Chapitre 3 : Destinées


Quelque part dans les montagnes de l'Himalaya, une nuit d'orage. Le regard du Chasseur a pénétré dans le cerveau de Valkhan. La peur de cet adversaire terrifiant reprend le dessus. Il lutte, il ne doit pas se laisser impressionner, il doit résister aux puissants pouvoirs psychologiques de son ennemi.

- Je vois bien que tu as la peur au ventre, Valkhan. Et tu as raison, car tous ceux qui sont morts de mes mains l'ont eu avant toi. Et comme tu t'en doutes, ils ont été très nombreux.
- Tu ne tueras plus personne, Chasseur, c'est toi qui vas mourir aujourd'hui. Tu as raison de dire que j'ai peur, mais cela me donnera la force nécessaire pour te vaincre. Tu ne peux pas comprendre si tu ne l'as jamais connue.
- Aussi loin que remontent mes souvenirs, je ne me souviens effectivement pas l'avoir jamais ressentie, pourtant je la connais pour l'avoir si souvent rencontrée sur le visage de mes victimes, et aujourd'hui sur le tien. Mais ne me fais pas croire qu'elle va te donner des forces, tu sais toi-même que c'est faux…

Un nouveau grondement de tonnerre empêche Valkhan d'entendre la fin de la phrase. Celui qui autrefois avait occupé le plus haut rang de l'Ordre de la Chevalerie puise alors au plus profond de ses ressources, et sa foi intense en la cause qu'il défend lui permet de trouver le courage de vaincre sa peur. Désormais l'attaque psychologique de son ennemi ne pourra plus l'atteindre. Valkhan intensifie à nouveau son Cosmos et son aura dorée se met à luire comme jamais le Chasseur ne l'avait encore vu étinceler.

- Cette fois, Chasseur, le moment est venu pour toi de payer pour tous les crimes que tu as commis. Je vais te porter une attaque dont tu ne te relèveras pas.
- Tu m'as déjà porté tout à l'heure ta plus puissante attaque, la Poussière des Etoiles, elle n'aura aucun effet sur moi : une attaque ne marche jamais deux fois.
- Par l'Extinction Stellaire !

Alors qu'il écarte ses bras pour libérer toute l'énergie de son Cosmos, Valkhan déploie son aura : tout ce qui est devant lui semble en train de disparaître. Avant d'être entièrement anéanti comme tout ce qui l'entoure, le Chasseur a semblé surpris et hésitant : Valkhan ne lui a pas porté l'attaque qu'il attendait. Haletant, l'ancien Chevalier d'Or contemple le vide devant lui et se laisse tomber à genoux, il a mis toute sa puissance dans cette attaque, il est épuisé à présent.

- Bien joué, Valkhan, mais ton petit tour n'aura pas suffit à me terrasser.

Le visage terrifié, Valkhan regarde en direction de la voix : le Chasseur est là. Pourtant il lui a bien semblé le voir emporté par son attaque…



Avril 2193. Une nuit de pleine lune, le firmament étoilé. Une petite constellation située le long de l'écliptique se reflète dans les yeux bruns emplis de nostalgie du voyageur. Assis sur un gros rocher surplombant l'endroit où les enfants ont établi leur campement, Valkhan, les yeux levés vers le ciel, murmure.

- BalthazarLama… Je voudrais tant vous revoir…

Il balaie l'horizon de son regard, puis ferme les yeux, imprimant cette image sur son écran mental, projetant sa vision au-delà de ces pics lointains, atteignant les hauteurs de ces montagnes immenses séparant la Chine et l'Inde. Valkhan se souvient : la Fontaine de Vie … la vision furtive d'un vieil homme lui adressant un sourire bienveillant… la Tour de Jamir … un petit garçon concentré à faire léviter quelques cailloux par la seule persuasion de son regard… Tant de souvenirs attachés à ces montagnes, quand il y vivait, auprès de son maître qui lui a enseigné tout son savoir, puis auprès de son disciple, à qui il a, à son tour, transmis l'enseignement qui a fait de lui ce qu'il est devenu : le Chevalier dont la constellation brille au-dessus de lui comme un appel du destin, un appel pour qu'il se souvienne, pour la Mémoire, comme le lui a si souvent répété son maître… Aujourd'hui, ce temps est révolu, les choses ont changé : le Chevalier d'Or n'est plus, tout comme le disciple de Balthazar, ou encore le maître de Lama…
Un cri dans la nuit. Le visage couvert de sueur, Néo se réveille en sursaut. Haletant, il observe autour de lui. Il laisse couler ses larmes sur son visage. Le même cauchemar, si souvent, depuis que c'est arrivé : l'exécution macabre par le Chasseur aux griffes diaboliques de l'homme en noir. Il s'assied, sanglotant. La lueur de la pleine lune est bientôt obscurcie par l'ombre de Valkhan. Néo se jette hors de sa couverture pour se blottir contre son bienfaiteur. Valkhan s'agenouille et serre le petit garçon dans ses bras. Une douce chaleur les enveloppe. L'angoisse disparaît, chassée par l'aura rassurante de celui qu'il aurait tant voulu avoir pour père. Les sanglots cessent, son visage s'apaise. Quelques minutes plus tard, il s'est endormi. Valkhan porte l'enfant à nouveau jusqu'à sa couche, l'enveloppe dans sa couverture et dépose un baiser sur son front…
Une étoile filante traverse le ciel, pour finalement s'éteindre dans la constellation du Bélier. Valkhan rejoint son rocher, prend une plume et son cahier. Il s'assied, commence à écrire… " Aujourd'hui, nous avons atteint la chaîne de l'Himalaya. Chaque fois que j'entre dans ses montagnes, le passé se rappelle à mon souvenir. J'ai passé tant d'années ici à apprendre et à enseigner. J'aimerais tant retourner à Jandara. Peut-être mon maître y vit-il toujours. Votre sagesse me serait sans nulle doute des plus précieuses, mon cœur et mon âme sont en proie aux doutes. J'ai encore besoin de vous… "


Sanctuaire d'Athéna, Grèce. La nuit est tombée sur l'autel de la divine Athéna. Une statue d'or majestueuse à l'effigie de la déesse se dresse au sommet de la montagne sacrée. La paume de sa main droite est ouverte, seul vestige de ce qui aurait pu s'y tenir jadis. Dans sa main gauche, elle tient un grand bouclier… Une petite main délicate effleure le pavois doré… Une tunique blanche, de fines sandales argentées, un pectoral d'écailles… L'image de la statue plonge dans les yeux pers d'une petite fille au visage angélique. Ses cheveux châtains ondulent sous l'effet d'une légère brise… Des bruits de pas. Le Grand Pope s'approche de la divine enfant, il ôte son masque bleu… Raphaëlle est certainement l'une des rares personnes à connaître son visage, elle lui adresse un sourire. Bishop lui tend sa main, afin qu'elle y dépose la sienne.

- Il est tard, vous savez, et même une déesse doit dormir, Princesse Athéna. Il est temps de regagner vos appartements.


Mai 2193. Chaîne de l'Himalaya. Solidement encordé, plaqué contre la paroi abrupte du flanc de la montagne, Sven escalade. Il a déjà parcouru une dizaine de mètres, mais une vingtaine reste encore à faire avant d'atteindre la corniche où Sandra, Vicky, Issa et Shin ont déjà pris position. En bas, les yeux rivés sur le garçon, le reste de la troupe attend. Néo est malade rien qu'à l'idée de savoir qu'ensuite, ce sera son tour. Kemri n'est guère enchanté non plus : il paraît qu'il a le vertige, dit une rumeur répandue depuis plusieurs jours et largement colportée par Néo, voyant là l'occasion de dissimuler sa propre peur des hauteurs. Attentif, Valkhan suit le parcourt du jeune Scandinave. Il se débrouille plutôt bien. Enfin, au prix d'un immense effort, Sven atteint la corniche, Shin et Vicky l'aident à s'y hisser. Avec l'aide de Valkhan, Néo s'encorde pour entamer son ascension.
Le blondinet grimpe. En fin de compte, il ne s'en sort pas si mal. Il parcourt sans peine les quinze premiers mètres. Gagné par la confiance, il se retourne pour adresser un sourire narquois à son ami Kemri, resté en bas. Mais là… c'est haut… c'est même très haut ! En guise de sourire narquois, c'est un visage livide que le garçon offre à son camarade.

