Chapitre 4


L'homme en vert affectait une sorte d'indifférence un peu hautaine mais l'Autre ne s'y trompait pas. Il connaissait l'odeur de la peur. Il s'en délectait même. Et l'homme qui se tenait devant lui, lui procurait en cet instant un plaisir délicieux. Plus que de la peur, c'était une véritable terreur que ce misérable tentait maladroitement de dissimuler.

- Comment pouvez vous expliquer… l'incident de Vicchéria ?

L'homme sursauta au son de cette voix râpeuse et l'Autre passa le bout de sa langue sur ses lèvres froides. C'était de mieux en mieux.

- Ce… ça n'était pas prévu…
- Exactement. C'est bien pour cela que je vous demande des explications.
- Le… la créature… elle nous a échappé.

L'Autre, comme tout ceux de sa race, disposait d'une ouïe surdéveloppée, ce qui lui permit de percevoir la fin de la phrase que l'homme en vert avait murmuré sur un ton de plus en plus bas.

- Elle vous a… échappé ? Votre maître est-il donc totalement incapable de maîtriser ses propres esclaves ?

L'Autre émit un sifflement dégoutté pour exprimer l'estime dans laquelle il tenait un tel individu, et le misérable qui avait fait mine de relever la tête en entendant critiquer son maître, se tassa un peu plus sur lui-même. Lorsque l'Autre reprit la parole, sa voix avait perdu de sa sécheresse. Elle était même pour ainsi dire devenue douce, comme celle d'un professeur qui décide de reprendre patiemment sa leçon pour un élève peu doué.

- Les créatures de votre maître ne devaient intervenir que dans des circonstances précises. Votre défaillance malheureuse a mis en alerte Arès alors que nous avions pu éviter d'attirer son attention jusque là. Si une telle chose venait à se reproduire, et l'attention d'un nouveau dieu éveillée…
- Non, certes ! Mon maître a bien conscience que… Je vais lui rendre compte de vos paroles…
- Je me chargerai personnellement de le faire informer.

L'homme en vert ne vit même pas venir le coup. Les griffes pareilles à des lames de rasoir déchiquetèrent sa gorge et le mirent en pièces en un éclair. La tentation avait été trop forte. Et puis, après tout ce n'était qu'un humain.

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Zut, encore une de tombée ! Seiya se pencha pour ramasser la fleur à terre et entreprit avec mille précautions de la replacer dans les cheveux de Hyoga. Heureusement celui-ci ne soupçonnait toujours pas qu'un attentat contre sa dignité était perpétré dans son dos. En revanche, Shiryu avec qui le chevalier du Cygne était plongé dans une grande conversation ne pouvait rien ignorer de ses manigances, constata soudain Seiya. Mais le chevalier du Dragon ne semblait pas pressé de le dénoncer. En fait cet hypocrite continuait de discuter tranquillement avec Hyoga, le visage totalement impassible ! Il était quand même sacrément gonflé !

Enfin, au moins, de ce coté là il ne risquait rien. Pas comme avec l'autre, là-bas… Seiya jeta u coup d'œil furieux à Shun qui un peu plus loin plaquait ses deux mains sur sa bouche pour tenter d'étouffer son fou rire. Si cet idiot faisait tout rater, promis, la prochaine fois se serait son tour ! Mais Shun semblait avoir finalement décidé de quitter la pièce le temps de se calmer. Seiya poussa un soupir de soulagement.

Bon, encore un bel œillet rouge… Aie ! Il avait glissé. Seiya se pencha de nouveau, mais une main avait devancé la sienne et s'était emparée de la fleur. Surpris, Seiya releva la tête. Cette fois ce fut lui qui dû faire de gros efforts pour ne pas hurler de rire lorsqu'il découvrit le sourire sadique qu'arborait le chevalier Phénix en replaçant adroitement l'œillet au milieu des mèches blondes.

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Décidément, les chevaliers de bronze… non, les chevaliers divins maintenant… avaient toujours une longueur d'avance sur les chevaliers d'or en ce moment ! Assis à l'autre bout de la salle du Grand Pope, Doko considérait d'un œil amer la ligue qui s'était formée pour concourir au ridicule du chevalier du Cygne. Eux, se comportaient véritablement comme des frères. Même Ikki, tout en conservant ses allures de loup solitaire, faisait maintenant partie intégrante du clan. Oui, c'était eux désormais l'élite de la chevalerie d'Athéna.

Doko reporta un regard consterné sur le groupe des chevaliers d'or rassemblés à sa droite. Rassemblés… Devant le Mur des Lamentations, certes, ils avaient été rassemblés. Mais cela n'avait duré qu'un instant. Pour sauver Athéna et la Terre. Et désormais c'était bel et bien fini. L'unité du sanctuaire avait volé en éclats treize ans plus tôt, et elle n'était pas prête de se rétablir, même en ce jour où la fidélité de chacun à la cause d'Athéna ne pouvait plus être mise en doute. Les blessures étaient profondes, envenimées par la méfiance et la trahison. Il faudrait du temps pour les guérir, et comme d'habitude ils n'en avaient pas.

