Chapitre 3 : Une deuxième chance


Le soleil gagne peu à peu du terrain dans le ciel limpide, d'une façon trop lente pour être véritablement perceptible. Aux pieds du Sanctuaire, quelques vagues paresseuses viennent caresser le roc. C'est un décor apaisant, peut-être banal. L'atmosphère maîtresse en ces lieux n'a pourtant rien d'ordinaire. N'importe quel visiteur en serait frappé dès ses premiers pas : c'est comme si l'air lui-même était souillé, envahi par une odeur étrangère et hostile. L'arôme de la guerre et du sang empuantit cet endroit, métamorphosant le Domaine Sacré en un vulgaire champ de bataille.

De vingt-huit qu'ils étaient au départ, ils ne sont plus que vingt-et-un. Les spectres d'Hadès ne sont cependant pas inquiets. Le nombre importe peu, c'est la détermination qui fonde le succès. Et la Maison du Taureau n'est plus qu'à quelques mètres. Un de leurs ennemis, du nom de Gayal a, sans quitter le Temple des Gémeaux dont il a la garde, cherché à leur barrer la route. Son échec a consolidé la volonté des assaillants. Ils vaincront.

Premier revers pour Athéna. Il y a quelques instants s'est produit un événement que personne n'avait envisagé tant il paraissait improbable, preuve qu'il est dangereux de négliger une éventualité sous prétexte qu'elle est peu plausible. Sion du Bélier a perdu la vie en combattant un certain Astarill, soldat obscur et inconnu que personne n'aurait redouté. Et un seul coup a suffi pour abattre le chevalier d'or. Lui qui suscitait l'admiration jusque chez ses semblables, qui remplissait son adversaire de crainte et d'humilité par sa seule présence, qui se prétendait invulnérable autant que pouvait l'être un dieu, a trouvé la mort comme seule récompense à ses talents. C'est une réalité qu'on aurait tort d'oublier. La Maison du Bélier sera désormais une Maison vide. Son gardien a été vaincu, humilié, ridiculisé. Les spectres ont l'ardeur revigorée à cette nouvelle. Ils triompheront.

Toutefois, la bataille ne fait que s'amorcer, et le Grand Pope Alresha ne se fait guère de souci quant à son résultat. Hadès ne peut gagner. Pour précipiter une issue qu'il devine favorable, Alresha a choisi de déplacer une pièce maîtresse de son jeu. Le jeune Doko de la Balance s'en va donc défendre la Maison du Taureau aux côtés du chevalier d'argent Algéti d'Hercule qui en a la charge. Il est en effet de coutume, lorsque l'un des Douze Temples a perdu son gardien légitime, d'y poster un combattant de rang inférieur pour en assurer la garde. Une Maison mal défendue est préférable à une Maison désertée. Et dans le cas présent, le Pope a jugé bon d'y ajouter le chevalier d'or de la Balance, afin que les spectres soient stoppés au plus vite dans leur ascension : pourquoi les laisser progresser, s'il est possible de les intercepter dès à présent ? C'est un choix tactique destiné à écourter des combats interminables, quitte à déséqulibrer un peu l'organisation défensive du Domaine. Désormais, le deuxième Temple est doublement protégé.

*****

Temple du Taureau.

Il se lève brusquement et marche avec nervosité, zigzagant selon un parcours plus ou moins circulaire, au milieu de la salle. Algéti ne parvient pas à dominer l'effroi qui s'est emparé de lui, ce matin. Ses mains sont crispées, et son visage exprime un profond désarroi. Ses pensées, elles, voltigent dans toutes les directions, à une vitesse qui va finir par lui donner la migraine...

"Je ne suis qu'un chevalier d'Argent. Un combattant qu'on pourrait certainement qualifier de vulgaire. Pourquoi ai-je donc écopé d'une si lourde responsabilité ?"

C'est une pensée qui vient spontanément à lui, puis qu'il refoule. Pour la septième fois, sa langue vient humecter ses lèvres. Avec rigueur, Algéti d'Hercule se rappelle spontanément à l'ordre, comme s'il tentait de se raccrocher désespérément à une branche solide, pour ne pas chuter dans l'abîme sans fond de sa frayeur.

"Je n'ai pas le droit de penser ainsi ! Athéna elle-même a estimé que j'étais digne de tenir cette position, ou tout au moins, que je l'étais plus que mes semblables. Il n'est pire blasphème que la remise en cause du jugement divin, on me l'a suffisamment répété pour que je m'en souvienne à présent. Il m'est donc interdit de reculer devant les événements. Je suis le Gardien de la Maison du Taureau, la Déesse l'a décrété."

Voilà au moins une vérité nette et clairement établie. Un point de repère auquel se fixer. Algéti fait craquer ses doigts, l'un après l'autre. Rien ne peut le rassurer. Ce constat le pousse à creuser plus profondément en lui, afin d'exorciser cette peur qui le paralyse.

"En fin de compte, qu'est-ce qui m'effraie ? Car c'est bien de frayeur qu'il faut parler... les combats ? Non, ce n'est pas ça. J'ai été entraîné dans la seule optique de la guerre à venir, et l'idée de faire couler le sang -le mien ou celui de mes ennemis - ne me tracasse guère. Non, c'est... l'éventualité d'une défaite qui m'inquiète. D'une humiliation, devrais-je dire. Mon potentiel est à mille lieues en-dessous de celui des chevaliers d'or, et le destin me contraint pourtant à lutter à leurs côtés, à me hisser à leur niveau. Face à une responsabilité d'une telle ampleur, je suis à nu, comme si de simple figurant, je passais brusquement sur le devant de la scène."