- Ne te retourne pas, lui crie Valkhan, regarde ton objectif : le sommet.

Aussitôt, guidé par ces paroles, Néo détache son regard du grand vide responsable du terrible sentiment qui s'était emparé de lui. Il retrouve ses moyens : les mots de Valkhan ont eu le pouvoir de chasser son angoisse. Il continue son ascension. Plus que dix mètres et il sera en haut.
Depuis la corniche, Issa ne le quitte pas des yeux, saisi d'une appréhension qu'il ne peut contrôler. Ce n'est pas la première fois que l'enfant aux traits angéliques est victime de ce phénomène. Pendant un bref instant, tout devient noir dans sa tête, il a l'impression d'être immergé dans un mauvais rêve où tout n'est que ténèbres : c'est un mauvais présage. La dernière fois qu'il a ressenti cette angoisse, il a été enlevé par les hommes en noir. Puis, comme à chaque fois, il discerne les notes d'une mélodie pleine de mélancolie, une toute petite lumière lointaine se met à briller et le ramène à la réalité. Il aime cette musique qu'il n'a pourtant jamais entendue ailleurs que dans ses rêves, et la lumière est pour lui synonyme d'espérance. C'est un avertissement : quelque chose de terrible risque de se produire, mais un espoir de s'en sortir existe. La dernière fois, Valkhan a incarné cet espoir en le tirant de la geôle où ses ravisseurs l'avaient enfermé.
Issa s'avance près du bord, il voit son ami qui se rapproche de lui. Plus que cinq mètres… Le nœud qui le maintient attaché va se défaire au moment même où la pierre qu'il va saisir en guise d'appui va se détacher du flanc de la montagne… Plus que quatre mètres… Le visage d'Issa se glace, il faut faire quelque chose, réagir, prévenir. Il essaie de crier mais les sons ne parviennent pas à s'échapper de sa bouche… Plus que trois mètres… Mais… Le drame pressenti arrive… Un cri, une pierre qui se détache, un mousqueton qui cède, une corde qui se dénoue, un garçon qui perd ses appuis… Ses pieds, son autre main et son corps tout entier ne sont plus liés à la montagne, il est dans le vide, il va tomber.
Vicky précipite son bras pour le rattraper, mais à trois mètres de distance, c'est peine perdue. En bas, Kemri suit de son regard les mouvements aériens de Néo, il se déplace comme pour essayer de se mettre à l'endroit de la chute en espérant le rattraper. Sven précipite ses mains sur son visage, glacé par l'effroi. Versant une larme, Shin hurle le nom de son ami. Et Sandra a voulu adresser un regard suppliant à son père pour qu'il fasse quelque chose… Mais Valkhan n'est déjà plus à l'endroit où il se trouvait il y a encore une seconde !
Aucun des enfants ne l'a remarqué, mais Valkhan a bondi dans les airs. Il s'apprête à rattraper Néo dans ses bras quand la main de l'enfant est déjà saisie… par celle d'Issa ! Issa n'avait pas eu le force de crier mais il a eu l'instinct de sauver son ami. Tenant dans sa main la corde toujours solidement attachée qu'il a utilisée pour monter, il a plongé dans le vide. Son autre main agrippant fermement celle de Néo, l'enfant à la tresse noire de jais reprend ses appuis et stabilise sa position. Avec l'aide de Valkhan, il finit de se hisser jusqu'à la corniche. Les deux garçons reprennent leur souffle. Issa prend Néo dans ses bras et le blottit contre lui, Néo s'en sent presque rougir. Valkhan est soulagé mais il sait que rien de grave ne serait arrivé, Néo aurait été retenu par les autres cordages. Mais l'action entreprise par Issa, que d'aucun aurait jugée téméraire, ne fait que renforcer une profonde conviction ancrée en lui : un tel sens du sacrifice, une telle aisance à manipuler ce qui n'est pas si éloigné d'une chaîne, une telle maîtrise de l'escalade, un charisme et une beauté enchanteresse ne pouvaient être que l'annonce de la destinée d'Andromède. Un homme et six enfants, tous profondément émus, sur une corniche au milieu des montagnes de l'Himalaya ; pourtant, on dirait qu'il manque quelque chose : vingt mètres plus bas, une voix féroce se fait entendre.

- Je vais attendre encore longtemps. Je veux monter !

Le regard de braise bouillonnant de Kemri ne fait que traduire la fureur du jeune Egyptien que tout le monde a oublié. Lui, il est encore en bas de la falaise.


Les faubourgs de la cité d'Oran, en Algérie. Un bar de nuit, lieu des rencontres les plus insolites. Un garçon de neuf ans. Il n'est vêtu que d'un short usé et d'un sweat pouilleux. Il déleste habilement un riche citadin imprudent d'avoir sorti une telle liasse de billets au moment de régler sa consommation. Assis au comptoir, dissimulé derrière une grande djellaba noire, quelqu'un l'a remarqué. Le jeune tire-laine sort discrètement de l'établissement. Son mystérieux observateur l'attend déjà au coin de la rue. Le gosse est tout à coup bloqué dans sa course, une main l'a saisi au poignet et tiré dans une ruelle. De terribles frissons s'emparent du petit Algérien. Un soulagement quand celui qui le retient ôte sa capuche noire : le visage d'Argon se dessine dans la pénombre.

- Ah c'est vous ! Vous m'avez fait drôlement peur ! Vous voulez ma mort ou quoi ? Ca va pas de me faire des peurs pareilles. C'est pas des façons !
- Désolé Dawoud, mais je préfère que nous restions discrets. Tu as les informations que je t'ai demandées ?
- Oui, enfin il n'y a pas grand chose à dire. Celui dont vous avez parlé est bien venu dans la région en octobre 2191. Mais il n'a rien fait de particulier. Il s'est apparemment rendu jusqu'à l'obélisque. Sinon, il est venu en ville pour prendre des renseignements, la seule chose que j'ai pu apprendre : c'est qu'il a demandé si vous étiez toujours dans la région.
- Il s'est renseigné sur moi ? Je me demande bien dans quel but… Rien d'autre ? Tu es sûr ? demande-t-il en glissant quelques billets dans la main du garçon.
- Ben non… ah si mais ça doit pas être important, il y avait deux gamins avec lui…
- Deux ? Tu en es sûr ?
- Ben oui, un garçon et une fille à ce qu'il paraît. Le garçon a posé plein de questions aux gens… sur la région.
- Etrange… Vraiment étrange… C'est bon, file à présent.

Une rencontre insolite entre un enfant des rues livré à lui-même et un puissant Chevalier venu du Sanctuaire. Dawoud s'en est allé à nouveau dans les ténèbres de la ville, laissant seul le guerrier en proie à de nouvelles questions… sans avoir davantage de réponses. Lentement, Argon s'éloigne de la cité, regagnant les étendues sableuses du Sahara. Il pénètre dans une vieille maison de pierre : sa demeure. Khyron le Sinistre, attablé, un verre à la main, l'attend.

- Alors Argon ?
- Valkhan est bien venu à Oran en octobre 2191, il a cherché à se renseigner sur moi, mais j'ignore dans quel but.
- Etait-il seul ?
- Non, il était accompagné d'un enfant.
- L'enfant était là pour l'Armure Sacrée, Argon, c'est évident.
- L'Armure Sacrée ? Il y a une Armure Sacrée près d'ici.
- Bien sûr, ignorant. L'armure que porta jadis Melchior. Celle qui dort sous l'obélisque, auprès de lui. Ecoute-moi bien : elle ne doit pas tomber entre les mains de Valkhan. Quant à l'enfant… je te laisse juge, mais prend garde, Argon, j'espère que tu feras le bon choix !

