La fin de toutes choses


Ses vieux os frottaient douloureusement les uns contre les autres comme il arriva au sommet de la colline. Arrivé au sommet, il passa une main tremblante dans ces cheveux blanchis, regardant les montagnes qui l'emprisonnait et la mer qui le libérerait. En ce moment, au crépuscule même de son existence, ces yeux les voyaient comme au début, et il pouvait en apprécier la beauté une ultime fois. Si seulement il avait pu en apprécier la beauté avant... Avant la fin de tout.

Respirant avec peine, Nachi descendit une à une les marches qui le menait à la plage. Une plage où il avait souvent aimé nager, il se rappelait, il y était souvent descendu avec ces amis pour laisser exploser leur énergie et leur joie sur ce sable et cette eau. Et puis...

Et puis ils avaient grandis, ils étaient devenus matures, et il avait cessé de descendre dans la fraîcheur des vagues, pour ne ressentir qu'un vague regret pour la joie qu'ils avaient perdue.

C'était il y a soixante-dix années de ça.


Le soleil était maintenant depuis longtemps couché, emportant la lune dans son sillage. Une poignée d'étoiles mornes illuminait la scène, et quand Nachi s'arrêta un instant pour reprendre son souffle, il cherchait des yeux les étoiles réconfortantes du loup, sa constellation protectrice. Peine perdue ; elle était couché depuis des heures. Soupirant, il avança à nouveau le pas.

Il tomba et failli se briser la jambe, le métal brillant de sa jambière encaissant le coup.

Sa tête tournait, et il du se résoudre à attendre, à respirer profondément, à prendre son temps. Chaque partie de son corps semblait âgée d'un millier d'années, d'une centaine de vies, tous prêts à se briser, à se déchirer, à se tordre ou à s'arrêter. Prêts à tout, sauf à descendre cette falaise escarpé.

Son armure le soutenait. Elle, elle était toujours neuve, toujours brillante, et dans le reflet de ce métal luisant, il ne voyait pas son visage criblé de rides, mais sa fouge d'antan. Physiquement, mais surtout moralement, l'armure du loup le soutenait dans son dernier voyage.

Il glissa à nouveau, et se rattrapa. " Athéna ", murmura-t-il par habitude, avant de réprimer sévèrement sa prière. Ça faisait bien longtemps qu'il ne croyait plus en elle.

Finalement, tout ses joins protestant sous l'effort, il arriva en bas, et en eu le souffle coupé. Le noir total du ciel réfléchissant le noir encore plus parfait des eaux, le silence total à peine brisé par la brise. La brise chaude de la Grèce, la brise chaude de son adolescence, lui murmurant les paroles muettes des chansons d'enfances oubliées. Un vent qui lui caressait les joues, et failli même réussir à sécher ses larmes.

Lentement, il s'avança, ses bottes lourdes s'enfonçant profondément dans le sable tiède. Il y était, maintenant. Le radeau.

Trois semaines d'efforts pour l'assembler, de poutres trouvés sur cette plage et de vielles cordes, un semblant de radeau. S'il avait eu la force de transporter des cèdres depuis le Sanctuaire, cela aurait été bien mieux. Qu'importe. Le radeau flotterait, c'était ça l'essentiel.

Une branche rigide lui faisant office de levier, Nachi, invoquant les dernières forces de ses muscles pourrissants, poussa le radeau, centimètre par centimètre, vers les vagues noires.

Il s'immobilisa dix fois sous l'effort, et une fois sous la peur. Sauf s'il s'était trompé, cette plage déserte ne l'était pas. Son cœur battit à cent à l'heure et la nausée menaçait de le plonger à nouveau dans les ténèbres. Avait-il échoué ?

" Tremble, Chevalier croulant ! Car les bersekers sont de retour ! "

C'était la figure même de l'enfer qui lui parlait. Une armure rouge brûlante, baigné par un sang bouillants qui coulaient de ces joins, et s'enflammait au contact de son cosmos écarlate, avant de tomber, goutte par goutte, sur sable qui ressemblait maintenant à du verre. Des yeux presque comme des miroirs semblaient réfléchir avec dédain tout ce qu'il contemplait, et des cheveux blanc encadraient un visage déformé par les balafres, la haine et la jubilation.

Puis tout cessa. Le cosmos du berseker disparut, son armure vira au noir total, et dans un silence de mort, seul le léger bruissement d'un grain de sable mal placé laissait supposer qu'il se déplaçait dans l'obscurité.

Un doux murmure dans les oreilles de Nachi, se superposant au bassement des flots : " Comment veux-tu que je te tue, Chevalier de la dernière génération ? ", dit la voix à ces cotés.

Comme le cosmos du berseker ressuscitait comme un soleil levant, irradiant la plage de sa splendeur et consumant les vêtements de Nachi, celui-ci du étouffer un sanglot. 'Chevalier de la dernière génération' ; c'était bien lui, ça.

Un soudain espoir lui vint, une idée germée dans son cerveau fatigué. Il regarda le berseker en face pour la première fois, pointant son visage meurtrit vers le sourire prêt à le dévorer.

" Qui est-tu ? ", demanda-t-il, las.

Le sourire carnassier lui répondit : " Alamut du Coq, chef de la deuxième légion d'Arès ! "

Le regard de Nachi se porta un instant sur les ténèbres insondables derrière lui, et revint se poser sur Alamut, interrogatif.

