L'honneur et le devoir


C'était le lever du jour au Sanctuaire. La lumière du soleil chassait les ombres qui s'accrochaient aux anfractuosités et aux replis de terrain, mais il faisait encore frais malgré tout. Dans les grandes arènes de pierre, plusieurs dizaines de novices avaient déjà débuté leur nouvelle journée d'entraînement sous la direction de leurs maîtres. Le brouhaha était étourdissant.

Quelques centaines de mètres plus loin seulement, trois jeunes adolescents couraient de toutes leurs forces en direction du village, situé à quelques kilomètres. Leurs visages ruisselaient de sueur, à la fois à cause de l'effort intense et à cause de la terreur sourde qui les tenaillaient. Ils s'enfuyaient sans se retourner ni jamais ralentir, s'attendant à peine les uns les autres, tout entiers concentrés vers leur objectif, à la fois si proche et si distant. Le village. La porte de sortie qui leur permettrait de quitter l'île.

Cela faisait maintenant près de deux semaines qu'ils préparaient cela. Il était difficile de s'échapper du Sanctuaire. Le jour, il y avait l'entraînement. La nuit, de nombreux gardes veillaient. Finalement, ils avaient choisis de partir peu avant l'aube, alors que tous les novices rejoignaient leurs lieux d'entraînement. Ils avaient tout prévu. Ils prendraient le premier bateau qui quitterait l'île, et rejoindraient Athênes dès que possible. Une fois là, ils n'auraient plus qu'à se fondre dans la population. Personne ne les y retrouverait jamais, même si on les poursuivait. L'argent qu'ils s'étaient procuré ne durerait sans doute qu'un temps bref, mais ils étaient certains de trouver un moyen de s'en sortir malgré tout. Ils avaient des capacités, des connaissances. Ils s'en tireraient. Il leur suffisait d'atteindre le village. A la vitesse à laquelle ils couraient, il ne leur faudrait pas plus d'une heure. Aucun garde ne patrouillait par ici, personne ne pourrait leur barrer le chemin.

Courir. Continuer de courir. Ils ne ressentaient aucune fatigue encore. Leur plan impliquait qu'ils puissent faire le trajet jusqu'au village d'une traite, et ils étaient pratiquement certains d'en être capables. D'ici quelques instants, ils allaient parvenir à une gorge qui s'engageait entre les collines escarpées. Une fois qu'ils l'auraient franchi, ils auraient quitté le domaine du Sanctuaire et il serait à peu près impossible de les retrouver. Encore quelques minutes seulement... La gorge s'ouvrait devant eux. Ils s'y engagèrent sans ralentir un instant. Les falaises les entouraient de part et d'autre, dissimulant le soleil et plongeant toute la passe dans une ombre profonde. Les trois novices couraient aussi vite qu'ils le pouvaient, lançés à pleine vitesse droit devant eux, sans jamais regarder sur les côtés ou derrière. L'extrémité de la gorge était là, à une centaine de mètres seulement. Au-delà les collines s'aplanissaient progressivement jusqu'aux abords du village. Encore quelques secondes...

Le soleil émergea soudain au-dessus des falaises noires, et l'un de ses rayons accrocha une surface métallique, juste devant eux. Les trois novices se figèrent brusquement dans leur course effrénée, réalisant qu'ils venaient d'être rattrapé.

Rigel émergea de l'ombre, son armure flamboyant sous le soleil du matin, et les adolescents se raidirent, terrifiés. C'était leur maître à tous les trois. C'était lui qui leur dispensait chaque jour leur entraînement, si dur qu'ils s'étaient finalement décidés à fuir. Ils en avait peur, presque physiquement.

Le chevalier d'Orion regarda tour à tour les novices et soupira intérieurement. Il avait espéré ne jamais se trouver confronté à une situation pareille. Mais, de toute évidence, en vain. Trois de ses propres élèves qui s'enfuyaient du Sanctuaire. Il s'était très vite rendu compte de leur absence et il ne lui avait fallu qu'un instant pour les rattraper, mais, malgré tout, il ressentait cela comme un échec personnel douloureux. Il avait failli à son devoir d'instructeur.

