Prologue


La femme était assise dans un fauteuil de marbre au centre de la grande pièce obscure. Sa robe rouge, dans la pénombre ambiante, prenait la teinte sinistre du sang qui n'a pas fini de sécher et ses longs cheveux noirs semblaient autant de serpents qui se tortillaient dans les replis pourpres du vêtement. A voir ce visage pâle, ces lèvres closes, ces yeux gris anthracite sur lesquels un voile semblait être tombé, on eût pu croire que la femme était en réalité une statue de pierre glacée.

Pourtant la femme était bien faite de chair et de sang, et elle n'était pas morte. Simplement, elle attendait. Depuis des siècles. L'instant.

Et l'instant vint… Les yeux de la femme s'écarquillèrent, ses lèvres s'entrouvrirent, sa gorge palpita et sa poitrine se souleva.

Hadès est mort.

L'idée s'imposa à son esprit avec une telle violence qu'elle dut fermer les yeux, suffoquée. Lorsqu'elle les rouvrit, trois silhouettes diaphanes se tenaient devant elle. Cette fois le visage de la femme en rouge ne marqua pas de surprise mais fut envahi d'une expression de grande tristesse.

Bien sûr, ils étaient trois. Elle s'était attendu à voir trois personnages apparaître devant elle. Mais pas ces trois là ! Le premier, vieil homme à la chevelure d'argent, c'était Eléas naturellement. A sa droite, un jeune homme qui gardait obstinément la tête baissée de sorte que son visage était presque entièrement dissimulé par les longues mèches noires de sa chevelure, Nevis. Mais la dernière… Une jeune femme d'une beauté fabuleuse mais dont le visage était aussi pâle que celui de ses deux compagnons…

La femme en rouge soupira. Elle savait qui avait été la jeune femme par le passé, mais elle ignorait qui elle était à présent. Et elle devait l'apprendre.

- Qui es tu ?
- Eurydice, Esprit de la Mélancolie.

Eurydice… Naturellement. Orphée, le traître, était mort des mains de son frère d'armes, Pégase. Rhadamanthe s'était vu frustré du plaisir d'éliminer lui-même le renégat qu'il avait toujours haï. Eurydice avait payé le prix de la trahison d'Orphée et du dépit de Rhadamanthe, et s'était vu condamnée à un sort pire que la mort, le sort des Esprits…

- Dame des Ombres…, commença Eléas.
- Je sais, murmura la femme en rouge.

Hadès était mort. Elle était libre, et c'était elle désormais la maîtresse des Enfers.



Hadès est mort.

Un éclair de lumière jaillit sous les pieds de Linus. Il eut le temps d'apercevoir une colline aux pentes desséchées avant de tomber et de s'écraser au sol. Pendant de longues minutes, il resta allongé à terre, tentant de reprendre son souffle et de comprendre ce qui lui était arrivé.

Hadès est mort. C'était la voix de qui déjà ? Hippomène ? Linus se mit sur son séant et passa une main derrière sa tête pour constater l'étendue des dégâts. La taille de la bosse que ses doigts rencontrèrent lui fit pousser un juron. Ca allait bardé pour cet inconscient d'Hippomène quand il lui mettrait la main dessus ! On n'avait pas idée de déranger ainsi les gens alors qu'ils effectuaient l'opération compliquée qui consiste à se déplacer à travers les dimensions !

Où avait-il atterri maintenant, hein ? C'était Hermès qui allait être content s'il ne parvenait pas à délivrer son message à temps ! Linus promena pour la première fois son regard autour de lui et découvrit avec stupéfaction qu'il était tombé au pied d'une longue volée d'escaliers qui menait à un temple à colonnades… La Maison du Bélier, reconnut-il presque immédiatement. Ca pour un coup de chance ! Il était arrivé exactement à l'endroit qu'il cherchait à atteindre, devant le sanctuaire d'Athéna !

Soudain il se figea. Sur sa gauche, à la limite de son champs de vision… Linus tourna brusquement la tête. Des rochers, quelques arbres maigres… Pas trace d'une quelconque présence… Et pourtant… Linus sentit une goutte de sueur glacée perler à sa tempe… Aussi subitement qu'il était venu, son malaise disparu. Linus se détendit lentement. Le danger avait disparu…. S'il avait jamais existé ! La chaleur ambiante et ce maudit choc avait bien pu le perturber. Et puis de toute manière, ce qu'il avait cru voir n'existait pas.

Des bruits de pas dans son dos lui firent de nouveau tourner la tête. Une dizaine de personnes marchait à sa rencontre. Devançant les autres, une femme à la chevelure rouge et au visage dissimulé par un masque s'était déjà arrêtée à quelques pas de Linus.



Hadès est mort.

Shunrei sursauta et laissa échapper la coupe qu'elle serrait dans ses bras. Les fruits roulèrent dans l'herbe.

- Shiryu ? Vieux Maître ?

Non, elle était seule. Complètement seule. La jeune fille leva les yeux sur le rocher qui accueillait d'ordinaire le chevalier de la Balance. Lui aussi l'avait abandonné… Lui qui avait toujours été là pour elle était maintenant parti … avec Shiryu… vers le danger…

Hadès est mort… Qu'est ce que cela voulait dire ? Pour autant qu'elle le sache, Hadès était le dieu des Enfers, un ennemi d'Athéna… Sa mort devait donc être une bonne chose… Peut-être même… La fin de la guerre… Shiryu et le Vieux Maître allaient revenir !

Une flamme jaillit dans le cœur de Shunrei… pour s'éteindre aussitôt. Elle ne savait rien des affaires qui occupaient Shiryu et le Vieux Maître. Elle savait juste qu'ils étaient partis vers le danger, et elle savait que quelque chose n'allait pas. Sans pouvoir se l'expliquer, elle avait la certitude que quelque chose était, qui n'aurait pas du être…



Hadès est mort.

L'homme courbé au-dessus de la table se redressa soudainement. Le visage qu'il avait jusque la tenu proche de son ouvrage apparut alors en pleine lumière. Il n'avait plus d'œil droit. A sa place, mangeant presque la moitié de son visage, une longue tâche brune s'étendait de la racine de ses cheveux au coin supérieur de sa bouche. C'est à Hadès qu'il devait cet hideuse mutilation. Il aurait du se réjouir, mais bizarrement sa gorge se serra. Une angoisse sourde se fit jour au fond de lui sans qu'il en connaisse l'origine.



Hadès est mort.

Cela, l'Autre le savait. D'où il se tenait, il voyait parfaitement le corps ensanglanté de Pégase qu'Athéna serrait convulsivement dans ses bras. Les quatre autres chevaliers s'étaient effondrés autour d'elle, de fatigue, de douleur, de désespoir…

L'Autre sentit sa convoitise s'éveiller. Une déesse épuisée, quatre guerriers blessés et affaiblis, pas l'ombre d'un danger… Et tout ce sang… Les yeux de l'Autre se rétrécirent jusqu'à ne former plus qu'une fente de lumière orangée… Mais il n'était pas la pour ça. Il avait une mission à remplir et… il n'était pas seul ! Avec un sifflement de rage, l'Autre s'empressa de reculer dans l'ombre des colonnes. Tous ses sens en éveil, il tenta de localiser l'intrus dont la présence le gênait tant. Peine perdue. Mieux valait s'éclipser avant d'être découvert. Athéna et ses chevaliers attendraient…

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Cette fiction est copyright Elise Bertrand.
Les personnages de Saint Seiya sont copyright Masami Kurumada.