" La deuxième légion est en train d'être reconstitué, en attendant la résurrection de notre divin maître ! Mais moi, je n'ais pas besoin de souffifre ; je suis venue personnellement mettre fin a vos jours ! Regarde ! "

Et son cosmos explosa. C'était une supernova, c'était un nouveau soleil, un soleil de mort qui consumait tout sur son passage. Apollon dans sa gloire aurait à peine pu rivaliser avec lui... et, derrière un bras désespéré qui essayait de protéger ces yeux de la leur indestructible, des anciens souvenirs commençaient à affluer dans l'esprit de Nachi. Des souvenirs de temps depuis longtemps révolus.

Saga... cet homme lui rappelait Saga, comme il l'avait senti lors de sa première arrivée au sanctuaire. Saga, dont le cosmos mauvais irradiait tout, Saga, la même lueur de ruse et de folie dans ses yeux. La folie servant de voile à la ruse.

Bien sur, il restait des différences. Saga, même fou, restait un chevalier ; Alamut, même rusé, restait un berserker. Pourtant, malgré la haine qui émanait de lui, malgré sa bravoure violente et idiote, Alamut, dans son âme, ressemblait de très près au chevalier des gémeaux qui avait failli détruire le Sanctuaire... Le berserker du Coq était Saga.

En bien plus puissant.

L'embrassement de son aura cessa enfin, un voile de silence retombant sur la plage soudain déserte.

" Je suis plus puissant que les chevaliers d'or... que tout les chevaliers d'or qu'il y a jamais eu ! " dit l'envoyé d'Ares. Nachi hocha la tête, dépité. C'était un fait. " Je vais les provoquer en duel et les exécuter un à un ! Athéna a eu son Seiya, Ares a son Alamut... "

À la mention du mot 'Seiya', Nachi cracha au sol. Puis, relevant la tête, il leva sur Alamut un regard apitoyé : " Je te propose un marché, " dit-il, plaintivement.

Un énorme éclat de rire lui répondit. " Comme ça, chevalier minable, tu veux marchander ta pitoyable vie ? "

" Non, c'est pas ça... " Nachi se laissa couler sur le sol, ces membres tremblants de fatigue. Ces vieux os lui faisaient tellement mal... " Tu amène ce radeau jusqu'à la mer, " dit-il en désignant les dix mètres d'espace qui lui restait, " Et je te dis tout sur le sanctuaire. "

La ruse dans l'âme d'Alamut le fit hésiter un instant. " Qui est tu, pour me faire cet offre, vieillard ? "

" Je suis Nachi du Loup, " répondit-il, " Chevalier de bronze. Intendant du Grand Pope, Chef de la garde du Sanctuaire, chef du village, émissaire du recrutement, grand prêtre du Culte d'Athéna, ambassadeur chez Asgard, Conseiller aux relations extérieurs et au ravitaillement, " continua-t-il, en comptant sur ces doigts, " et, maintenant, gardien des quatre premières maisons du zodiac et héritier du Pope, je suppose. Je suis tout cela, et je te donne ma parole sur la tête d'Athéna que si tu bouge ce radeau jusqu'au bord des flots, je te dirais tout ce que tu veux savoir. "

Alamut le regarda un instant, hésitant et confus. Mais un berserker ne reste jamais longtemps confus...

Un haussement des épaules et un vague coup de pied, et le radeau s'écrasa au bord de l'eau. Le chevalier du loup suivit son embarcation de fortune des yeux, et, constatant qu'il était encore intact, poussa un long soupire de soulagement. " Merci, " dit il, se retournant vers berserker.

" Alors, " reprit celui-ci, un sourire de nouveau sur les lèvres, " quel sont ces secrets que tu a juré sur la tête d'Athéna de me livrer ? "

Silence.

C'était la tête lourde que Nachi lui répondit enfin : " Tu sais, ça fait bien longtemps que je hais le nom d'Athéna et tout ce qu'elle représente. Alors... " Hochements des épaules, quinte de toux, et des craquements dans ces articulations comme un bateau se désintégrant alors que le chevalier du loup se remettait sur pied. Des vrais larmes coulaient de ses yeux dessécher. " Autant en finir debout. "

berserker éclata d'un rire de grand cœur devant la petite trahison de ce chevalier. Il ne s'était pas amusé autant depuis qu'enfant, il se battait amicalement avec son petit frère. Avant que tout bascule...

La voix de Nachi le tira de ses pensées. " Vingt ans. "

" Quoi ? " demanda le berserker, surprit.

" Vingt ans. C'est l'âge moyen auquel un chevalier finissait sa carrière, tombé sous les coups de l'ennemi ou se retirant pour former de nouveaux disciples. Même un chevalier d'or ne restait guère en service actif passé la trentaine. Au total, peut-être dix années en tant que combattant, presque jamais plus que quinze. "

" Et alors ? ", demanda berserker Eprouver de la compassion était strictement interdit pour un berserker d'Ares, bien entendue. Mais telle était l'étendue de sa force - depuis les temps mythologiques, aucun berserker n'avait pu rivalisé avec sa puissance - combiné au fait qu'il allait le tuer, lui fit sentir une sentiment presque de respect envers ce pauvre chevalier brisé au crépuscule de sa vie.

" Et alors ? Rien, " soupira Nachi.

Et ce n'était pas juste lui qui tremblait dans le silence glacé de cette plage déserte. Berserker aussi tremblait. La défaite de Nachi était total... il avait complètement abandonné, il avait totalement laissé tombé la lutte, sans même faire un semblant de combat. Et pourtant... il avait bien due être un fier chevalier, dans sa jeunesse ?