Algéti tremble. Pourvu que ce soit à cause de la fraîche température du Temple...

"Si Athéna et le Grand Pope m'ont assigné cette fonction, c'est que leurs raisons doivent être sans failles. C'était en tous cas mon credo il y a quelques instants, mais à présent... ce contact télépathique du seigneur Alresha est venu semer la crainte dans mon esprit, qui avait déjà eu tant de mal à se fixer une ligne de conduite claire et précise. Le chevalier Doko de la Balance va me rejoindre, à titre de renfort ! Paradoxalement, cela n'apaise pas du tout mon angoisse, au contraire. Car ainsi, non seulement je suis amené à me battre dans un rôle qui n'est pas le mien, mais je dois en plus le faire sous l'oeil suspicieux et hautain d'un chevalier d'or... Déesse, pourquoi me mettre ainsi à l'épreuve ?"

- Chevalier Héraclès ?

L'interpellé sursaute et se retourne, et retirant sa main du pilier contre lequel il l'avait posée. Son interlocuteur est juste en face de lui, à quatre mètres environ. Algéti reconnaît l'armure de la Balance. C'est Doko !

- Chevalier Héraclès, tout va bien ?

Un frisson de honte parcourt Algéti à l'idée que Doko pourrait le croire en proie à un malaise. Il se redresse brusquement, et répond d'une voix qui domine l'inquiétude.

- Autant que faire se peut, Seigneur Doko. Le Pope m'a prévenu mentalement de votre arrivée. Grande est ma fierté de combattre auprès d'un chevalier si prestigieux que vous !

Il en a peut-être un peu rajouté, c'est vrai. Mais l'important est qu'il se sente mieux. D'ailleurs, Doko n'a pas eu l'air d'accorder beaucoup d'attention à ses paroles. Algéti devine que c'est dû à la disparition du Bélier. Le chevalier d'argent a, comme tous au Sanctuaire, ressenti la formidable cosmoénergie s'éteindre en un instant. Il croyait pourtant que Sion était l'un des plus puissants combattants de l'Ordre... Comment expliquer alors une défaite si cuisante ? A vrai dire, il a bien vite écarté ce problème de son esprit, préoccupé par des considérations plus personnelles. De toute façon, Algéti et les autres guerriers de sa caste ont toujours considéré les chevaliers d'or comme des sortes de demi-dieux, au comportement trop subtil pour qu'un intervenant extérieur puisse y trouver un sens. Il ne comprend pas toute la situation mais ce n'est pas grave. Le présent seul compte. Et en l'occurrence, la défense de la Maison du Taureau.

Doko a l'air de se réveiller subitement. Ses yeux s'extirpent du vague dans lequel ils somnolaient depuis une minute. Ils se posent sur le chevalier d'argent, puis sur l'entrée du Temple, derrière eux. Si Algéti y avait pris garde, il aurait pu distinguer dans ses pupilles une rage d'une intensité peu commune.

- Bien, lance le chevalier de la Balance en reculant derrière son compagnon. Nous n'avons que très peu de temps. Je ressens d'ici l'hostilité de leurs auras. Ils seront devant nous dans quelques secondes.

Algéti se tourne vers lui, prêt à écouter les ordres.

- Nous ne devons pas tenter d'intercepter la totalité des spectres. Le Pope a lourdement insisté là-dessus. Nous devrons nous contenter d'un rôle de tamis, destiné à faciliter la tâche de Gayal. Le chevalier des Gémeaux. C'est lui qui mettra fin à leur expédition, pas nous. C'est bien clair ?

Le chevalier d'Hercule fronce les sourcils. Ce n'est pas tout à fait de cette façon qu'il voyait les choses, mais puisque Doko le dit... Il acquiesçe.

- Nous ne les attaquerons donc pas frontalement, poursuit Doko. Ce serait trop peu efficace, en raison de leur nombre. De plus, nous ne devons pas leur laisser prendre la moindre intiative, ce qui signifie que c'est nous qui choisirons nos adversaires, et non l'inverse. Je suggère donc que nous les laissions pénétrer, puis que nous nous arrangions pour séparer trois ou quatre d'entre eux du reste du groupe.

Algéti fait un nouveau signe de tête affirmatif. L'idée lui paraît pertinente. Il se peut que cette impression soit seulement due au charisme du chevalier d'or, mais il préfère ignorer cette éventualité.

- Après quoi nous nous débarrassons rapidement de nos ennemis, puis nous nous lançons à la poursuite de leurs compagnons, pour prêter main-forte à Gayal.

Temps mort. Doko a failli ajouter "Sion nous rejoindra sans doute dans la Maison des Gémeaux". C'est au moment où les mots allaient sortir de sa bouche qu'il s'est souvenu. Sion est mort. Bon sang, il ne parvient pas encore à y croire... Une unique pensée s'imprime dans ses pupilles.

"Je vais les tuer."

*****

Temple du Taureau.