Le plus à plaindre, songea Doko, était sans doute Aioros. Assis à même le sol , le chevalier du Sagittaire tentait péniblement de mettre en ordre les bribes d'informations qu'il avait recueillies auprès de tout un chacun depuis la veille. Et personne ne semblait prêt à venir le secourir. Même son frère assis à sa gauche ne répondait que de manière distraite et incomplète à ses questions, trop occupé qu'il était lui même à lancer des regards noirs tantôt à Saga, tantôt à Canon. Ces deux là quant à eux jouaient l'indifférence. Saga était installé au plein milieu du groupe des chevaliers d'or, mais il aurait aussi bien pu ignorer la présence de ses compagnons vue sa façon de se tenir, le buste droit et raide, le regard fixé sur la porte par laquelle Athéna devait apparaître d'un moment à l'autre. A l'inverse, Canon s'était exclu de tous les groupes de manière ostensible, debout adossé à une colonne du fond de la salle, un sourire sarcastique aux lèvres, faute de savoir quelle attitude adopter, soupçonna Doko. Shura se comportait à peu près de la même manière que les jumeaux, détaillant avec attention les moulures du plafond comme si elles pouvaient l'aider à se sentir mieux. En revanche, fidèle à lui-même, Masque de Mort avait opté pour le choc frontal et promenait de-ci, de-là, un regard fier et provocateur. Mais personne ne semblait vouloir relever le défi et le pauvre chevalier du Cancer devait se contenter de ruminer seul son malaise. A coté de lui, Aphrodite répondait par monosyllabes aux questions d'Aldébaran qui tentait d'engager la conversation. Aux yeux de Doko, Aldébaran résumait à lui seul tous les sentiments des chevaliers d'or. Peut-être parce qu'il ne savait pas dissimuler. Peut-être parce qu'il ne le voulait pas. Parce qu'il était le plus franc et le plus honnête de tous, le chevalier du Taureau ne cachait rien de son embarras, de sa tristesse et de son incompréhension. Pas comme ses deux voisins, Mû et Shaka qui bavardaient l'air de rien. Pour un peu, Doko leur aurait bien envoyé les cent dragons de Rozan, juste pour qu'ils arrêtent de sourire comme ça, pour leur arracher leur fichus masques…

Le vénérable chevalier de la Balance eut un sursaut. C'était lui qui pensait ça ? ! D'accord, c'était agaçant de voir ces deux-là faire mine de rien alors que lui se consumait d'inquiétude quant à l'avenir du sanctuaire. Mais tout de même ! Voilà que l'atmosphère ambiante de morosité et d'agressivité latente lui faisait perdre la tête.

S'efforçant au calme, Doko poursuivit son tour d'horizon et sentit son cœur se serrer en arrêtant son regard sur Milo et Camus. Ces deux là offrait un spectacle plus navrant qu'agaçant. Doko les avait toujours connus comme aussi proches que pouvaient l'être deux frères. Les voir maintenant assis chacun à l'une des extrémités de la salle, affectant de s'ignorer mutuellement, mais se jetant l'un à l'autre des coups d'œil en douce… Aussi proches que des frères, oui… Mais il y avait maintenant entre eux les quatorze coups de l'Aiguille Ecarlate et deux Athéna Exclamation en plus de la confiance mise à mal parce que l'un avait cru l'autre traître, et que l'autre n'avait pas su révéler ses véritables intentions…

Voilà où en étaient les meilleurs d'entre les meilleurs chevaliers d'Athéna ! Quel spectacle lamentable n'offraient-ils pas à leurs hôtes. Bon d'accord, le Compagnons d'Hermès semblait s'intéresser plutôt aux activités des chevaliers divins, mais le Mage jaune avait le regard fixé sur le groupe de Doko. Un regard sombre et nerveux, et Doko comprit qu'il partageait son sentiment d'angoisse. Même s'il ignorait en quoi l'état pitoyable de la chevalerie d'Athéna pouvait bien être un motif de souci et d'inquiétude pour un serviteur d'Apollon.

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Perséphone considérait sans un mot les armes posées sur ses genoux. L'arc et les flèches d'Artémis. Ca n'avait aucun sens.

- Vous croyez qu'un autre dieu qu'Athéna a pénétré en Enfer ?

Le jour où Talies pourrait se tenir tranquille cinq minutes…

- Non, je l'aurais senti, comme j'ai senti la présence d'Athéna et de ses chevaliers à l'instant où ils ont posé le pied sur le domaine d'Hadès.
- Les chevaliers aussi ? Alors ça veut dire qu'aucun être humain n'a pu venir ici à votre insu pour y déposer ces armes ?
- Oui.
- Alors seul un Spectre ou un mort a pu faire le coup !