Il regardait le visage défait de cet homme de quatre-vingt-dix ans d'existence, un homme qui n'avait jamais connue la paix, ou l'amour, ou même une période de gloire suffisamment longue pour se laisser affaiblir. Son visage en proclamait autant. La gloire est éphémère... Il regard le visage de Nachi, et tremble ; serait-ce son visage, dans dix, vingt, quarante ans ?

Il réprima sa peur sous une froide colère, regardant Nachi avec dédain et sentant son immense aura affluer dans ces mains. " Et bien, tu n'auras pas à souffrir encore bien longtemps. Au revoir, Nachi ! "

Le sable à ces pieds, depuis longtemps mué en verre, commençait à bouillir, des bulles de verre liquides se soulevant tout autour de ces pieds. Alamut cria sa joie et sa jubilation, comme la puissance afflua à travers chaque parcelle de son être, réchauffant son cœur, chassant tout les doutes. Il était un dieu à nouveau, il était indestructible, et il allait infliger sa punition sur un mortel...

" Si on s'étaient affrontés lorsque j'avais la fougue de ma jeunesse, le résultat aurait été bien différent, " dit Nachi, tristement.

" Peut-être bien, " concéda Alamut, sourire éclatant sur les lèvres. " Second Sun ! " cria-t-il, tout son cosmos affleurant dans ses mains, tordant l'espace sous le poids de sa puissance. L'océan commençait à bouillir et le sable ressembler à de la lave en fusion, et la clarté brûlante sur la bai n'avait rien à envier à celle du soleil. En une fraction de seconde, toute la puissance affleura entre ces mains, en une explosion qu'il projeta sur Nachi à la vitesse de la lumière.

" Oui, " soupira Nachi, comme la boule fonçait sur lui, une boule de cosmos incandescente plus puissante qu'un chevalier d'or. " Tu aurais peut-être eut une chance, " murmura-t-il en tendant la main droite vers le haut comme son propre cosmos éclata. " Lesser Realm of Preservation ! "

Et le ciel se déchira. Zébré d'éclaires blancs dans tout les sens pendant un sinistre instant, avant de passer au blanc total, les cieux hurlèrent ! La rage du paradis éclata, la mer vira au même blanc ultime, un blanc tellement pur et brûlant et parfait qu'il en devenait cruel et froid. La musique des anges de la guerre remplit l'univers de sa douce mais sinistre chanson.

" Alléluia ! ", crièrent les anges.

" Alléluia, " dit Nachi, comme le Second Soleil Alléluia se dissolva dans le blanc éclatant qui les entouraient, devenue maintenant un océan de blancheur totale.

" Alléluia ! ", crièrent les anges.

" Alléluia, " dit Nachi, comme le cosmos Alléluia fut aspiré de son corps agonisant et se perdit dans le blanc de son linceul.

" Alléluia ! ", crièrent les anges.

" Alléluia, " soupira Nachi, comme le corps Alléluia lui-même se dissolva doucement dans la perfection ultime et froide, absorbé par la grandeur de l'univers.

" Ephémère... ", fut le dernier mots du berserker.


La lumière retomba, et Nachi entre-ouvrit ses paupières. Des éclaires dansèrent toujours devant son regard, et il fermi violement les yeux à nouveau, attendant qu'ils s'habituent de nouveau à l'obscurité et au silence.

Deux minutes plus tard, il parvint à nouveau à distinguer les vagues contours des objets. Si seulement son corps n'était pas si usé...

Le radeau était toujours au bord de l'eau. Un petit sourire triste ; l'interlude avec le berserker n'avait donc pas été inutile.

Quelques pas tremblants, et lui aussi était au bord de l'eau, au bord de l'océan infinie qui baignait les cotes de la Grèce, de la Turquie... De l'Amérique, de Madagascar, de l'Inde, de la Chine... Du Japon. De l'Antarctique, du Brésil, de toutes les contrés humaines... Cet Océan qui était le dernier espoir qu'il restait à la chevalerie.

La dernière étape. Il était résolu à le faire, et pourtant...

Il restait un chevalier. Malgré tout ce qui lui était arrivé, il restait un chevalier. Et qu'est-ce qu'un Chevalier ? Un chevalier, c'est un défenseur des faibles. C'est une combattant sacré, capable de déchirer le ciel et fendre les étoiles, capable de puiser sa force dans l'âme même de l'univers, envoyé de la justice, dieux parmi les hommes, espoir des opprimés.

Mais, même s'ils ne l'admettaient que rarement, un chevalier, au début et à la fin, quand touts ces définitions artificielles étaient tombés en poussière, dans son cœur, dans la nuit obscure ou il confrontait son âme dans le silence et la solitude et ne pouvait plus se cacher la vérité, un chevalier était par dessus tout un homme. Un homme avec une armure.

Le loup... Même si les étoiles de sa constellation étaient depuis longtemps pâlis, même si leur lointaine lueur était devenue aussi morne que son âme, elles restaient ses étoiles protectrice. Et depuis plus de soixante ans, elles n'avaient pas faillis. Le loup faisait partie de lui même. Il n'était pas Nachi, pas récemment. Il n'était plus rien d'autre que le chevalier du Loup.

Et maintenant, il n'était plus rien. L'armure du Loup gisait à ces cotés, posés avec lenteur et amour sur le radeau. L'homme qui n'était plus rien commença à pousser cette embarcation de fortune vers les flots avides, les yeux secs et le regard fixe. Il fallait que lui meurt, pour que le Loup survive.