Ca y est ! Vingt-et-une silhouettes lèvent la tête en direction du second monument qui leur barre la route. Le groupe interrompt son avancée devant l'entrée de la deuxième Maison. Peut-être dans le but de souffler un peu, après un effort éreintant. Ou peut-être seulement pour retarder la venue de nouveaux combats... de nouveaux deuils.

- Regardez ! La flamme du Bélier va bientôt s'éteindre !

Chacun se tourne vers l'horloge zodiacale aux proportions titanesques. Et en effet, la première lueur brillante semble prête à s'évanouir dans le néant.

- Ca veut dire qu'il nous a fallu presque une heure pour atteindre le Temple du Taureau ? interroge l'un des spectres avec surprise.

Eaque et Minos échangent un bref regard. Ils ont tous deux la même idée sur la question, et c'est finalement le second qui se charge de la formuler.

- J'ai l'impression qu'un imposant Cosmos enveloppe l'ensemble des douze Maisons, nous obligeant à ralentir notre allure durant la montée des marches, dit-il avec prudence. C'est une idée qui ne me plaît guère, mais je n'en vois aucune autre.

Les autres acquiesçent. C'est visiblement une impression partagée.

- Athéna ?
- C'est possible, soupèse Minos en levant les yeux. A moins que cela soit dû à la présence des chevaliers d'or, ou du Grand Pope. Quoi qu'il en soit, il apparaît donc que presque une douzaine d'heures nous seront nécessaire pour atteindre la Déesse. Cela dit, c'est sans importance... ce qui compte, c'est d'y parvenir.

Eaque s'avance et use d'une voix forte en serrant le poing, dans le but probable de galvaniser ses troupes.

- Et nous y parviendrons ! Le premier chevalier d'or a perdu la vie en luttant contre un de nos compagnons, vous avez tous capté l'extinction de son Cosmos. Tous les autres subiront le même sort, soyez-en certains. En avant !

Ils s'élancent en masse vers le Temple, y pénètrent comme un seul homme. Ils vaincront.

Difficile de trouver plus répétitif que le décor interieur d'une Maison. Des piliers. Des dalles. Des torches suspendues aux parois. Quelques petites fenêtres disséminées en hauteur, comme si l'on voulait laisser entrevoir le soleil tout en lui barrant la route. De temps en temps, des couloirs hostiles qui s'échappent vers des profondeurs obscures, brisant la monotonie des murs. Et puis tout recommence. Encore des piliers...

Un murmure parcourt l'expédition. Eaque fronce les sourcils. Ils s'attendaient tous à être interceptés par le gardien du Temple, vraisemblablement le chevalier d'or du Taureau, mais il n'en est rien. Personne ici ne semble désireux de les accueillir, de quelque façon que ce soit. Pourtant, les spectres perçoivent sans difficulté une présence indécise, rôdant aux alentours. Et le fait que leur adversaire refuse de se montrer n'est pas particulièrement rassurant.

Soudain, un bruit assourdissant fend l'air. Une déchirure. Le sol s'entrouvre, une explosion retentit. Les ombres d'Hadès, auparavant solidaires et groupées, se désorganisent. C'est la cohue. Quelques spectres se jettent contre le sol, en prévision d'un danger qui finalement ne vient pas. Le calme revient avec une lenteur infinie, accompagné désormais d'une nervosité croissante.

Rhadamanthe, dont l'instinct de guerrier est sans faille, est le premier à pivoter en arrière, et à se mettre en position de combat. Ses yeux s'écarquillent.

Ils sont deux !

*****

Ils sont deux.

Il y a une minute, seule l'escouade des spectres emplissait cette salle du vacarme de sa venue, homogène et organisée. L'arrivée impromptue de leurs adversaires a depuis transformé cet état de fait. Désormais, l'allée du Temple est véritablement coupée en trois morceaux. Du côté de la sortie se masse le reste des assaillants, soient dix-sept guerriers. En direction de l'entrée, leurs quatre compagnons isolés revêtent des mines presque apeurées, celles du gibier prêt à être abattu. Et au milieu, deux chevaliers sacrés tracent une frontière imaginaire mais évidente.

Deux chevaliers. L'un d'or, et l'autre d'argent.

- Je ne peux pas le croire, lance Eaque qui a reconnu l'armure de la Balance. Où est le chevalier d'or du Taureau ?

Doko se retourne, les yeux glacés.

- Nous assurons la garde de cette Maison, dit-il d'une voix grave et sombre. Vous feriez mieux de la quitter très vite, tant que vous en avez la possibilité. Toutefois, si l'envie vous prend de rester parmi nous, je peux me faire un plaisir de vous, hum..... accueillir.

Doko s'avance d'un pas en direction du spectre du Garuda. Son regard est suffisamment éloquent pour rendre superflue toute parole supplémentaire. Son interlocuteur tressaille d'abord. Se raidit ensuite. Eaque s'avance d'un pas, les pupilles scintillantes, habitées par une lueur malsaine. Déjà son aura cendrée s'accumule en volutes épaisses autour de lui. Il est toujours mal venu de provoquer ainsi un Juge des Enfers...

- Eaque.

On se retourne. C'est Minos qui vient d'émettre ce rappel à l'ordre, sur un ton qui n'admet aucune répartie.

- Aurais-tu déjà oublié pourquoi nous sommes ici, Eaque ? interroge Minos avec suspicion. Rengaine ta fierté en vue d'une occasion plus propice.

