hagen. Celui-ci, dont l'instinct s'aiguisait de jour en jour, sentait bien le désespoir de son cousin mais ne savait pas comment l'aider. Cette fois, c'était vraiment grave...
Pourtant, comment aider un adolescent qui ne savait pas lui-même d'où venait son mal-être ? Au bout de quelques jours, inquiet, Camus du Verseau décida de le faire, et enferma l'enfant dans une pièce. Camus du Cygne resta apathique pendant quelques minutes, puis rentra progressivement dans une crise de rage:

" Je n'ai rien à vous dire...vous vous moquez complètement de ce qui peut m'arriver ! "

Camus tenta de placer un mot, mais l'enfant était trop en colère, tout ce qui avait été retenu pendant toutes ses années d'entraînement sortait en masse...:

" Vous ne m'avez jamais apprécié, j'étais quantité négligeable pour vous, vous aviez juste accepté de m'entraîner pour faire plaisir à mon père, vous moquant de savoir si j'avais les aptitudes ou pas et ne faisant jamais attention à moi en tant que personne...je n'en peux plus d'être à votre botte, de vous craindre en attendant votre bon plaisir, je ne le supporte plus ! j'ai réussi l'épreuve maintenant, laissez-moi donc maître de mon propre destin ! "

Et, en larmes, il le bouscula, sortit et claqua la porte derrière lui, laissant Camus complètement abasourdi. Il ne pensait pas que l'enfant en fût venu à le haïr à ce point-là. Il avait été dur, c'est vrai, parfois un peu trop, il le reconnaissait, mais jamais Hyoga, à qui il avait imposé le même entraînement, ne l'avait haï ainsi. Peut-être la différence tenait-elle au fait que Hyoga était orphelin, alors qu'il avait brutalement séparé son fils de sa famille...Camus était aussi sensible que son père, mais pas marqué par la vie autant que lui, il avait eu une enfance normale au sein d'un foyer aimant.
Pour la première fois de sa vie, Camus du Verseau se demanda s'il n'avait pas été un peu trop loin...l'enfant était meurtri, et, bien qu'il s'en défendît, cela lui faisait mal de le savoir si malheureux, si perdu...

Camus, aveuglé par ses larmes, courut, courut au milieu de la neige, se moquant de savoir où il allait. Il se sentait si mal, si perdu ! cela ne l'avait même pas soulagé de dire son fait à son maître...il doutait de lui-même, ne sachant même pas comment il avait réussi son épreuve, et pensant qu'il ne serait même pas digne de succéder à son père à cause de ses multiples faiblesses. Il savait qu'il n'était pas arrivé à s'endurcir autant qu'il aurait fallu pour être, selon lui, un bon défenseur d'Athena, et cela le décourageait complètement, lui faisant perdre ses moyens et sa foi en ses capacités.
Il perdit la notion du temps, de la douleur physique, courant toujours...jusqu'à ce qu'il ne sentît plus de sol sous ses pieds...


" Je vais mourir... ", se dit-il pendant sa chute, puis il perdit conscience en heurtant durement le sol...

" Que fait-on de lui ?
-Je sais pas...il vient d'où à ton avis ?
-J'en sais rien...d'en haut ?
-Pas possible... "

Camus, encore dans du coton, saisit des bribes de cette conversation...la première impression qu'il ressentit fut une douleur intense au niveau des jambes et aussi de l'humidité. Il ouvrit péniblement les yeux, et, dans une brume, vit deux hommes qui le regardaient. Ils avaient des armures noires...puis il perdit à nouveau conscience...

Triton insista:

" Allez, Sion, rien qu'une fois ! je suis sûr qu'elle te plaira, cette fille... "

Sion, horriblement gêné, bredouilla:

" Je ne pense pas...que je sois prêt pour ça...
-Avec un corps comme le tien ? Ne me raconte pas d'histoires...
-Je n'ai encore que treize ans...
-Moi à ton âge ça faisait longtemps que je draguais les filles... "

Triton n'insista plus...après tout, au vu des circonstances, il était normal que l'esprit de Sion ne grandisse pas aussi vite que son corps sur certains sujets. L'adolescent avait passé une grande partie de sa vie à s'entraîner, et connaissait peu certains aspects de la vie sociale, la fréquentation de la gent féminine en était un. Pourtant, Triton résolut de revenir à la charge un peu plus tard, en tant que frère aîné il se sentait obligé de faire l'éducation de son frère.
Tous deux se trouvaient dans un des salons du palais, qui attenait aux appartements de Sion. Il était venu rendre visite à son frère aîné, alors qu'Athena était restée à se dorer une fois de plus près de la piscine de leur père, accompagnée de Thétis. Sion était habillé très simplement, comme d'habitude, il n'aimait pas son honorifique robe de prince héritier, qu'il ne revêtait que quand il le fallait. Triton, plus sophistiqué que lui, n'en était pas moins simple, et bien malin qui aurait pu savoir qu'il s'agissait là des princes des Sept Mers.
Soudain, un peu de remue-ménage dehors, et tous deux sortirent pour aller voir ce qui se passait. Deux marinas portaient le corps d'un garçon, et, quand ils s'approchèrent, Sion le reconnut et dit à ses soldats:

" Camus ! mais qu'est-ce qu'il fait là ?
-Nous l'avons trouvé près du pilier de l'Arctique, à moitié mort...il s'est réveillé un peu puis il a à nouveau perdu conscience... "

Triton lui demanda:

" Tu le connais ?
-Oui, c'est le prince héritier du royaume de Blue Graad, et aussi un chevalier protecteur d'Athena...vu où il était il a dû tomber par la porte d'Asgard, mais ce qui importe maintenant est de le sécher et de le réchauffer, il est glacé... "

Il fit déposer Camus dans son propre lit, et fit demander des couvertures chaudes et des bouillottes, car il était visiblement en hypothermie, ce qui était étonnant pour un enfant des glaces habitué à des températures très basses. Il s'assit à son chevet, et attendit...que faisait donc Camus ici, au sanctuaire sous-marin, venant visiblement d'Asgard ?

Hilda tempêtait, harcelant Camus du Verseau de questions:

" Mais où est-il donc ? Qu'est-ce qui s'est passé ? "

Mais Camus ne répondait rien, laissant Hilda être inquiète...Hilda continua:

" S'il lui est arrivé quelque chose, je vous tiendrai comme personnellement responsable auprès de ses parents... "

Ce qui souciait le plus Hilda, c'est que le petit avait été vu pleurant et courant à la sortie du palais, et elle savait qu'il touchait le fond de la détresse morale ces temps derniers. Son neveu était bien habitué au climat d'Asgard, et il connaissait bien les environs du palais, mais elle espérait qu'il n'avait pas fait de bêtises. Elle avait envoyé des personnes du palais le chercher, ils continuaient, il suffisait d'attendre et d'espérer maintenant.

Camus du Cygne reprit conscience quelques heures plus tard, et, ce qu'il vit en premier, ce fut le sourire que lui adressa Sion:

" Eh bien, tu nous as fait peur... "

Camus secoua sa tête, et dit:

" Comment suis-je arrivé ici ?
- Deux de mes hommes t'ont trouvé inconscient, ils t'ont ramené à moi...tu es au sanctuaire sous-marin, le royaume de mon père, tu es en sécurité ici... "

Camus se laissa retomber sur l'oreiller d'un air las, et dit:

" Je ne retournerai pas là-haut...garde-moi avec toi ici...je n'ai pas ma place là-haut... "

Sion se rendit alors compte du mal-être de Camus, et lui dit:

" Repose-toi, personne ne viendra te déranger ici...si tu as besoin de quelque chose appelle, un serviteur te le donnera... "

Il obscurcit la pièce et sortit. La première chose qu'il fit fut d'écrire un mot à Hilda pour la rassurer, Camus allait bien et il allait le garder avec lui quelques temps pour qu'il se change les idées et qu'il règle ses problèmes. Puis il envoya un marina porter cette lettre le plus vite possible au royaume d'Asgard.
Il laissa Camus dormir autant qu'il le voulait, il savait qu'il en avait besoin, il avait vu son regard triste et senti son désarroi. Camus avait besoin de se recadrer...de plus, ses chevilles et ses genoux étaient abîmés, il devrait garder le lit pendant quelques temps...Un peu plus tard, Sion demanda à son médecin de passer, qui examina Camus et diagnostiqua une fracture de la cheville gauche et du genou droit...résultat: il ne se lèverait pas avant un certain temps. Alors Sion ordonna que lui soit préparée une chambre proche de la sienne, où l'on le transporta dès qu'on le put.
Triton, qui ne comprenait pas grand'chose à tout cela, demanda à son frère cadet:

" Qui est-ce ?
-C'est le fils d'un ami de ma mère, qui est devenu protecteur d'Athena récemment et que je connais bien...Il n'a pas l'air bien du tout, je dois l'aider... "

Sion comprenait ce que Camus pouvait ressentir, lui aussi avait chuté dans le désespoir après avoir compris son infirmité...mais l'amour de sa mère et de sa soeur l'avait tiré vers le haut, il devait faire d'abord le premier travail auprès de Camus, l'empêcher de tomber trop bas, là où personne ne pourrait plus rien pour lui. Tout d'abord, il écrivit une lettre à Hyoga et Natassia pour les informer de l'état où se trouvait leur fils aîné, même s'il supposait qu'Hilda avait dû les prévenir.
Il laissa Camus seul pendant quelques jours, le visitant seulement une fois par jour, puis, un bel après-midi ensoleillé, il revint avec un fauteuil roulant:

" Il fait beau, aujourd'hui, viens, allons nous promener dans le jardin... "

Et, ne prenant pas garde aux objurgations de Camus, il le posa délicatement dans la chaise roulante par télékinésie et le poussa dans les salles du palais...arrivé au seuil, sous les colonnes, il lui dit:

" Regarde...ce que tu vois au dessus de toi, c'est la Méditerranée...aujourd'hui, elle est calme... "

Sion ressentait au fond de lui-même ce calme, alors qu'il conduisait Camus sous la colonnade qui menait au jardin et au pilier central de l'Empire. Ce jardin était toujours luxuriant à cause de la douce chaleur qui règnait en tout temps sur le palais. Camus ne disait rien, et Sion reprit:

" C'est beau, non? quand j'étais infirme, je venais là tous les jours et, même si je ne le voyais pas, je me sentais imprégné de son calme... "

Camus regardait le paysage autour de lui, sans aucune réaction...Sion en conclut que la guérison serait longue...


L'heure de Thétis...

Maison Solo...


Athena, penchée sur l'échiquier, releva la tête et, déplacant son roi, dit à son père, assis en face d'elle:

" Echec et Mat... "

Julian Solo croisa les bras:

" Tu as encore gagné, Athena...décidément je n'arriverai pas à te battre...
-C'est maman qui m'a appris à jouer... "

Soudain, un serviteur entra, portant un message sur un plateau. Julian Solo le lut et demanda à sa fille:

" Tu es libre ce soir ?
-Non, je dîne avec Amphitrite, Sion et Triton...
-Ah... "

L'imagination d'Athena s'emballa...pourquoi son père lui demandait-elle si elle était libre ? Il se leva et sortit de la pièce, laissant sa fille interloquée...
Revenu dans son bureau, il réfléchit: qui pourrait bien l'accompagner à la réception de charité à laquelle il devait assister le soir même ? beaucoup de femmes se battraient pour avoir cet honneur...mais il n'avait pas le temps d'appeller toutes celles qui garnissaient son carnet d'adresses.
Une idée germa alors dans son esprit: pourquoi ne pas demander à Thétis ? elle était sur place, après tout, et suffisamment jolie...
Il demanda donc à un serviteur d'aller la quérir...Thétis, morte de peur et d'émotion, se rendit immédiatement au bureau de son maître, tentant de garder son expression neutre habituelle. Elle frappa et attendit l'assentiment verbal de Solo pour entrer. Il sourit légèrement et dit:

" Venez, approchez-vous... "

Thétis s'executa, et Julian continua:

" Ce que je vais vous demander n'est pas un ordre, vous pouvez refuser...je sais ce que je vous dois, à commencer par ma vie, jamais je ne vous forcerais à quoi que ce soit... "

Thétis attendit qu'il continue...il reprit:

" Je voudrais vous demander d'être ma cavalière ce soir...je n'ai personne pour aller à une réception, et c'est une obligation d'y aller accompagné... "

Thétis, tendue, jaugea la situation et en vint à la conclusion qu'elle ne savait vraiment pas quoi faire: une partie d'elle voulait accepter pourtant...elle dit:

" Mais...et Athena ? je dois veiller sur elle, c'est ma mission...
-Elle est au sanctuaire sous-marin ce soir, elle n'a donc pas besoin de vos services...je serais honoré si vous acceptiez... "

Pour une des premières fois, il remarquait la beauté de Thétis, et cela le bouleversait plus qu'il ne voulait bien l'admettre...
Luttant avec sa conscience, Thétis resta silencieuse pendant un bon moment et finit par dire:

" Je vous accompagnerai... "

Julian sourit, faisant fondre Thétis:

" J'en suis très heureux, et je vous remercie...rendez-vous vers 20h00 dans le salon...pour la robe, voyez avec Athena, mais je vous l'offre, bien sûr... "

Thétis s'inclina, et sortit de la pièce, sous le choc: accompagner Julian Solo, le seul homme qui ait jamais compté pour elle ! elle n'y pouvait croire...
Elle se mit à la recherche d'Athena, qu'elle trouva dans la cour, en train de faire des travaux d'assouplissement, et lui expliqua ce qu'elle attendait d'elle. Athena sourit et dit:

" Alors nous n'avons pas de temps à perdre ! direction Athènes, on va te faire si belle que tous les hommes s'évanouiront devant toi... "

Thétis rosit légèrement en se disant qu'il n'y avait qu'un homme qu'elle aurait voulu faire évanouir...Athena s'habilla prestement et l'emmena dans la boutique la plus luxueuse de la ville, où elle-même avait acheté sa robe de soirée. Pendant que Thétis essayait des robes, Athena pensait que finalement elle n'avait pas eu besoin d'intervenir, son père, grand connaisseur des femmes, prenait les devants...elle eut un petit sourire de satisfaction.
Thétis finit par se décider, conseillée par la vendeuse, pour une superbe robe en soie jaune, très simple mais qui lui allait très bien. Elle soulignait sa poitrine et la finesse de sa taille. Athena sourit et dit:

" Rentrons, maintenant, il faut s'occuper du reste... "

Elle appela l'une des esthéticiennes les plus cotées de la ville, ainsi qu'un coiffeur...Thétis, encore hébétée, se laissait faire sans dire un mot, signe auquel Athena mesurait son émotion...vers 19 h, elle était prête et écarquilla les yeux à l'image que lui renvoya son miroir. Athena sourit, mais ne dit rien de plus et se prépara elle-même pour le dîner...


Sanctuaire sous-marin...

Sion, quelque peu stressé, vérifiait une énième fois les préparatifs du dîner. Triton lui dit:

" N'aie pas peur de ma mère, elle est très simple, tu sais... "

C'était la première fois qu'il la rencontrait depuis qu'il était sorti de l'obscurité, et il tenait à ce que tout soit parfait. Il était conscient de son rang de mortel face à elle...il regarda nerveusement sa montre:

" Et Athena qui n'arrive pas...
-Elle va arriver, pas de panique... "

Triton comprit alors ce qui paniquait son frère, et il dit en lui mettant la main sur l'épaule:

" Tu n'as pas moins de rang que nous, ne te considère pas au dessous de nous... "

Sion eut un tout petit sourire...


Maison Solo...

Athena sortit de sa chambre, habillée de sa plus belle tunique et son écharpe en sautoir, les cheveux seulement retenus au sommet de la tête, et admira Thétis:

" Qu'est-ce que tu es belle ! "

Thétis eut un petit sourire malgré son stress, et dit:

" Tu n'es pas mal non plus...mais tu aurais au moins pu mettre ta robe...
-Oh non...je crois qu'Amphitrite me préférera mieux au naturel... "

Thétis n'insista pas: après tout Athena avait peut-être raison...
L'adolescente tint à accompagner Thétis elle-même auprès de son père. Dans son costume blanc, il attendait dans le grand salon...et eut le souffle coupé en voyant Thétis entrer. Il s'approcha, prit sa main et dit:

" Vous êtes très belle... "

Thétis rougit légèrement...Julian Solo sourit à sa fille et déposa un baiser sur son front:

" Passe une bonne soirée, et donne mes amitiés à Sion et Triton, ainsi qu'à Amphitrite... "

Athena sourit et dit:

" Passez tous les deux une bonne soirée aussi... "

Et elle sortit de la pièce...
Julian Solo tendit son bras à Thétis, et celle-ci le prit...