Les paroles de Khyron ont un parfum de menace. La destinée d'un enfant reposerait-elle maintenant entre ses mains ? Mais celles-ci sont-elles vraiment libres ? Et pourquoi ce mensonge ?


Un pâturage à près de quatre mille mètres d'altitude. Une douzaine de chèvres en train de brouter les quelques herbes éparses. Assis sur une grosse pierre, un berger veille son troupeau, sa crosse à la main, un bidon de lait à ses pieds. Une veste laineuse couvre une tenue aux couleurs sombres. Le berger se lève, glisse ses pieds nus dans ses sabots, prend le bidon de lait et s'apprête à traire l'une de ses bêtes. Sur le chemin, Issa regarde les chèvres, elles sont un peu différentes de celles qui vivent dans son pays natal. Le petit Italien observe ensuite le berger, qui remarque sa présence. Il lui fait signe d'approcher. Lentement, Issa s'avance. Le berger ne doit pas être âgé de plus d'une douzaine d'années. Il a de courts cheveux d'un vert très pâle. Son beau visage est toutefois marqué par la présence d'une balafre discrète au bas de la joue droite. Ils ont tous les deux les mêmes yeux bleus et au moment où leurs regards se croisent, Issa est envahi par une étrange impression, indéfinissable. Comme s'ils s'étaient déjà rencontrés. Le jeune berger tend un bol de lait au petit garçon, Issa en boit une gorgée. C'est un goût étrange, il n'a jamais bu de lait frais. Quand une ombre recouvre les deux enfants…
Un homme de forte corpulence, la mine patibulaire, arborant un rictus déplaisant, se dresse devant eux. Il gratte une petite barbiche d'un air nonchalant. Dans son autre main, il tient un fouet.

- Alors Khen ? Tu as le fric comme convenu ?

Le jeune berger se relève brusquement, poussant Issa derrière lui, faisant maintenant face à l'individu aux intentions douteuses.

- Je ne peux pas, c'est beaucoup trop ! Comment voulez-vous que je vous donne une telle somme ?
- Alors je vais être obligé de prendre tes bêtes si tu ne peux pas payer ! hurle-t-il. Et puis je vais t'apprendre à te foutre de moi !

Il fait claquer son fouet au sol une fois, en guise de semonce, et s'apprête à frapper le berger. Khen recule, il cherche le petit garçon d'un regard.

- Sauve-toi, vite ! Il est dangereux !

Effrayé par la tournure que semblent prendre les événements, Issa ne bouge pas. Il pourrait s'enfuir, mais il ne veut pas laisser le berger seul avec ce brigand. Pourtant il ne le connaît même pas, mais c'est plus fort que lui, il ne doit pas l'abandonner. Le colosse agite son fouet. Khen se protège le visage en plaquant ses bras devant lui, lesquels subissent la lacération. Déséquilibré par le choc, il tombe au sol. Alors que le brigand s'apprête à porter un nouveau coup, Issa se jette sur le berger pour le protéger, il ferme les yeux, il attend que l'arme le touche. Mais rien ne vient. Juste des jurons témoins de la colère du bandit.

- Mais qu'est-ce qui se passe ? Mon fouet… ?

L'homme a tout à coup senti une résistance dans son arme, comme si, dans son élan, le fouet s'était accroché à quelque chose derrière lui. Il se retourne en vociférant de nouvelles grossièretés qu'Issa n'osera jamais répéter. Et là, sa voix cesse d'un coup ; le fouet n'est pas accroché à quelque chose, il est retenu par la main d'un homme. Le regard sombre, le visage marqué par une colère pourtant sereine, Valkhan exerce une forte pression en tirant sur le fouet, obligeant le triste sire à le lâcher pour ne pas être entraîné avec lui. Il se débarrasse ensuite de l'objet en le jetant très loin, étonnamment loin même ! Solennelle, la voix du voyageur tonne.

- Qui es-tu donc misérable pour oser t'attaquer à des enfants avec une telle barbarie ? N'as-tu donc aucun honneur, aucune humanité ?

Impressionné et intimidé, l'homme recule un court instant, puis serrant ses deux poings, il semble retrouver son courage, à moins que ce ne soit que de la haine.

- Non mais de quoi il se mêle celui-là ? ! Je vais lui faire regretter de me parler sur ce ton ! Je fais ce que je veux, ici tu es sur les terres du gang Kamlang, c'est nous les chefs !
- Même si c'était vrai, cela ne te donnerait pas le droit d'user de la violence sur les autres, et qui plus est, sur des enfants !

La brute s'apprête à attaquer, mais avant d'avoir pu faire le moindre geste, se retrouve à terre, plié en deux : Valkhan vient de lui porter un puissant coup de poing dans l'abdomen. Il n'a rien vu venir. Il se rend compte qu'il est face à bien plus fort que lui.

- Si tu as compris la leçon, tu ferais mieux de disparaître et de ne jamais plus croiser mon chemin, misérable.

Sans demander son reste, le bandit détale comme un lapin, comme pris par une peur subite. Valkhan aide Issa et Khen à se relever. Issa vient se blottir contre son … son père. Le jeune berger adresse un regard reconnaissant à ce mystérieux sauveur.

- Je vous remercie, monsieur. Mais vous n'auriez pas dû. Il va revenir avec tout son gang. Vous risquez d'avoir des ennuis… et…
- Et toi aussi n'est-ce pas ? Ne t'en fais pas pour moi, ils trouveront à qui parler s'ils viennent. Quant à toi, je vais demander que les moines-guerriers du monastère de Nasheen, situé derrière cette colline, à quelques kilomètres d'ici, assurent ta protection le temps que justice soit faite. Car ces terres appartiennent avant tout à Nasheen, la maîtresse du monastère, et jamais elle ne tolérerait qu'un jeune berger puisse être maltraité de la sorte.

Valkhan examine ensuite les bras du berger et soigne ses blessures. C'est à ce moment que le reste de la troupe les rejoint. Khen leur apprend que le gang Kamlang, qui prétend être propriétaire des terres, exige qu'il paie un important tribut que naturellement il n'est pas en mesure de verser. Alors que la troupe est sur le point de se remettre en marche, Khen promet de se rendre au monastère pour présenter sa requête à Nasheen dès que possible. Le soleil commence à disparaître derrière les montagnes, mais cette nuit, tous dormiront au monastère. Plus que deux petites heures de marche.


Au cœur des montagnes, un vieux pont de pierre traverse un gouffre sans fond. Sur la falaise opposée, un temple s'élève, majestueux : le monastère de Nasheen. Pavé sur presque toute sa longueur, une petite trentaine de mètres, immensément large, de petits murets l'encadrant, le pont conduit à une grande arche dans la façade du temple. L'arche permet l'accès à une immense cour intérieure de forme carrée, encerclée de solides bâtiments s'élevant sur deux étages telles d'imposantes murailles. Au-dessus des murs, des toits superbes rappellent les palais des empereurs chinois et grandissent le monument à près de trente mètres de hauteur. Au milieu de la cour intérieure, une tour à degrés, constituée d'une dizaine d'étages, s'élève à une cinquantaine de mètres et constitue le cœur du refuge.
Derrière le monastère, le soleil se couche. La troupe de Valkhan, sûrement, se rapproche de l'immense château fortifié. Mais tout à coup, Vicky s'immobilise et fait signe aux autres de s'arrêter. Sur leur droite, plusieurs silhouettes jaillissent des ombres. Valkhan s'avance, il demande aux enfants de reculer derrière lui. Il reconnaît l'un des individus, qui n'a en effet pas perdu de temps à rameuter ses troupes : Khen avait raison. Ils sont huit, armés de battes ou de fouets. Celui que Valkhan a reconnu esquisse un large sourire tout en s'immobilisant à une dizaine de mètres du groupe.

- Alors on fait moins le malin, hein, pépère ? Qui c'est qui va morfler ? Qui c'est qui va en prendre plein sa sale gueule de gentil défenseur des veuves et des orphelins ? Dis donc t'en as des mouflets ? Une belle petite là-bas ? Tu veux qu'on te montre comment ça se dresse ?