" Serait-ce de la trahison, Lupus ? "

Nachi soupira, encore plus vieux, épaules courbés par la défaite, avant d'abandonner son radeau et se tourner vers celui qui avait parlé, croisant les yeux avec le seul être vivant aussi accablé par les ans que lui même.

Une armure aussi ancienne que celle du loup, mais astiqué avec plus de soins, formait le cadre d'un vieillard tremblant. Une lueur de folie sacrée illuminait ses yeux, où semblait s'être réfugier les dernières traces de sa vie dans un corps déjà à moitié mort. Le maître du sanctuaire, le suprême représentant d'Athéna sur Terre, l'ultime chevalier entre tous, le casque du Grand Pope sous un bras et celui de la Licorne sous l'autre.

Jabu toussa, et cracha sur le sol entre les deux anciens compagnons. Il paraissait bien plus frêle et fragile que Nachi même, mais ce dernier ne s'y trompait pas. Jabu avait une lueur intérieure, une force qui maintenait sa vie, une force qui s'était depuis longtemps brisé dans le chevalier du loup.

Jabu avait la foi. Lui pas.

" Au nom de notre ancienne amitié, " commença le chevalier de la licorne d'une voie tremblante, " je suis prêt à pardonner beaucoup, à fermer les yeux sur bien de choses. Je peux passer l'éponge sur ta fuite, sur les statues que tu as brisées. Sur... sur l'autel d'Athéna, détruite. Sur le fait qu'en abandonnant ton poste, le Sanctuaire tout entier est vulnérable. Sur ta déréliction de ton devoir sacré, toutes les hautes fonctions que tu occupait. Je suis prêt à passer l'éponge sur beaucoup de choses... mais Athéna elle-même, bénis soit son nom, " dit Jabu, crachant quand même sur le sable par habitude, " ne pourrait pardonner le fait que tu te prépare à nous trahir en abandonnant une de nos armures sacrées à nos adversaires. A nos adversaires éternelles qui n'attendent que l'instant de faiblesse pour nous détruire ! "

" Arrête de radoter n'importe quoi, Jabu, " cracha Nachi. " Le Sanctuaire n'est plus rien qu'un cadavre pourrissant, maintenant. Le Sanctuaire est mort ! "

Une lueur de haine voila les yeux du grand Pope.

" Le Sanctuaire vit, " répondit-il, et son silence soudain était plus sinistre que sa colère. " Depuis plus de trois mille ans, Athéna nous baigne de la lueur de sa sagesse, et réchauffe nos cœurs, et celui de tout les hommes, par le rayonnement de sa justice. Tant que nous resterons loyal à ces idéaux, tant que nous portons le Sanctuaire dans nos âmes, il ne sera jamais détruit. Nous ne sommes plus des hommes, Nachi, les chevaliers sont bien plus que ça. Nous sommes les garants de la paix du monde. "

Jabu leva une main tremblante vers les cieux, prêt à déchaîner sa fureur vers le chevalier du Loup qui vit sa mort avec une clarté totale. Affronter Jabu quand il était sous la prise de la colère... Il le revit, une main ensanglantée sur un fragment de Balmung, lever le bras, et, les yeux rouges de colère, le rabattre encore et encore, jusqu'à ce qu'une vague bouilli rouge soit tout ce qui reste du demi-dieu qui leur avait barré le passage. Il ne pouvait lutter contre un Jabu furieux, il fallait le distraire... par le seul point faible dans une armure mental sculpté d'une détermination acier trempé dans une vie d'horreur. Une armure mentale bien plus forte que son équivalent physique.

" Shaïna t'aimais, tu sais, " dit, en soupirant, le chevalier du loup. C'était frapper bas, il le savait, mais il n'avait guère le choix... Il devait appeler l'ombre de cette ancienne combattante, pour l'aider dans cette heure de détresse, pour trouver le seul talon d'Achille dans la résolution de son ami et ennemie.

C'était le silence total, maintenant. Jabu le fixait, immobile, son visage drainé de toute expression. Non... pas drainé, juste vide. Vide, comme ils contemplaient ce passé lointain, deux vieillards perdus dans les méandres sombres d'un passé révolu pour le reste du monde.

" Elle aimait Seiya, " prononça tout simplement le Grand Pope, d'une voix qui refermait le dossier d'un claquement sec et définitif.

" Combien d'hommes a-t-elle connu avant Seiya, Jabu ? Et quel age avait elle alors ? Ce n'était rien de plus qu'une première brève infatuation pour un gamin, une peur de solitude qui passait pour de l'amour dans son âme inexpérimenté. Alors que toi... " Jabu continuait de le vriller de son regard silencieux.

" Survivant de la guerre sacrée, " continua Nachi, " celui qui nous a tous unis après la mort d'Athéna, visionnaire, maître du Sanctuaire que tu a reconstruit de ta volonté, organisateur et motivateur d'exception, celui qui nous a redonné une cause... Etait-ce étonnant qu'elle a jeté son dévolu sur toi ? Seiya, c'était un gamin qu'elle aimait comme une mère ; toi, tu étais un homme qu'elle aimait comme une amante. "

" Pourquoi nous a-t-elle trahi alors ? " demanda Jabu de sa voix monocorde.