Talies avait avancé cela sur le ton de la plaisanterie, mais Perséphone savait qu'il était arrivé à la même conclusion qu'elle. La deuxième hypothèse proposée était totalement absurde. Les morts venaient en Enfers le corps comme l'âme entièrement dévêtus. Ne restait plus que la solution mettant en avant un Spectre… Mais pourquoi ? Et sur l'ordre de qui ? Elle avait perçu toutes les pensées de son époux depuis l'instant où il avait ressuscité, et il n'y avait pas trace de cela. S'agissait-il de Pandore ? Hypnos ? Thanatos ? Dans tous les cas, quelqu'un avait joué ici à un jeu plutôt bizarre… Et elle devait découvrir lequel.

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- Alors les deux attaques se sont produites alors que les sanctuaires étaient quasiment déserts ? Ca n'a aucun sens !
- D'autant que l'absence d'Athéna et des chevaliers partis affronter Hadès était loin d'être un secret.
- Et je suppose qu'il en était de même pour Hermès si c'est Zeus en personne qui l'avait convoqué ! Tout le monde devait savoir qu'il ne se trouvait pas dans son palais !

Linus venait juste d'achever le récit de l'attaque qui s'était produite contre le sanctuaire d'Hermès. A première vue, les chevaliers d'Athéna réagissaient exactement comme lui-même face à ces deux agressions. Mais il devait encore les mettre au courant d'une chose qu'il venait seulement d'apprendre.

- Euh, il y a eu une autre attaque…
- Où ça ? s'écrièrent plusieurs chevaliers en même temps.
- Eh bien, pas dans un sanctuaire justement. Cette fois le monstre a jaillit au milieu des rangs de l'armée d'Arès…
- L'armée d'Arès ? Contre qui est-il encore en guerre ? demanda le chevalier de la Balance.
- Contre Artémis. Ils se sont disputés à propos de je ne sais plus quoi le mois dernier et Arès a immédiatement prit le mors aux dents en filant avec ses troupes jusqu'au Pérou où se trouve le sanctuaire d'Artémis.
- Et qu'est ce que ça donne ?
- Hein ?
- Cette guerre, dont tu parles, qu'est ce qu'elle donne ? répéta le chevalier du Lion.
- Ah ! Bah, pas grand chose. Artémis n'est pas prête à sacrifier ses fidèles Chasseurs, alors ils restent cachés dans les arbres, arrosant les soldats d'Arès de leurs flèches. Et comme Arès a autant de bon sens qu'un loup enragé il renvoie toujours de nouveaux soldats en avant pour remplacer ceux qui se sont fait abattre. Et ça fait deux semaines que ça dure.

Linus haussa les épaules pour montrer ce qu'il pensait d'une situation aussi grotesque. Hippomène n'avait vraiment pas de veine d'avoir été choisi pour servir de messager auprès de ces fous ! Ah, oui, c'est vrai que maintenant, il fallait justement qu'il en parle d'Hippomène. Rapidement, parce qu'il commençait à être enroué à force d'avoir tant parlé, Linus relata les faits qui s'étaient déroulés à Vicchéria puis il attendit patiemment les commentaires qui ne manqueraient pas d'être faits.

- Bien, commença Athéna. Nous avons donc des créatures mi-homme mi-serpent, dont personne ne sait rien, qui s'attaquent à trois dieux : moi, Hermès et Arès.
- Le rapport entre les trois n'est pas facile à établir, fit remarquer Shaka.
- Sans doute. Avec Hermès, à la limite… Mais avec Arès…

Linus sourit. Effectivement, entre Athéna et son demi-frère sanguinaire la bonne entente avait toujours été plutôt rare…

- Pourtant, on dirait bien que vous et les deux autres dieux avez le même ennemi.

Le chevalier du Scorpion. Celui-là, Linus l'avait tout de suite trouvé sympathique.

- Oui, et ce pourrait aussi être celui d'autres dieux qui n'ont peut-être pas encore été attaqués mais qui pourraient l'être dans les prochains jours.
- Ce qui rend d'autant plus troublante l'attitude de Zeus dans cette affaire. Tu es certain de ce que tu avances, Linus ? demanda le chevalier du Dragon.
- Ecoutez, tout le monde sait qu'Hermès est le roi des menteurs…

A cet instant, Linus vit un petit sourire en coin apparaître sur le visage d'Athéna. Bon, sur ce point là, elle ne mettrait certainement pas ses dires en doute.