Le spectre du Garuda continue d'arborer des orbites étincelantes une seconde encore, puis baisse la tête d'une façon presque imperceptible. Minos a raison. Les spectres s'empressent de courir vers de nouvelles rencontres. Seuls demeurent Algéti, Doko, et leurs quatre adversaires. Le chevalier de la Balance affiche un sourire carnassier en se tournant vers ces derniers.

- Vous êtes prêts ?

*****

- Où suis-je ?

C'est une question stupide, Sion s'en rend compte aussitôt après l'avoir formulée. Où peut donc se trouver celui qui vient de perdre la vie ?

Les Enfers.

Sion se relève et examine les environs avec la sensation d'avoir été projeté dans un monde qui n'a rien de commun avec le sien. Ce n'est pas très éloigné de la vérité, d'ailleurs. Mais quelque chose est anormal.

Des collines désertiques, faites d'une terre rougeâtre et brûlante, scintillante par endroits. Un ciel hostile, parsemé de nuages denses et bruns. Aucune végétation, pas même une brindille déssechée. Et surtout, une inquiétante et profonde clameur, qui ressemble à un chant funéraire. Une sorte de grondement, rendu effrayant par sa dimension presque mélodieuse. Cela vient de partout à la fois, et s'accompagne d'un battement sourd et régulier. Sion n'est pas très rassuré et son absence d'armure n'arrange rien, mais il n'est pas homme à laisser la peur le submerger. Il frotte contre sa tunique ses mains rendues moites par la chaleur ambiante, puis gravit prestement la colline la plus proche.

Ils sont des milliers. Une gigantesque file indienne qui serpente sur des kilomètres. Tous sont presque identiques, pantins ridicules dénués d'individualité. Leur forme humanoïde ne suffit plus à cacher leur inhumanité, et le regard vide qui les habite est tourné droit devant eux, vers cette montagne, au loin, d'où s'échappent des vapeurs volcaniques. Sion avale sa salive.

- C'est effrayant, n'est-ce pas ?

Le chevalier du Bélier se retourne aussitôt, sur le qui-vive. Un jeune garçon lui fait face, assis sur un rocher. Il n'a pas d'armure, et Sion ne lui donne pas plus de 20 ans. L'inconnu reprend la parole.

- Sais-tu que si l'ordre naturel des choses était respecté, tu serais en ce moment parmi eux ? Tu as beaucoup de chance. Oui, beaucoup de chance...

Sion se dresse et lance un regard étincelant à son interlocuteur. A tout hasard, il se met en posture de combat.

- J'ignore qui tu es, mais je te défends de me parler sur ce ton ! Sais-tu seulement qui je suis ?
- Oh oui, sourit le jeune homme, sois-en certain, chevalier d'or Sion du Bélier. Tué de la main d'un spectre il y a quelques minutes.

Le chevalier d'or esquisse un geste de recul. Sa mort est un événement auquel il préfère éviter de penser. Trop de honte y est associée.

- Qui es-tu ? lance-t-il avec autorité pour reprendre le contrôle de la situation.
- Eh bien... Tu peux m'appeller Dieu, je crois que c'est le terme le moins inexact par lequel me désigner. Et j'ai des projets pour toi, jeune guerrier.
- Ce n'est pas en te moquant de moi que tu gagneras ma confiance ! s'exclame Sion non sans vigueur.

Le jeune homme - Dieu ? - se relève et serre les poings. Le Bélier ne peut s'empêcher d'éprouver une certaine crainte irrationnelle, et se contracte, prêt à riposter en cas d'assaut.

- Je n'ai pas besoin de ta confiance, dit son interlocuteur avec sécheresse et froideur. Tu es un enfant capricieux qui vient de faire les frais de son ego surdimensionné. Ta défaite lamentable et ridicule face au spectre Astarill est indigne de ton rang, Sion du Bélier. Tu as déshonoré tes semblables.

Cette fois le chevalier d'or laisse éclater sa colère. Il affiche une grimace enragée, et s'élance à l'attaque.

- Tu m'as insulté pour la dernière fois. Star Dust Revolution !

Echec. Le garçon disparaît, et Sion s'affaisse en deux sous l'effet d'un coup à l'abdomen. Ce gamin... serait-il capable de dépasser la vitesse de la lumière ?

- Je suis Dieu, et je ne te le répéterai pas une troisième fois. Tu as tort d'être aussi agressif, Sion du Bélier.
- Que... que veux-tu ?

Un silence. Le garçon laisse quelques secondes s'écouler avant de révéler ses intentions.

- T'offrir une deuxième chance, voilà la raison de ma présence ici. Je t'ai libéré de la mort, et vais te permettre de regagner ton univers. C'est une sorte de résurrection, achève-t-il avec un sourire ambigu.
- Pourquoi ? lâche Sion dans un souffle tandis qu'il se remet sur pied.
- Eh bien... d'une part, il serait dommage de te laisser t'enfuir si promptement. J'ai encore quelques projets pour toi, qu'il me coûterait de remettre en question.

Sion essuie le bord de ses lèvres légèrement endolori.