Cette fois, c'était au tour de Nachi de sentir la colère monter en lui. " Je ne te permet pas d'insulter la mémoire de cette femme magnifique ! " siffla-t-il. " Tu sais parfaitement qu'elle ne t'as jamais trahi ! Qu'elle est morte de ta main, volontairement, pour essayer de corriger ton incompétence ! "

C'était la vieillesse qui le sauva. Une dizaine d'années auparavant, Jabu l'aurait exécuté sur un bref pic de rage incandescente. Mais le cerveau ralenti du grand Pope, toujours perdu dans le passé révolu, mit un temps avant de laisser la fureur lui voiler les pensées... et dans ce temps, c'était intellectuellement rendu compte de la vérité de ses paroles.

" Je ne laisserais pas le Sanctuaire dépérir une seconde fois, " dit Jabu, comme ces yeux et ceux de son ancien ami regardaient directement vers ces dix ans qui avaient suivit la reconstruction du Sanctuaire avec le chevalier de la Licorne sur le trône du Pope. Dix ans de paix comme ils n'en avaient jamais connus durant toute leur existence, dix ans de libérations, dix ans durant lesquelles aucun ennemi ne vint pour défier les héritiers de ceux qui avaient tué le dieu de la mort. Dix ans durant lesquelles tout les buts pour les quelles des générations innombrables de chevaliers avaient rêvés, tués et périt, avaient enfin été atteints.

Dix ans de lente dégénérescence.

Ils avaient survécu à l'attaque de Saga, Poséidon et Hadès. Ils avaient survécu à la mort des chevaliers d'argent, puis d'or, ils avaient survécu à la disparition de Seiya et ces amis, les plus puissants chevaliers de tout les temps. Ils avaient survécu même à la mort d'Athéna, leur déesse, ils avaient survécu durant les douze mois où ils avaient patiemment reconstruits le Sanctuaire, à force de larmes de sueur et de sang. Ils avaient survécu à tous ces désastres. Ils n'avaient pas survécu à la paix.

Privé de but, le Sanctuaire c'est enfoncé lentement dans une inertie suffocante. Des tours de garde pour prévenir de l'arrivé d'un ennemie qui jamais ne viendra, la formation de nouveaux disciples qui n'auraient jamais à ce battre, les prières ferventes, puis rituelles, puis oubliées, à une Athéna morte... Chaque année paisible qui passait et confirmait leur victoire, éclairait aussi leur inutilité dans ce monde privé de guerre.

Des fières chevaliers, prêt à terrasser tout adversaire à condition d'un avoir un, tombèrent dans la boisson, la dépression, le suicide. Un à un, ils abandonnèrent le Sanctuaire, non pas avec une fougue rebelle, mais avec une indifférente lassitude. Pendant dix ans, le Sanctuaire se vida, chevalier après chevalier partit refaire sa vie en tant qu'homme, sous l'œil éploré de Jabu qui sombrait de plus en plus sous les milles tâches quotidiennes, trop obnubilé par les détailles pour fournir à ce Sanctuaire la direction grandiose des Popes de jadis.

" Shaïna nous à montré la voix une fois, je ne re-commettrait pas la même erreur ! " re-cria Jabu.

Car vint le moment où Shaïna d'Ophichus, survivante de la guerre sacré, amante du grand Pope, la plus puissante de tout les chevaliers qui restaient sur terre, eut assez de voire son Sanctuaire et son Jabu diminuer toujours plus devant ces yeux. L'espoir même semblait sur le point de la quitter, elle voyait l'avenir se rétrécir à vue d'œil. Donc elle fit ce qu'aucun chevalier n'avait fait depuis dix ans. Elle se rebella.

Une brève rébellion solitaire qui ne fit aucun mort, ce n'était pas son but. La loi du Sanctuaire était claire, et implacable : Jabu, son masque dissimulant ces larmes, dû condamner et exécuter celle qui avait partagé ces nuits, la voyant mourir devant lui le sourire sur les lèvres. " Pourquoi ? " fut la question qu'il cria durant ces nuits solitaires sur le mont étoilé.

Mais, dans son cœur, il savait la raison. Il le voyait chaque jour, dans le pas, soudain alerte, des gardes, dans l'attention accrue des disciples à leur leçons, dans la petite poignée de chevaliers qui étaient revenus au Sanctuaire qu'ils avaient jurés de délaisser... Dans la mort de Shaïna, le Sanctuaire revivait. Elle leur avait donné ce qu'ils voulaient par-dessus tout : un ennemi...

Ca ne durerait pas, bien sûr. Ca ne durerait pas, et ils seraient de retour à la case de départ, le Sanctuaire dépérirait, et le sacrifice de Shaïna aurait été inutile. Mais...

" Mais des ennemies, ont peut toujours en trouver, " intonna Nachi, répétant la décision secrète à laquelle ils étaient parvenu cette nuit fatale. Des ennemies... bien sur, les dieux surpuissants, destructeurs de l'humanité, avaient étés vaincus, mais... Mais il restait maintes dieux et déesses avec leurs vues sur une petite portion de la terre, de l'esclavage à plus petite échelle...

Bien conscient que c'était signer leur arrêt de mort, mais que cette mort glorieuse seyait bien plus à ces fières guerriers que la lente descente vers l'oublie, Jabu et l'intendant Nachi dirigèrent les armées du Sanctuaire contre certains des dieux Maya...

Ils n'avaient aucune chance de gagner. Et ils gagnèrent.