L'un après l'autre, il posa son regard sur les adolescents qui tremblaient presque. Le premier était Jorham. Ce n'était guère surprenant. Un garçon aux cheveux noirs perpétuellement emmêlés, plus maigre encore que la plupart des novices. Sa peau très bronzée était constellée de cicatrices accumulées au cours de l'entraînement. Rigel n'avait jamais eu beaucoup d'espoir en ce qui le concernait. Jorham allait déjà sur ses treize ans, et il ne montrait toujours aucune compréhension des principes de la cosmo-énergie. Ce n'était sans doute pas de la mauvaise volonté, plutôt une incapacité à apprendre. Rigel avait eu l'intention de le libérer de l'entraînement d'ici quelques semaines s'il ne faisait toujours aucun progrès. Certaines personnes n'avaient tout simplement pas le potentiel pour devenir chevalier. Mais à présent, ce ne serait plus possible.

Les deux autres novices s'étaient montrés beaucoup plus prometteurs, et Rigel ressentait une déception amère en les voyant ici. Le premier s'appelait Arenn. Un garçon d'une dizaine d'années, de petite taille, aux cheveux blonds dorés et au sourire prompt. Il ne souriait pas en ce moment. Son visage était si pâle que Rigel avait l'impression qu'il était sur le point de s'évanouir. Pourquoi avait-il voulu s'enfuir ? Il était toujours le premier à accepter l'entraînement, toujours le plus enthousiaste pour les exercices qui lui étaient proposés. Il riait facilement, et paraissait toujours de bonne humeur, même couvert de bleus et d'ecchymoses. Il avait une véritable soif d'apprendre. Il écoutait, il assimilait et il retenait. Rigel l'avait toujours considéré comme celui de ses élèves qui avait le plus de chance de gagner un jour une armure parmi la vingtaine d'adolescents dont il avait la charge.

Le dernier, ou plutôt la dernière, se nommait Doria. Rigel ressentit un véritable coup au coeur en la voyant. C'était la seule fille parmi ses élèves, une enfant de douze ans aux cheveux noirs qui lui tombaient juste en-dessous des épaules. Calme et réservée. Elle aussi avait cette soif d'apprendre, mais elle se manifestait différemment. Doria était détachée, réfléchie, analytique. Elle parlait très peu, ne prononçant jamais deux mots si un seul pouvait suffire. Silencieuse, même quand elle reçevait des coups pendant l'entraînement. Rigel avait discuté avec elle à quelques reprises et en était venu à considérer qu'elle avait une profondeur peu commune chez un novice. Elle était d'une intelligence surprenante, qu'on ne remarquait pas jusqu'au moment où elle s'exprimait. Rigel n'en était pas encore certain, mais il avait l'intuition assez nette qu'elle commençait à manifester un cosmos rudimentaire. Il avait eu l'intention de s'en assurer dès qu'il en aurait l'occasion. Il avait même songé à le faire ce jour-là.

Quel gâchis ! Et que devait-il faire, maintenant ? Rigel sentit l'incertitude s'emparer de lui. Comment pouvait-il prendre une décision pareille ? Que devait faire un chevalier d'Athéna dans une situation pareille ? Qu'aurait fait son maître ?

Rigel frissonna. Il savait très bien ce qu'Argol aurait fait. A sa place, il aurait déjà tué les trois fuyards sans leur accorder la moindre pitié. Il était interdit de quitter le Sanctuaire sans autorisation à tous ceux qui n'étaient pas chevaliers, et c'était tout particulièrement vrai pour les novices. En règle générale, les gardes pouvaient se déplacer à leur guise jusqu'au village s'ils le désiraient. Pas les novices. Seul le chevalier chargé de leur instruction pouvait leur donner cette autorisation. Rigel avait l'impression de revoir le visage d'Argol devant lui, ses yeux durs le fixant sans ciller. Les trois novices avaient violé l'une des règles les plus fondamentales du Sanctuaire. Ils méritaient la mort. Immédiate. Sans sursis.

Mais ce n'était que des enfants ! criait sa conscience déchirée. Des enfants seulement ! Ils étaient tellement jeunes... Il serait criminel de les tuer maintenant, alors qu'ils avaient encore toute la vie devant eux !

Non. Pas des enfants, répliqua aussitôt la voix implacable d'Argol. Des novices, qui avaient accepté de suivre leur entraînement au Sanctuaire dans l'espoir de devenir un jour chevaliers. L'âge n'avait aucune importance. Ils avaient pris des engagements. Ils devaient s'y tenir ou en subir les conséquences.