Sans dire un mot, Valkhan suit du regard les mouvements des huit brigands, tout en gardant un œil sur les enfants. Un signal de leur chef, les bandits se mettent à courir. Shin hésite : doit-il se mettre en garde ou fondre en larmes ? Vicky dégaine une fronde, prêt à se défendre. Kemri a déjà ramassé une branche pour faire face. Sandra recule quand Néo la prend par la main et se place devant elle, pour la protéger : car il a repéré qu'un des hommes au moins court dans leur direction. Sven tourne la tête dans tous les sens, il a l'impression de voir des adversaires surgir de partout. Calme, Issa observe juste leur père… qui fait un unique pas. Quand la terre se met à trembler ! Le sol s'ébranle, chacun est obligé de faire très attention pour ne pas perdre l'équilibre. C'est un séisme !
Un tremblement de terre salutaire qui n'a duré qu'un bref instant. Tous les brigands ont cessé de courir. Et maintenant, une crevasse d'une dizaine de mètres de large sépare Valkhan et ses enfants du gang Kamlang. Hasard ? Issa est médusé, il croit comprendre ce qui s'est passé, mais pourtant… c'est impossible ! La terre s'est mise à trembler quand Valkhan a fait un pas, non, quand Valkhan a frappé le sol avec son pied ! Mais personne ne peut réaliser un tel prodige. Ce serait un miracle ! Un miracle ? Oui ! Et ce n'est pas le premier exploit dont Valkhan se serait rendu responsable ces derniers mois. Issa se souvient. Comment le mur de la geôle a-t-il pu s'effondrer, laissant entrer leur sauveur ? Comment cet homme en noir et ce curieux Chevalier ont-ils pu se trouver projetés au loin alors qu'il ne les avait même pas touchés ? Comment la terre ferme a-t-elle pu devenir cratère derrière le mur de la prison qui était au sous-sol ? Comment a fait Valkhan pour résorber leurs blessures quand il les a soignés ? Et encore avec Khen quelques heures auparavant ? Comment a-t-il pu ramener le calme dans une foule en délire dans les rues de Bénarès pour permettre à un pauvre vieillard de mourir en paix ? Comment parvient-il à insuffler le courage dans les cœurs et chasser les peurs ? Et puis l'autre jour, quand Néo a failli chuter lors de l'ascension de la falaise, il l'a vu près à rattraper son ami en même temps que lui, ce qui signifie qu'il a fait un bond de près de vingt mètres de haut ! Alors pourquoi ne serait-il pas capable d'entrouvrir la terre d'un simple coup de pied ? Coïncidence ? Non, c'est trop. Le doute n'est plus permis. Issa sourit car il sait à présent qu'il est sous la protection d'un véritable héros qui met sa force au service de la justice pour défendre les faibles et aider les miséreux : un saint homme ! Un Saint ! Un Vrai Chevalier des temps modernes !
La secousse a fait chanceler le chef du gang. Il se relève, furieux, vociférant une liste de jurons de plus en plus vulgaires - quelle horreur ! pense Issa - avant de sortir de sous sa veste… un revolver ! Valkhan ouvre de grands yeux. Les enfants sont tétanisés. Sauf Issa : il sait qu'encore une fois, un Chevalier va le sauver. Un coup de feu ! Un hurlement ! Valkhan a-t-il été pris par surprise ? Il n'a pas bougé ! Pourtant, le revolver tombe déjà dans la crevasse après avoir été éjecté de la main du bandit. C'est lui qui hurle. Quelque chose a heurté sa main, maintenant ensanglantée. Il la regarde, elle a été transpercée… par une chaîne !
Une chaîne étincelante constituée de maillons bleutés s'est plantée dans le sol devant lui et est tendue depuis un rocher surélevé non loin de là. A son extrémité, se tient un homme encapuchonné dans une grande cape bleu marine. Celui-ci ôte sa capuche, révélant de beaux cheveux bouclés violets et un petit sourire. Un diadème d'un bleu brillant est posé sur son front. Valkhan soupire.

- Mélyan. Ainsi donc tu es venu.
- Je suis content de te revoir, Valkhan. On dirait que… tu as de menus problèmes. Je peux t'en débarrasser si tu le souhaites. (Se tournant vers le gang…) Les chaînes de Céphée peuvent rapidement neutraliser les petites frappes que vous êtes.

Comme décidés à ne pas se laisser faire, les bandits se ruent vers Mélyan, qui d'un geste ramène sa chaîne tout en s'apprêtant à l'envoyer à nouveau. Quelques mots et la chaîne semble s'animer comme mue par une volonté propre.

- Grande Capture !

Aussitôt, et sous les regards médusés des sept enfants, la chaîne bleue décrit un large cercle autour des huit bandits, puis elle resserre son étau tout en décrivant de nouvelles ellipses, ligotant toute la bande dans une même opération, un unique assaut.
Issa n'a rien perdu de la scène, qui ne s'est pas tout à fait passée comme il se l'était imaginée : le sauveur n'est pas Valkhan. Celui-ci semble soulagé mais ce qu'Issa ignore, c'est que ce qui a surpris son bienfaiteur, ce n'est ni le revolver ni même le coup de feu, mais l'arrivée de Mélyan. Car Valkhan avait déjà maîtrisé la situation. Une balle bloquée au-dessus de la crevasse par un effort de télékinésie exercé par sa pensée, plongeant désormais dans le profond abîme récemment apparu.
C'est à ce moment qu'une vingtaine de moines-guerriers sortent du monastère. Contournant le précipice, ils sont allés chercher les bandits, certainement pour qu'ils soient remis à la police. Valkhan échange quelques mots avec l'un d'eux, puis va à la rencontre de Mélyan. Les deux hommes s'embrassent. Ils paraissent heureux de se revoir. Les enfants se regroupent et s'approchent.

- Je suis content de voir que tu as réussi, Valkhan, déclare le jeune homme, ils sont tous là. Tu as accompli la prophétie de Cassandra.
- La première phase, Mélyan, je n'ai accompli que la première phase de la prophétie. La suite ne dépend pas que de moi, tu le sais bien.
- Je sais, et comme tu vois, je suis prêt à assumer ma part dans ce combat. Je suis avec toi.

De quoi parlent-ils donc ? se demandent les enfants. Valkhan ne leur a jamais parlé de prophétie ni de cette mystérieuse Cassandra. Pourtant cette prophétie doit avoir un lien avec leur rencontre, Mélyan semble au courant de leur présence. En réfléchissant, Issa se souvient maintenant que le premier soir, il leur avait dit qu'il savait qu'ils devaient se rencontrer, Valkhan devait vouloir parler de cette prophétie, du moins de sa première phase. Mais maintenant ?… Issa dévisage l'ami de Valkhan : c'est étrange, on dirait qu'il porte quelque chose sous sa cape bleu marine, quelque chose qui ressemble à… à une armure. Un peu comme celle que portait le mystérieux Chevalier qui commandait aux hommes en noir. Et puis ce diadème sur sa tête… Plutôt étrange comme tenue. A la différence de Darius, Mélyan paraît gentil et Issa ne ressent pas la même impression négative qu'il a éprouvée au contact du chef des hommes en noir.
Escortée de deux bonzes armés chacun d'un bâton ferré, une femme traverse le pont en provenance du monastère. Derrière elle, un jeune garçon d'une quinzaine d'années suit. A leur tour, Nasheen, puis Hassadan, embrassent Valkhan. De poignantes retrouvailles. Vicky et Sandra reconnaissent la maîtresse des lieux, ils sont déjà venus ici trois ans plus tôt, ils s'en souviennent à présent. Nasheen vient saluer Mélyan, Hassadan se contente de lui adresser un signe de tête en se présentant d'une bien étrange façon.

- Hassadan, Chevalier de Bronze du signe du Petit Lion, de l'Ile de la Mort, je représente mon maître, Cassandra.
- Enchanté, mon nom est Mélyan, Chevalier d'Argent de la constellation de Céphée, maître de l'Ile d'Andromède.