Lorsque les survivants ensanglantés et épuisés regagnèrent le Sanctuaire, le spectacle qui s'offrit à eux réchauffa leur cœur. Tout les chevaliers survivants qui avaient abandonné le Sanctuaire en jurant de ne jamais y remettre les pieds, tous étaient de retour, promettant leur allégeance éternelle. Fort de sa nouvelle armée, le Grand Pope se mit a planifier sa prochaine campagne...

" Qui était-ce ? ", demanda soudain Jabu, désignant le sable fondu près de Nachi et interrompant leur rêverie mutuelle. Il n'y avait guère prêté attention en venant, un cosmos tellement insignifiant ne pouvait pas l'inquiéter, mais en tant que Grand Pope il se devait d'être au courant de tout. Surtout s'il allait devoir exécuter le chevalier du loup...

" Oh, lui ? " fit Nachi, indifférent. " Un berserker ou un truc du genre. Apparemment Arès est de retour. "

" Tu vois !?! Nos adversaires nous encerclent, ils se préparent à nous attaquer. Tu ne peux pas nous abandonner dans cette heure de danger ! Au nom de ton devoir sacré, je te somme de revenir pour la guerre qui se prépare, pour défendre la gloire du Sanctuaire ! "

Cette fois, Nachi n'en pouvait plus. La rage et l'amertume entamèrent une explosion silencieuse dans son cœur, et c'est d'une voix froide et monocorde qu'il répondit :

" Soixante-cinq révolutions de ce foutue soleil autour de cette maudite planète. Je ne compte pas les années de formation, bien sur, ou ces dix ans de calme dégénérants après la mort d'Hadès. Depuis soixante-cinq années je n'ais fait que combattre. Je ne respire plus que l'odeur du sang, je ne vois plus que des cadavres ammoncés autour de moi, me barrant toute route vers l'espoir. Soixante-cinq années de douleur et d'horreur. Toi aussi, Jabu. On a finis par vaincre les dieux eux-mêmes ! J'ai écrasé le cœur d'Isis dans ma main gantée, j'ai baignée dans le sang de Marduk, j'ai égorgé Gabriel de sa propre épée ! Et toi Jabu... Combien de meurtres ? Et combien de nos compagnons son morts sur la route, pavant notre chemin de leur sacrifices inutiles, combien de tombes a-t-on du creuser, jusqu'à ce que le Sanctuaire lui-même ne soit plus qu'un cimetière ? Et pourquoi ? Pourquoi lutter, encore et encore ? "

" Pour la gloire d'Athéna. "

Nachi cracha vers son compagnon avec violence, le manquant de peu, et failli s'étrangler avec l'effort. La quinte de toux réprimée, il reprit :

" Je hais Athéna, je hais Seiya, je hais tout ces saints de Bronze ! Toutes ces larves pitoyables qui ont eu la vie facile, qui n'ont eu qu'à se battre contre des adversaires claires et définis, qui avaient un but, et une fois celui-ci atteint, ont eu la lâcheté de mourir. Qui sont morts en nous condamnant à vivre. Ils nous ont tous abandonné, et pourtant c'est eux qui ornent les statues, c'est eux qu'on admire, ces minables traîtres ! "

La fureur de Nachi réussit à faire reculer Jabu cette fois-ci, deux pas chancelants vers l'arrière. Le Grand Pope leva une main en signe de vague compassion, et murmura :

" C'est pour ça que tu as démoli toutes leurs statues... "

Nachi hésita un instant, sur un pic de colère. Quelque chose... dans la voix de Jabu. Ce n'était pas le ton habituel, tout emplein de folie et de grandeur passé. C'était... la voix d'un vieil ami inquiet. Avec... avec un soupçon d'humour, même. Que voulait-il ?

" Pas toutes leur statues, malheureusement, " répondit le Chevalier du Loup, " Je n'ais eu le temps de passer ma colère que sur Saori et Seiya, le temps me manquait... "

" Je sais, " dit le chevalier de la Licorne, le visage sans expression. " Les quatre autres statues, c'est moi. "

Un instant de silence, puis un sourire apparut sur les lèvres des deux protagonistes, un sourire de plaisanterie partagé, le premier sourire franc qu'ils avaient échangés depuis des années. Mais déjà Jabu parlait, brisant ce fragile moment d'amitié.

" Tu pense que je ne sais pas ce que tu dit, Nachi ? Que je ne hais pas ceux qui nous ont abandonnés, que je n'ais pas la nausée en pensant à tout les hommes que j'ais tués, tout les dieux qui ont périt par ma main, tout mes compagnons, Shaïna, Geki, Ban, Ichi, Hilda, Eros, et tout les autres, qui sont mort devant moi. Je suis le seul être au monde qui ait vue plus d'horreurs que toi, Nachi, bien plus, alors arrête avec tes discours ridicules ! Je les connais mieux que toi ! Seulement... "

Son regard se perdit sur la mer, juste à l'horizon, la où le jour pointerait bientôt et où brillaient pour le moment les quelques étoiles de la Licorne.

" ...Seulement, c'est moi le Grand Pope, c'est entre mes mains qu'Athéna et Shaïna ont placé le destin du Sanctuaire. Le Sanctuaire est bien plus que nous deux, bien plus que nos vielles mémoires rouillés, il est l'espoir des hommes, il est le flambeau de l'humanité, il est le dernier lien avec la pureté des temps mythologiques, quand dieux et hommes étaient bons. Il justifie tous nos actes ; sans lui, nous ne sommes que des meurtriers en armure. Il est une cause sacrée. Mais... mais en même temps, il est exactement autant que nous deux, le Sanctuaire meurt avec nous, car nous sommes les deux derniers... "

" Et Justinian, le vieux commandant de la garde, " corrigea machinalement Nachi.