Comment auraient-ils pu prendre des engagements alors qu'on les avait forçé à s'entraîner sans relâche depuis leur plus jeune âge ? riposta sa conscience. Aucun d'entre eux n'avait eu l'occasion de faire un véritable choix. La quasi-totalité des novices du Sanctuaire étaient des orphelins ou des enfants abandonnés par leurs parents. Peu d'entre eux avaient jamais vraiment pu décider. Et, même si cela avait été le cas, comment auraient-ils pu comprendre ce à quoi ils s'engageaient alors qu'ils n'avaient guère eu que six ou sept ans à l'époque ?

Toutes ses considérations sont vaines et inutiles, répondit aussitôt la voix dans son esprit. Les sentiments ne doivent pas interférer avec le jugement d'un chevalier. Ton but doit être la préservation du Sanctuaire. En les laissant s'échapper, en renonçant à les tuer, tu crées une brèche dans la loi du Sanctuaire alors qu'il est affaibli. Bientôt, d'autres novices s'enfuiront et d'autres encore, et le Sanctuaire dépérira au lieu de se rétablir. La seule façon d'assurer la sécurité dans les temps de troubles, c'est d'imposer une discipline de fer, sans accorder aucune exception. Le Sanctuaire doit survivre, et peu en importe le prix.

Rigel prit une profonde inspiration. Les novices n'avaient toujours pas bougé. On aurait dit des animaux façe à un chasseur. Ils avaient peur de lui. Une peur indicible, illimitée. Rigel se sentit soudainement empli de dégoût vis-à-vis de lui-même et de sa tâche. Que faisaient-ils donc à ces enfants ? De quel droit ruinaient-ils tant de vies ? Jusqu'à ce jour, il n'avait jamais eu l'impression d'être cruel à l'égard de ses élèves. Dur, inflexible, oui. Mais pas cruel. Il ne faisait que ce qui était nécessaire. N'est-ce pas ? Le doute commençait à le tenailler. Le fait que Jorham ait voulu s'enfuir ne l'étonnait guère. Mais Arenn et Doria ? Deux de ses meilleurs disciples, peut-être les deux meilleurs. Tellement prometteurs, toujours prêts à apprendre, à progresser. Qu'avait-il pu leur faire pour qu'ils décident ainsi de fuir ? Il ne se souvenait pas.

_Allons, allons, fit-il pour essayer d'oublier les questions qui l'habitaient, cessez de faire les idiots et retournez tout de suite aux arènes.

Il avait essayé de prendre un ton léger, désinvolte, mais seul le silence accueillit ses paroles. C'était à peine si on entendait encore le bruit de la respiration des novices.

_Vous avez compris ? insista-t'il malgré tout. Je ne prendrai aucune mesure. Je me suis peut-être montré trop dur avec vous, c'est possible. Je veux bien considérer que tout ceci est de ma responsabilité. Maintenant, retournez à l'entraînement et j'oublierai ce qui s'est passé.

Le silence, encore une fois. Les novices le fixaient tous de leurs yeux exorbités, et tremblaient convulsivement. Leurs vêtements étaient trempés de sueur et ils ne bougeaient toujours pas. Est-ce qu'ils ne comprenaient pas ce qu'il disait ? Ou est-ce qu'ils ne lui faisaient pas confiance ?

_Ecoutez...

Tout à coup, comme une corde trop tendue qui casse brusquement, Jorham se mit à courir. Tout droit, vers l'extrémité de la gorge.

_Arrête !

Il courait de toutes ses forces, une expression de terreur folle sur le visage. Mais il ne s'arrêtait pas. Malgré sa peur. Ou à cause d'elle ? Rigel eut l'impression qu'une multitude de pensées et d'émotions contradictoires envahissaient son esprit en un chaos assourdissant. Il n'avait pas le temps de penser, il n'avait pas le temps de réfléchir.

Jorham passa à côté de Rigel sans que celui-ci ne réagisse et poursuivit sa course sans ralentir, laissant les falaises derrière lui et s'engageant à toute vitesse sur le chemin indistinct qui menait au village, bondissant de pierre en pierre, évitant tous les obstacles du terrain.