Des Chevaliers ? Ils se sont présentés comme étant des Chevaliers ! Valkhan remarque la stupéfaction sur les petits visages et particulièrement sur celui du jeune Issa, il se sent obligé d'intervenir pour répondre à leurs interrogations.

- Oui mes enfants, nous sommes des Chevaliers. Rassurez-vous, les Chevaliers défendent le bien et la justice. Eh oui, ils existent. Nous sommes différents de ceux que vous connaissez peut-être par les contes mais je vous promets que demain, je vous expliquerai tout. D'abord, il nous faut nous reposer. Une bonne nuit de sommeil ne peut nous faire que le plus grand bien.
- Valkhan a raison, dit Nasheen, et avant de vous coucher, un bon repas et un bon bain devraient vous réconforter. Vous êtes mes hôtes et je suis très honorée de vous accueillir en ma maison. Soyez tous les bienvenus.

Suivant les bonzes armés, Nasheen, Hassadan, Mélyan se dirigent vers le pont de pierre. Valkhan fait signe aux enfants de les suivre et ferme la marche. Alors qu'ils passent sous l'arche menant à la cour intérieure, les enfants se souviennent de la grande aventure qu'ils viennent de vivre et s'imaginent ce qui peut bien les attendre à présent.

- Chevalier ! Moi, ça me plairait bien de devenir Chevalier, dit Néo, en fait je me suis souvent demandé quel métier je pourrais bien faire plus tard, mais je m'étais pas imaginé que Chevalier ça pouvait être possible, c'est que dans les dessins animés que je croyais. Péter la tronche aux vilains, ouais, ça, ça me plairait. Qu'est-ce qu'en t'en dit Issa ? Imagine un peu, je reviens à l'orphelinat et là, la surveillante générale, Méga Claque ! Pour lui faire payer toutes les fessées qu'elle m'a données !
- C'est parce que tu n'arrêtais pas de te bagarrer, répond Issa quand il a enfin l'occasion de placer un mot. Moi, je ne crois pas que ce soit cela, un Chevalier.
- Ce nouveau genre de Chevalier maîtrise sans doute les meilleurs arts martiaux, interrompt Shin tout en essayant de donner un sens aux propos de Tamon, auxquels il n'a cessé de penser depuis leur départ de Bénarès.
- Vous croyez que c'est possible pour les filles ? s'interroge Sandra.
- Bien sûr, assure Vicky, papa a déjà commencé à nous apprendre des tas de pouvoirs. Regarde, toi aussi tu peux soigner les gens un peu comme lui.
- Chevalier Viktor, ça sonne mieux que Chevalier Vicky, non ? lui chuchote Sven dans le creux de l'oreille.
- Oh ça suffit toi !
- Je voudrais bien être aussi fort que Valkhan, moi, murmure enfin Kemri. Et j'irai régler son compte à ce sale type.

Le spectre du Chasseur n'a pas laissé le meilleur souvenir aux enfants. Ils ne savent d'ailleurs pas comment le nommer. Chaque fois que l'un d'eux a voulu évoquer le sujet, Valkhan a écourté la conversation. Ils se connaissent c'est certain, et ils sont ennemis. L'un représente un héros du bien, l'autre un génie du mal. Celui dont on ne connaît même pas le nom leur a démontré en quelques minutes toute l'étendue de son pouvoir mais aussi de sa cruauté. C'est sûrement pour combattre des êtres comme celui-là, agents des forces du Mal que les Chevaliers existent. Sur ce point, les enfants ne se trompent pas.
Pendant quatre mois et demi, ils ont voyagé avec un homme merveilleux et se sont fait des amis. Sept enfants rassemblés autour d'un père qui leur a enseigné plus de savoir, de valeurs et leur a apporté plus d'amour qu'ils n'en ont jamais connu au cours de toutes leurs premières années. Sauveur providentiel, il a su les mettre en confiance, il leur a apporté chaleur, réconfort et tendresse au moment où ils en avaient le plus besoin. Il les a nourris, habillés, soignés. Il leur a appris à survivre dans un environnement parfois hostile, à trouver de la nourriture, à distinguer les produits naturels comestibles ou curatifs des autres, dangereux ou inutiles, à attraper du poisson dans un ruisseau, à repérer les traces des animaux pour éviter les mauvaises rencontres. Il leur a appris à développer leurs aptitudes : courir, sauter, grimper, nager… Il leur a aussi appris à ne pas se décourager dans leurs efforts. Capable des prodiges les plus incroyables, il s'est montré un grand guerrier, limitant toute violence inutile, préférant user d'un charisme et d'une force de persuasion hors du commun… Mais maintenant, que va-t-il se passer ? La première phase est accomplie, une page est-elle sur le point de se tourner ? Sept enfants entrent dans le lieu où leurs destinées vont en partie se révéler à eux : leurs destinées de Chevaliers !


Une bonne nuit de sommeil dans un lit douillet, après un bon repas et un bain chaud. Nasheen, la maîtresse du monastère, a fourni une nouvelle tenue aux enfants pour le temps de leur séjour : une sorte de kimono ainsi que des chaussons, à l'image de l'uniforme de tous les moines résidents. Le premier jour, on découvre la vie très réglée du site : repas à heures fixes dans une immense salle commune, cours dispensés aux disciples par des maîtres expérimentés dans divers domaines tels que la philosophie, la religion, les arts martiaux, la méditation, le yoga. Les enfants ont quartier libre mais ne doivent pas quitter le monastère. Ce matin-là, Khen le berger est venu demander la protection de Nasheen comme le lui a suggéré Valkhan la veille. Issa est content de le revoir. Toute la journée, Valkhan est resté enfermé dans une pièce avec Mélyan et Hassadan, il leur a promis de leur expliquer ce que sont les Chevaliers à la tombée de la nuit " dès que les étoiles illumineront le ciel " a-t-il dit.
Après son entrevue avec Nasheen, Khen retrouve le jeune Issa. Ils s'assoient dans un coin de la cour intérieure pour discuter. Le berger lui raconte sa vie dans les montagnes, Issa évoque brièvement leur voyage. Sandra les rejoint bientôt, elle n'arrête pas de regarder le jeune homme depuis son arrivée, comme s'il lui semblait l'avoir déjà rencontré, elle aussi. C'est d'ailleurs possible puisqu'elle est déjà venue ici trois ans auparavant, mais elle ne parvient pas à s'en souvenir. Le regard de Khen croise le sien, le garçon paraît troublé par la petite fille durant un instant. Comme si lui aussi essayait de se souvenir de quelque chose.
Au milieu de la cour, une vingtaine de moines s'entraîne à manier le bâton. Shin les regarde avec admiration et envie. Le moine enseignant ne tarde pas à remarquer le regard du petit garçon, il l'invite à les rejoindre et lui tend son bâton. Shin hésite un instant, jusqu'à ce que Kemri, assis derrière lui, intervienne.

- Qu'est-ce que t'attends pour y aller, t'en meures d'envie, ça crève les yeux ; il t'appelle. Vas-y !