" Non. " Jabu secouait la tête. " Il est mort de ma main. " Le chevalier du loup le regarda un moment ébahi. " Il me l'a demandé avec ses yeux... Il ne voulait pas être le dernier être vivant dans un Sanctuaire mort. "

Nachi fermi rageusement les yeux essayant de retenir les larmes qui coulaient. Justinian aussi, maintenant... Le dernier des gardes, dans la dernière maison du village abandonné... Tout ce qui restait maintenant dans ce vaste Sanctuaire sacré, c'était tombe sur tombe, un immense monument à tout les morts qui se décomposait en silence, regardant de leurs yeux vides et rongés par les vers, les autres mourir à leur tour et prendre leur place dans la terre à leur cotés...

Sur toute l'île, lui et Jabu était les derniers êtres qui respiraient encore... Le rêve était fini, bien fini maintenant. Un autre sourire amère lui monta brièvement aux lèvres ; Arès et ces berserkers s'amuseraient bien en débarquant sur cette île abandonnée...

" Tu vois pourquoi, Nachi, mon vielle ami ? Nous sommes tout ce qui reste. C'est pourquoi je suis prêt à te pardonner. Revient, et ensemble nous rebâtirons la gloire du Sanctuaire. C'est la dernière chance que je te donne ; en tant que Grand Pope, je t'en ais déjà donné bien assez... "

Nachi senti la haine remonter dans lui, puis la réprima. La haine... il la sentait beaucoup trop souvent, ces dernières années...

" Je hais tout ceux qui sont morts, pour nous avoir abandonnés. Je hais tout ceux qui m'ont affronté, pour ne pas avoir eut la force de me tuer. Je hais tous ces compagnons morts qui se sont sacrifiés pour me permettre de survivre plus longtemps dans cette existence atroce. Je les hais tous, et toi aussi, Jabu, tu le fais. Nous ne sommes que deux vieillards assoiffés de la haine qui nous dévore. Même si nous vivons deux cent, deux mille années de plus, c'est trop tard : le Sanctuaire est déjà mort en nous, il ne reste plus rien que la haine. "

" C'est pour ça qu'il faut confier nos espoirs à d'autres, " reprit Nachi, passant une main rêveuse sur les pièces de métal lisses et poli qui composaient l'amure du Loup qu'il avait tant adoré. Et qui gisaient maintenant, abandonnées, sur le radeau. " A d'autres qui ne répéterons pas les mêmes erreurs que nous. Qui sauront vibrer encore d'espoir et de joie quand ils entendront le mot 'chevaliers'. "

Jabu secoua simplement la tête, et une main glacée se referma sur le cœur de Nachi. Il avait échoué... toute sa vie n'avait de but que dans cette seul action, toutes les années de son existence n'étaient que douleur et larmes qu'il avait espéré racheté aujourd'hui, et il avait échoué...

" Ce serait un combat bien inégal, " murmura Nachi, les yeux baissés.

Sans rien dire, le pope était à ses cotés, auprès du radeau sur lequel flottait ses espoirs. Lentement, machinalement, Jabu se débarrassait de son armure de la Licorne, posant les pièces, une à une, à coté du Loup. Deux vielles armures, cote à cote avec deux vieillards.

Nachi retient son poing quand Jabu lui présenta son dos. Même si l'avenir de la chevalerie était en jeu, tout dans son âme rechignait à porter un coup en lâche... même maintenant, sans personne pour observer, avec une vie qui se terminait de toute façon. Toute sa vie, il avait pensé que son honneur n'était qu'une peur de se faire mal voir par les autres, et voila qu'il découvrait le contraire à l'article de la mort... juste au mauvais moment.

Jabu, bien sûr, n'aurait pas hésité à sa place... l'aurait il ?

Trop tard. Le grand Pope, après une brève hésitation, se dépouilla de son casque, le posant non pas sur le radeau, mais sur le sable à ces cotés.

Deux anciens amis se firent face pour la dernière fois. Quatre yeux voilés de cataractes se défièrent pour l'avenir de leur ordre. Des os et des tendons qui avaient déjà trop vécus se préparèrent à un ultime effort.

" Tant que le Sanctuaire durera... " dit le grand pope, levant la main droite. " Dimensional Rip. "

L'espace se déchira devant lui, la réalité se brisant comme du verre, les fissures zébrant la plage, la mer et l'air, comme des milliers de dimensions se tordaient de douleur, se tire-bouchonnaient et s'entredévoraient. Des milliers de réalité fusionnaient, se séparait, des mondes et des univers entiers spiralaient avec la lenteur de l'éternité autour d'un seul point fixe : Jabu. Et celui-ci étendit la main, apposa son doigt sur la jonction de deux réalités, et ceux-ci tournèrent autour de lui, effaçant Nachi de l'existence...

" Greater Realm of Preservation ! "

Cette fois-ci, la plage, le sanctuaire entier, et toutes les dimensions parallèles se remplirent de la lumière blanche impitoyable, et le silence terrible du jugement dernier.

" Alléluia ! " clamèrent les anges de la guerre, frappant dans leurs tambours de terreur sacré, levant bien haut leur épées de lumières et intonnant leur décision sans appelle.

" Alléluia ! " cria Nachi, libérant sa fouge et son énergie. Les dimensions entortillées qui le harpaient crièrent, se débattirent, puis se désintégrèrent dans la lumière blanche.