" Allons-y... "

Athena souriait en arrivant au sanctuaire sous-marin, et elle ne fit pas attention aux marinas s'inclinant sur son passage...elle n'aimait pas ce genre de marque de déférence, elle pensait qu'elle n'avait presque rien de plus qu'un humain, juste la chance d'avoir eu un père divin...le héraut l'annonça à l'entrée du salon:

" Son Altesse Impériale la princesse Athena... "

Seuls Sion et Triton avaient droit au titre de Majesté, à cause de leur titre de prince héritier, partagé récemment par leur père...mais Athena avait droit au titre d'Altesse Impériale, et avait autant de prérogatives que ses frères...pourtant, malgré tous ces honneurs, elle restait la même.
Sion sourit et embrassa sa soeur aînée:

" Athena, enfin...
-J'ai été retenue là-haut...notre père est parti à une réception avec Thétis à son bras, eh oui !
-Non ? incroyable... "

Triton embrassa sa demi-soeur:

" Tu es encore plus ravissante que d'habitude... "

Athena savait le caractère charmeur de son demi-frère, aussi ne releva-t-elle pas et dit-elle:

" Amphitrite n'est pas encore là ?
-Non, mais je pense qu'elle ne va pas tarder... "

Athena sentait bien évidemment le stress de son frère jumeau, et elle lui dit:

" Du calme, Sion...nous ne jouons pas notre vie... "

Amphitrite fit alors son entrée, altière comme il convenait à une déesse de son rang. Comme il convenait également, les trois présents s'inclinèrent. Amphitrite embrassa les jumeaux, puis son fils et dit à Sion:

" Tu as vraiment des yeux magnifiques, il eût été dommage que tu restes infirme...comment te sens-tu à présent ?
-Très bien, je vous remercie de votre sollicitude... "

Amphitrite n'avait encore jamais vu Athena...elle sourit et dit:

" Tu ressembles beaucoup à ta mère...
-Effectivement... "

Athena était intimidée, bien qu'elle s'en défendît, mais tentait de garder son air habituel. Amphitrite lui sourit encore plus et dit:

" Destresse-toi, ce que j'ai entendu dire de toi est flatteur...tu es encore au Sanctuaire d'Athena ?
-Pas en ce moment, on a envoyé mon maître en Ethiopie alors je vis chez mon père...
-Transmets-lui mon meilleur souvenir, ainsi qu'à ta mère...
-Je n'y manquerai pas... "

Maintenant qu'ils étaient côte à côte, Amphitrite vit effectivement leurs traits de ressemblance...ces deux adolescents étaient appelés à de hautes destinées, mais elle ne pouvait le leur dire, il était encore trop tôt...


Pacifique sud...

Petit Shaka, seulement vêtu d'un pantalon léger et de sandales, méditait sous le soleil brûlant...il se sentait totalement en phase avec son environnement, cette île où il était né, où son père et sa mère vivaient...Sa mère lui avait dit un jour que c'était son père lui-même qui avait construit leur maison, pierre après pierre, refusant de se marier avant de l'avoir finie...ils y avaient emménagé le jour de leur mariage, et c'était là que Shaka était né, un peu plus d'un an plus tard...
L'enfant était assis sur une pointe en pierre qui surplombait l'île, l'endroit qu'il appréciait le plus...il voyait la maison, la mer, la jungle, tout ce que avait fait son quotidien depuis ses tout premiers souvenirs...
Sur la terrasse de la maison, en contrebas, Ikki et Shaka de la Vierge étaient assis, et discutaient des derniers progrès du petit. Ils se connaissaient depuis très longtemps, et étaient restés de très bons amis, Ikki ayant forcé le respect de Shaka lors de leur combat au Sanctuaire. Devant eux, une table en basalte taillée par Ikki, sur laquelle reposaient deux verres d'orangeade et une cruche. Esméralda était dans la maison, s'activant pour le repas de midi...une vie tranquille, bien loin du désir de révolte du chevalier Ikki...il n'aspirait plus à présent qu'à cette vie rangée, sur cette île perdue, à élever son fils de loin et, il espérait, un jour ses autres enfants...
Shaka parlait de son élève:

" Il a gagné de l'assurance, de la vitesse, il lit les textes sacrés en sanscrit en faisant peu de fautes...mais il lui manque encore quelque chose.

-Et quoi ?
-Le détachement, il s'implique trop dans tout ce qu'il fait...de plus, il doit gagner de la confiance en lui...la discipline du temple et la méditation l'aideront à trouver sa place... "

Shaka parlait toujours sur le même ton mesuré, mais Ikki pouvait sentir la fierté qui perçait sous cette voix monocorde...l'homme le plus proche de Dieu n'en était pas moins un homme, se disait-il avec un petit sourire intérieur. Dès qu'il l'avait vu se pencher sur le berceau de son filleul, Ikki avait senti l'adoration immédiate que Shaka lui avait porté. Le chevalier d'or avait su tout de suite que cet enfant-là était particulier, et aussi qu'il lui succèderait. Mais, pour cela, il devrait avoir beaucoup de patience et de courage...Petit Shaka avait failli mourir plusieurs fois lors de son apprentissage au temple, à cause des règles strictes et de la discipline qui disait que se nourrir peu et dormir peu était la clé du Nirvana, mais il avait résisté, et on sentait déjà percer en lui l'adolescent qu'il serait très bientôt. Il venait d'avoir dix ans il y avait peu de temps...ses cheveux avaient poussé en broussaille, mais ses yeux bruns avaient la même énergie décidée que son père...
Petit Shaka ouvrit les yeux, souriant et sortant de sa méditation...il commençait un peu à se sentir en phase avec la nature autour de lui, comme Bouddha l'avait été, mais ne devinait pas encore à quel point il l'était...il savait qu'il comprendrait un jour les secrets du monde, ce qui était nécessaire pour pouvoir faire son attaque la plus puissante: le Trésor du Ciel. Mais, pour ça, il lui faudrait encore travailler très dur avant de comprendre les vérités profondes de l'Univers, être calme pendant le combat...il avait encore le temps d'apprendre, on ne devenait pas chevalier d'or en deux ans à peine...pourtant, Shaka sentait qu'il avait déjà changé, il était devenu plus calme, plus pondéré.
Il vit sa mère lui faire un signe de la maison, c'était l'heure du déjeuner...Esméralda tentait de ne pas couver son fils, par égards à ses progrès, elle était très fière qu'il eût été choisi pour devenir membre de l'élite des chevaliers. Elle avait craint que les épreuves d'armure réussies de ses cousins ne le découragent, mais pas du tout, petit Shaka avait conscience de sa valeur et savait qu'il lui faudrait plus de temps avant de devenir lui-même un protecteur d'Athena...


Sanctuaire sous-marin, le lendemain du dîner...

Illia, assise sur un banc dans le jardin du palais, consultait des dossiers quand Sion arriva, un plateau à la main. Bien conditionnée, elle mit immédiatement genou à terre et dit:

" Ce n'est pas à vous de faire cela, Majesté... "

Si Sorrente avait plus de facilité à ne pas employer le titre de Sion, parce qu'il le connaissait depuis longtemps, Illia, elle, vouait toujours à Sion le même respect, même s'il n'était encore qu'un adolescent de treize ans...
Sion sourit et dit:

" Je ne vois pas pourquoi ce serait toujours à vous de tout faire...je ne suis pas manchot, je crois... "

L'éducation simple reçue par Sion le conduisait parfois à faire ce genre de choses. Il ne se pensait pas foncièrement éloigné de ses généraux...
Sion posa le plateau sur une table basse, près de là, et leva la tête en disant:

" Il fait si beau, aujourd'hui...pourquoi vous n'iriez pas vous promener ? moi je vais rendre visite à ma soeur...
-Mais, Majesté, votre protection...
-Thétis est là-haut, elle me protègera efficacement...
-Si vous y tenez... "

Illia avait été élevée et conditionnée à obéir, mais Sion voulait avant tout s'en faire une amie, pas forcément quelqu'un de bien élevé à obéir...Il lui prit gentiment la main:

" Relevez-vous, nous sommes entre nous... "

Illia obéit...elle était plus petite que Sion, mais ressemblait quelque peu à son frère jumeau, dont elle n'avait toutefois pas le caractère...elle était douce, effacée et pas fière de son grade de général. Sion sentait aussi quelques traumatismes, dont elle n'avait jamais parlé...l'adolescent l'appréciait toutefois beaucoup...
Sion dit alors:

" Si vous avez le moindre problème, ou que vous voulez parler, venez me voir, surtout n'hésitez pas... "

Illia sourit franchement, et dit:

" Mais, Majesté, je...
-Et je vous donne aussi la permission de m'appeler par mon prénom, après tout vous faites partie du cercle de mes proches... "

Illia ouvrit de grands yeux, et une esquisse de sourire se peignit sur son visage. Sion versa un verre d'orangeade, et le lui donna avant de s'en servir un lui-même et de s'asseoir à côté d'elle. Illia dit alors:

" Majest...euh...Alt...euh...Sion, puis-je vous poser une question ?
-Bien sûr...
-D'où vient votre prénom ? Je n'en ai trouvé aucune occurrence dans votre lignée... "

Sion sourit légèrement et dit:

" Quand je suis né, la déesse Athena m'a séparé de ma soeur jumelle à cause de mon aura à dominance marine, et elle a demandé à ma mère quel prénom masculin elle aurait donné à ma soeur si elle avait été un garçon...il lui a suffi ensuite de me baptiser ainsi selon le désir de ma mère...Sion du Bélier était le maître de ma mère, il a dirigé le Sanctuaire mais il est mort quand elle était très jeune...voilà.
-Je comprends mieux alors...
-Par contre, votre mère à vous a donné des prénoms proches en sonorité...Io et Illia...d'ailleurs, lequel de vous était l'aîné ?
-C'était Io... "

Sion sentit une certaine tristesse dans sa voix, qu'il imputa à la perte brutale de son frère jumeau...Illia dit alors:

" Ne vous formalisez pas, je connaissais peu mon frère, nous avons été séparés dès notre enfance...je comprends alors ce que vous avez dû ressentir...
-Je ne m'en souviens pas, j'étais un bébé...mais, en grandissant, j'ai eu l'impression qu'il me manquait quelqu'un...
-Io a été entraîné en vue de devenir un général, pas moi...mais je ne lui en ai jamais voulu...
-Comme Athena ne m'en veut pas d'avoir plus de pouvoirs marins qu'elle... "

Pour la première fois, Sion eut l'impression qu'Illia était vraiment elle-même, pas l'image du général discret, efficace et silencieux qu'elle projetait en permanence...entre jumeaux, ils pouvaient se comprendre.
Illia avala une gorgée de son orangeade, et sourit à son jeune maître...Sion dit alors:

" Venez, allons chercher Camus pour le promener un peu... "

Sion ne trouvait pas qu'il progressait beaucoup, la plupart du temps Camus ne disait rien, se contentant de regarder par la fenêtre...il rappelait à Sion l'état végétatif dans lequel il avait été autrefois, se contentant de rester assis en étant presque étranger à son environnement...il fallait l'en sortir avant qu'il ne soit trop tard. Il dit alors à Illia:

" Je ne rentrerai pas tard, et je le prendrai avec moi au Cap...ça lui fera du bien de respirer... "

Illia dit alors:

" Je sens sa détresse, maître...elle me transperce l'âme... "

Comme les marinas supérieurs, Illia était très sensible aux auras. Sion dit:

" Oui, je l'ai senti aussi...je vais tout faire pour le sauver...
-Je vous aiderai, maître... "

Sion eut l'impression que le cas de Camus réveillait un écho douloureux dans l'esprit d'Illia, mais il s'abstint de poser la moindre question...ce fut Illia qui lui fournit d'elle-même la réponse:





"Mon grand frère est tombé dans une dépression profonde et s'est donné la mort alors qu'Io et moi étions petits et déjà orphelins de parents...nous n'avions rien pu faire, alors, en sa mémoire, je vous aiderai à sauver le prince Camus... "

Décidément elle n'avait jamais eu une existence facile...Sion se jura de faire tout ce qui serait en son pouvoir pour qu'elle vive enfin une vie normale, elle le méritait amplement...


Maison Solo...

Il est presque midi, mais Thétis, harassée par sa soirée, dort encore...elle est rentrée à plus de quatre heures du matin de la soirée où elle avait accompagné Julian Solo...elle s'agite dans son sommeil, balbutie quelques mots inintelligibles...

" Non... "
" Ca n'a pas pu arriver, je devais rêver déjà... "


Comme dans un rêve, elle revit la scène...
A la sortie de la soirée, il lui avait demandé:

" Cela vous a-t-il plu ? "

Les yeux brillants, le rose aux joues, elle lui avait répondu:

"Oui, c'était merveilleux... "

Pendant le retour à la maison, pas un mot n'avait été échangé, mais elle avait pu sentir son regard insistant sur elle...elle n'avait pas relevé, pensant qu'elle se faisait des idées...
Une fois rentrés dans la maison, Thétis, doucement, avait entrouvert la porte de la chambre d'Athena, endormie comme un bébé...elle avait souri en la voyant ainsi...Julian Solo avait souri lui aussi, mais aucun des deux n'avait prononcé le moindre mot. Ce fut dans le salon qu'il lui posa la question:

" Vous l'aimez beaucoup, n'est-ce pas ? "

Thétis acquiesca:

" Oui, beaucoup, elle est comme ma fille... "

Un silence s'installa entre eux, lourd de sens...puis Julian Solo s'approcha, et, mû par un instinct qu'il ne connaissait que trop bien, prit Thétis dans ses bras et l'embrassa. Quand il se sépara d'elle, ses yeux étaient écarquillés, elle n'eut que le temps de balbutier qu'il veuille bien l'excuser et s'enfuit brusquement...il put entendre le bruit de ses sanglots s'éloignant vers sa chambre...

" Est-ce que ça s'est vraiment passé ? ou est-ce le fruit de mon imagination ? "

Cette simple question réveilla Thétis en sursaut...Le soleil formait des raies jaunes sur le papier peint de sa chambre, les oiseaux chantaient dehors et elle pouvait entendre le ressac, là, en bas...elle se leva, et prit ses vêtements, posés sous sa robe...elle prit soudain la robe contre elle, et sentit encore fugitivement le parfum de Julian Solo...alors il n'y avait plus aucun doute...
Elle jeta la robe loin d'elle, et tenta en tremblant d'enfiler ses vêtements...n'y parvenant pas, elle s'assit sur le lit, et éclata encore en sanglots, ne sachant pas vraiment ce qui lui arrivait. Elle avait rêvé de ce moment, mais, maintenant qu'il arrivait, elle s'enfuyait...que lui arrivait-il donc ?
Elle se ressaisit, sortit de sa chambre pour aller dans la salle de bains, où elle tenta de se composer l'apparence qu'elle avait habituellement pour ne pas inquiéter Athena...quand elle sortit, elle ne paraissait plus angoissée...
Athena était sur la terrasse, lisant tranquillement un magazine, l'air totalement calme...mais nulle trace de son père. Quand elle l'entendit descendre, Athena sourit et dit:

" Enfin! j'ai cru que tu ne te réveillerais jamais...Comment as-tu trouvé la soirée ?

Prenant sur elle, Thétis répondit avec un sourire qu'elle espérait assuré:

" Très intéressante...
-C'est également ce que papa m'a dit...il est parti à Paris cet après-midi, il sera de retour un peu plus tard...Sion va venir aussi... "

Thétis demanda alors:

" Ta soirée s'est bien passée ?
-Très bien, très bien, Amphitrite est très gentille...
-Tu n'as besoin de rien ?
-Non, non...assieds-toi et bois un verre d'orangeade avec moi... "

Thétis accepta l'invitation, et tenta de remettre un peu d'ordre dans son esprit encore en ébullition. La présence apaisante d'Athena l'aiderait. Elle trouvait que l'adolescente avait beaucoup mûri, sans perdre son impulsivité elle la contrôlait mieux...elle était plus calme maintenant...
Thétis entreprit de retrouver sa sérénité en regardant en bas, au delà du port de plaisance, la mer s'abattre calmement sur les rochers...


Cap Sounion, quelques jours plus tard...