- … alors quand il a affaire à un autre menteur, aussi doué soit-il, il n'a aucune peine à le démasquer ! Et quand il a raconté l'affaire du monstre à Zeus et que celui-ci a affirmé n'avoir jamais entendu parler d'une telle chose, il mentait, Hermès en est fermement convaincu !
- Et Zeus aurait également dit à Hermès de garder le silence sur cette affaire sous prétexte que les autres dieux avaient suffisamment de soucis… , continua le chevalier du Scorpion d'un ton hésitant, comme requérant de Linus une nouvelle confirmation de cette histoire aberrante.

Linus hocha la tête pour signifier qu'il maintenait bien ce qu'il avait dit précédemment. Des soucis… C'est Zeus qui devait en avoir. Et pas des moindres, pour se montrer aussi maladroit ! Comment avait-il pu songer un instant qu'Hermès, roi des filous, allait avaler ça tout tranquillement !

- Hermès a trouvé le conseil de Zeus… inopportun, et a décidé d'envoyer divers émissaires mettre les autres dieux au courant. Comme la plupart d'entre eux étaient, euh… disons occupés… nous avons d'abord prit contact avec Apollon dont voici le digne représentant.

Décidément il en avait marre de parler. Pourvu qu'Asclépios saisissent la perche qu'il lui avait tendu ! Le Mage jaune semblait avoir décidé d'exaucer son vœu car après lui avoir adressé un petit sourire, il se leva et prit la parole.

- Je ne crois pas avoir été encore présenté à toutes les personnes réunies ici. Je suis Asclépios, Mage de la Guérison au service d'Apollon. Au terme de leur discussion, Hermès et mon seigneur sont parvenus à la conclusion que l'attaque de ce monstre inconnu et l'attitude pour le moins déconcertante de Zeus constituaient des motifs d'inquiétude suffisamment importants pour que la décision soit prise d'avertir tous les autres dieux. J'ai moi-même été envoyé ici en prévision du piteux état dans lequel la chevalerie d'Athéna devait se trouver après les combats contre Hadès. Les derniers événements ont montré qu'Hermès n'était pas le seul à être concerné dans cette affaire et il semble actuellement être de l'intérêt de tous que chaque dieu se trouve être en mesure de se défendre.

Ca ça s'appelait savoir parler ! Asclépios aurait dû s'engager parmi les Compagnons d'Hermès. Il avait bouclée son affaire en quelques phrases précises et personne n'avait seulement songé à l'interrompre. En fait, personne ne semblait même être prêt à discuter après cela. Athéna, comme ses chevaliers, était plongée dans ses réflexions.

Linus se laissa aller contre le dossier de son siège. Pour lui aussi le moment était venu de réfléchir. Depuis le début de cette réunion, il avait l'impression que quelque chose d'essentiel avait été omis, que quelque chose manquait dans tout ce qui avait été dit… En fait, il s'en rendait compte maintenant, cela faisait déjà plusieurs heures qu'il traînait avec lui le sentiment que quelque chose ne tournait pas rond, que quelque chose clochait dans toute cette histoire. Et jusqu'à présent, tous ses efforts inconscients pour tenter de mettre le doigt sur ce qui le tourmentait s'étaient révélés vains.

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Assis sur la dernière des marches qui conduisaient à son temple, Camus promenait un regard distrait sur les toits des maisons en contrebas. Cela faisait maintenant une journée entière qu'ils étaient revenus au sanctuaire, et surtout à la vie. Une journée que le monstre avait été terrassé, enseveli sous les décombres du temple de Shaka. Mais c'était à présent son premier moment d'apaisante solitude depuis ces évènements. Une solitude qui aurait duré moins d'une heure s'il en croyait le bruit de pas légers qui se faisait entendre dans son dos.

- Je peux m'asseoir près de toi ?
- Bien entendu. Installe toi.

Daidalos de Céphée. Camus le connaissait à peine, mais la réputation de droiture et d'honnêteté du maître de l'île d'Andromède était bien établie dans le milieu des chevaliers.

- Les jeunes chevaliers de bronze ont bien progressé.

Camus mit quelques secondes à voir où Daidalos voulait en venir, puis il se souvint. Le chevalier d'argent avait été le maître de Shun, l'un des membres du groupe qui avait terrassé un à un les chevaliers d'or…

- Oui, ils ont bien progressé.

Daidalos sourit à ses mots et Camus en fit autant. Progressé… Le terme en lui-même était risible appliqué aux changements qui étaient intervenus chez leur disciple. Hyoga l'avait vaincu, lui le chevalier d'or du Verseau. Il avait atteint le zéro absolu, chose que lui-même n'aurait jamais envisagé être possible… Camus s'aperçut soudain que son cœur s'emplissait de fierté et de joie à cette pensée. Il n'aurait pas cru être à ce point attaché à Hyoga.