- Si vous espérez faire de moi votre serviteur, alors j'aime autant vous dire que je préfère...
- Il ne s'agit pas de cela, Sion du Bélier, coupe le jeune garçon. Une deuxième chance. Tu retournes au Sanctuaire, tu réintègres la Chevalerie et tu te débrouilles pour servir Athéna jusqu'à la limite de tes capacités... et même au-delà. La bataille n'est pas finie, loin de là.

L'adolescent rapproche ses mains pour y condenser son énergie.

- Je crois que tout est dit, Sion du Bélier.
- Hé, je ne me souviens pas avoir accepté votre proposition ! s'écrie le chevalier d'or en faisant un pas en arrière.
- Ce n'était pas une proposition.

Le jeune garçon relève la figure pour la dernière fois.

- Une dernière chose, Sion du Bélier : tâche d'évoluer un peu, et arrête de croire que ta puissance fait de toi un surhomme. Perds cette vanité qui te rend si faible.

Sion affiche une moue de vexation.

- Autrement dit, sache que tu n'auras pas de troisième chance. J'espère que je me suis bien fait comprendre.

Sans laisser au chevalier d'or l'occasion d'émettre une réserve, le Dieu ouvre ses mains, et la lumière emplit les lieux, éclairant pour un instant l'antichambre des Enfers. Puis c'est le néant.

*****

Temple du Bélier.

Astarill court. Il a mis plusieurs minutes avant de prendre réellement conscience de sa victoire. Ce succès inattendu a gonflé son coeur d'allégresse, mais son temps est plus précieux que jamais, et ses compagnons déjà loin. Le sol de la première Maison semble glisser sous lui, tant sa course est rapide. Là-bas, la sortie se profile. Une lumière quasiment incolore, qui prend de plus en plus d'ampleur.

Enfin ! Les pas d'Astarill perdent de leur vitesse, puis s'arrêtent complètement. Il se retourne. Il est bel et bien sorti de la Maison du Bélier. C'était donc possible. Il sourit, sans triomphalisme inutile. Une simple satisfaction, pure et naïve, s'empare de lui. Il a vaillamment servi Hadès. Ce constat fait monter dans sa gorge une chaleur qui ressemble à un brusque accès de fierté. Oui, lui, Astarill de la Mandragore, a pu abattre un ennemi. Et pas le plus faible, loin s'en faut. Astarill se tourne cette fois en direction de son objectif.

Amère, cruelle et atroce déception.

- Surpris, hein ?

Sion du Bélier est sarcastique, son sourire narquois au possible. Il descend la dernière marche de l'escalier et concentre son Cosmos autour de lui. De sa Maison surgissent, un à un, les différents morceaux de son armure. C'est avec un fracas porteur de désillusion qu'ils viennent recouvrir chacun de ses membres. Le casque du chevalier d'or se pose dans sa main gauche, scellant le rêve pour de bon. Astarill sent un voile de désespoir se poser sur ses yeux. Retour à la case départ...

- Spectre Astarill, parade le Bélier, je ne perdrai pas mon temps à t'expliquer de quelle façon j'ai pu survivre à ton assaut. Garde seulement à l'esprit que tu es un perdant. Et que tu le resteras.

Sion revêt son heaume avant de déployer toute l'étendue de sa cosmoénergie, bien décidé à lutter de toutes ses forces.

- Star Light Extinction !

Astarill a déjà eu l'occasion d'observer cette technique, une fois seulement. C'était tout à l'heure, au moment où il est arrivé devant le chevalier du Bélier qui achevait la mise à mort de trois spectres, par l'entremise de cette attaque. Une seule fois, donc. Ce n'est pas suffisant pour mettre au point une parade efficace, et le temps presse. Il n'a que quatre ou cinq secondes devant lui, guère plus. Quelles options lui reste-t-il, dans ce cas ? Esquiver ? Inutile, Astarill sait ne pas être assez rapide. Encaisser ? C'est une solution de dernier recours qui ne plaît guère au spectre de la Mandragore. De toute façon, une meilleure idée le gagne. Riposter. Sion ne s'attend pas à un assaut de sa part, n'est-ce pas ? Et la Star Light Extinction, pour atteindre sa pleine efficience, nécessite auparavant un laps de temps non néligeable consacré à sa mise en oeuvre... d'où la possibilité d'une riposte.

- Par le Feu Sacré !

Une flamme vive et orangée, vibrante d'hostilité, ceint le chevalier du Bélier, et gagne en fureur à mesure qu'Astarill rapproche ses mains l'une de l'autre, comme pour invoquer son dieu. Lorsqu'enfin ses paumes se rejoignent, le brasier ainsi généré se mue en étoile dans une déflagration étourdissante. Sion doit interrompre son propre assaut pour ne pas tomber à la renverse. Sous l'impact de l'explosion, son genou gauche se pose sur le sol et une bouffée de honte obscurcit ses pupilles. Il a été repoussé. Lui, Sion.

Astarill se relâche. Ses bras retombent ballants, le long de son corps. Il n'est pas mécontent de lui. Rédemption, la première technique utilisée par le spectre, se caractérisait par un nécessaire mais contraignant temps de préparation avant efficacité, et par la mort instantanée qu'elle provoquait chez l'adversaire. Le Feu Sacré en est l'exact contraire. Cette attaque prend effet dès son déclenchement, mais ne tue sa victime que de façon éventuelle.