Illia déposa les valises sur le sol de la cuisine de la petite maison de Sion. Celui-ci poussa le fauteuil de Camus à l'intérieur et dit:

" Tu vas passer le reste de ta convalescence ici, ce sera moins confiné qu'en bas...je resterai avec toi... "

Camus ne répondit pas, et Sion continua:

" J'ai vécu ici pendant mon entraînement, et j'y vis encore de temps en temps...cette maison a été construite pour Athena et moi par notre père... "

Mais Camus ne disait toujours rien, le regard absent...alors Sion dit à Illia:

" Vous l'installerez dans ma chambre au rez-de-chaussée, ce sera plus simple pour lui, je logerai dans celle de Sorrente, en haut... "

Puis il poussa la chaise roulante dehors, vers les ruines du temple de Poseidon...il leva les yeux vers l'horizon, et dit rêveusement:

" Dire que j'ai cru un jour ne plus jamais pouvoir revoir tout cela, la beauté du monde, le bleu de la mer, le bleu du ciel, les nuages...je venais de sortir d'un coma de six mois, j'étais faible, aveugle et muet, je ne pouvais me faire comprendre que par télépathie et tout était noir autour de moi...je n'avais plus que le souvenir des gens que j'aimais à associer à leur voix...je suis resté ainsi un an, à imaginer le sanctuaire sous-marin à travers les descriptions de mes parents, à sentir leur inquiétude et celle de ma soeur sans pouvoir rien y faire...souvent j'ai cru que je ne tiendrais jamais, qu'il aurait mieux valu être mort à Asgard qu'infirme, mais mon entourage m'a soutenu...même si ce n'était pas évident tous les jours d'être materné par Illia et Thétis, je n'étais pas seul, et c'était cela qui comptait... "

Il baissa le regard sur Camus, et vit alors que des larmes silencieuses coulaient sur les joues de l'adolescent...il réagissait enfin ! alors Sion sut qu'il était sur la bonne voie. Il continua:

" Quoi qu'il se soit passé, tu ne dois pas te renfermer sur toi-même et croire que tu es seul, ce serait une erreur... "

Alors Camus parla, pour la première fois depuis qu'il était arrivé:

" Mais toi tu es un demi-dieu, c'est normal que tu aie survécu... "

Sion secoua la tête:

" Comme tu le dis, je ne suis qu'un demi-dieu, Triton, mon frère, est un dieu...mais, contrairement à ce que tu crois, je ne suis pas fondamentalement différent de toi, je suis mortel, tout comme toi...
-Mais tu as plus de pouvoir...
-Ca je te l'accorde...mais si, comme toi, mon père avait été un mortel chevalier, nous aurions eu exactement les mêmes... "

Sion parlait posément, et, pour la première fois, Camus se sentit en confiance...Sion n'avait jamais tiré parti de son statut particulier, il se considérait comme proche des humains...
Camus tourna sa tête vers Sion et dit:

" Je ne suis que le souffre-douleur de mon maître...je ne vaux pas grand'chose, je me demande même comment j'ai eu mon armure... "

Sion avait eu connaissance de sa surcharge de pouvoir, indice s'il en était de son manque de confiance en lui et de la crainte de son maître, mais il avait su aussi que son père était intervenu après pour l'empêcher de craquer à nouveau...alors pourquoi la situation avait-elle dégénéré ?
Il faudrait encore travailler, mais un grand pas avait déjà été fait...


Atermoiements et réflexions sur soi-même…

Jamir, deux jours plus tard...


Mû lit dans son bureau un vieux rouleau en tibétain, sa langue maternelle...tout est calme autour d'elle, seul le bruit du vent des montagnes vient troubler cette perfection...
Elle s'est retirée à Jamir, là où elle se sent bien, où elle est chez elle, parmi les choses qu'elle aime. Seuls ses enfants lui manquent, mais elle sait que maintenant leur place, leur destin, est ailleurs. Elle vient de mettre un point final aux carnets qu'elle tient sur eux depuis leur enfance, elle estime qu'ils n'ont plus de raison d'être à présent...elle a ajouté un frontispice qui leur est adressé...
Sur son bureau, dans un cadre, la photo envoyée par leur père, prise par un photographe professionnel, et une autre où ils sont en sa compagnie...Athena sourit de toutes ses dents, Sion plus modérément, mais elle sent clairement leur joie...
Même s'ils sont absents, toute la maison est imprégnée d'eux, les peintures de Sion, leur chambre avec leurs souvenirs d'enfants, et, si elle prête l'oreille, elle peut encore entendre leurs rires et le son de la flûte de Sorrente...
Même si elle s'en défend bien souvent, elle se sent tellement mère ! D'avoir failli perdre ses enfants plusieurs fois lui a fait comprendre la force de l'attachement qu'elle leur porte...il lui a fallu du temps pour comprendre la vraie nature de ce sentiment, mais maintenant elle a compris que l'amour maternel est une force non négligeable.
Délaissant son rouleau, elle descend à l'étage inférieur et entreprend de faire du thé au beurre dans la plus pure tradition tibétaine...elle voit les portraits d'Athena bébé par Kiki, les tableaux de Sion et un portrait des jumeaux à sept ans peint également par son apprenti. Lequel apprenti était resté au Sanctuaire pour continuer l'entraînement de son propre apprenti...Mû savait qu'elle n'avait plus grand'chose à lui apprendre maintenant et, quand elle se retirerait dans quelques années, il la remplacerait efficacement.
Pour l'instant, elle savourait ce plaisir simple de boire une tasse de thé au milieu de ses objets familiers…vivre seule ne la dérangeait pas, après tout elle l'avait fait longtemps sans le moindre problème.
Sur un des portraits, le visage souriant de Sion à six ans, le premier portrait qu'elle eût de lui…il lui avait fallu longtemps pour pardonner à la déesse ce qu'elle avait fait, même si elle savait très bien que c'était pour la sécurité générale elle n'avait pas accepté le fait que Sion ait grandi loin d'elle. Mais maintenant son fils était presque un adulte, avec une mission difficile…que de chemin parcouru depuis cette naissance qui avait failli lui coûter la vie ! A l'époque, elle ne savait même pas comment donner un biberon ou langer sa fille…et pourtant il avait bien fallu apprendre, devenir mère même si elle n'avait jamais été destinée à le devenir. Athena lui avait apporté tellement de choses, y compris la joie jamais ressentie auparavant de se sentir femme…
Elle tourne la tête, et regarde un autre portrait, peint lui aussi par Kiki: les jumeaux l'encadrent, ils ont huit ans et sourient de toutes leurs dents…elle se demandait encore comment elle avait pu mettre aux mondes ces deux magnifiques enfants, jumeaux mais si différents…cela donnait un sens à sa mission de femme en ce monde, en fait…
Sur un autre mur, une photo récente, Sion en robe de prince héritier, tenant son trident en main, Athena dans sa robe de cérémonie…tous deux avaient l'air tellement adultes sur cette photo, l'air grave, comme il convient à des gens de si haut rang. Pourtant, Sion n'était jamais le dernier à faire des farces à sa sœur, avec l'aide de Triton…elle était heureuse que Triton soit là, au moins il y avait quelqu'un qui surveillait Sion…depuis son coma et son infirmité, elle ne pouvait s'empêcher de craindre souvent pour sa santé, même s'il se portait bien.
Mû, sentant l'émotion la gagner, laissa deux larmes couler sur ses joues…


Cap Sounion…

Le médecin examine les chevilles de Camus:

"Tout va bien mieux, vous serez remis dans une semaine…"

L'adolescent se laisse faire sans répondre. Sion sourit et dit:

"Merci, docteur…"

Ce médecin est le médecin officiel du sanctuaire sous-marin, qui a pris soin de Sion pendant sa convalescence…
Sion, gentiment et doucement, pousse le fauteuil de Camus près du bord du cap. La mer est quelque peu agitée, mais un simple regard de Sion suffit à la faire redevenir d'huile. Il bloque le frein, et s'assied sur une pierre, à côté de Camus…
Camus dit alors:

"Chez moi aussi il y a la mer…mais elle est toujours gelée…
-Et cette mer gelée m'a sauvé la vie…", répond Sion.

Sous le regard interrogateur de Camus, Sion poursuit:

"Quand j'ai combattu Nereus, j'ai beaucoup saigné et c'est le froid qui m'a sauvé…c'est pour quoi je considère tout ceux qui vivent sous ces climats avec le plus grand respect…tu sais, je suis né en Grèce, et j'ai toujours vécu sous des cieux cléments, alors je ne sais pas ce que c'est que vivre là bas, dans ce froid perpétuel…Ma sœur sait, elle, vu qu'elle a vécu à Jamir les premières années de sa vie…moi, on m'a confié à un couple ici, à Athènes, où j'ai vécu mes premières années…"

Camus ne dit rien, mais, encouragé par les confidences de Sion, lui demanda:

"Tu n'as jamais eu de problèmes avec ton maître ?
-Non, même si ce n'est pas évident parfois…mais j'estime Sorrente, et il m'estime aussi…
-Moi mon maître me déteste ! même si j'ai eu mon armure, il veut encore m'entraîner…il ne m'a jamais estimé, la seule personne qu'il estime est lui-même, et mon père aussi, bien sûr…"

Sion comprit alors la raison de la détresse de Camus: il n'avait pas conscience de sa valeur et pensait que son maître ne l'estimait pas…Comment faire pour qu'il retrouve confiance en lui ? Il commença:

"Tu as eu ton armure du premier coup, non ?
-Oui
-Ton cosmos s'est éveillé quand tu avais huit ans ?
-Mais…oui ! tu étais là…"

Camus ne comprenait pas où Sion voulait en venir…Sion acheva:

"Tu étais plus précoce que ton propre père, si je ne m'abuse…alors comment expliques-tu que tu sois chevalier du Cygne à onze ans ? "