Il n'en faut pas plus à Shin pour courir auprès des moines et se joindre à eux. L'instant suivant, le même enseignant lance une nouvelle invitation d'un geste de la main en direction de Kemri. Un bref sourire, un regard qui s'embrase : lui aussi n'attend que cela. Il se lève et prend le bâton qui lui est tendu. Les deux garçons n'ont certes pas le même niveau, mais Kemri n'est pas décidé à se laisser distancer cette fois, il met toute son ardeur dans cet entraînement.
A l'intérieur du bâtiment, Vicky et Sven entrent dans une salle silencieuse où un homme seul, plongé dans une profonde concentration, est assis. Il fixe du regard un petit caillou posé sur le sol. Sous les yeux médusés des deux garçons, le caillou s'élève dans les airs. Sven pousse un petit cri aigu de stupéfaction. Le moine sursaute, il a perdu sa concentration, le caillou roule au sol. Vicky se sent rougir à tel point qu'on ne distingue plus du tout ses tâches de rousseur. Sven balbutie quelques excuses maladroitement formulées, se rendant compte qu'il a troublé le moine dans son exercice.
- Ce n'est rien, mon garçon, je n'avais pas remarqué votre présence.
Il reprend sa concentration. Les minutes passent, le caillou reste désespérément cloué sur la dalle. Les deux garçons, honteux, sortent de la pièce sur la pointe des pieds.
Se promenant à travers les longs couloirs, Néo explore le monastère. Son attention est tout à coup attirée par quelque chose d'étrange. Un adolescent d'une douzaine d'année est courbé devant une porte légèrement entrouverte, regardant dans l'entrebâillement minuscule. Intrigué, Néo se rapproche. Le garçon, un Asiatique, ouvre la bouche et ne doit même pas remarquer qu'il est en train de répandre sa bave sur les dalles du plancher. Que peut-il regarder pour que cela produise un tel effet sur lui ? Néo se glisse sous le jeune homme, qui ne semble pas remarquer sa présence. Un garçon brun aux yeux marrons, les cheveux en bataille un peu comme les siens, plutôt maigre. Un visage assez sympathique malgré la bizarrerie de la situation. Néo jette un œil à son tour pour voir ce qui se trouve derrière cette porte. Et là ! Oh surprise ! Néo éclate d'un rire retentissant dont l'écho traverse sans aucun doute tout l'étage. Ses yeux pétillent de joie et de bonheur. Quelle vision magnifique ! Un trio de jeunes femmes nues aux courbes généreuses, certainement en train de sortir d'un sauna. Des seins comme il n'en a jamais vu d'aussi beaux, des fesses que n'importe qui rêverait de caresser… Aussitôt alertées, les trois créatures de rêve saisissent une serviette pour se couvrir et tournent leur regard vers la porte. Le visage défait, l'adolescent regarde le petit garçon avec horreur, ouvrant une large bouche. Il attrape Néo par le poignet et se met à courir dans le couloir à une vitesse incroyable, le gamin décolle littéralement du sol. Quand les trois femmes, couvertes, ouvrent la porte, il n'y a plus personne dans le couloir.

- Il n'y a qu'un seul individu présent en ces lieux qui soit assez obsédé pour oser nous épier : Koji !

De l'autre côté du bâtiment, la course folle cesse enfin, Néo retombe au sol quand l'adolescent le lâche. Celui-ci reprend son souffle un instant avant de donner un coup sans violence sur le crâne du sale gosse qui a bien failli le faire repérer. Il écume de rage.

- Non mais t'es pas fou de gueuler comme ça ! A cause de toi, j'ai bien failli être pris ! Comment as-tu osé gâché mon plaisir ! Elles étaient si belles, je pouvais les regarder sans que personne ne soit au courant, puis toi, oui toi ! T'arrives, là, comme ça, tu débarques, tu ricanes comme si t'avais jamais vu ça. Mais est-ce que t'imagines seulement de quoi elles sont capables, ces trois furies - mais elles sont tellement bien foutues - quand elles apprennent qu'on les a vues à poil ! Et bien je vais te le dire parce que figure-toi que je les connais bien ! Je suis venu du Japon, oui du Japon tu as bien entendu, avec elles, on est ici tous les quatre pour un stage d'arts martiaux et je peux te dire qu'elles ont un putain de niveau ! Si elles te prennent, elles te font subir un tel traitement, genre elles enfoncent ta tête dans le cul et elles te la font ressortir par la bouche - attends ça va pas, c'est crétin comme exemple - enfin bref c'est tête au carré assurée…

Incroyable ! Pas moyen de l'arrêter : pire que lui ! Pour la première fois, Néo n'arrive pas à en placer une. Son interlocuteur, capable de déverser un flot de paroles ininterrompu, continue son laïus, enchaînant obscénités, vulgarités et non-sens comme il n'en a jamais entendus. Heureusement qu'Issa n'est pas là, pense Néo, il serait outré des propos qu'il vient d'entendre. Le silence revient quand une main se pose sur l'épaule du jeune Japonais. Néo reconnaît la maîtresse des lieux : Nasheen. Son regard fulmine.

- Koji, incarnation de la perversion, je te prends en flagrant délit. Tu viens d'avouer, je t'ai entendu ! Tu peux faire tes bagages immédiatement, tu rentres au Japon dès ce soir. Je ne tolère pas de tels agissements dans mes murs. Je laisserai à tes partenaires féminines le soin de t'infliger la punition que tu mérites.

Tremblant, Koji se met à genoux devant Nasheen, la suppliant, fondant en larmes - mais n'est-ce pas là de la comédie ? - pour ne pas être renvoyé au Japon, pour qu'elle ne révèle rien aux trois filles.

- Cesse ton cinéma, Koji ! Je me suis déjà fait avoir une fois par ton numéro, ça ne prends plus. C'est dommage car tu as du talent, beaucoup de talent. Tu réfléchiras à ton comportement et peut-être qu'un jour, quand tu seras plus mûr, tu pourras revenir !

Nasheen s'éloigne, laissant Koji à genoux sur le sol, l'air faussement désespéré. Néo l'observe, pris d'une soudaine compassion. Le jeune homme vient de se faire renvoyer par sa faute, c'est à cause de lui qu'il s'est fait repérer.

- Pardon, je voulais pas que tu sois renvoyé…

Koji se relève, plonge son regard de chien battu dans les yeux du petit garçon avant de lui adresser un sourire et de passer sa main dans ses cheveux.

- C'est pas grave, t'en fais pas ! Le principal, c'est que j'ai enfin réussi à voir Saeko toute nue. Ses nichons… j'en rêvais depuis si longtemps. Maintenant j'ai accompli mon destin, je peux mourir en paix.
- Tu es sûr, reprend Néo étonné par un comportement si étrange, tu m'en veux pas.
- Bien sûr que non, tu l'as pas fait exprès, et puis hein qu'elle est superbe Saeko ?
- Je sais pas laquelle des trois c'était, mais elles étaient toutes plutôt jolies.

Dans l'après-midi, le visage couvert de bleus et de bosses, ligoté comme un saucisson, Koji, escorté par trois femmes sculpturales, passe l'arche du monastère. Il repart vers son Japon natal. En partant, il adresse un clin d'œil discret à Néo, qui d'un signe de la main, lui dit au revoir. Il a le sentiment qu'un jour, ils se reverront.


Sanctuaire d'Athéna, Grèce. La Chambre Sacrée du Grand Pope. Assis sur son trône, Bishop attend, immobile et impassible. Furtive, une ombre apparaît derrière une épaisse colonne de marbre. L'homme en noir s'approche du trône et s'agenouille.

- J'ai les informations que vous vouliez, maître. Valkhan aurait atteint un monastère retranché dans les montagnes de l'Himalaya, au Népal.
- Hum, alors je ne peux pas intervenir là-bas, murmure le Pope, c'est regrettable.
- Mais vous savez que vous pouvez compter sur nous, les Gardes Noirs. Nous pouvons y aller.
- Sur vous ? Parce que tu crois que tu as l'ombre d'une chance en prenant d'assaut ce monastère ? Pauvre imbécile ignorant ! Cet endroit fourmille de combattants expérimentés et même s'ils ne comprennent rien au Cosmos, leurs talents sont nombreux et ils pourraient vous en apprendre. Et puis, vous n'êtes pas de taille contre Valkhan, il n'y a que moi qui puisse le vaincre.

Le Grand Pope se lève et se rapproche de son soldat. Le Garde Noir se relève à son tour, il sent une inquiétude croissante le gagner : le maître n'a pas l'air content !

- Et puis JE suis le seul à avoir le droit de tuer Valkhan, c'est MON jeu et je ne laisserai pas des imbéciles comme toi me voler MA victoire !

L'inquiétude du Garde Noir devient terreur. Le Grand Pope est en colère, il lève son bras, des griffes jaillissent du bout de ses doigts. Quelques instants plus tard, il ne reste rien du malheureux. Il n'a pourtant rien fait, juste son devoir, mais les nouvelles qu'il a apportées n'étaient pas bonnes. Bishop retourne s'asseoir en ruminant, tout en contemplant ses griffes maculées de sang.