- J'ai longtemps cru que Shun ne parviendrait jamais à devenir un chevalier…
- Moi aussi, j'ai douté des capacités de Hyoga au début. Je pensais qu'il n'avait pas la foi nécessaire…
- Mais il a fini par la trouver, comme les autres.

Et nous autres chevaliers d'or l'avons perdu, compléta Camus mentalement.

- Ils nous ont dépassés.
- Oui.
- Mais nous sommes toujours leurs aînés.

Camus regarda son interlocuteur. Qu'est ce que Daidalos essayait de lui dire ?

- Je ne pense pas que nous ayons achevé notre tâche auprès d'eux, comme auprès d'Athéna… Personnellement, je crois avoir encore quelques petites choses à montrer à Shun… Ce ne sont encore que des gamins après tout… et Athéna aura encore besoin de nous, de nous tous.

Camus inspira profondément. Que Daidalos ait été envoyé par Athéna, Doko ou un autre, peu importait au fond… Ce qui comptait, c'est qu'il venait de lui rappeler sa place et son rôle. Le poids qui n'avait cessé d'écraser ses épaules depuis la veille disparut subitement. Oui, il était le chevalier d'or du Verseau, gardien de la onzième maison du Zodiaque, l'un des douze ultimes défenseurs d'Athéna, depuis quatorze ans déjà, et pour aussi longtemps que son cosmos continuerait de brûler de toutes ses flammes ! Cela personne ne le lui enlèverait ! Leur nouvel ennemi, quel qu'il soit, allait voir si la puissance des douze chevaliers d'or avait décliné ! Camus se tourna vers Daidalos. Les deux hommes se sourirent l'un à l'autre, et ils surent qu'ils s'étaient compris.

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A défaut de pouvoir l'accompagner, ses chevaliers auraient voulu savoir où elle se rendait, mais elle avait tenu bon. C'était son affaire à elle… et à quelqu'un d'autre. En fait, depuis la réunion du matin et le récit de Linus, Saori ne pouvait cesser de s'interroger. A peine revenue d'une guerre contre Hadès, voilà qu'elle devait faire face à un nouvel ennemi. Et pas n'importe quel ennemi ! Un ennemi qui osait s'attaquer de front à trois dieux en même temps, sans craindre apparemment que ses adversaires s'unissent contre lui ! Et avec ça Zeus qui se comportait de manière totalement incompréhensible… Cela ne lui laissait pas d'autre choix que de faire appel à un ancien ennemi, le seul qui peut-être en savait autant que le maître de l'Olympe. Encore faudrait-il qu'il se montre enclin à l'aider, et il en avait bien moins de raisons encore que Zeus…

- Poséidon, j'ai besoin de te parler.

Athéna s'était exprimée de sa voix douce et sereine qu'elle savait si séduisante. Mais est ce que cela suffirait ? Dans tous les cas, il lui fallait maintenant attendre. La mer était plutôt agitée et des gouttelettes d'écume jaillissaient haut au-dessus du cap Sounion pour retomber en une fine bruine salée. Athéna s'assit sur un rocher poli par le vent et les embruns et attendit. Quelques minutes déjà…

- Que faites vous là ?

Saori ne se retourna pas immédiatement. Elle savait de qui il s'agissait et elle sourit en se remémorant les mines embarrassées de Shun et Shiryu lorsqu'ils étaient venus lui annoncer qu'à eux deux ils avaient ramené à la vie trois des marinas de Poséidon.

- Que faites vous là ?

Le ton n'était pas agressif, mais plutôt angoissé. Athéna tourna enfin la tête. A quelques mètres du bord de la falaise, Sorente, Krishna et Io se tenaient impassibles. Thétis, en revanche, mordillait d'un air nerveux l'une des mèches de sa chevelure blonde.

- Je suis venue pour avoir une petite conversation avec Poséidon.
- A quel sujet ?

Cette fois, les quatre marinas firent un bond et se regardèrent entre eux avec malaise. Athéna elle-même ne put réprimer un bref tressaillement. La voix de tonnerre semblait véritablement avoir jailli des profondeurs de la mer.

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De toute sa vie Aldébaran avait l'impression de n'avoir jamais rencontré quelqu'un d'aussi têtu. Un rocher serait plus facile à convaincre qu'Aiolia ! D'un pas rageur, le chevalier du Taureau franchit le seuil de la demeure du Lion et dévala deux douzaines de marches avant de s'arrêter net. Il ne s'était pas attendu à trouver autant de monde réuni entre la quatrième et la cinquième maison. Toute sa colère subitement envolée, Aldébaran rejoignit rapidement le groupe de chevaliers qui se trouvait à peu près à mi-hauteur des escaliers. Mû souriait placidement pour une raison qu'il devait être le seul à connaître et… Tiens ? Masque de mort était là aussi, dissimulant mal sa curiosité sous son air renfrogné. Shiryu, Shun, Ikki, Ban et Nachi discutaient avec animation et Kiki qui tournait à toute allure autour du groupe menaçait de renverser quelqu'un à tout instant. Aldébaran se souvint avoir croisé Seiya et Hyoga courant l'un derrière l'autre en hurlant, mais comme ils s'étaient engouffrés à toute allure dans le temple du Scorpion, il n'avait jamais su ce qu'ils faisaient.