Le coup partit alors qu'il était déjà à une centaine de mètres. Il le percuta derrière la tête, lui broyant la nuque et l'envoyant s'écraser au sol comme un pantin désarticulé. Rigel ne s'était même pas retourné.

_Et maintenant, dit-il d'une voix qui était devenue dure comme l'acier, retournez à l'entraînement.

Il y eut un long silence, tandis que le vent se levait, faisant voler la poussière. Tu l'as fait, souffla-t'il à Rigel. Tu l'as vraiment fait.

_Espèce de salopard !

Rigel sursauta. Doria s'avançait droit sur lui, les poings serrés.

_Tu l'as tué, espèce d'ordure ! Parce que tu ne supportais pas l'idée de ne plus pouvoir le torturer à longueur de temps, c'est ça ?

Rigel réprima un mouvement de recul tandis que Doria se campait devant lui, l'air furieux. Elle ne lui arrivait même pas à l'épaule, mais chacun de ses mots avivait les remords qui habitaient son esprit, et il sentait un doute terrible. Etait-ce vrai ? Etait-ce possible ? Rigel se força à se calmer. Non, non, il ne devait pas penser cela. Il avait assisté à plusieurs reprises aux enseignements que dispensaient les autres maîtres du Sanctuaire. Lui-même avait dû endurer l'entraînement d'Argol, et, plus tard, celui d'Aldébaran et d'Aiolia. Il ne se montrait pas plus dur qu'eux, il le savait.

_Doria, articula-t'il d'une voix qui se voulait ferme, tu n'as pas à questionner mes actes et mes décisions. Maintenant, tu vas faire demi-tour et retourner à l'entraînement.

_Pas question ! Je n'y retournerai jamais ! Tu peux me tuer aussi, si tu veux, ça vaudra mieux que ton enseignement !

_Tous ceux qui veulent devenir un jour chevalier doivent subir cet entraînement, répondit Rigel avec plus de calme. C'est bien ce que tu voulais, n'est-ce pas ? Tu me l'as dis plusieurs fois. Tu voulais un jour pouvoir porter une armure. Je t'avais dit qu'il te faudrait souffrir, pour cela, et tu m'as répliqué que tu étais prête. Pourquoi as-tu changé d'avis ?

_Parce que je ne pouvais plus supporter ça ! explosa Doria. Toute la journée, se battre ou exécuter des exercices idiots. A peine dormir et à peine manger. Parfois privé de nourriture ou forçé à passer la nuit à poursuivre l'entraînement. Puni pour la moindre incartade. Jamais de repos. Je ne peux plus le supporter !

Elle était véritablement folle de rage à présent, comme si c'était la première fois qu'elle avait enfin l'occasion de décharger toute la rancoeur qu'elle avait accumulé au fil des années. Ses joues, d'ordinaire pâles, étaient rouges de fureur. Et ses yeux étaient pleins de haine et de colère.

_Tous ceux qui aujourd'hui portent une armure ont subi cela, et pire encore, dit Rigel en se forçant à conserver son sang-froid. Je l'ai supporté, moi aussi.

_Et tu te venges sur nous des souffrances que tu as subi alors, lui cracha Doria au visage.

Rigel blêmit. Comment pouvait-elle dire cela ? Comment osait-elle ? Comparé à l'entraînement qu'avait dispensé Argol, le sien n'était rien ! Il ne les avait jamais forçé à se battre à mort entre eux, il ne les avait jamais puni avec la même sévérité que son ancien maître.

_Tu ne sais pas de quoi tu parles, lui répliqua-t'il, le visage dur. Maintenant, retourne à l'entraînement immédiatement, c'est un ordre.

_Non ! Jamais !

Le corps de Doria tout entier fut parcourut d'un grand tremblement et une aura bleu nuit vint soudain la recouvrir, l'entourant comme une seconde peau. Le cosmos ! Elle avait vraiment découvert son cosmos ! Faible encore, presque vacillant, mais son existence ne pouvait être contestée.

_Doria, essaya encore une fois Rigel, je reconnais que tu as découvert le cosmos qui est en toi. Je peux t'apprendre à le maîtriser. D'ici quelques mois seulement, tu pourras prétendre à l'une des armures vacantes. Je t'en donnerai les moyens, tu as ma parole. Tu pourras être chevalier ! Je t'aiderais. Fais-moi confiance.