- Le monastère, l'endroit même où ces trois imbéciles ont reçu leur divine mission, une sorte de vrai sanctuaire pour Valkhan, même si lui-même n'en sait rien. Il est protégé contre les pouvoirs qui m'ont été conférés quand… oui je me souviens du jour où j'ai reçu le premier de mes dons, en échange de ma première offrande… Ta mort, Gaspar, m'a notamment offert mes précieuses griffes. Et tu fus leur première victime… il y a si longtemps, plus de trente ans maintenant…


La nuit est tombée sur le monastère de Nasheen. Les étoiles brillent de mille feux. Une carte du ciel est dépliée sur le sol. Les enfants sont assis en demi-cercle au milieu de la cour, désertée de tous ses résidents. Attentifs, ils attendent ce que Valkhan doit leur révéler ce soir-là. Le grand homme est debout au milieu d'eux. Il lève la tête, cherchant son inspiration dans la contemplation des corps célestes. Il parle enfin…

- C'était écrit dans les étoiles. Mon destin… Le vôtre… Notre destin. Il est temps que vous sachiez à présent qui je suis vraiment… mais aussi qui vous êtes. Chacun d'entre nous a son étoile dans le ciel.

Il montre de sa main l'immense étendue de la voûte céleste, puis désigne de son index successivement plusieurs étoiles sur la carte posée au sol.

- Les étoiles sont groupées en constellations. Voici la constellation du Bélier, mes étoiles gardiennes. Il y a quatre-vingt-huit constellations dans le ciel, ce qui veut dire que quatre-vingt-huit êtres humains peuvent être élus pour être guidés et protégés par chacune d'elles. Nous sommes de ceux-là et nous sommes investis d'une mission sacrée. Nous sommes des enfants du destin. Ces élus sont des Chevaliers au service de la Déesse Athéna. Dans la mythologie grecque, Athéna est la déesse de la sagesse et de la justice : elle et ses guerriers ont pour vocation de protéger la terre et tous ses habitants contre les forces du mal qui menacent de la conquérir. C'est pour cette raison que la Déesse Athéna se réincarne régulièrement, tous les deux ou trois cents ans pour faire régner la paix et la justice sur la planète. Les Chevaliers d'Athéna existent pour l'accompagner dans sa mission mais aussi pour la protéger. Chaque fois qu'elle revient parmi les mortels, ses Chevaliers se rassemblent autour d'elle. Nous sommes des Chevaliers d'Athéna.

Le discours de Valkhan pourrait paraître obscur à un non-initié, pourtant les enfants absorbent ses propos qui leur apparaissent étonnamment clairs, limpides…

- Et de quoi sont capables les Chevaliers ? interroge Kemri. J'ai l'impression qu'ils ont de grands pouvoirs.
- C'est vrai, les pouvoirs des Chevaliers dépassent l'imagination : nous sommes capables de pourfendre le ciel avec nos poings, d'entrouvrir la terre d'un simple coup de pied…

Issa sourit à l'évocation d'un tel prodige. Il a vu juste : Valkhan a bien entrouvert le sol d'un simple coup de pied. Ce n'était pas un banal tremblement de terre.

- Mais où elle est, Athéna ? demande Vicky.
- La place de la réincarnation d'Athéna est en Grèce, dans un endroit qu'on appelle le Sanctuaire. C'est de là que viennent tous les Chevaliers. Mais c'est encore trop tôt pour que vous rencontriez Athéna. Quand vous serez devenus des Chevaliers à son service, vous aurez l'occasion de … de faire sa connaissance…

Les derniers mots de Valkhan, hésitant, laissent une étrange impression. Il ne leur a pas tout dit, c'est évident, mais s'il a agi ainsi, c'est qu'il doit avoir de bonnes raisons.

- Et comment devient-on Chevalier pour de bon ? questionne Néo, impatient.
- Il faut beaucoup s'entraîner. Vous connaîtrez plusieurs années d'épreuves, de difficultés qui vous paraîtront parfois insurmontables, et pourtant vous y arriverez. J'en suis convaincu.
- Et c'est ici, au monastère, qu'on va apprendre ? interroge Shin.
- Non, vous irez chacun en des lieux différents, aux quatre coins du monde. Là-bas, vous suivrez l'enseignement d'un maître… votre maître…
- Alors ce n'est pas toi qui vas nous apprendre, soupire Issa.
- Je ne le peux pas. Vous êtes nombreux et l'enseignement que vous recevrez sera différent selon la constellation qui vous est associée. Issa, c'est Mélyan qui sera ton maître.

Le jeune garçon se rappelle l'intervention du Chevalier aux chaînes bleues. Il essaie de se souvenir de ce qui s'est passé la veille, et se plonge dans la lecture céleste avant de pointer une constellation.

- Céphée, c'est écrit ici. Il a dit qu'il était le Chevalier de Céphée.
- C'est exact ! Mélyan est le Chevalier de la constellation de Céphée.
- Alors toi, intervient Sandra, tu dois être le Chevalier du Bélier, si c'est ta constellation comme tu l'as dit tout à l'heure.
- Oui et… pas tout à fait. Disons que je ne suis plus le Chevalier du Bélier. Je l'ai été autrefois… C'est une histoire compliquée, je vous raconterai un jour… Aujourd'hui c'est un autre homme qui porte l'Armure du Bélier.
- L'Armure ? murmure Kemri. Les Chevaliers portent donc une Armure.
- Oui, et quand vous obtiendrez votre Armure Sacrée, qui dépend de votre étoile, c'est que vous serez devenus des Chevaliers.
- Et on doit la trouver où cette Armure ? demande Sven.
- A l'endroit où vous vous entraînerez.
- J'ai hâte de commencer, jubile Néo.
- Il y a encore une chose que vous devez savoir. Là où vous irez, il est préférable, pour votre sécurité, de ne jamais parler de moi. Le… Le… Mon ennemi… pourrait vous trouver… et vous faire du mal. Il a… Il a des oreilles partout.
- Donc en fait tu agis en secret, reprend Néo. T'en fais pas, avec moi t'as pas de soucis à te faire, motus et bouche cousue !
- C'est bien ça qui m'inquiète, soupire Sandra sous les regards amusés de ses camarades.
- Un jour, vous comprendrez pourquoi, mais aux yeux du Sanctuaire… je suis un traître…
- Mais ils se trompent… reprend Issa.
- Oui ils se trompent. Les forces du mal sont déjà à l'œuvre, ce sera à nous de les contrer. Votre entraînement devrait durer six ans environ. Lorsqu'il sera terminé, nous nous retrouverons tous et je finirai de vous révéler tout ce que vous devez savoir. Car à ce moment, vous serez prêts.
- On doit revenir ici, demande Kemri, au monastère ?
- Non, le rendez-vous sera fixé sur une île de la Mer Egée, pas très loin du Sanctuaire : l'île Canon ! C'est un endroit où les Chevaliers blessés viennent pour se régénérer grâce à la fumée curative d'un volcan. J'ai un ami sur cette île, il s'appelle Aïos l'Ancien, c'est lui qui vous accueillera si je ne suis pas encore arrivé.
- Et quand est-ce qu'on part ? trépigne Néo.
- Dans quelques jours, je pense. Nous devons attendre que tous ceux qui doivent vous accompagner soient arrivés.
- Et qui doit nous accompagner ?
- Vicky, Sandra et toi, Néo, c'est moi qui vous mènerai jusqu'à votre lieu d'entraînement. Issa, Mélyan t'emmènera avec lui. Hassadan, qui est aussi un Chevalier, est chargé par son maître de te mener à lui, Kemri. Je n'ai trouvé personne pour te guider, Sven, mais Nasheen a accepté de s'en charger, ton maître ne m'ayant pas envoyé de guide. Quant à Shin, Soliman doit arriver dans peu de temps pour te conduire auprès du tien.
- Je suis là, Valkhan.

Derrière eux, la silhouette de Soliman sortant de l'ombre se dessine. Ses disciples, Eryn et Tamon, marchent à ses côtés. Shin adresse un sourire discret à la jolie Eryn puis un signe de la main à son rival. Néo s'agite pour essayer d'attirer l'attention de la jeune fille, en vain. Mélyan, Hassadan et Nasheen rejoignent alors l'assemblée.