Toutefois, les blessures qu'elle inflige n'ont rien d'éventuel. Le visage du chevalier d'or est tuméfié, ses membres encore tremblants. Il se relève en grimaçant, et manque de perdre l'équilibre. Sa colère devient fureur, mais se laisse finalement dompter par le chevalier d'or. Si seulement son attaque avait été plus prompte à donner la mort... il n'aurait pas été forcé d'encaisser le coup adverse, renonçant temporairement à prendre l'avantage. Ce bilan est déshonorant. Astarill est parvenu à résister au Star Light Extinction ! L'unique aspect positif de la chose est que le spectre n'arrivera pas à surprendre Sion une deuxième fois. C'est une maigre consolation.

- A présent tu peux me le révéler, commence Astarill en reprenant son souffle. Comment as-tu échappé à la Rédemption ?

Gagner du temps, voilà la seule motivation du spectre de la Mandragore. Et aussi son unique chance de survie.

- Imbécile ! lâche Sion sans presque desserrer les dents. Tu me crois assez stupide pour rentrer dans ton petit jeu ? Tu ne me feras pas parler, Astarill !

Le spectre a un mouvement de recul. Gagner du temps ? Mieux vaut oublier ça. Il aurait dû se douter, de toute façon, que c'était une idée vouée à l'échec. Tandis que Sion prépare un nouvel assaut, Astarill envisage les autres possibilités... et découvre vite qu'il est préférable de parler de "la" possibilité qui lui reste. L'attaque, à nouveau. S'il est le premier à frapper, il a une chance.

- Par le Feu Sacré !

Le schéma est identique : brasier, intensification rapide, puis explosion. Néanmoins, la puissance qui est en jeu n'a plus rien de commun. Tout à l'heure, Astarill a surtout cherché à répliquer au plus vite, pour échapper au danger. Cette fois-ci, le spectre de la Mandragore a mis tout son courage, toute sa détermination dans cet effort. Son but n'est plus de distraire, ni de se protéger : il veut blesser. Tuer, peut-être.

Il est manifeste que Sion a fait une tentative de riposte, au début de cet assaut. Astarill en effet est certain de l'avoir vu esquisser un geste, une ébauche d'attaque. Cependant, la puissance du Feu Sacré a réduit à néant cet essai. Cette fois-ci, le chevalier du Bélier est propulsé cinq mètres en arrière par la force de l'explosion. Son corps s'encastre lourdement contre les premières marches, la tête en arrière. Sion se remet sur pied d'un mouvement brusque, et adopte une position de garde qui ne peut camoufler son essoufflement.

- Astarill, crétin, articule-t-il avec une respiration irrégulière. Tu es stupide d'employer deux fois la même technique face à un chevalier d'Athéna. Cela ne peut fonctionner, c'est bien connu.
- Naturellement, Sion du Bélier. Alors comment expliques-tu la triste position dans laquelle tu te trouves en ce moment ?

Le chevalier d'or fronce les sourcils en se demandant s'il y a de la moquerie dans ces paroles. Il les fronce encore davantage lorsqu'il réalise que oui.

- Imbécile, reprend-il en ignorant l'insolence. Quelle que soit la puissance que tu dégages dans cette attaque, elle ne peut me porter un coup mortel. Sais-tu pourquoi ?

Il tapote son épaulette en affichant une parodie de sourire.

- Grâce à ça... dit-il. Les armures d'or sont absolument indestructibles, tout le monde le sait. Il est impossible de les érafler. La cosmoénergie d'un dieu n'y suffirait pas !
- Tout à fait, Sion du Bélier. C'est ce qui explique ton hémorragie au flanc gauche, je présume ? Le sang a traversé ton armure d'or ?

Le chevalier baisse les yeux sans relâcher sa garde. Exclamation de colère, assaisonnée d'une pointe d'incrédulité.

- QUOI ?

Il semble qu'il ait fait les frais des deux assauts consécutifs. Sur le côté gauche de son abdomen, sa protection étincelante s'est fragilisée, puis a cédé aux fissures. Le liquide écarlate qui s'en écoule entraîne dans son flot quelques miettes de métal doré. Sion est abasourdi. Comment son armure a-t-elle pu subir de tels dommages ? Et surtout, comment a-t-il pu ne pas s'en apercevoir ? S'est-il laissé envahir par sa fierté au point de négliger sa garde ?

Sion a honte de lui. Pour la première fois, il ressent le désir brûlant de courir se cacher en un lieu où personne ne le trouvera. En cet instant, il voudrait n'être rien, n'être qu'un humain ordinaire épargné de la violence des combats, menant une vie sans vagues ni tumulte. Ses joues sont si rouges qu'elles vont prendre feu. Sion n'ose plus relever les yeux.

- Laisse-moi te dire que je suis époustouflé par tes talents, Sion du Bélier, raille Astarill.

Cette seule remarque remplie d'ironie suffit à redonner au Bélier le souffle qui lui faisait défaut. Gagné par un subit accès de rage, il se remet sur pied, à demi titubant, et déchaîne son Cosmos qui se masse autour de lui en courants furieux.

- Cette fois tu vas mourir ! hurle-t-il.

Astarill recule perceptiblement, presque effrayé par les conséquences de sa témérité. Peut-être aurait-il dû finalement se tenir coi. Trop tard, en tous cas.

- PAR LE TOURBILLON ASTRAL ! ! !