Les yeux sombres de Doria s'étréçirent.

_Je ne te crois pas.

Et Rigel sut, avec une certitude absolue, qu'elle ne renonçerait pas. Elle s'était mise en garde, comme si elle avait l'intention de se battre, et son cosmos flamboyait à présent en signe de défi. Et cette expression, dans ses yeux... Rigel la reconnaissait. Il y avait de cela quelques semaines, une nuit où un violent orage avait éclaté, il avait forçé ses élèves a escalader une falaise d'une vingtaine de mètres de haut, très escarpée. Les prises étaient rares et glissantes. La plupart d'entre eux n'était pas parvenu à grimper plus de quelques mètres avant de renoncer. Doria y était arrivé. Elle était tombée plusieurs fois, alors qu'elle était déjà presque au sommet. Elle avait recommençé. Ses vêtements s'étaient vite retrouvés en lambeaux, trempés par la pluie battante et maculés de sang. Mais elle y était parvenue. Et, quand elle s'était enfin retrouvé au sommet de la falaise et qu'elle l'avait regardé, ses yeux avait eu cette même expression.

_Vas-y, alors, fit Rigel en écartant les bras. Attaque-moi, si tu en as envie.

Doria frappa de toutes ses forces décuplées par la fureur. Son coup atteignit presque la vitesse du son. Il y eut un bruit sourd quand Rigel encaissa le choc en plein ventre, là où l'armure ne le protégeait pas. Mais il ne broncha pas, ne recula même pas d'un centimètre. Doria fit un pas en arrière, haletante, puis s'apprêta de nouveau à frapper.

Le sang jaillit, aspergeant l'armure de Rigel. Doria ouvrit la bouche pour un cri muet. Ses yeux montraient qu'elle ne comprenait pas d'où venait cette douleur horrible qui la transperçait. Puis la vie s'échappa d'elle et elle tomba en arrière, inerte.

Immobile, son avant-bras tout entier dégoulinant de sang, Rigel fixa le corps un long moment. Puis il releva les yeux et regarda Arenn, qui n'avait toujours pas bougé. Le visage du novice blond était figé en un masque d'horreur, et il paraissait incapable de faire le moindre mouvement. Rigel l'observa avec une expression étrange. C'était le dernier des trois fuyards. S'il refusait de revenir sur ses pas, tout cela aurait été en vain.

_Arenn.

L'enfant sursauta et esquissa un mouvement de recul en voyant Rigel s'approcher de lui, mais il était trop terrifié même pour tenter quoi que ce soit.

_Arenn, tu vas rejoindre les autres novices et reprendre l'entraînement. Nous ne parlerons plus jamais de cela. Est-ce que tu m'as compris ?

Arenn ne réagit pas, comme s'il ne comprenait pas ce qu'on lui disait. Puis, très lentement, il hocha la tête, incapable de proférer le moindre son.

_Alors, vas-y.

Arenn se retourna et se mit à courir le plus vite qu'il pouvait en direction du Sanctuaire. Rigel attendit sans bouger qu'il disparaisse. Puis, il se retourna et regarda les deux corps étendus devant lui. Ses genoux se dérobèrent brusquement sous lui et il s'effondra au sol et vomit longuement. Quand il eut fini, il se sentit vide.

Il alla les chercher, le corps frêle et mince de Doria, maigre et décharné de Jorham. L'un après l'autre, il les prit dans ses bras et les emporta vers le cimetière du Sanctuaire, une vaste étendue à l'écart où poussaient des fleurs. Là, il leur creusa une tombe à chacun et les y déposa avec douceur. Il murmura une brève prière à Athéna, puis leur ferma les yeux. Ils avaient l'air d'enfants qui se reposeraient après une journée épuisante. Innocents. Paisibles. Il entreprit de les recouvrir de terre. Cela lui fut difficile. Puis il alla chercher deux lourdes pierres et y grava leurs noms.

Enfin, il recula et s'agenouilla devant les deux tombes fraîches, sa belle armure toute recouverte de terre. Après un moment, il se mit à pleurer.

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Cette fiction est copyright Romain Baudry.
Les personnages de Saint Seiya sont copyright Masami Kurumada.