Camus resta interloqué, et Sion continua:

"Tour ça pour te dire que, contrairement à ce que tu crois, tu es digne de cet honneur ! Tu sais, mon père dit toujours ceci: on est digne de quelque chose quand on l'a prouvé. Et toi tu l'as prouvé, tu as contenu en toi un pouvoir énorme au péril de ta vie, tu as brisé ce mur de glace pour avoir l'armure, et elle t'a accepté…"

Sion pensait que Camus devait accepter d'abord ces simples vérités pour retrouver confiance en lui. La majorité du chemin vers la guérison aurait alors été faite…

Thétis rangeait soigneusement le linge d'Athena quand Julian Solo entra…Thétis, paniquée mais tentant de faire bonne figure, se retourna et dit:

"Votre fille n'est pas là, monsieur, elle est dans le grand salon…"

Julian Solo sourit et dit:

"Ce n'est pas elle que je cherchais, c'est vous…c'est elle qui m'a dit où vous étiez…"

Thétis posa la pile de linge, prête à écouter son seigneur et maître…il continua:

"Je voulais m'excuser pour mon comportement grossier de l'autre soir, je ne sais pas ce qui m'a pris et je voudrais que vous me pardonniez…"

Thétis ne répondit pas…Julian Solo sortit alors une boîte de sa poche:

"Vous me feriez plaisir si vous vouliez bien accepter cela en guise de cadeau pour votre dévouement…et si vous vouliez bien m'accorder votre pardon…"

Thétis, qui ne pouvait empêcher ses mains de trembler, prit la boîte et l'ouvrit. Elle contenait une fine chaîne d'argent à laquelle était suspendue un somptueux pendentif en or et aigue-marine. Il rappelait la couleur des yeux de Thétis…Emue par tant de beauté, elle resta muette puis parvint à dire:

"C'est…c'est trop beau, je ne peux…"

Julian Solo s'approcha, et referma doucement la main de Thétis sur la boîte en disant:

"Vous le méritez, il est à vous, c'est peu par rapport à ce que je vous dois…"

Il laissa sa main sur celle de Thétis, et, doucement, commença à la lui caresser jusqu'au poignet. Thétis, surprise, n'osait plus bouger…la violence de sa réaction la surprit, mais elle ne chercha pas à se dégager, toute aux sensations troubles qui se propageaient dans tout son corps…
Puis Julian Solo parut se faire violence, lâcha sa main, la regarda et dit:

"Si vous voulez bien m'excuser, j'ai beaucoup de travail…"

Et il sortit, laissant Thétis complètement interloquée…si elle était perturbée, lui le semblait aussi…Longtemps après son départ, elle resta là, immobile, à serrer contre elle l'écrin et respirer l'air où résidait encore une trace du parfum qu'il portait…

Julian Solo traversa le salon où lisait sa fille d'un pas précipité, et s'engouffra dans son bureau. Athena leva la tête de son livre, sourit, d'un petit sourire en coin: tout commençait seulement…l'alchimie qu'elle avait remarquée une fois entre son père et Thétis, grâce à son instinct très dévellopé, semblait prendre forme, et tous deux en prenaient durement conscience…


Bénarès, Inde…

Petit Shaka suivait docilement son maître en direction du temple…sa semaine de vacances était finie, et plus dur était le retour à la réalité, le jeûne, la prière et l'entraînement. Finis les bon moment passés avec ses parents, à déguster la bonne cuisine de sa mère et avoir des repas fréquents…Il avait presque oublié ce que c'était, car même au Sanctuaire son maître lui imposait grosso modo la même discipline.
Au moment d'arriver au temple, Shaka bifurqua et conduisit son élève, au détour des rues, en dehors de la ville, dans la jungle…L'enfant ne posa pas de questions, suivant toujours son maître, quand soudain celui-ci s'enfonça dans la terre, victime d'un piège à tigre. Petit Shaka courut vers le trou:

"Maître ! Maître !"

La voix du chevalier d'or lui parvint, assourdie:

"Je suis coincé, je ne peux me dégager, et je crois que je me suis blessé…"

L'enfant dit :

"Ne bougez pas, maître, je vais aller chercher du secours…
-Je suis en équilibre instable, tu n'auras pas le temps, tu dois me sauver par toi-même….
-Moi, maître ? mais, je…
-Aie confiance en toi…"

Alors petit Shaka se mit en devoir de sauver son maître, en se mettant en phase avec tout ce qui l'environnait, et tout ce qui environnait son maître…il y arrivait naturellement sans vraiment s'en rendre compte, mais, dès que Shaka lui demandait de faire l'exercice, il y échouait parce qu'il ne se pensait pas capable d'atteindre le niveau que son maître réclamait. Conscient de la gravité de l'instant, il se concentra autant qu'il le put, sentit progressivement la forêt fusionner avec lui, les arbres, les êtres vivants…cet exercice était la clé de ce qu'il serait plus tard, s'il n'y arrivait pas il n'arriverait jamais à devenir chevalier d'or de la Vierge…mais l'enfant n'y pensa pas, allant naturellement chercher dans sa force intérieure l'énergie nécessaire…
Shaka de la Vierge, souriant (il aurait très bien pu s'en sortir tout seul mais il pensait que cela serait un bon prétexte pour faire travailler son élève…), sentit les rochers autour de lui se desserrer…petit Shaka avait réussi ! Pour la première fois, il avait réussi à se mettre en harmonie totale avec la Nature…Prestement, Shaka bondit hors du trou, sous le regard étonné de son disciple…

"Mais, maître, vous n'avez rien…
-Je voulais que tu comprennes ce que j'entendais avec 'harmonie avec la Nature', c'est exactement ce que tu viens de faire…mais tu dois être capable de faire cela dans toutes les situations, pas uniquement dans les situations graves, te retrancher en toi-même en faisant abstraction de ce qui se passe…tu devras te concentrer uniquement sur ce qui t'entoure, et oublier la situation, aussi grave soit-elle…"

Petit Shaka hocha la tête, comprenant ce que son maître lui avait dit et en mesurant la portée…pour une des premières fois de sa vie, il se sentait fier de lui-même, et, malgré les textes de Bouddha qui disaient que l'égoïsme rabaisse l'homme, il trouvait ça plutôt agréable…Shaka dit alors:

"Viens, rentrons au temple, je crois que la leçon t'a suffi…"

En effet, cela demandait encore beaucoup d'énergie à l'enfant pour faire cela…avec le temps il s'habituerait et s'épuiserait moins, mais Shaka préférait ne pas en faire trop pour l'instant dans ce sens pour ne pas l'épuiser trop vite…l'enfant n'avait encore que dix ans, et tout son temps pour apprendre.
Pour une des premières fois de sa vie, Shaka se souvint de ses premières années au temple, n'ayant d'ailleurs jamais su quand il y était arrivé…il s'était à l'époque posé beaucoup de questions sur la dureté de l'existence, étant né dans un pays pauvre où l'on voyait les cadavres flotter sur le Gange, le fleuve sacré, et n'ayant jamais connu ses parents. Selon lui, les gens de son pays montraient une volonté plus forte de mourir que de vivre en se baignant dans le fleuve, il avait fait cette réflexion à l'âge de six ans… Son filleul, lui, avait vu le jour dans une famille aimante, même si le climat de l'île était en permanence torride et assez difficile à vivre…tout cela ferait de lui un chevalier de la Vierge au caractère totalement différent du sien, mais pas moins efficace…Shaka fils d'Ikki avait en partie hérité du fort caractère de son père, et, même s'il était placide en apparence, il n'en serait pas moins un combattant très puissant, et qui saurait utiliser sa puissance à bon escient…


Confrontation…

Cap Sounion…


Sion aida Camus à se mettre debout, doucement…Athena le tenait de l'autre côté. Camus grimaça en sentant son poids porter sur ses chevilles et ses genoux endoloris. Il fit quelques pas maladroits, soutenu par les jumeaux attentifs. Puis Athena le porta à nouveau dans son fauteuil:

"Tu es presque guéri…", lui dit-elle avec un sourire.