Oui, trop tard pour tout. L'attaque a été lancée à sa pleine puissance, et semble atteindre une apogée après laquelle rien ne subsistera. Pas d'esquive. Pas de contre-offensive. Pas de parade. Encaisser l'assaut, voilà sur quoi s'achève sa destinée. Astarill garde les yeux ouverts, et se prépare mentalement à trouver une place définitive dans le royaume d'Hadès. A moins que, surmontant l'impossible, il ne parvienne à sortir vivant de l'apocalypse qui s'abat sur lui...

*****

Temple du Taureau.

Trop facile.

Doko fait craquer ses doigts en marchant auprès des dépouilles des trois spectres qu'il vient d'abattre. La vitesse de la lumière est un atout prodigieux, et à l'exception des chevaliers d'or, rares sont les combattants qui parviennent à l'atteindre. En fin de compte, sans doute a-t-elle plus d'incidence sur l'issue des affrontements que les attaques subtiles et complexes. Elle recèle au moins le mérite de simplifier diantrement certaines situations. Pourquoi faire usage d'une technique élaborée, lorsque la simple célérité apporte la victoire sur un plateau d'argent ?

Oui, trop facile.

Doko rêvasse. Il a tué ses adversaires, d'abord avec haine, puis avec un certain désintérêt. Quelque chose en effet s'est produit, qui a ôté à son combat le peu d'attrait dont il disposait. Au cours de l'affrontement, un Cosmos a surgi d'outre-tombe pour regagner la place qu'il avait quittée peu de temps auparavant. Sion est revenu, ressuscité par un prodige que Doko ne cherche pas à comprendre. Le chevalier du Bélier est vivant, voilà tout ce qui compte.

Et l'autre, où en est-il donc ?

Algéti d'Hercule se trouve dans une position autrement plus délicate que celle du chevalier de la Balance. Il n'a pourtant affaire qu'à un seul ennemi, mais ce semble être déjà beaucoup pour un chevalier d'argent brutalement élevé à un rang qui n'a jamais été le sien.

Doko s'approche avec quelque prudence. Il s'arrête, croise les bras en arbitre impartial du match. Comme si tout ça n'était qu'une compétition amicale entre deux équipes rivales.

Au même instant, Algéti goûte à tous ces petits plaisirs qui font du statut de chevalier une place si convoitée de par le monde. Frappé à l'abdomen, il encaisse, vomit du sang puis se voit trahi par ses jambes. Il tombe avec lourdeur, non sans répandre autour de sa masse presque inerte un flot éparpillé où se mêlent hémoglobine, éclats d'armure et morceaux de roc. Doko se demande s'il doit intervenir. Cela est-il nécessaire ? Algéti, après quelques secondes de semi-conscience, finit par se mettre debout, malgré des genoux encore flageolants. Il n'est certainement pas prêt à recevoir de nouveaux coups, encore moins à en distribuer. Le voilà d'ailleurs qui s'écroule de nouveau, exténué. Doko soupire intérieurement, abandonne sa position de spectateur.

Le spectre vient de s'élancer dans les airs ! Doko bondit sur le côté, concentre son énergie.

Celui-ci aussi va mourir. Ce n'est pas parce que Sion est de retour que je vais me montrer plus indulgent !

Le spectre tend les mains en avant, lâche un cri de guerre plein de sauvagerie. Le chevalier de la Balance lui répond sur le même ton, dans un étrange idiome.

- Par le Marteau d'Hadès !
- Rozan Shô Ryû Ha !

Deux faisceaux flamboyants jaillissent, déploient leur fureur avec vacarme et serpentent l'un vers l'autre à grande vitesse. Pourtant ils ne se heurtent pas. Ils se croisent, et chacun poursuit sa route vers sa victime désignée. Doko comprend alors son erreur. Il lit dans les yeux de son ennemi la plénitude face à la mort qui s'approche, et la satisfaction d'avoir accompli sa part du devoir divin. L'attaque du Dragon de Rozan atteint alors le spectre, l'emportant vers un destin qui n'a pas semblé l'effrayer outre mesure. Au même moment, Doko entend une explosion derrière lui. La voilà, son erreur.

Doko courbe l'échine, la nuque alourdie par un sentiment de culpabilité qui n'est que trop justifié.

...

Il se retourne, lentement, comme pour prendre acte de l'irrémédiable. Algéti est mort. C'est Hercule que le spectre visait, et non la Balance.

Errare humanum est, disent les sages. Parfois on se laisse griser par la chaleur de l'instant, par la force de l'impulsion. Et l'on se trompe. On erre. Une telle erreur insuffle en Doko le souhait de ne plus être un Saint, de laisser derrière lui cette responsabilité qu'il semble ne pas mériter, dont il se sent indigne. Un chevalier d'or n'a pas le droit de faire des erreurs. Il n'est pas humain, en fin de compte. Errare humanum est.

Qu'aurait donc choisi le chevalier de la Balance, s'il eût été en lieu et place du soldat au surplis anonyme ? Rationalité. Le spectre a visé à l'efficacité plutôt qu'à l'honneur. Un homo economicus dans toute sa splendeur. Il a choisi de s'attaquer à un adversaire qui ne pouvait se défendre, afin d'être sûr d'en venir à bout. C'est certes un acte peu loyal. Mais il est manifeste que si le serviteur d'Hadès s'en était pris à Doko plutôt qu'au chevalier d'argent, il aurait trouvé la mort sans y emmener avec lui un seul de ses ennemis. Rationalité, donc. Le verdict d'une sombre et froide logique qui n'a que faire des considérations bassement utopiques que sont la loyauté ou le respect. La fin justifie les moyens.