- On dirait que l'heure est venue, Valkhan !

On sent une forme d'amertume dans la voix d'Hassadan à ce moment précis. Valkhan se crispe légèrement, sentant arriver le moment de la séparation. Les enfants prennent conscience de ce qui est en train de se passer : ils sont peut-être en train de vivre leurs derniers instants tous ensemble, avant six longues années. Certes, Néo est pressé de devenir Chevalier, mais quitter si vite ses amis…

- Bien, il est temps de faire les derniers préparatifs, déclare Valkhan. Nous partirons… dans trois jours.

Valkhan a hésité puis il a choisi de différer légèrement le départ, pour permettre aux enfants de profiter encore de quelques moments, et pour se permettre aussi à lui de profiter de la présence de ceux qu'ils considèrent à présent comme ses enfants. Depuis plusieurs mois, ses cahiers ont marqué à jamais l'attachement qu'il leur porte désormais.
Les trois jours suivants passent très vite, les sept enfants ne se quittent pratiquement pas. Ils jouent, ils rient, ils essaient de s'entraîner aux côtés des moines-guerriers, ils rêvent de l'avenir, des épreuves qui les attendent, ils imaginent des scénarios sur leurs destins, plongés au-dessus de la carte des constellations, imaginant laquelle pourrait bien être la leur.

- Regardez, dit Néo, je vois bien Kemri Chevalier de la Machine Pneumatique !
- Ah non, c'est moche ça, mais je trouve que Néo Chevalier de la Table ça t'irait bien.
- Oui, mais… Ronde, la Table… s'il te plaît.


Cette nuit-là, Valkhan ne se couche pas. Au sommet du dojo, il regarde les étoiles par une fenêtre ouverte. Soliman est à ses côtés.

- Dis-moi, Soliman. Tu sais ce qui va se passer maintenant. Je dois savoir.
- Non, Valkhan, c'est déjà bien assez pénible pour moi. Tu n'imagines pas le cauchemar que je vis depuis mon plus jeune âge. Ce n'est pas un don que j'ai reçu, c'est une véritable malédiction. Tu rencontres quelqu'un pour la première fois et tu sais qu'il va mourir, tu sais comment il va mourir, et tu ne peux rien lui dire. J'ai essayé, ça n'a rien changé, on ne peut pas s'opposer au destin.
- Je ne suis pas d'accord avec toi.
- Toi au moins tu es libre de croire ce que tu veux, tu as ta foi qui te sauve. Moi je n'ai que mes visions macabres.
- Alors pourquoi te bats-tu ? Soliman.
- Parce qu'il y a des destins que je n'arrive pas à voir, et que ceux-là me redonnent un peu d'espérance. Oui Valkhan, je connais peut-être ton destin, celui de Mélyan ou même celui de Tamon mon propre disciple. Mais … tes… tes enfants… eux, ils représentent le véritable espoir.
- Alors je vais donc mourir, n'est-ce pas ?
- Pas encore, Valkhan, ton destin n'est pas encore accompli. Quand tu auras compris le sens et l'essence même de ton existence…
- Les paroles de Cassandra…


Monastère de Nasheen, l'aube. Les enfants ont repris leurs tenues de route. Ils sont sur le départ. Issa s'approche de Mélyan, lequel lui sourit. Puis le garçon se retourne vers Valkhan, s'élance vers lui, se jette dans ses bras pour lui dire au revoir. Les larmes coulent sur son visage d'angelot.

- Issa, garde toujours l'espoir, ne perds pas courage. Athéna veille sur toi… mon fils. Au revoir.
- Au… Au revoir… Pa… Papa…

C'est la première fois que le jeune garçon prononce ce mot. Si souvent, il s'est retenu de le dire, mais là il n'a pas pu. Touché, Valkhan lui-même ne peut retenir une larme.
Quelques minutes plus tard, Issa et Mélyan franchissent le pont. La main d'un berger levé au loin, Khen lui souhaite un bon voyage. Issa regarde le monastère s'éloigner derrière lui, jusqu'à ce qu'il ait complètement disparu. Il revoit les visages de ses amis… de ses frères.

- A bientôt !

Avant de partir avec Soliman et ses disciples, Shin sent son cœur se briser. Cela arrive rarement mais le regard de Kemri est rempli de larmes avant qu'il ne parte en courant en direction d'Hassadan, qui l'attend de l'autre côté du pont. La main de Nasheen se pose sur l'épaule de Sven, comme pour lui indiquer qu'il est temps de partir. De leur côté, le cœur empli de tristesse, Sandra, Vicky et Néo reprennent la route aux côtés de Valkhan.
A présent, les destinées sont en marche. Bientôt de nouveaux Chevaliers vont apparaître pour combattre les forces du mal et protéger la Déesse Athéna.


Sanctuaire d'Athéna, Grèce. Le balcon d'un palais juché sur une falaise surplombant un Colisée, il fait nuit. Accoudée à la balustrade, Raphaëlle observe les étoiles. Le Grand Pope s'approche. Elle tourne la tête et lui sourit.

- Dis-moi, Bishop, tu ne trouves pas que les étoiles sont magnifiques, ce soir ?
- Oui, elles sont belles. Elles représentent tous les Chevaliers qui sont rassemblés autour de vous, pour vous protéger.
- Mais de quoi Bishop ? Je suis en sécurité ici. Il n'y rien à craindre, n'est-ce pas ?
- Si, Princesse Athéna, le danger est omniprésent, poursuit-il d'un ton grave. Vous êtes la réincarnation de la Déesse Athéna. Si vous êtes revenue parmi les mortels c'est parce que les forces du mal menacent de s'imposer au monde. Vous êtes ici pour défendre la terre. Vos ennemis, s'ils veulent gagner, n'ont d'autre choix que de s'en prendre à vous. Et s'ils parviennent à vous éliminer, la planète ne sera plus protégée. C'est pour cela que votre vie est si précieuse.
- Je suis peut-être Athéna, mais je n'ai pas l'impression d'avoir autant de pouvoir que tu le dis, Bishop, poursuit-elle adoptant une mine triste, je me sens… si faible…
- Non, vous n'êtes pas faible, mademoiselle. Le jour viendra où vous serez en mesure de vous souvenir de qui vous êtes, de manifester votre pouvoir divin. En attendant, je continuerai de diriger le Sanctuaire selon votre volonté, ne l'oubliez pas. Je vous protégerai. Vous êtes mon ange et je ne laisserai personne vous faire du mal.
- Tu vas encore devoir t'en aller bientôt, n'est-ce pas ?
- Oui, le devoir m'appelle ailleurs. Je dois combattre le mal, un mal qui vous en veut et qui doit être éradiqué. Mais n'ayez crainte, il ne peut rien m'arriver. Et puis en mon absence, le Chevalier du Sagittaire restera en permanence à vos côtés, pour veiller sur vous.
- Mégare, je l'aime bien. Il est si prévenant.
- Il tient beaucoup à vous, vous le savez.
- Bon je crois que je vais aller dormir, je suis fatiguée.
- Bonne nuit, princesse.

La petite demoiselle rentre à l'intérieur du palais pour regagner sa chambre. Le Grand Pope tourne à son tour les yeux vers le ciel, il le scrute longuement.

- Le temps de reprendre la partie est venu, mon cher ami. Le Grand Ordonnateur doit être las d'attendre. Les étoiles me seront bientôt favorables. Plus que quelques mois… Et qu'est-ce que quelques mois quand on a attendu pendant trente ans ? J'arrive… Valkhan !

Un ricanement lugubre, étouffé par un masque. Le masque du Grand Pope, maître suprême des quatre-vingt-huit Chevaliers d'Athéna, représentant terrestre de la Déesse, régent du Sanctuaire. Ce même masque cachant le visage si souvent dissimulé derrière un autre, celui qu'il va reprendre à présent… le masque du Chasseur !

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Cette fiction est copyright Laurent Habault.
Les personnages de Saint Seiya sont copyright Masami Kurumada.