Pour l'heure, quelque chose de plus intéressant s'offrait à lui comme distraction. Un trou circulaire d'à peu près deux mètres de diamètres s'ouvrait au beau milieu de l'escalier. La profondeur de la fosse était impossible à évaluer, mais les autres en discutaient justement…

- … un monstre pareil pourrait très bien grimper là dedans sur des dizaines de mètres !
- Mais il y a bien un moment où le tunnel doit obliquer vers l'horizontale pour déboucher quelque part…
- Le mieux, ce serait d'aller voir, mais si c'est très profond…
- Moi, je vais y aller !

Ses frères ne semblaient pas convaincus mais Shun insista en agitant les chaînes de son armure qui venaient de s'enrouler autour de ses avant-bras.

- Quelque soit la profondeur de ce tunnel, mes chaînes me mèneront en bas !

Finalement, Ikki et les autres remisèrent leur inquiétude. La chaîne d'Andromède s'enroula autour d'un impressionnant rocher sur la pente de la colline et Aldébaran se pencha avec les autres pour regarder Shun disparaître dans l'obscurité.

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- Des Géants.
- Comment ?
- Tes monstres mi-homme, mi-serpent, ce sont des Géants ! Je me demande comment vous autres avez faits pour ne pas vous en souvenir !

Athéna savait qu'elle aurait dû reconnaître ce mot, mais ses souvenirs se brouillaient à chaque fois qu'elle se sentait approcher de la révélation.

- Et qu'est-ce qu'ils sont ?

Io rougit soudain en s'apercevant qu'il venait de s'immiscer dans la conversation de deux dieux. Saori lui sourit pour montrer qu'elle ne s'en formalisait pas. Les quatre marinas avaient écoutés avec attention tout ce qu'elle avait raconté à Poséidon, et ils semblaient à présent aussi déconcertés et inquiets que ses propres chevaliers. Evidemment, eux non plus ne voyaient pas le rapport qui pouvait exister entre Athéna, Hermès et Arès. Leur ennemi pouvait aussi bien s'attaquer bientôt à un autre dieu…

- Ce sont les serviteurs de Coeos, le premier né d'Ouranos.
- Coeos… ?

Un grondement ressemblant fort à soupir résonna au pied du cap Sounion.

- Mais vous avez donc tout oublié des premiers temps du monde ou quoi ! C'est pas parce que vous n'étiez pas nés à cette époque qu'il faut vous en désintéresser ! Cronos, mon père et celui de Zeus et Hadès, n'était que l'un des fils cadets d'Ouranos ! De part son droit d'aîné, c'était à Coeos de s'asseoir sur le trône des dieux. Mais Cronos était bien plus malin et ambitieux que ses frères, et il a su si bien faire que Coeos lui a abandonné sa charge, persuadé qu'un avenir bien plus glorieux l'attendait.
- Mais… Coeos… Cela ne signifie t-il pas " intelligent " ?
- Et alors ? Depuis quand seuls les idiots se font-ils manipuler ? Si c'était le cas, tes chevaliers formeraient une belle bande d'andouilles à s'être laissés duper par le chevalier des Gémeaux pendant treize ans !
- Ce ne sont que des hommes faibles et soumis à l'erreur…Canon s'est montré bien plus habile que son frère sur le plan de la manipulation…
- Bon, tu veux que je continues à t'expliquer ce que tu devrais déjà savoir, oui ou non ! ! !
- Je t'en prie… Je suis toute ouïe !
- Bon… Donc Cronos a piqué sa place à Coeos. Mais quand moi et mes frères avons renversé notre monstre de père, Coeos s'est dit qu'après tout, roi des dieux, c'était pas si mal et il nous a envoyés ses braves Géants, histoire de récupérer sa couronne. Parce à bien y penser, c'était quand même à lui qu'elle devait échoir même si c'était un monstre cruel comme la plupart des Titans…

Poséidon laissa en suspens cette phrase commencée sur un ton très proche de l'ironie et Athéna fronça subitement les sourcils, prise d'un vague soupçon de ce que le dieu des Océans suggérait.