" Alléluia ! " chantèrent les anges de la guerre, planant au dessus du sang des mortelles, symboles omnipotents de la perfection divine.

" Alléluia ! " cria Nachi, mettant toute sa vie dans ce seul mot.

La lueur brilla encore plus forte, passant au-delà du possible, devenant l'idée platonique de la lumière, son essence parfaite, s'immisçant dans le corps de Jabu pour y détruire son cosmos...

" Alléluia ! " chantèrent à nouveau les anges de la guerre, la douceur de la victoire totale dans leurs voix.

" Al... " commença Nachi, épuisé.

" Universal Exclamation ! "
Sous la voix de Jabu, le ciel se déchira. Avançant enfin la main gauche, il libéra des torrents d'énergie absolument purs, qui désintégrèrent les anges comme des moustiques parfaits devant un lance-flamme. En cet instant, toute l'énergie de l'univers affluait en lui, et il balaya la lumière blanche de son adversaire. Pour la plus petite faction de seconde, il vit tout, les hommes, les oiseaux, les mers, les cieux, les étoiles et les galaxies. Les énergies de tout être vivant, et la délicate toile qui les reliait entre eux. Il vit celle de Nachi, et l'univers entier jaillit de sa paume, et étouffa cette étincelle.

Le corps intact du chevalier du loup roula à ces pieds, et Jabu rouvrit les yeux. Et contempla son ancien compagnon.

Il détailla le corps inerte au visage encore rayonnant de fierté et de désespoir. Il détaillait les mains qu'il avait si souvent serrés au milieu de la passion d'un combat impossible, les mains qui lui avaient tant de fois sauvés la vie. Il regarda le visage de celui qu'il avait aimé plus qu'un amant, plus qu'un frère, le visage du seul, à part lui, a avoir brièvement goûté au lèvres de Shaïna. Il regarda longuement.

Et ne sentit rien. Pas de colère, pas de tristesse, pas de haine, pas même de jalousie, pas d'envie devant sa fin paisible. Plus rien. Des cadavres, il en avait trop vue déjà.

" Tant que le Sanctuaire durera... " il répéta sa phrase. Il était le Grand Pope. Et il avait tué son dernier serviteur, son dernier chevalier. Maintenant, enfin, c'était fini. Pope de quoi ? Quelques temples croulant et un village calcinés demeuraient, mais sans les hommes, ce n'était rien. Quatre mille ans de légendes tombaient en miettes. Le Sanctuaire était bel et bien mort.

Des yeux remplis de larmes et un cœur battant lentement ces derniers coups, il regarda le radeau, où le Loup et la Licorne gisaient cote à cote, en si parfaite harmonie. Qu'avait dit son dernier ami, lorsque le Sanctuaire existait encore ? 'Il faut confier nos espoirs à d'autres'

Tu étais bien plus sage que moi, Nachi, pensa-t-il. Tu voyais la route à suivre, moi pas. Bien sûr, je ne pouvais pas te laisser faire ou t'aider... Tant que le Sanctuaire durait.

Le soleil se levait sûr l'océan, brûlant les derniers fragments de ses vielles rétines. Dans son visage, le début d'une nouvelle journée. Dans son dos, les ruines d'un passé révolu.

Ses muscles se tendirent en un ultime effort, ses pieds s'enfonçant dans le sable avant de trouver prise sur le corps de Nachi. Un bras se brisa, mais il parvint à libérer le radeau, le livrant à la mer salvatrice.

La mer... elle baignait les rives de la Turquie, de l'Italie, de l'Afrique. De la lointaine Amérique, de la Chine, de sa lointaine patrie du Japon. Ses mains cherchèrent dans le sable, et levèrent le casque que générations innombrables de Popes avaient portés depuis des millénaires. Il l'embrassa de ses lèvres desséchées, et la laissa tomber elle aussi sur le radeau, entre les deux armures.

Quelque part sur les rivages de cette vaste terre, quelqu'un lèvera les yeux un matin, et verra le dernier ouvrage du Sanctuaire flottant sur une mer houleuse. Et un jour, le radeau arrivera à destination, et un jeune garçon - ou une jeune fille - passera une main tendre et caressante sur ces armures, et sentira leurs cosmos, et sera touché par leurs auras et leurs couleurs. Et, levant le casque du Pope de ces mains fermes, le poserait sur sa tête avant de dresser droit, un nouveau commandant des chevaliers. Et s'il est touché par le mystère de ces armures, et si la justice brûle dans son corps, et s'il a des amis sincères comme lui, qui pourront trouver en eux assez de courage pour revêtir ces armures invincibles et combattre l'injustice de ce monde, alors le Sanctuaire revivra.

Athéna est morte, son nom tombe dans l'oublie, et le prochain Pope ne connaîtra rien du lieux sacré que ces prédécesseurs ont imprégné de leur sang et leur foi. De son passé de légende, rien ne se saura, personne ne prononcera jamais à nouveau le nom de Seiya, Shaïna, Nachi ou Jabu. Et pourtant... sous un autre nom, le Sanctuaire vivra.

C'est ce que ce dit le dernier des Grands Popes, mourrant sur le sable les yeux vides tournés vers le soleil, alors que la mer capricieuse se chargea des morceaux de bois et de métal qui forment son dernier espoir et son dernier testament.

Fin

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Cette fiction est copyright Stuart Armstrong.
Les personnages de Saint Seiya sont copyright Masami Kurumada.