Doko s'agenouille lentement aux pieds du macchabée qui fut, un temps, le gardien du Temple du Taureau. Les restes de son armure d'argent sont dispersés un peu partout sur le dallage, comme s'ils avaient fui en voyant que la situation tournait court. Pour Algéti, il est trop tard. Doko l'a tué.

*****

Noyade. Astarill est enseveli au centre du déluge, assommé par l'avalanche qui hurle de colère dans ses oreilles. Il va mourir. Les secondes se tordent, s'allongent et se dilatent, comme dans un effort désespéré pour prolonger sa vie quelques instants de plus. Misérable sursis, pathétique privilège du vaincu.

Tourbillon astral. Sion vaut bien davantage qu'un simple chevalier d'or. Il a l'étoffe d'un Grand Pope. D'un dieu, peut-être. Dans un sens, Astarill devrait être fier de périr par la main d'un si vaillant guerrier. La plupart de ses semblables, en effet, maîtrisent une technique de bataille, parfois deux, dont l'impact se résume, la plupart du temps, à quelques dommages physiques. Sion n'est pas de ceux-là. Son arsenal lui fait honneur, tant sur le plan quantitatif que qualitatif. Au-delà de ses compétences physiques, psychiques, dimensionnelles, survient le tourbillon astral, en couronnement sublime d'un art dévolu à tuer. Et le principe en est d'une simplicité qui ferait rêver un chevalier de bronze. Le tourbillon astral n'est rien d'autre que la superposition de deux attaques, le Star Dust Revolution et le Star Light Extinction. L'une puis l'autre, elles explosent en un torrent démentiel sur la victime réduite à la soumission.

Astarill esquisse un mouvement, pour se recroqueviller peut-être. La spirale se resserre autour de lui, l'emprisonne dans un cocon luminescent. Sion tend les mains en avant et les filets dorés accentuent leur étreinte. Astarill a un soubresaut. N'y a-t-il donc plus aucun espoir ? La rédemption, le feu sacré ont perdu leur efficience, il serait vain de se reposer sur des armes obsolètes. Néanmoins... subsiste la Fusion Cosmique. Avec un haut-le-coeur, Astarill envisage cette idée. Peut-être le moment est-il venu de jouer cette dernière carte. De par son essence, elle signifie la mort à coup sûr pour le spectre. Cependant, est-ce un tribut si lourd à payer, lorsque la victoire est acquise en contrepartie ? Astarill entrevoit cette dernière chance, la soupèse et la mesure. Le choix n'est pas bien ardu, finalement. Quitte à perdre la vie, autant essayer l'impossible !

C'est la fin. Sion rejoint ses mains en une coupole nimbée de chaleur, et un sourire confiant vient plisser le coin de ses lèvres. L'euphorie du succès le gagne. Maintenant ! De sa poitrine comprimée par l'effort s'échappe une exclamation, un cri, un hurlement. Et le Tourbillon Astral atteint une apogée destructrice à laquelle peu d'hommes auront jamais l'occasion d'assister. C'est la fin, et Sion se délecte du parfum exhalé par la victoire toute proche.

Tiens ? Etrange...

Qu'a-t-il cru voir, l'espace d'une fraction de seconde ? Astarill a semblé abandonner toute résistance, avant d'adopter une posture troublante et pieuse... une sorte de résignation devant l'inéluctable, très certainement, conclut le chevalier du Bélier.

Le choc est bref, presque timide. Peut-être Astarill a-t-il préféré partir dans la discrétion, plutôt que de quitter la scène au milieu d'un tonnerre grandiloquent. Une sortie furtive vaut parfois mieux qu'une débauche de splendeur aussi stérile que ridicule. Le spectre meurt donc sans cérémonial pompeux, mais au moins avec sincérité. Tandis que l'assaut s'éteint doucement, son corps, que le Tourbillon menaçait de réduire en miettes, se dissout dans l'air comme un vent léger dispersé par la brise. Quelques vapeurs cosmiques se faufilent entre les pièces du surplis à demi démoli, elles caressent le sol et scintillent quelques instants encore, jusqu'à ce qu'un souffle anonyme se charge d'en éclipser les dernières bribes. Le spectre de la Mandragore n'est plus. Le Bourreau d'Or a rempli son office.

Il a triomphé d'Astarill. Il a survécu aux Enfers. Il est vivant, fier. Heureux, tout simplement. Sa victoire...

- ... n'en est pas une, achève-t-il soudain.

Les mots lui ont été comme dictés par une conscience supérieure. Mais qu'est-ce donc que cela ?

Les morceaux grisâtres de son armure tombent un à un sur le sol avec le même bruit sourd et déroutant. Ils paraissent ternis, meurtris, vidés de toute énergie. Autant de morceaux d'écorce se détachant spontanément du tronc d'un arbre mort.

Effroi.

- Qu'Athéna me vienne en aide... articule Sion en silence. Mon Cosmos m'a quitté.

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Cette fiction est copyright Clément Baudot.
Les personnages de Saint Seiya sont copyright Masami Kurumada.