- Et comment vous en êtes vous débarrassé ?
- Comme pour notre père, on a collé tout ce joli monde dans le Tartare. C'est pas la première fois qu'on aura eu des fuites de ce coté là…
- Et Zeus ? Qu'est ce qui l'empêchait de nous rappeler ça ?
- Les prétentions de Coeos étaient fondées quoi qu'on en dise…

Athéna mit quelques instants à comprendre… Est ce que Poséidon suggérait que Zeus avait menti pour tenter de dissimuler que le maître des Géants était un ancien rival, et de surcroît pourvu de meilleurs arguments que lui pour appuyer sa légitimité en tant que roi des dieux ? ! C'était complètement farfelu !

- Tu as déjà remarqué combien ton père aime faire les choses en douce… ? C'est pas trop son genre d'affronter les ennuis en face, hein ?

Non, non, non ! Ca n'était pas possible ! Et pourtant… Zeus en train de mentir, biaiser, louvoyer, dissimuler, esquiver, fuir les récriminations d'Héra, les réclamations des dieux… c'était une image qui revenait très souvent parmi les souvenirs qu'elle gardait de son père. Porter un jugement, affronter la colère d'un autre dieu, assumer les responsabilités d'un choix… autant d'entreprises qui embarrassait fort le maître de l'Olympe peu pressé de s'attirer des ennuis. Mais de là à… Athéna serra les dents en sentant la rage monter en elle. De là à agir stupidement pour tenter de conserver un peu plus longtemps sa petite tranquillité personnelle, pour Zeus, il n'y avait qu'un pas. La preuve en avait été trop souvent faite par le passé.

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Pourquoi fallait-il toujours que Talies se mêle de lui attirer des ennuis ? La seule chose au monde que désirait Nevis c'était le calme et la solitude, avec peut-être à terme l'oubli… même si de cela il doutait profondément. Mais qu'on le laisse tranquille tout du moins ! Malheureusement, il n'y fallait pas songer avec Talies. Dès que la dame des Ombres avait évoqué son désir d'envoyer un messager auprès de sa mère, l'Esprit de l'Ennui s'était évertué à vanter les qualités incontestables de Nevis pour mener cette mission à bien. Alors qu'il détestait se trouver en présence d'inconnus, et qui plus est, avoir à leur parler ! Mais comme d'habitude, il n'avait pas su résister et Talies lui avait serré la main d'un air joyeux avant qu'il ne quitte le sombre, mais ô combien paisible, temple de la reine des Enfers.

Nevis jeta un coup d'œil furtif à la femme qui marchait à coté de lui. Il avait bien essayé de se laisser distancer, mais son guide avait à chaque fois ralentit le pas pour venir se replacer à sa hauteur. Au moins ne tentait-elle pas de le faire parler…

Leti, Gardienne des Bosquets. C'est ainsi que la prêtresse de Déméter s'était présenté à lui. Il s'agissait d'une femme dont l'apparence dénotait déjà d'un certain âge, mais Nevis était certain que les fines rides au coin de ses yeux avouaient encore deux fois moins d'années qu'elle n'en avait réellement. Son regard bleu clair révélait une sagesse au moins deux fois centenaire. Elle n'était pas très grande, mais sa façon de se tenir affirmait force et sérénité. C'était peut-être l'une des rares personnes avec lesquelles il avait une chance de s'entendre, songea Nevis.

Soudain il remarqua une silhouette vêtue d'un long manteau gris qui s'avançait silencieusement à leur rencontre dans le long couloir à ciel ouvert qui menait à l'esplanade du temple. Les Gardiens de Déméter semblaient véritablement cultiver la discrétion. Ce qui n'était pas pour lui déplaire car il était doté du même penchant. Mais pourquoi Leti s'était-elle arrêtée à la vue du nouveau venu ?

Nevis ne devait jamais savoir ce qui avait alerté la vieille femme. Un éclair métallique jaillit de sous le manteau gris avant de disparaître dans la poitrine de la Gardienne des Bosquets. Gracieusement et sans un bruit, le corps de Leti glissa au sol quand l'assassin retira sa dague. Nevis n'avait pas encore esquissé un geste pour se défendre lorsque l'arme fila dans sa direction. Pourtant, il n'eut aucun mal à l'éviter, laissant ses réflexes le guider. Quel être monstrueux fallait-il donc être pour assassiner aussi froidement l'un des pacifiques Gardiens de la Terre ? Depuis les premiers jours du monde, jamais un tel sacrilège n'avait été perpétré même par les plus sanguinaires des divinités.