Camus dit alors:

"Je voulais vous remercier pour tout ce que vous faites pour moi…"

Sion sourit lui aussi:

"De rien, je n'ai jamais laissé personne dans la peine, à plus forte raison lorsqu'il s'agit d'un ami…"

Ces jours derniers, Camus semblait reprendre confiance en lui-même, Sion l'avait même vu glacer une petite pierre, preuve qu'il se sentait mieux…
Mais ses failles restaient sensibles, et Sion avait résolu de lui faire prendre conscience de sa valeur. Il en avait parlé à sa sœur jumelle, et tous deux essayaient de trouver un moyen pour le faire…peut-être le fait d'affronter directement ses peurs et ses doutes lui serait-il salutaire ? Sorrente lui avait toujours dit qu'il fallait toujours remonter à cheval après être tombé, de peur d'en être effrayé toute sa vie, Camus devait subir ce genre de traitement pour être enfin guéri tout à fait…Ce soir-là, Camus endormi, Sion s'assit dans le salon et écrivit une lettre à Camus du Verseau, la cause de la peur et du désarroi de Camus…bien sûr, Sion devinait aussi qu'il y avait des causes plus intérieures et propres à l'enfant, mais, une fois la plus importantes de toutes réglées, le reste s'autorégulerait…
Puis Sion sortit de la maison, marcha un moment au milieu des ruines du temple éclairées par la lumière blafarde de la Lune…il savait très bien que ce qu'il allait faire avait deux résultats possibles: soit Camus serait guéri, soit il tomberait si bas qu'il en serait au delà de toute aide…mais, pour son ami, il était prêt à prendre le risque…il savait aussi que celui-ci l'avait beaucoup soutenu pendant son coma, était venu dès qu'il le pouvait le visiter, et il voulait lui rendre la pareille…
En fait, Camus du Verseau vint plus vite qu'il ne le pensait, il annonça son arrivée pour le surlendemain…estimait-il donc son élève à ce point pour qu'il se souciât de son bien-être ? Cela, Sion ne le savait absolument pas, mais il accueillit néanmoins Camus avec les honneurs qui lui étaient dûs.

"Où est-il ? et que lui est-il arrivé ? ", demanda de son ton monocorde le glacial chevalier d'or.

Sion, que Camus n'intimidait plus et qui ne se considérait pas comme en dessous de lui, répondit calmement:

"Il est tombé, et s'est gravement endommagé les chevilles et les genoux…il remarche un peu, et il ne saurait être question de l'entraîner à nouveau pour l'instant…"

Camus toisa quelque peu Sion, mais ne l'impressionna pas…L'adolescent dit:

"Il est encore dans une chaise roulante, mais je crois que ses blessures intérieures mettront plus de temps à se cicatriser…il m'a fallu beaucoup de temps pour trouver de quoi il souffrait et pour le faire réagir, mais je crois que maintenant qu'il réagit nous devons l'aider, et c'est pour cela que j'ai besoin de vous…"

Rien dans la physionomie du visage de Camus n'avait changé pendant que Sion parlait, et il se dit franchement que sa réputation de froideur n'était pas usurpée…Comment petit Camus, ouvert et gai, au caractère aimable, avait-il pu survivre avec un tel maître ? en fait, c'était la farouche volonté de vivre de l'enfant qui avait prévalu et qui lui avait permis de survivre. Pourtant, Sion était certain qu'entre le maître et l'élève existait une alchimie particulière, et il allait falloir qu'enfin soit ils en prennent conscience pour petit Camus, soit qu'ils l'admettent du côté du maître…
Sion dépassa la maison et conduisit le chevalier d'or là où son ex-élève était assis, près de l'ancien temple de Poseidon. Sion l'avait assis ici intentionnellement, comme l'endroit était fortement imprégné de puissance marine il sentirait tout de suite s'il avait le moindre problème…Mais Camus ne bougeait pas, il regardait la mer sans que la moindre expression apparût sur son visage…Depuis peu, il marchait de temps en temps avec des béquilles, mais sa guérison n'était pas encore complète, et le médecin avait insisté pour qu'il se reposât encore le plus possible et qu'il continuât à utiliser son fauteuil roulant…
Sion l'appela et dit:

"Ton maître est venu te rendre visite…"

Camus n'eut pas un regard pour son homonyme, et dit seulement:

"Je ne veux pas le voir…"

Sion s'approcha doucement et dit, en lui mettant la main sur l'épaule:

"Je vous laisse, j'ai à faire…"

Et il tourna les talons, se dirigeant vers la maison mais se tenant tout de même prêt à tout…Vu l'état d'esprit de Camus, cela risquait d'être dévastateur.

Camus du Verseau s'approcha de son élève, et s'assit près de lui:

"Qu'est-ce qui t'a pris de t'enfuir ainsi ? tu as inquiété tout le monde…"

Il n'avait décidément pas la manière de parler à un préadolescent en malaise, mais le regard haineux que celui-ci leva sur lui suffit à lui fournir un élément de réponse. L'enfant refusa de répondre, prenant une longue et ample respiration…
Le maître décida alors de le pousser dans ses derniers retranchements:

"Je te savais faible émotionnellement, mais je ne savais pas que tu étais un lâche…"

Alors, sans répondre encore, Camus se leva, tint sur ses jambes fermement sans faire attention à la douleur qui lui vrillait les muscles, et dit lentement, sans s'énerver:

"Je n'ai plus de leçons à recevoir de vous à présent, maître, je sais quelle est ma place en ce monde…si je suis faible émotionnellement, au moins je peux me targuer d'avoir des émotions, ce n'est pas votre cas…"

L'enfant semblait transformé, calme et serein, nulle trace de haine dans ses yeux à présent…il avait beaucoup réfléchi ces temps derniers, ce qui l'avait fait mûrir…il sourit légèrement:

"Ou plutôt si, vous avez des émotions, mais vous refusez de les admettre car pour vous elles sont preuve de faiblesse…c'est aussi simple que ça en fait…j'ai mis beaucoup de temps à le comprendre, mais maintenant je le sais…et je ne peux vous pardonner…"

Camus, surpris que son disciple ait tant de discernement, ne sut rien répondre sur le coup…puis il dit:

"Effectivement…mais mes émotions ne rentrent pas en ligne de compte lors de ton entraînement…
-Si vous aviez été un peu plus humain, je n'aurais pas eu l'envie de garder mes pouvoirs pour moi par peur de vous…vous me faisiez peur à un point tel que je n'osais plus rien faire en votre présence de peur de me faire rabrouer, puisque vous ne m'avez jamais rien dit de gentil…
-Tu n'aurais pas progressé à ce point si j'avais été gentil avec toi…et tu le sais…
-Vos méthodes sont inhumaines…
-Oui, mais tu as survécu…"

Camus du Verseau refusait d'en démordre, ayant foi en ses sacro-saintes méthodes…son disciple lui dit alors, toujours sur le même calme:

"Elles ont peut-être fonctionné avec mon père, qui était un orphelin ayant peu connu l'amour d'une famille, mais moi je n'étais pas semblable, je suis né dans une famille aimante…votre erreur fut d'avoir tenté de me déshumaniser, chose qui n'a fonctionné ni avec mon père ni avec moi…être chevalier ne signifie pas forcément être sans âme ni sans conscience…"

Camus devait bien se rendre compte que les arguments de l'enfant étaient on ne peut plus justes…soudain, l'enfant vacilla sur ses jambes et tomba au sol, à bout de résistance musculaire. Sans un mot de plus, le maître tendit sa main à l'enfant, puis le prit doucement dans ses bras pour le déposer sur le morceau de colonne où il avait été assis auparavant…Les deux Camus se regardèrent et le maître dit:

"Que veux-tu me prouver ? que tu es résistant ? que tu peux supporter la douleur sans te plaindre ?tout ce que tu réussiras à faire sera de ralentir ta guérison…"

L'enfant fit bouger ses jambes, mais ne répondit rien, plongé dans ses pensées. Il venait de voir quelque chose dans les yeux de son maître, de la fierté et de la compassion, ce qui corroborait ce qu'il pensait…mais quel difficile cheminement avait donc conduit Camus du Verseau à nier ses sentiments à ce point-là ?
L'enfant reprit:

"Je veux vous prouver que, sans être comme vous aimeriez que je sois, je peux être à la hauteur…"

Il semblait que, pendant tous ces jours de silence, Camus avait peaufiné ses arguments et osait enfin dire à son maître ce qu'il pensait…surtout, il avait compris que s'énerver contre lui ne servirait à rien qu'à le desservir, et donc il tentait de garder un calme olympien. Il se comportait exactement comme l'adulte qu'il serait bientôt…il savait surtout que les arguments servis froidement auraient plus d'effet sur son maître…
Pourtant, malgré son calme apparent, il bouillait intérieurement, en voulait à son maître mais parvenait à garder son calme, empêchant sa colère de passer dans son cosmos.
Camus du Verseau dit alors:

"Si tu as fini, nous pourrions peut-être envisager de regagner le palais de ton père ?"

L'enfant secoua la tête:

"Je ne suis pas encore guéri, et je suis bien mieux ici pour le faire…mais vous ne serez pas assez cruel pour me forcer à reprendre l'entraînement tant que je ne tiens pas seul sur mes jambes, n'est-ce pas ?"