En même temps qu'un sentiment de fureur, qu'il pensait ne jamais éprouver à nouveau, l'envahissait, Nevis sentit son entraînement de guerrier reprendre le dessus sur les long siècles passés à subir docilement les injures et les coups des Spectres d'Hadès. Evitant une nouvelle fois la dague dirigée vers son cœur, le jeune homme frappa du pied le tibias de son agresseur, et tandis que celui-ci trébuchait lui décocha un violent coup de poing au visage. L'ombre grise heurta le mur derrière elle et tomba sur un genou. Avant qu'elle ait eu le temps de se relever, Nevis bondit, écarta la lame d'un coup de pied et comme l'autre relevait la tête, abattit le tranchant de sa main sur la gorge découverte de son ennemi. D'ordinaire, un coup porté avec une telle force à cet endroit causait une blessure létale, écrasant la trachée et ouvrant la carotide de la victime. Aucun guerrier digne de ce nom n'offrait jamais à son adversaire la possibilité de porter un tel coup. Mais Nevis n'eut pas le temps de s'interroger plus longtemps sur la stupidité de son adversaire… car celui-ci venait de se relever ! Heureusement qu'il n'était pas du genre à perdre son sang froid aisément car plus d'un à sa place aurait périt la bouche ouverte et la tête encore pleine de questions. La créature… Nevis ne pouvait plus se résoudre à l'appeler un homme après cela… La créature recula de quelques pas et Nevis tomba souplement en garde. Quoi que l'autre prépara, il ne parviendrait pas à le prendre au dépourvu. Du moins est-ce ce que le jeune homme pensa jusqu'à ce que son adversaire laisse subitement tomber à terre son manteau gris.

Nevis ne recula pas, mais il ne fit pas un geste lorsque la dague entama sa course mortelle. Il savait qu'il était déjà trop tard. La lame aiguisée acheva son mouvement dans sa gorge. Nevis glissa à genoux d'abord, puis il tomba face contre terre sans avoir poussé un cri. Son sang se répandit rapidement sur les dalles de pierre froides et vint se mêler à celui de Leti.

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Le hurlement déchira l'air, dominant durant un instant le rugissement grave des hautes chutes du Rozan. Shunrei se redressa brusquement dans son lit, deux rivières de larmes glissant sur ses joues. Presque aussitôt, elle comprit que le hurlement qui l'avait réveillé était le sien. Elle avait rêvé.

Non ! Ce n'était pas un rêve ! Elle ne savait pas d'où lui venait cette certitude, mais elle ne la combattit pas. La femme aux yeux bleus, graves et sereins avait été assassinée. Quelque part. Ailleurs.

Elle ignorait qui était cette femme. Elle ne l'avait jamais vu auparavant. Mais le spectacle de sa mort avait déchiré son cœur. Bien sûr, il y avait l'horreur et la tristesse, comme elle en éprouverait devant n'importe quel meurtre. Mais il y avait surtout ce sentiment de crainte et d'effroi. Ce n'était pas un simple crime, si tant est qu'un crime puisse être simple, mais un véritable sacrilège qui avait été commis cette nuit. Elle le savait au fond d'elle. Jamais depuis l'aube des temps pareille chose ne s'était produite. Et elle avait senti dans son cœur toute la froideur et la monstruosité de la lame.

Elle ne pouvait pas rester là. Elle ne le pouvait plus. Il fallait qu'elle retrouve le Vieux Maître et Shiryu. Qu'elle leur dise. Que quelqu'un avait brisé l'équilibre du monde.

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Pourquoi n'y avait-il maintenant plus personne ? A peine la réunion achevée, tous les chevaliers d'or s'étaient éclipsés chacun de leur coté comme des voleurs. Bon, ça n'avait pas vraiment dérangé Linus, parce que franchement, ceux-là avec leurs mines maussades, il n'avait pas plus que ça envie de les approcher. Mais mêmes les chevaliers d'argent et de bronze semblaient s'être volatilisés. Et comme le guerrier divin blond avait fini par découvrir que ses quatre compagnons se payait sa tête depuis un moment déjà, le sympathique groupe avait quitté la salle au pas de course qui en tant que fuyard, qui en temps que chasseur, avant que Linus ait pu les approcher. Résultat, maintenant qu'Asclépios était parti se reposer, il se retrouvait tout seul à errer comme une âme en peine dans la salle du Grand Pope. Et par dessus le marché, il n'avait pas encore réussi à mettre le doigt sur le problème qui le titillait.

- Euh, je suis désolé, mais personne ne peut rester dans cette pièce sans qu'Athéna ou l'un de ses chevaliers soit présent…

Un garde ? Bah, ça faisait toujours quelqu'un avec qui causer. Affichant son sourire le plus aimable, Linus se tourna vers celui qui l'avait interpellé… et se figea en contemplant l'homme trapu, avec ses protections de cuir et sa longue pique…

Le garde ! ! ! Ca semblait tellement évident maintenant ! Le créature à queue de serpent était un monstre plein de violence et de rage. Ses victimes, elle les foudroyait ou les écrasait. Elle ne leur tranchait pas délicatement la gorge ! Ce n'était pas elle qui avait tué le garde dont le corps avait été retrouvé près de la quatrième maison !

Mais qui était ce alors ?

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Cette fiction est copyright Elise Bertrand.
Les personnages de Saint Seiya sont copyright Masami Kurumada.