Ah, cette clairvoyance commençait à porter sur les nerfs du maître !finalement, il se rendit compte que celui qu'il avait devant lui était en fait le vrai Camus, son vrai caractère se faisait jour à présent…Pourtant, au delà de son calme, il sentait en lui un conflit. Camus n'était pas encore tout à fait guéri, ni moralement ni physiquement…et après tout, avait-il vraiment besoin de le réentraîner tout de suite ? L'enfant était tout à fait digne au niveau puissance de son armure, il n'y avait aucun problème de ce côté-là…pourtant, Camus s'inquiétait pour lui, bien qu'il eût du mal à l'admettre, il voulait le réentraîner car il pensait qu'il lui fallait s'aguerrir, apprendre à se comporter pendant une bataille. Mais il semblait que, cela, l'enfant l'eût appris d'instinct…
En fait, et cela Camus ne le savait pas, l'enfant avait pris modèle sur le comportement de Sion en face de ses marinas et de son frère, toujours ce même calme simple, sans air hautain…et c'est ainsi qu'il avait réussi à trouver sa véritable personnalité…
Camus du Verseau décida alors de laisser encore un peu de temps à son disciple pour panser ses plaies, il serait temps d'aviser ensuite…mais l'enfant devenait un adolescent qui serait moins impulsif mais possèderait énormément de caractère et non moins de puissance…il n'en avait pas l'air mais, sous le couvert d'un enfant mince en train de grandir, se cachait une puissance phénoménale…
Il se leva et dit:

"Bon, je te laisse ici, fais-moi prévenir quand tu seras prêt et nous aviserons…"

L'adolescent regarda son maître avec étonnement, mais celui-ci, après avoir juste posé sa main sur sa tête en signe de bénédiction, disparut, le laissant interloqué…pour Camus du Verseau, ce geste était un geste d'extrême tendresse, et l'enfant le savait. Pour la première fois, il eut la mesure de l'admiration et de la tendresse que cet homme en apparence si froid éprouvait pour lui, et cela lui fit chaud au cœur…
Quand Sion vint le rechercher, craignant pour lui le si chaud soleil de midi, il le vit sourire mais se garda de faire le moindre commentaire tout en pensant en son for intérieur que sa petite ruse avait dû réussir…


Bénarès,Inde…

Il est trois heures du matin, le silence règne dans le temple où les moines prennent un repos bien mérité dans leur vie d'ascétisme et de renoncement. Shaka, lui aussi, dort, mais, soudain, il sursaute et se réveille brusquement, le front en sueur, le cœur qui bat la chamade. Il a senti une présence si maléfique qu'elle lui en irrite encore la peau…
Il se redresse, saisit la veilleuse au pied de son lit et se lève d'un bond. Mais il n'y a personne dans la pièce, nul ne se dissimule dans les coins d'ombres…pourtant, son instinct aiguisé de chevalier d'or expérimenté lui dicte qu'il y avait quelqu'un ici il y a seulement quelques secondes de cela…
Un déclic se fait alors dans son cerveau, et, jetant une kurta sur sa poitrine nue, il court vers la simple cellule où dort son disciple. Il cherche là aussi, mais sans succès, la présence a dû s'évanouir…il ne peut cependant s'empêcher de regarder quelques secondes son disciple endormi, profitant au maximum des courtes heures de sommeil que lui laisse la discipline du temple. Il sourit légèrement à cette vue, mais son esprit reste en alerte, concentré sur ce qu'il cherche.
Il regagne sa chambre, et s'assied par terre, sur son tapis de méditation, cherchant à se rappeler chaque sensation qu'il a eue pour mieux cerner son ennemi, savoir qui il est pour mieux s'en prémunir. Pourtant, cette présence lui rappelle quelqu'un, mais, pour l'instant, il ne peut encore savoir qui …tout ce qu'il sait, c'est qu'il doit lutter contre le Mal, quel qu'il soit, quelle que soit la forme qu'il revête…


Le Sanctuaire, 8 avril…

Il est encore très tôt mais Mû ne dort plus, elle est assise sur le seuil de sa porte et attend le miracle sans cesse renouvelé, le soleil qui va paraître de derrière les montagnes…la nuit s'éclaire déjà, et Mû attend le jour qui verra le quatorzième anniversaire de ses enfants.
Depuis quelques années, elle n'y pense plus comme un jour de douleur, mais la douleur, celle de leur naissance difficile, elle ne l'oubliera jamais, ces trois jours passés à les pousser tous deux vers la vie. Mais le jeu en valait la chandelle…
Ce soir, elle ira à la résidence Solo, où le père des jumeaux a organisé une réception en leur honneur, elle est d'ailleurs revenue pour cela de Jamir, où elle s'était retirée voici quelques mois…elle était bien plus heureuse là-bas, au milieu de ses choses familières et oubliée du monde…
Mais pas de tout le monde ce matin semble-t-il…elle voit s'avancer vers elle Milo et Kanon, qui étaient partis courir de bon matin…

"Tu es bien matinale…c'est l'anniversaire de tes petits qui te perturbe autant ?
-Oh non, je sais bien qu'ils n'ont plus besoin de moi pour grandir maintenant…"

Kanon secoua la tête:

"Je pense que tu te trompes, ils ont encore besoin de toi mais n'osent pas te le dire, c'est à toi d'aller vers eux…ils ont besoin de savoir que tu les aimes…
-Ils le savent…"

Milo reprit:

-Tu ne le leur a jamais vraiment dit…mais, même s'ils ont quatorze ans, ils ont besoin de te sentir près d'eux…"

Décidément, les deux compères la connaissaient bien mieux qu'elle ne le pensait. Mais, au fond, elle dut se rendre à l'évidence: ils avaient raison. Après tout, ses enfants, fils de dieu, n'en étaient pas moins des humains. Elle ferme la porte, et, les laissant continuer leur course, prend le chemin de la résidence Solo. Elle a toujours retenu ses sentiments, mais, cette fois, elle veut les dire à ses enfants, et leur dire aussi qu'elle sera toujours près d'eux, quoi qu'il arrive, et qu'ils sont la plus précieuse chose qu'elle ait au monde, même avant sa charge de chevalier d'or. Elle a mis du temps à enfin trier ses sentiments, mais maintenant elle est enfin prête à les leur dire…
Quand elle y arrive, Athena vient juste de se lever mais son visage s'éclaire à la vue de sa mère. Mû sourit à sa fille et lui dit:

"Bon anniversaire…"

Le sourire d'Athena s'agrandit, et, comme quand elle était petite fille, elle se précipite dans les bras de sa mère.

"Maman ?"

La voix encore toute empâtée de sommeil de son fils cadet qui sort de sa chambre, encore à moitié endormi…Mû sourit à son fils et lui dit ironiquement:

"Tu n'as jamais été très fort au réveil, même quand tu étais petit…bon anniversaire tout de même…"

Sion sourit à sa mère et court lui aussi se réfugier dans ses bras, les bras maternels dont il a tant manqué autrefois…Mû serre longuement ses enfants dans ses bras, puis les sépare d'elle et leur dit:

"Mes petits, je veux que vous sachiez que je serai toujours là quand vous aurez besoin de moi, car vous êtes mes enfants, vous êtes la chose la plus précieuse que j'ai au monde et que j'aime le plus au monde…"

Les jumeaux, les yeux remplis d'émotion, regardent leur mère et lui sourient. Jamais leur mère ne leur a dit cela, mais ils l'ont toujours ressenti…mais l'entendre maintenant les bouleverse jusqu'au fond de l'âme…
Athena dit alors à sa mère:

"S'il te plaît maman, il y aurait une chose que nous aimerions que tu fasses…
-Tout ce que tu veux…
-Ne nous dis pas que nous avons atteint l'âge de raison, papa n'arrête pas de nous le répéter déjà…
-Je crois que c'est dans mes cordes…"

Elle lui sourit et lui fait un clin d'œil…

Julian Solo, lui, est encore dans sa chambre, il achève de s'habiller pour aller travailler dans son bureau. En nouant sa cravate, il s'approche de la baie vitrée de sa chambre et regarde la mer…il lui vient alors l'idée que cette mer qui lui est si précieuse a le calme et la couleur des magnifiques yeux bleus de Thétis…cette idée le frappe, mais il secoue la tête, chassant l'image de Thétis et se reconcentrant sur les objectifs du jour…
Mais il ne sait pas encore ce que l'avenir lui réserve…

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Cette fiction est copyright Anne-Laure Perrin.
Les personnages de Saint Seiya sont copyright Masami Kurumada.